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Normes d'encadrement rémunération

À suivre : la SEC se penche sur la clause de restitution des rémunérations

Selon le toujours bien informé Wall Street Journal daté du 2 juin 2015 (ici), le régulateur américain du marché (la Securities and Exchange Commission ou SEC) est en train de travailler sur la règle prévoyant la restitution de rémunérations (clawback provision) qui auraient été versés aux administrateurs et aux dirigeants dès lors que leurs états financiers contiennent des erreurs.

Un dossier à suivre… un de plus !

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

rémunération Structures juridiques

L’OCDE et la finance : focus sur la rémunération et le too big to fail

L’OCDE a publié le 15 juin 2015 un travail de recherche intéressant intitulé : « Finance and inclusive growth » (OECD Economic Policy Paper, No 14, ici). Si le travail est dense et que toutes les thématiques abordées ne touchant pas le blogue, je signale tout de même ces observations de l’OCDE sur la rémunération dans la finance :

  • Observation de l’OCDE : The high level of pay in the financial sector is an important factor behind this link and has fuelled public questioning about the role of the financial sector. Evidence provided in this study shows that the financial sector generally pays its employees more than what workers with similar profiles get elsewhere. This premium increases more than proportionately with remuneration levels and becomes very large at the top. Moreover, male financial sector workers earn a substantial wage premium over female financial sector workers, especially at the top.
  • Solution possible : Compensation reform can help to encourage decision-taking practices that take better account of possible long-term consequences. The large wage premia identified by the empirical analysis, especially at the top, suggests that such reforms can leave the financial sector attractive even if they result in lower pay levels. General efforts to improve gender pay equality would benefit the financial sector, where the gender pay gap is substantial, especially at the top

Notons que concernant la taille des institutions financières et ses conséquences en termes de too big to fail, l’OCDE indique qu’une avenue serait possible : « One way of ending too-big-to-fail would be to break up financial institutions into sufficiently smaller entities. Alternatively, reforms can focus on separating the utility functions of too-big-to-fail banks from their more risky activities and on requiring large institutions to set up credible resolution plans, so that they can be closed orderly if they fail the test of the market place ».

À la lecture de ce document, il ya assurément du travail ! Comme le rappelle l’OCDE, « there can be too much finance ».

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Gouvernance Normes d'encadrement rémunération

Rare pour être signalé : décision judiciaire en matière de rémunération

Bonjour à toutes et à tous, la décision de la Cour d’appel de l’Ontario Unique Broadband Systems, Inc. (Re), 2014 ONCA 538 . M. McGoey, ancien président du conseil d’administration et dirigeant, a été considéré comme ayant violé ses devoirs fiduciaires et s’est vu privé de plusieurs rémunérations considérées comme excessives (notamment le plan dénoué en actions et les boni). Alors que le conseil d’administration avait accordé ces deux formes de rémunération, les actionnaires s’y sont opposés et ont agi en justice…

Morceaux choisis de cette décision rappelant une évidence : les administrateurs ne sont protégé par la règle de l’appréciation commerciale (la fameuse business judgment rule américaine) uniquement s’ils ont agi de bonne foi :


[43]      In my view, the trial judge’s finding that Mr. McGoey’s breached his fiduciary duties to UBS was well supported in the evidence before her and by the lack of any clear explanation from Mr. McGoey as to how the UBS Board decided to establish the SAR Cancellation Awards and the Bonus Pool. For the reasons set forth below, I see no error in the trial judge’s reasoning and in her conclusion that Mr. McGoey’s actions were driven by self-interest, unsupported by any reasonable or objective criteria, and contrary to the best interests of UBS.

[57]      I also agree with the trial judge’s conclusion that the $0.40 unit value was unjustified and unrealistic. It was notionally based on a transaction with Rogers that was far from certain and which had been terminated at the time when the SAR Cancellation Awards were allocated. What the SAR Cancellation Awards really achieved was the removal of the uncertainty that was part of the SAR Plan. Under this new scheme, the recipients’ awards were not dependant on an increase in the share price, the awards would be granted regardless of the trading price of the shares.  This removal of the uncertainty was to the benefit of the recipients and was of no benefit to the corporation.

[60]      There was no documentation that stipulated the performance factors or criteria by which Mr. McGoey’s performance would be evaluated. The trial judge rejected Mr. McGoey’s evidence that the services he provided for Look qualified as the criteria under which he could be awarded a bonus by UBS.  She concluded that, when the UBS bonus was awarded, there were, in fact, no criteria.

[69]      The trial judge also rejected Mr. McGoey’s argument that his actions were undertaken with the assistance of independent legal advice from Mr. McCarthy and, therefore, could not constitute a breach of his fiduciary duties. I agree with the trial judge’s conclusion on this issue. The UBS Board never sought an opinion from Mr. McCarthy regarding the reasonableness of the changes to the SAR Plan and the bonuses. Indeed, the evidence is clear that Mr. McCarthy did not have any information during the relevant time regarding the quantity of the Bonus Award or the SAR Cancellation Awards allocated to Mr. McGoey or to any other director or officer of UBS.

[72]      It must be remembered that the business judgment rule is really just a rebuttable presumption that directors or officers act on an informed basis, in good faith, and in the best interests of the corporation. Courts will defer to business decisions honestly made, but they will not sit idly by when it is clear that a board is engaged in conduct that has no legitimate business purpose and that is in breach of its fiduciary duties. In the present case, there was ample evidence upon which the trial judge could base her conclusion that the presumption had been rebutted.


Bonne lecture et à la prochaine…

Ivan Tchotourian

autres publications Gouvernance rémunération

Dernier numéro de la RFGE !

Bonjour à toutes et à tous, je vous signale que le numéro 15 de juin 2015 de la RFGE est paru récemment. Pour rappel, la RFGE ou Revue française de gouvernance d’entreprise est une revue dédiée à la gouvernance publiée sous l’égide de l’Institut Français des Administrateurs de sociétés (IFA).

Le sommaire est la suivant :

  • Benjamin CHAPAS – Intérêt et gouvernement d’entreprise : une approche « with romance » 
  • Peter WIRTZ – Governance and missionary effectiveness of the Company of Jesus: lessons from an extended theory of governance 
  • Céline CHATELIN, Guillaume GARNOTEL, Stéphane ONNEE &Najib SAIL – De la norme d’indépendance des administrateurs aux pratiques des sociétés du CAC 40. implications juridiques et managériales
  • Ali DARDOUR & Rim BOUSSAADA – Gouvernance d’entreprise et rémunération des dirigeants en France
  • Ghazi ZOUARI & Rim ZOUARI-HADIJI – L’effet des administrateurs internes et de la dualité des fonctions sur la R&D et la performance de la firme : À la recherche d’un modèle intégrateur ?
  • Alexandre POURCHET, Andrée DE SERRES & Bernard DE MONTMORILLON – Une lecture néo-institutionnaliste de l’évolution des activités bancaires et de la gouvernance du Groupe Bancaire Coopératif en France
  • Odile BARBE & Sophie RAIMBAULT – La justification des appréciations : quelle contribution au rapport d’audit sur les comptes consolidés des sociétés cotées françaises ?
  • Kirsten BURKHARDT – Le rôle des sociétés de capital-risque dans la formation d’alliances stratégiques : Une synthèse de littérature Ce guide est disponible en téléchargement sur l’espace documentaire

Rendez-vous ici pour commander ce numéro.

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Gouvernance Normes d'encadrement rémunération

Il y a deux ans : compte rendu d’une table ronde de haut niveau (2nd partie)

4. Quelle est votre analyse concernant les actionnaires ?

Stéphane Rousseau : D’abord, lorsque l’on regarde l’architecture du droit des sociétés, force est de constater que les actionnaires occupent une place primordiale. Même si la Banque centrale européenne (BCE) a créé un vaste espace discrétionnaire en faveur des administrateurs, au final, on retrouve un environnement juridique qui pointe en direction des actionnaires, ne serait-ce que par le volet des élections des administrateurs. Du point de vue juridique, les actionnaires ne sont pas des parties prenantes comme les autres. L’économiste Hirschmann a écrit un livre assez important dans les années 70 portant sur la dualité « prise de parole et défection » et sur les enjeux que cela soulève pour la gouvernance et la viabilité des sociétés commerciales ou non commerciales[1]. Ce que l’on aconstaté au cours des dernières décennies, c’est qu’il est de plus en plus difficile pour les investisseurs de faire défection, c’est-à-dire de vendre des actions lorsqu’ilsne sont pas satisfaits et de trouver une autre option sur le marché. La raison en est que les rendements ont été largement endémiques, voire nuls, du fait dessoupçons de valeur qui ont compliqué la donne pour les actionnaires. Sans parler du marché des OPA qui a fortement ralentiau cours des cinq dernières années. Que reste-t-il pour les investisseurs ? Ils doivent devenir plus actifs : passer du statut de défection à un statut de prise de parole, droit dont ils disposent en vertu de la loi sur les sociétés. L’observation d’un certain rééquilibrage des pouvoirs au sein des sociétés peut être faite, mais ce rééquilibrage ne doit pas être surestimé. En effet, une récente étude américaine[2] a montré, qu’avant et après la crise financière, le taux de rotation des administrateurs dans la société n’avait pas changé. Même dans les sociétés en crise, il n’y a pas eu plus de remplacements d’administrateurs. Cependant, on peut noter que les actionnaires sont plus présents dans la gouvernance. Y a-t-il des préoccupations à avoir ? Deux commentaires à ce sujet peuvent être formulés. Le premier est de savoir qui sont les actionnaires et quel est leur pouvoir. Prenons l’exemple d’Apple : 140 milliards de dollars de liquidité au bilan, pas de dettes. Depuis septembre 2012, le déficit d’Apple est passé de 700 dollars d’action à 400 dollars d’action ; c’est une grosse perte de valeur. Il y a donc beaucoup d’argent au bilan, mais on n’en fait rien et,en plus, les investisseurs ne l’évaluent pas adéquatement. Estimant qu’Apple utilisait mal son capital, les investisseursont mis la pression à l’entreprise pour que cela change. La proposition mise en avant a été la création d’iPerf (actions privilégiées). L’idée a été qu’Apple devait envisager d’émettre 500 milliards d’actions privilégiées donnant un dividende annuel de 4 % ;cela faisait environ 20 milliards de dollars par année qui serait sorti des coffres d’Apple – évidemment, ces actions étaient émises sans contrepartie. Par alchimie financière, l’émission de 500 milliards d’actions serait rentrée dans l’équilibre de la société et il n’y aurait pas eu d’impacts sur sa valeur. Cependant, Apple a refusé cette idée et a proposé, à la place, d’améliorer sa gouvernance. Quelques mesures de gouvernance ont donc été créées. Mais les modifications de statuts envisagées ont finalement été annulées par un tribunal américain pour des raisons techniques de sollicitation de procuration. Par conséquent, la proposition de création d’iBond et d’iPerf a été réactivée. Derrière tout cela, qu’est-ce qui a été fait ? Le problème d’Apple n’a pas été résolu… Comment encore innover ou améliorer les produits mis sur le marché ? On parle d’une logique de financiarisation et d’une transformation du capital d’Apple pour essayer d’améliorer le sort des actionnaires ; cela n’a rien à voir avec le fonctionnement de la société, avec la création de valeurs. Ainsi, l’exemple d’Apple est assez éloquent et préoccupant quant à la thèse de la maximisation à court terme. La seconde remarque concerne la prise de décisions des actionnaires. En 2012, les ACVM ont discuté de cette question et des fameux proxy advisors, les agences en conseil de vote[3]. On ne sait pas encore ce qui va arriver… Est-ce que ce sont encore les actionnaires qui prennent vraiment les décisions ou sont-ce essentiellement les deux entreprises qui dominent le marché des agences (Institutional Shareholder Services (ISS) et Glass, Lewis & Co. Glass Lewis) qui avec leurs normes et leurs conseils orientent ce qu’est la bonne gouvernance, les choix des actionnaires en faveur d’un certain modèle ? Parle-t-on vraiment du pouvoir des actionnaires ou parle-t-on de pouvoir d’un tiers qui est dans l’ombre, mais qui vient, au final, augmenter grandement les chances de résultat positif attachées à l’élection d’administrateurs ou à l’approbation de transactions importantes au sein des sociétés ?

André Prüm : Il est vrai que les conseillers en vote représentent une vraie difficulté. Un autre phénomène un peu curieux peut être évoqué. C’est le high frequency trading : une partie des actions des sociétés change extrêmement rapidement de mains, ce qui a des conséquences sur la composition de l’actionnariat. Il y a des modèles d’achat et de vente d’actions qui se font sur la base de modèles mathématiques et qui sont exécutés par ordinateurs. En conséquence, l’actionnaire est parfois actionnaire dans une société uniquement pendant une fraction de seconde. C’est une idée très différente de celle qui découle du droit des sociétés : c’est du « pur investissement » ! Il n’y a plus personne pour exercer un contrôle sur la société alors que cela provoque un changement de logique par rapport au droit des sociétés tel qu’il a été conçu.

5. Pensez-vous qu’un des rôles du conseil d’administration serait d’améliorer la gouvernance d’entreprises et des établissements financiers ?

André Prüm : Évidemment, si l’on parle de gouvernement d’entreprises, l’une des premières questions qui vient à l’esprit est celle du fonctionnement des conseils d’administration. Sur ce terrain, beaucoup de sujets peuvent être évoqués. Quel véritable rôle devrait avoir le conseil d’administration ? Un rôle avec un certain niveau d’initiative pour définir l’objectif, la stratégie, les valeurs de l’entreprise ou plus un rôle de contrôle ? Il n’y a probablement pas de modèle unique. Cela dépend des entreprises. La question de la composition du conseil d’administration peut aussi être posée. Ces derniers temps,des idées quant à la présence d’administrateurs indépendantsont été développées. Les administrateurs indépendants ne sont toutefois pas les garants d’un fonctionnement performant, notamment dans des secteurs très spécialisés (par exemple, celui de la finance, des télécommunications etd’autres secteurs dans lesquels on a besoin de compétences techniques précises que l’administrateur indépendant risque de ne pas avoir). Ce n’est donc pas toujours simple de définir un modèle unique. Rechercher en permanence un administrateur indépendant peut être contre-productif. Par ailleurs, la représentation d’une proportion adéquate de femmes dans les conseils d’administration est également une question très débattue. Sur cette question, des études ont été faites et il en ressort qu’une plus grande proportion de femmes dans un conseil d’administration change son fonctionnement et conduit à prendre des positions plus courageuses et risquées. Mais il est difficile d’établir aujourd’hui une relation entre composition du conseil d’administration et performance des entreprises – en tout cas, pour ce qui est de la performance financière. On peut élargir les horizons en de demandant si les grandes entreprises doivent davantage être un reflet de notre société, si la présence des femmes dans les conseils d’administrationpeut trouver une justification également morale au-delà de la simple recherche de la performance de l’entreprise. C’est un argument tout à fait sensé. Par conséquent, comment le réaliser ? Est-ce qu’il faut des quotas obligatoires ? En 2003 en Norvège, les sociétés cotées ont été menacées de dissolution si elles n’avaient pas atteintune proportion de 40 % de femmes dans leur conseil d’administration au bout de deux ans. Il s’agit de la solution la plus radicale qui existe. Je ne suis pas en faveur de solutions si radicales. J’ai participé à la rédaction de dix principes de pratiques de gouvernance d’entreprises de la bourse de Luxembourg[4] et j’ai défendu l’idée qu’il fallait une proportion adéquate de femmes dans les conseils d’administration. La composition des conseils d’administrationest certainement un sujet important, mais complexe. La vraie question est sans doute celle de l’engagement des administrateurs. Comment être certains que les administrateurs sont compétents et s’engagent pleinement ? Faut-il limiter le nombre de mandats ? C’est une piste à exploiter, en tout cas dans certains secteurs. Ne faudrait-il pas que les rémunérations des membres du conseil d’administrationsoient davantage en fonction des facteurs de réussite de l’entreprise à long terme ? Aujourd’hui, cela est rarement le cas…

Raymonde Crête : L’évolution de la réglementation témoigne des efforts réalisés par les autorités réglementaires notamment en ce qui concerne le problème systémique au sein des entreprises. Quels sont ces problèmes systémiques ? Le conseil d’administration a été identifié comme une source potentielle de problèmes. Les autorités réglementaires ont donc porté leur attention sur les conseils d’administrationet ont finalement considéré qu’il était important de faire en sorte que les conseils d’administration mettent en place des mécanismes efficaces de surveillance, de gestion des risques, de contrôle interne et de conformité. Cela a conduit les conseils d’administration à revoir leur façon de faire, mais à un point tel que les conseils d’administration ne se préoccupent plus de planification, de stratégie, de création de valeurs, etc. On est passé à un autre extrême. C’est la critique formulée par Milton Friedman[5]. Par ailleurs, les autorités réglementaires disent qu’il faut revoir les mécanismes de gestion des risques, mais n’indiquent pas comment faire. Qu’est-ce que seraient une meilleure gestion des conflits d’intérêts et une meilleure politique de contrôle interne ? En ce moment,il y a un besoin de formation et de connaissances de la part des administrateurs. Le volet mis en évidence dans les réformes au cours des dernières années est celui de la composition du conseil d’administration. Au Canada et aux États-Unis, l’accent est tellement mis sur l’indépendance des administrateurs qu’il y a une saturation du discours. En 1994, Peter Dey était le président du comité qui a rédigé le rapport Where were the Directors?[6] et prônait l’indépendance des administrateurs. En 2006, il se demandaitsi l’on n’était pas allés trop loin ; le Global mail rapportait alors ses paroles au sujet des autorités réglementaires : « They’re gone overboard ». En effet, les conseils d’administration pourraient se priver de personnes très compétentes. Dans ce sens, les études empiriques montrent qu’il n’y a pas nécessairement de corrélation entre l’adoption de saines pratiques de gouvernance et la performance des entreprises. Sur le site de SSRN, sont répertoriées des études qui lient gouvernance et performance et il est difficile d’établir un consensus à ce sujet. Néanmoins, un exemple à citer serait celui du rapport Dey qui montre que l’indépendance des administrateurs est importante, mais que leurs compétences, notamment leur capacité à analyser les états financiers de l’entreprise, sont le point essentiel. Autre élément important : la diversité, notamment la présence des femmes. Un article a été publié récemment dans l’International Journal of Business Governance and Ethics, consacré à la question : « Why women make better directors ? »[7]. Il y est montré que, lors du processus décisionnel des conseils d’administration, les femmes prennent en considération beaucoup de facteurs et qu’elles vont tenir compte de plusieurs parties prenantes ; les hommes, eux, ont plutôt tendance à se fier aux règles, à la tradition, et à remettre moins en question la direction des entreprises. La présence des femmes dans les conseils d’administrationest donc prônée, mais le lien avec la performance de l’entreprise n’a pas encore été démontré. En résumé, les autorités réglementaires et les entreprises elles-mêmes devraient mettre l’accent sur la formation des administrateurs (meilleure connaissance de l’entreprise et de l’environnement dans lequel elle évolue). Ce sont les valeurs qui sont importantes et l’objectif serait sans doute de tendre vers une éthique irréprochable ; c’est cela qui a fait défaut ces dernières années.

6. Pour conclure, deux questions méritent d’être posées. Quel est votre avis sur la question de la rémunération ? Quel est l’avenir de la gouvernance au regard du droit ?

Stéphane Rousseau : Quand on parle de rémunération, il faut faire une distinction, car les études témoignent que le problème de rémunération est plus important aux États-Unis qu’au Canada. Je ne pense pas que le droit ait un rôle à jouer dans l’encadrement du montant de la rémunération. C’est aussi la thèse de Bebchuk et Fried de Harvard[8] qui estiment que le rôle du droit est plutôt d’appuyer des négociations de régime de rémunération par des mécanismes procéduraux tels que le say on pay, le majority voting et la divulgation. Au Canada, la problématique de la rémunération des dirigeants se pose autrement. L’étude publiée par le CCGG (Canadian Coalition of Good Governance) a montré qu’il y avait un bon niveau de corrélation entre la rémunération et la performance des grandes sociétés canadiennes[9]. Le classement du Global Mail publié chaque année est révélateur de cette tendance. À mon avis, le problème au Canada n’est pas tant sur la rémunération que sur le bénéfice privé du contrôle que s’approprient les actionnaires majoritaires dans les sociétés. C’est là l’enjeu véritable des sociétés canadiennes caractérisées par un actionnariat de contrôle lorsqu’a lieu une restructuration de capital. C’est la rémunération octroyée à l’actionnaire dominant dans le cas d’une telle opération (et non la rémunération excessive des dirigeants) qui est au cœur de la réflexion canadienne. La décision Magna est éloquente sur cette problématique. L’enjeu est ici et pas ailleurs ! Soulignons que le Canada comporte des règles générales de droit des sociétés.

André Prüm : Il est difficile de se faire une véritable idée sur ce sujet car on a toujours l’impression que le débat est influencé par des facteurs politiques. Les politiques se sont saisies du problème des établissements financiers et ont utilisé l’argent des contribuables pour les sauver. Les politiques essayent de démontrer à court terme qu’ils arrivent à redresser la situation, ce que l’économie va peut-être arriver à faire spontanément à moyen ou long terme. En Suisse, en février 2013, il y a eu un référendum pour savoir si la politique de rémunération et le niveau des rémunérations individuelles devaient être soumis à un vote obligatoire du conseil d’administration ; le résultat a été en faveur du vote du conseil d’administration. C’est quand même surprenant que ces questions soient soumises à un référendum. Cela témoigne d’une politisation du débat. Est-ce que le droit produit l’effet recherché ? Dans les pays en paix depuis un certain nombre d’années,les rémunérations des dirigeants augmentent dans le secteur financier et dans les autres secteurs commerciaux,alors qu’une modération serait sans doute préférable.Ce n’est donc pas nécessairement une bonne idée d’intervenir par des règles trop contraignantes. Ceci étant dit, un meilleur dialogue entre les actionnaires, les dirigeants et le conseil d’administrationsur les politiques de rémunération – sans introduire les règles de droit contraignantes – est nécessaire. Ilsemble qu’aujourd’huiun tel dialogue s’installe en coulisse et suscite une prise de conscience globale qui se manifeste par des interventions des conseils d’administration, des assemblées générales, qui elles-mêmes entraînent dans son sillage un dialogue plus franc sur lespolitiques de rémunération. Dans le secteur financier toutefois, les mesures contraignantes pourraient être indiquées car la rémunération peut avoir un effet plus direct sur le profil de risques de l’entreprise.

Raymonde Crête : Pour le secteur financier, il y a une grande réflexion qui est menée dans le monde des services d’investissement. En effet, il y a un grand ménage à faire en ce qui a trait à la rémunération par commission par honoraire et aux multiples frais de gestion imposés dans les fonds d’investissement. Les ACVM ont d’ailleurs entamé un processus de consultation à ce sujet. C’est un dossier très complexe et je ne pense pas être en mesure de commenter les orientations à prendre, mais une attitude plus interventionniste serait probablement souhaitable. Un étudiants-chercheur du GRDSF rédige actuellement un mémoire de maîtrise sur toute la problématique de la rémunération dans le contexte des fonds d’investissement ; une étude à suivre…


[1] A. O. Hirschman, “Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States”, Harvard University Press, 1970.

[2] S. M. Davidoff, A. Lund and R. J. Schonlau, “Do Outside Directors Face Labor Market Consequences? A Natural Experiment from the Financial Crisis” (September 16, 2013), Harvard Business Law Review (Forthcoming), en ligne, <http://ssrn.com/abstract=2200552>.

[3] Autorité canadienne en valeurs mobilières (ACVM), « Perspectives de réglementation des agences de conseil en vote », Document de consultation 25-401, 21 juin 2012. Récemment, les ACVM ont fait le point sur cette consultation : ACVM, « Le point sur le Document de consultation 25-401 des ACVM, Perspectives de réglementation des agences de conseil en vote », Avis 25-301, 19 septembre 2013.

[4] Ces dix principes dans leur version actualisée sont consultables en ligne : https://www.bourse.lu/gouvernance-entreprise.(consulté le 8 décembre 2013)

[5] M. Friedman, “The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits”, New York Times Magazine, September 13, 1970.

[6] P. Dey (Ed.), “Where Were the Directors? – Guidelines for Improved Corporate Governance in Canada’ of the Toronto Stock Exchange committee”, December 1994.

[7] C. Bart and G. McQueen, “Why women make better directors?”, International Journal of Business Governance and Ethics, 2013, 8, 93-99.

[8] L. A. Bebchuk and J. M. Fried, “Pay without Performance, the Unfulfilled Promise of Executive Compensation”, Cambridge, Harvard University Press, 2004.

[9] A. Anand, “The Value of Governance”, University of Toronto Faculty of Law, February 2013.

Gouvernance Normes d'encadrement rémunération

Il y a deux ans : compte rendu d’une table ronde de haut niveau (1e partie)

Bonjour à toutes et à tous, voici un billet inhabituel dont je vous laisse découvrir la teneur…

Dans le cadre du cours DRT-7022 Gouvernance des entreprises, une table ronde (« La gouvernance d’entreprise en résonnance – Dialogue entre juristes nord-américains et européens ») a été organisée le 8 avril 2013 destiné à mettre en lumière les évolutions contemporaines dont la gouvernance est l’objet au Canada et ailleurs. L’ouverture des marchés, l’accroissement de la financiarisation des entreprises et la mutation de l’actionnariat des sociétés cotées ont fait de la gouvernance des entreprises une norme universelle que le droit ne peut aujourd’hui plus ignorer. Or, le caractère international de la gouvernance d’entreprise impose que les discussions sur son devenir soient menées au travers d’une démarche comparative[1]. C’est ce que proposait cette table ronde réunissant trois experts des droits canadiens, américains et européens : Raymonde Crête, professeure à la faculté de droit de l’Université Laval et directrice du GRDSF ; André Prüm, doyen et professeur à la faculté de droit de l’Université du Luxembourg ; et Stéphane Rousseau, professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire en gouvernance et droit des affaires. Animée par le professeur Ivan Tchotourian, cette table ronde a permis à ces experts de partager leur expertise avec les étudiants en répondant à un certain nombre d’interrogations actuelles. Le présent article reprend les riches discussions auxquelles cette table ronde a donné lieu.

1. Selon vous, quelles sont les évolutions marquantes dans le domaine de la gouvernance d’entreprises depuis 2008 ?

André Prüm : En Europe, les évolutions peuvent être constatées sur deux terrains : au niveau des différents États membres de l’Union Européenne (UE) et au niveau de l’UE en tant qu’organisation supra-nationale. Tenons-nous-en à ce second plan d’observation. De façon générale, la tendance est de vouloir veiller à l’amélioration de la gouvernance des entreprises. Je dirais que le facteur déclencheur de ce mouvement a été la crise financière qui a frappé durement l’Europe. Cette crise a permis de se rendre compte que, dans le secteur financier, la gouvernance des entreprises n’était pas satisfaisante car elle ne permettait pas de prévenir les risques. Peu avant la crise, l’UE a adopté une directive le 11 juillet 2007[2] sur l’exercice de certains droits des actionnaires dans les sociétés cotées. C’est une directive relativement modeste qui ne s’adresse qu’aux sociétés cotées et qui prévoit essentiellement de faciliter l’exercice par les actionnaires de leur droit de vote. Ce n’est au déclenchement de la crise financière que la Commission européenne a édité deux Livres verts en matière de gouvernance d’entreprises : un premier en juin 2010 sur la gouvernance d’entreprises dans le secteur financier à propos des établissements de crédit[3]et un second en avril 2011 sur la gouvernance d’entreprises dans les sociétés cotées[4]. Les Livres verts sont essentiellement des instruments de consultation qui recueillent le sentiment des parties prenantes sous forme de questions. Assez récemment,ces deux Livres verts ont été suivis d’une série de mesures. Dans le secteur financier, il y a eu la réforme des directives concernant les exigences de fonds propres des banques, soit les règles de Bâle[5]. Au niveau des banques, ont été mises en place des règles quant à la rémunération des dirigeants et des autres personnes intervenant au sein des établissements de crédit qui peuvent avoir un rôle sur le risque auquel s’exposent ces établissements (les traders par exemple). En outre, le 12 décembre 2012, la Commission européenne a proposé un plan d’action qui prévoit une série de mesures en matière de gouvernement d’entreprises et de fonctionnement des sociétés cotées[6]. Voici les sujets les plus notables : la rémunération des dirigeants, la composition des conseils d’administration (notamment la diversité qui doit y régner) et la vision à trop court terme des dirigeants – la boussole des marchés financiers incite les dirigeants à veiller essentiellement sur le cours de bourse d’une entreprise plutôt que d’appréciersa valeur par d’autres paramètres que ceux purement financiers. Enfin, deux évolutions quant aux actionnaires sont à souligner. Le premier est leur identification, qui est une revendication des entreprises particulièrement pour les actionnaires qui représentent les groupes d’actionnaires, comme cela se fait de plus en plus à travers les chaînes de détention de titres qui sont devenues complexes en raison de la philosophie prédominante de la diversification du portefeuille. La seconde est l’encouragement d’un plus grand engagement des actionnaires pour suivre le sort des entreprises.

Stéphane Rousseau : Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank de 2008[7] a été la réponse à la crise financière et a constitué le moteur essentiel des changements au plan législatif. Dans cette loi,on trouve beaucoup de choses pour le secteur financier, mais également des dispositions en matière de gouvernance : l’introduction du say on pay obligatoire, le vote consultatif mais obligatoire sur la rémunération des dirigeants, la politique de rémunération et celle sur les parachutes dorés pour toutes les entreprises financières et non financières. Avec la réforme en matière de say on pay, on a changé la donne de manière définitive. Il y a eu un effet rebond au Canada même si l’on n’a pas adopté de mesures législatives.L’autre élément de la loi Dodd-Frank à identifier est le régime de whistleblowing (régime de dénonciation) qui a été mis en œuvre par la Securities and Exchange Commission (SEC) en 2011. Le régime de whistleblowing ajoute une nouvelle forme de contrôle au sein des sociétés : à la fois interne par les employés et externe par toute personne qui serait en mesure d’identifier une contravention à la loi fédérale sur les valeurs mobilières. En outre, la particularité de ce régime est d’avoir introduit un système de primes. L’information de valeur – si elle amène à voir s’il y a une cause dans un recours – peut donner droit à une prime à la personne qui aurait dénoncé la contravention ou donné des informations susceptibles de l’identifier. Le whistleblowing change également la donne et rencontre un franc succès aux États-Unis. Bien que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) aient commencé à y réfléchir,on ne sent pas un réel engouement au Canada pour ce régime. Enfin, la loi Dodd-Frank a créé un comité de conseil pour la gestion des risques. Au Canada, le secteur bancaire n’a pas été frappé de la même manière par la crise. Les banques ont très bien résisté et, par conséquent, les initiatives de la loi Dodd-Frank n’ont pas été suivies à bien des égards pour le volet financier. L’évolution en matière de gouvernance à signaler est le « retour » de la bourse de Toronto. La bourse avait délaissé ce secteur en 2002-2003 à la suite de la loi Sarbanes-Oxley lorsque les ACVM avaient adopté les règlements 52-108 et suivants. Depuis l’automne 2012, la bourse de Toronto a modifié son manuel des sociétés cotées pour traiter de la question particulière de l’élection des administrateurs. Sont dorénavant exigées une élection annuelle et individuelle des administrateurs, la divulgation des résultats et l’adoption d’une politique de majority voting. Restons sur cet exemple. Le majority voting est un système électoral concernant l’élection des administrateurs. En principe, le pourcentage est obtenu à la majorité des voix exprimées. Lorsqu’on organise l’assemblée annuelle pour une société cotée, généralement, on sollicite des procurations et le vote se fait au moyen d’un formulaire de procuration. Dans la pratique, le problème est qu’il n’y a que deux cases (« pour » et « abstention ») sur le formulaire de procuration pour exprimerle vote par rapport aux administrateurs qui sont proposés. Pourtant, ce n’est pas ce qui est prévu ni par la loi sur les sociétés[8] ni par le règlement 51-102 sur les obligations d’information continue relevant des valeurs mobilières[9] : les administrateurs doivent être élus à la majorité des voix exprimées. Or, lesvotes d’abstention ne sont pas des voix exprimées. Par conséquent, il y a toujours 100 % des voix. C’est là le problème lié au système électoral actuel au Canada et aux États-Unis. Il y a plusieurs années, un mouvement s’est amorcé pour essayer de changer l’encadrement légal en marge du droit positif. Le but est quel’administrateur qui a plus d’abstentions que de voix en sa faveur doit remettre sa démission les 60 jours suivant l’assemblée ; le conseil a la discrétion d’accepter ou pas la démission. Ainsi, on donnerait un sens aux abstentions exprimées dans les assemblées eton les transformerait en votes « contre ». Dans son projet du 18 octobre 2012 validé en décembre 2012[10], la bourse de Toronto rend obligatoire cette politique. Il s’agit de l’évolution législative la plus importante. Du côté jurisprudentiel, il y a également beaucoup de choses intéressantes depuis deux ou trois ans : la décision Magna pour l’élimination des actions à droit de vote multiple[11], la décision Telus sur l’empty voting[12] et la décision Morguard[13]. Au-delà de l’aspect législatif, ce sont des décisions extrêmement intéressantes en matière de gouvernance.

2. Quels sont les liens entre gouvernance d’entreprises et gouvernance des établissements financiers ? Sont-ils de mêmes natures en Europe qu’en Amérique du Nord ?

André Prüm : Deux observations peuvent être formulées. La première est que les insuffisances dans la gouvernance de certains établissements financiers ont accru leur fragilité au moment de la crise. Des études empiriques montrent notamment en Allemagne que les banques dans lesquelles les conseils d’administration étaient souvent composés de personnalités politiques étaient plus durement frappées par la crise que d’autres où il y avait davantage de professionnels de la finance. Les conseils n’ont pas joué leur rôle de contrôle des risques ; c’est le cas par exemple de la banque italienne Monte dei Paschi di Siena (« Crédit des Paschi de Sienne ») la plus ancienne banque au monde, qui a bénéficié des mesures de sauvetage. Ainsi, la performance insuffisante de la gouvernance de certains établissements financiers a été un facteur de fragilité durant la crise. D’autres études montrent que les établissements financiers dans lesquels les intérêts du management, en particulier du PDG (CEO), étaient alignés avec les intérêts des actionnaires (c’est-à-dire où il était mené une politique de rémunération des actionnaires) avaient été plus durement frappés par la crise. La poursuite de l’objectif d’aligner l’action des dirigeants avec les attentes des actionnaires a conduit à un effet contraire à celui initialement envisagé. Une autre étude a montré que les entreprises financières dans lesquelles les actionnaires étaient relativement actifs étaient également plus fragiles à la veille de la crise puisque les actionnaires incitaient ces établissements à prendre plus de risques pour générer plus rapidement des bénéfices en se disant que ce ne serait pas eux qui paieraient les conséquences de ce risque systémique. En d’autres termes, ce n’est pas un risque qui a été internalisé par l’entreprise ; c’est un risque qui a été supporté par la société plus généralement. Ainsi, les actionnaires ne jouent pas nécessairement toujours le bon rôle. Par ailleurs, les intérêts des partenaires d’une entreprise (actionnaires, créanciers, dirigeants, déposants) sont bien souvent divergents. L’intérêt des actionnaires et des dirigeants ne se confond plus avec celui des créanciers et des déposants, alors que dans d’autres entreprises, ces intérêts ne sont pas aussi peu alignés. Il y a donc globalement un contexte différent. Que conviendrait-il de faire ? Il faudrait s’assurer que la direction des établissements financiers garde une certaine indépendance vis-à-vis de l’actionnariat pour garantir la solidité de ces établissements sur le long terme et veiller à ce que la politique de rémunération ne conduise pas les établissements à prendre trop de risques. En ce qui concerne la politique de rémunération, la question a été très débattue en Europe. En février 2013, il y a un accord intéressant qui a été trouvé entre le conseil et le parlement européen pour faire respecter un ratio de 1 sur 1 entre la partie fixe de la rémunération et la partie variable.Si ce ratio n’est pas respecté(si la partie variableest la plus importante), la partie variable doit être versée sur un horizon plus long avec des évaluations de la performance sur une période plus longue et avec des mécanismes de blocage de cette partie variable. C’est une révolution dans le monde de la banque ! Une dernière piste, qui est discutée à la fois en Europe et en Amérique du Nord, consiste à trouver des mécanismes de fonds propres qui permettraient d’avoir des structures de capital pour les banques plus intéressantes que cellesqui existent actuellement. Essayons de ne pas être trop techniques.Les banques doivent avoir un certain montant de fonds propres constitués essentiellement de sommes apportées par les actionnaires. Or les actionnaires s’attendent à ce que les entreprises vérifientleursétats financiers et s’assurent que des fonds leur permettent de couvrir leurs dettes. Mais, elles ne le font pas. Aussi, si l’on souhaite redresser cette situation, il convient peut-être d’inciter les actionnaires à subir les pertes dès lors que la situation financière est difficile. En outre, une idée complémentaire serait d’aider à collecter des fonds auprès des créanciers en émettant des titres de dettes convertibles en capital dès lors que le coursde bourse de la banque (ou un autre paramètre financier) descend en dessous d’un certain seuil. Ce mécanisme de protection permettrait à des obligataires et à des créanciers d’acheter de nouvelles obligations à des conditions financières favorables puisqu’à un prix inférieur à celui du marché. Néanmoins, cette solution engendre pour les actionnaires une situation délicate : la dilution de leur participation. Par conséquent, une des parades serait d’octroyer aux actionnaires une possibilité d’acheter eux-mêmes les obligations convertibles en actions, mais à un prix plus élevé. Ils se verraient « forcés » de venir en aide à l’établissement financier en mettant davantage de fonds à la disposition de cet établissement sans risquer de se trouver dilués. En résumé, l’idée est de réfléchir à des mécanismes pertinents pour qu’en situation de crise les actionnaires jouent davantage leur rôle en apportant des fonds nécessaires au soutien de leur entreprise. L’une des grandes questions que l’on doit se poser est de savoir quelle banque on souhaite vraiment à l’avenir. Est-ce que l’on désire encourager des établissements qui apportent une certaine liquidité à l’économie et qui doivent prendre des risquespour le faire même si cela induit une certaine fragilité ? À l’heure actuelle, ces établissements priment. Ouest-ce que l’on souhaite assurer la solidité des banques ? Que deviennent-elles alors ? Des sortes d’agences, des entreprises qui n’apporteraient plus une grande valeur économique en tant que telle, qui passeraient à côté de leur vocation ? Il faut trouver le juste équilibre entre le souhait de rendre les établissements de crédit de plus en plus solides et leur rôle qui consiste à apporter une liquidité au secteur économique tout en prenant les risques qui vont avec.

Raymonde Crête : J’aimerais évoquer le secteur des services d’investissements qui a été, lui aussi, frappé par des scandales financiers au cours des dernières années. Différents types de services financiers existent : conseil financier, gestion de portefeuille, gestion des comptes d’investissement, négociation des valeurs mobilières, planification financière, etc. Vous avez également les courtiers en placement et les courtiers en épargne collective, c’est-à-dire ceux qui distribuent les fonds communs de placement. Ces dernières années ont été le témoin de scandales financiers (Norbourg, Bernard Madoff, Earl Jones) qui intéressent particulièrement les chercheurs. En essayant de mieux comprendre quels étaient ces services financiers et comment ils étaient encadrés, il a été remarqué que ces services étaient vraiment distincts, qu’ils avaient une spécificité qui leur est propre et qui justifie que les autorités réglementaires les traitent de façon particulière. La thèse du Groupe de recherche en droit des services financiers (GRDSF)[14] est que ces services d’investissement font partie de la grande famille des services financiers avec des normes de gouvernance qui lui sont adaptées. Prenons l’illustration de l’entreprise commerciale qui vend des produits de consommation (Round Dépôt ou Future Shop par exemple). Le consommateur achète un produit et la confiance qu’ilmanifeste à l’égard de l’entreprise est relativement minime.L’entreprise, elle, a une obligation de résultat. Vente d’un produit de consommation et paiement de ce produit : c’est du donnant-donnant. Dans ce contexte, chaque cocontractant va, de bonne foi, privilégier ses propres intérêts :vente au meilleur prixversus achat au prix le moins élevé. L’autre élément important concerne les devoirs du conseil d’administration. Ces dernières années, la Cour suprême a dit que le meilleur intérêt de la société n’est pas nécessairement le meilleur intérêt des actionnaires, c’est-à-dire qu’il peut être légitime de prendre en compte les intérêts des diverses partiesprenantes. Cependant, en raison de la règle de l’appréciation commerciale, on laisse beaucoup de latitude au conseil d’administration pour privilégier certains intérêts plutôt que d’autres. Concrètement, le conseil d’administration peut privilégier les actionnaires sans qu’une telle politique soit remise en cause dès lors que le conseil d’administration a agi de façon raisonnable etresponsable. En d’autres termes, les profits dans l’intérêt des actionnaires vont pouvoir être maximisés. Étudions maintenant les services d’investissement. Les épargnants vont confier leurs économies, parfois importantes, à des professionnels des services d’investissement. Il va y avoir délégation de pouvoir,c’est-à-dire que les professionnels vont être appelés à gérer ce patrimoine dans le but de faire fructifier les économies. Les professionnels gèrent des produits très diversifiés et très complexes ; la situation est telle que les épargnants n’ont pas les connaissances adéquates pour placer et faire fructifier leurs économieset s’adressent à ces professionnels en présumant qu’ils ont la compétence requise pour faire de bons placements. Le problème vient du fait que les épargnants peuvent difficilement juger de la qualité du travail des professionnels parce qu’ils n’ont pas de compétences pour évaluer leur niveau de diligence. On sait que les professionnels (tout comme les médecins, les avocats, les comptables) ont une obligation de moyen. Cela veut dire que si le portefeuille donne des résultats (aléatoires dans ce genre de contrats) plus ou moins bons, l’épargnant (le client) ne saura pas si ces résultats sont liés à une baisse générale du marché ou à un comportement négligent, déloyal ou abusif du gestionnaire. Pour reprendre le parallèle avec l’entreprise commerciale, il y a également une confusion des intérêts dans le domaine de la gestion de patrimoine des services de financement : le professionnel a deux types d’intérêts (le sien et celui de son client) bien qu’il soit censé agir, en principe, dans le meilleur intérêt du client. Dans une entreprise commerciale, les intérêts peuvent ainsi être opposés. Il y a donc un conflit d’intérêts qui est inhérent à la situation de gestion de patrimoine. Revenons aux épargnants. Ces derniers sont dans une situation de dépendance parce qu’ils n’ont pas les connaissances spécialisées requises pour évaluer le travail des professionnels ; ils sont donc vulnérables. Il y a ainsi un risque de préjudice qui peut se manifester par des pertes financières parfois considérables (en témoignent les récents scandales financiers), mais aussi par des problèmes non pécuniaires (problèmes psychologiques, problèmes de santé, anxiété stress, etc.). De ce fait, les autorités réglementaires prennent en compte la spécificité dece type de relations pour adopter un encadrement juridique particulier strict. Cet encadrement juridique est plus étendu que celui des entreprises commerciales : une législation financière particulière (par exemple, la loi sur les valeurs mobilières[15], un contrôle à l’entrée avec les normes d’introduction, des normes de conduite avec des obligations de diligence et de loyauté plus sévères. Du côté de l’autoréglementation, il y a l’Organisme canadien de réglementation du commerce et des valeurs mobilières (OCRCVM) qui intervient et vient régir les contrôles et surveiller les courtiers en placement à l’échelle canadienne ; la Chambre de sécurité financière et l’Association canadienne des courtiers de fonds communs de placement qui exercent également un contrôle. En outre, s’ajoute à tout cela une régulation interne. Par conséquent, il y a une réglementation de nature professionnelle qui va s’appliquer tant aux entreprises qu’aux individus, comme c’est le cas pour les avocats, notaires, comptables, médecins. La différence est que, dans le monde financier des services d’investissement, on va viser tant l’entreprise que les individus. Reprenons le sujet du devoir général des administrateurs et des dirigeants. Comme évoqué précédemment, la Cour suprême dit que l’on peut tenir compte des intérêts des diverses parties prenantes, mais dans les faits, cela laisse beaucoup de latitude aux conseils d’administration pour faire cet arbitrage et l’intérêt des actionnaires peut véritablement primer. L’exemple qui illustre ce propos est l’arrêt BCE de la Cour suprême[16]. Au travers d’une prime de 40 % de l’acquisition prévue, les actionnaires étaient les gagnants de l’opération alors que les créanciers (détenteurs de simples débentures) étaient les perdants. Qu’en est-il du devoir d’administrateur et de dirigeant pour l’entreprise de services d’investissements ? Du côté des lois, il est possible de dire que c’est la même chose. À la suite d’une demande de consultation des ACVM, le GRDSF vient de terminer un rapport[17] qui pose la question suivante : est-ce que l’on devrait imposer aux entreprises qui donnent des conseils en placement un devoir d’agir au mieux des intérêts des clients de détails ? La réponse est oui. On ne vise pas uniquement le représentant qui donne les conseils directement au client, mais aussi les membres de la direction parce que ce sont eux qui définissent les valeurs de l’entreprise, les politiques et les pratiques. Pour vraiment tenir compte de la spécificité des services d’investissement (le conflit d’intérêts), on devrait imposer à la direction de ces entreprises d’agir au mieux des intérêts des épargnants. Autrement, le conseil d’administration aurait beaucoup trop de latitude et les objectifs de maximisation des profits entraveraient les intérêts des épargnants. L’étude empirique menée par le GRDSF montre que les objectifs de productivité et de rentabilité des courtiers en placement ne sont pas nécessairement en adéquation avec les intérêts des épargnants.


[1] Cf. not. A. Dignam and M. Galanis, “The Globalisation of Corporate Governance”, Farnham, Ashgate Publishing, 2009.

[2] Directive 2007/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 concernant l’exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées : JOUEL 184/17 du 14 juillet 2007, en ligne, <http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2007:184:0017:0024:FR:PDF> (consulté le 8 décembre 2013)

[3] Commission européenne, « Livre Vert : Le gouvernement d’entreprise dans les établissements financiers et les politiques de rémunération », 2 juin 2010, COM(2010) 284 final, en ligne, <http://ec.europa.eu/internal_market/company/docs/modern/com2010_284_fr.pdf> (consulté le 8 décembre 2013)

[4] Commission européenne, « Livre Vert : Le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’UE », 5 avril 2011, COM(2011) 164 final, en ligne, <http://ec.europa.eu/internal_market/company/docs/modern/com2011-164_fr.pdf#page=2> (consulté le 8 décembre 2013)

[5] Le paquet CRD IV, qui transpose dans le cadre législatif européen – au travers d’un règlement et d’une directive – les nouvelles normes mondiales sur les fonds propres des banques (communément appelées « Accords de Bâle III »), est entré en vigueur le 17 juillet 2013. Cf. Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE : JOUE L. 176/338 du 2 juin 2013, en ligne, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:176:0338:0436:FR:PDF> (consulté le 8 décembre 2013) ; et Règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE : JOUE L. 176/1 du 27 juin 2013, en ligne, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:176:0338:0436:FR:PDF> (consulté le 8 décembre 2013)

[6] European Commission, « Action Plan: European Company Law and Corporate Governance – A Modern Legal Framework for More Engaged Shareholders and Sustainable Companies », COM(2012) 740/2, 12 December 2012, en ligne, <http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2012:0740:FIN:EN:PDF> (consulté le 8 décembre 2013)

[7] H.R. 4173: Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, 111th Congress, 2009-2010, en ligne, <http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=111_cong_bills&docid=f:h4173enr.txt.pdf>(consulté le 8 décembre 2013)

[8] Loi sur les sociétés par actions, R.L.R.Q., c. S-31.1. Cette loi est en ligne : <http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=%2F%2FS_31_1%2FS31_1.htm>(consulté le 8 décembre 2013)

[9] Ce règlement est en ligne : <http://www.lautorite.qc.ca/files/pdf/reglementation/valeurs-mobilieres/51-102/2011-01-01/2011jan01-51-102-vadmin-fr.pdf>(consulté le 8 décembre 2013)

[10] « La Bourse de Toronto resserre ses exigences en matière de gouvernance pour les émetteurs inscrits à sa cote », TMX nouvelles, 4 octobre 2012.

[11] Re Magna International, 2010 ONSC 4685 (Div. Ct.) ; Re Magna International Inc., 2010 ONSC 4123 (S.C.J.). Pour des commentaires, cf. G. Ringe, « Empty Voting Revisited: The Telus Saga », Journal of International Banking and Financial Law, 2013, Vol. 28, no 3, p. 154-156 ; B. S. Black & H. T. C. Hu, « Equity Decoupling and Empty Voting: The Telus Zero-Premium Share Swap », Northwestern Law & Econ Research Paper No. 12-16, http://ssrn.com/abstract=2150345, 28 octobre 2012.

[12] TELUS Corporation c. Mason Capital Management LLC, 2012 BCCA 403.

[13] Morguard Corporation v. Her Majesty the Queen 2012 TCC 55.

[14] Le site du groupe de recherché est consultable au lien suivant : http://www.grdsf.ulaval.ca/.

[15] Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1. Cette loi est en ligne : <http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/V_1_1/V1_1.html> (consulté le 8 décembre 2013)

[16] BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 C.S.C. 69.

[17] R. Crête et al., « Un devoir légal, uniforme et modulable d’agir au mieux des intérêts du client de détail », Mémoire préparé dans le cadre de la consultation 33-403 – Normes de conduite des conseillers et des courtiers – Opportunité d’introduire dans l’activité de conseil, Faculté de droit, Université Laval, 18 mars 2013, en ligne, <http://www.grdsf.ulaval.ca/system/files/un_devoir_legal_uniforme_et_modulable_dagir_au_mieux_des_interets_du_client_de_detail.pdf> (consulté le8 décembre 2013). Cette étude a été déposée à l’Autorité des marchés financiers (AMF) au bénéfice des ACVM.

engagement et activisme actionnarial rémunération

Say on pay au Canada : exemples récents de rejet

Intéressante nouvelle relayée par le cabinet Osler et Me Andrew Mac Dougall (ici). Au cours d’une même semaine, ce cabinet signale trois rejets de la politique de rémunération, démontrant ainsi que les investisseurs utilisent encore les votes consultatifs pour exprimer leur insatisfaction à l’égard des pratiques de rémunération des sociétés. Un beau changement par rapport à 2014 où le niveau d’appui aux votes sur la rémunération au Canada avait augmenté et aucun vote ne s’était soldé par une opposition.

Cette tendance s’est nettement inversée la semaine dernière lorsque trois sociétés n’ont pas réussi à faire approuver leur politique de rémunération : Barrick Gold Corporation (73,4 % contre), Yamana Gold Inc. (62,73 % contre) et la Banque canadienne impériale de commerce (56,84 % contre). C’est la deuxième fois que Barrick Gold ne réussit pas à faire approuver sa politique de rémunération; elle détient l’honneur discutable d’avoir enregistré le plus faible taux d’appui des actionnaires au Canada (14,8 % en 2013) et d’occuper aussi le deuxième rang (26,6 % en 2015).

À la prochaine…

Ivan Tchotourian