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Actionnaires et parties prenantes : quelle gouvernance à venir ? : un beau texte de l’IGOPP

À l’été 2020, Yvan Allaire et François Dauphin ont publié une belle tribune dans Le Devoir intitulé : « Actionnaires et parties prenantes : quelle gouvernance à venir ? ». Ils démontrent tout leur scepticisme en mettant en lumière les zones d’ombre du modèle des parties prenantes.

En raison surtout d’une véritable révolution des modes et quanta de rémunération des hauts dirigeants, les sociétés cotées en bourse en sont venues graduellement depuis les années ’80s à œuvrer presqu’exclusivement pour maximiser la création de valeur pour leurs actionnaires.

Tout au cours de ces 40 ans, ce modèle de société fut critiqué, décrié, tenu responsable pour les inégalités de revenus et de richesse et pour les dommages environnementaux. Toutefois, tant que cette critique provenait d’organisations de gauche, de groupuscules sans appui populaire, les sociétés pouvaient faire fi de ces critiques, les contrant par des campagnes de relations publiques et des ajustements mineurs à leur comportement.

Soudainement, pour des raisons multiples, un peu mystérieuses, cette critique des entreprises et du « capitalisme » a surgi du cœur même du système, soit, de grands actionnaires institutionnels récemment convertis à l’écologie. Selon cette nouvelle perspective, les sociétés cotées en bourse devraient désormais non seulement être responsables de leurs performances financières, mais tout autant de l’atteinte d’objectifs précis en matière d’environnement (E), d’enjeux sociaux (S) et de gouvernance (G). Pour les grandes entreprises tout particulièrement, le triplé ESG, de facto le modèle des parties prenantes, est devenu une caractéristique essentielle de leur gouvernance.

Puis, signe des temps, quelque 181 PDG des grandes sociétés américaines ont pris l’engagement, il y a un an à peine, de donner à leurs entreprises une nouvelle «raison d’être » (Purpose en anglais) comportant un « engagement fondamental » envers clients, employés, fournisseurs, communautés et leur environnement et, ultimement, les actionnaires.

De toute évidence, le vent tourne. Les questions environnementales et sociales ainsi que les attentes des parties prenantes autres que les actionnaires sont devenues des enjeux incontournables inscrits aux agendas politiques de presque tous les pays.

Les fonds d’investissement de toute nature bifurquèrent vers l’exigence de plans d’action spécifiques, de cibles mesurables en matière d’ESG ainsi qu’un arrimage entre la rémunération des dirigeants et ces cibles.

Bien que louable à bien des égards, le modèle de « parties prenantes » soulève des difficultés pratiques non négligeables.

1. Depuis un bon moment la Cour suprême du Canada a interprété la loi canadienne de façon favorable à une conception « parties prenantes » de la société. Ainsi, un conseil d’administration doit agir exclusivement dans l’intérêt de la société dont ils sont les administrateurs et n’accorder de traitement préférentiel ni aux actionnaires ni à toute autre partie prenante. Toutefois la Cour suprême n’offre pas de guide sur des sujets épineux conséquents à leur conception de la société : lorsque les intérêts des différentes parties prenantes sont contradictoires, comment doit-on interpréter l’intérêt de la société? Comment le conseil d’administration devrait-il arbitrer entre les intérêts divergents des diverses parties prenantes? Quelles d’entre elles devraient être prises en compte?

2. Comment les entreprises peuvent-elles composer avec des demandes onéreuses en matière d’ESG lorsque des concurrents, domestiques ou internationaux, ne sont pas soumis à ces mêmes pressions?

3. À un niveau plus fondamental, plus idéologique, les objectifs ESG devraient-ils aller au-delà de ce que la réglementation gouvernementale exige? Dans une société démocratique, n’est-ce pas plutôt le rôle des gouvernements, élus pour protéger le bien commun et incarner la volonté générale des populations, de réglementer les entreprises afin d’atteindre les objectifs sociaux et environnementaux de la société? Mais se peut-il que cette conversion des fonds d’investissement aux normes ESG et la redécouverte d’une « raison d’être » et des parties prenantes par les grandes sociétés ne soient en fait que d’habiles manœuvres visant à composer avec les pressions populaires et atténuer le risque d’interventions « intempestives » des gouvernements?

4. Quoi qu’il en soit, le changement des modes de gestion des entreprises, présumant que cette volonté est authentique, exigera des modifications importantes en matière d’incitatifs financiers pour les gestionnaires. La rémunération des dirigeants dans sa forme actuelle est en grande partie liée à la performance financière de l’entreprise et fluctue fortement selon le cours de l’action. Relier de façon significative la rémunération des dirigeants à certains objectifs ESG suppose des changements complexes qui susciteront de fortes résistances. En 2019, 67,2% des firmes du S&P/TSX 60 ont intégré au moins une mesure ESG dans leur programme de rémunération incitative. Toutefois, seulement 39,7% ont intégré au moins une mesure liée à l’environnement. Quelque 90% des firmes qui utilisent des mesures ESG le font dans le cadre de leur programme annuel de rémunération incitative mais pas dans les programmes de rémunération incitative à long terme. Ce fait est également observé aux États-Unis, alors qu’une étude récente de Willis Towers Watson démontrait que seulement 4% des firmes du S&P 500 utilisaient des mesures ESG dans des programmes à long terme.

5. N’est-il pas pertinent de soulever la question suivante : si l’entreprise doit être gérée selon le modèle des « parties prenantes », pourquoi seuls les actionnaires élisent-ils les membres du conseil d’administration? Cette question lancinante risque de hanter certains des promoteurs de ce modèle, car il ouvre la porte à l’entrée éventuelle d’autres parties prenantes au conseil d’administration, telles que les employés. Ce n’est peut-être pas ce que les fonds institutionnels avaient en tête lors de leur plaidoyer en faveur d’une conversion ESG.

Un vif débat fait rage (du moins dans les cercles académiques) sur les avantages et les inconvénients du modèle des parties prenantes. Dans le milieu des entreprises toutefois, la pression incessante des grands investisseurs a converti la plupart des directions d’entreprises à cette nouvelle religion ESG et parties prenantes même si plusieurs questions difficiles restent en suspens.

À la prochaine…

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Retour sur Danone et l’entreprise à mission

Bel éditorial du journal Le Monde du 3 mars 2021 sous le titre « Danone : la pression de rendements insoutenables ».

Quand, en juin 2020, Emmanuel Faber est parvenu à faire de Danone le premier groupe coté de taille mondiale à se doter du statut juridique d’entreprise à mission, le volontarisme du PDG avait ouvert de nouvelles perspectives sur l’évolution du capitalisme. L’entreprise n’avait plus pour unique horizon le retour sur investissement des actionnaires, elle devait parallèlement se fixer des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux. Huit mois plus tard, la crise de gouvernance que traverse le géant des produits laitiers et de l’eau en bouteille résonne comme un dur rappel aux réalités de la primauté des actionnaires sur les autres parties prenantes : salariés, consommateurs, fournisseurs et citoyens.

Lundi 1er mars, sous la pression de deux fonds d’investissement, le conseil d’administration de Danone a réduit les responsabilités d’Emmanuel Faber. Le patron se voit retirer la direction opérationnelle pour se concentrer uniquement sur la présidence du groupe. Cette dissociation des fonctions vise à répondre aux inquiétudes des actionnaires sur les performances de Danone. Le cours de Bourse a chuté d’un quart en 2020, tandis que sa rentabilité reste inférieure de quatre points à celle de ses principaux concurrents comme Nestlé ou Unilever qui affichent des marges autour de 18 % du chiffre d’affaires.

Même si les deux fonds n’ont pas obtenu entière satisfaction dans la mesure où ils réclamaient le départ pur et simple du PDG, la décision de limiter le pouvoir d’Emmanuel Faber révèle ainsi la difficulté de concilier les intérêts des actionnaires, qui réclament un niveau de rendement maximum, avec une croissance plus responsable. Déjà, en novembre 2020, l’exercice avait montré ses limites lorsque Danone avait annoncé la suppression de 2 000 emplois malgré un bénéfice net stable sur l’année à près de 2 milliards d’euros.

Emmanuel Faber n’est, certes, pas exempt de tout reproche. En interne, son exercice du pouvoir, autoritaire et solitaire, fait grincer des dents. Quant à sa stratégie, qui consiste à réorganiser le groupe par pays et non plus par marque pour mieux répondre aux attentes locales des consommateurs, elle suscite le scepticisme des cadres d’un groupe qui s’est construit sur le marketing. Les actionnaires peuvent être fondés à exprimer des critiques sur ces choix et sur cette concentration des pouvoirs.

Interrogation sur la soutenabilité des exigences

En revanche, au-delà du cas particulier de Danone, cette crise amène à s’interroger sur la soutenabilité des exigences de rentabilité des fonds d’investissement. Est-il raisonnable que les rendements des entreprises restent aussi élevés que dans les années 1990, alors qu’entre-temps les taux d’intérêt à long terme sont tombés à zéro et que le rythme de la croissance économique a singulièrement diminué ?

Hormis dans certains secteurs innovants ou dans celui du luxe, de tels retours sur investissement ne peuvent être obtenus impunément. Sur le plan environnemental, ils conduisent à générer des dommages qui sont incompatibles avec ce que la planète est capable de supporter. Sur le plan social, ils ont abouti, ces dernières années, à une déformation spectaculaire du partage de la valeur au détriment des salaires.

Fonds de pension et fonds souverains arbitrent de plus en plus leurs investissements en fonction de critères sociaux et environnementaux. Mais tant que cette évolution ne s’accompagnera pas d’une modération des rendements exigés, le développement durable s’en trouvera d’autant limité.

À la prochaine…

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Ivan Tchotourian publie un article portant sur les nouveautés de l’entreprise à mission en Amérique du nord. Ce papier sera publié au Bulletin Joly Sociétés.

Entreprise à mission : nouveautés nord-américaines

La société à mission est une figure marquante de ces dernières années. Si elle est en réalité plus ancienne et que ses bases peuvent être trouvées dans la société à finalité sociale de Belgique (aujourd’hui emportée par la réforme intervenue en droit des sociétés en 2019), elle occupe une grande actualité dans le domaine juridique. Plusieurs pays et États ont fait place à cette nouvelle organisation alliant objectif lucratif et sociétal. Ils ont tantôt consacré une forme sociale à part entière (Angleterre, Italie, Colombie-Britannique, multiples États américains), tantôt intégré l’idée de l’entreprise à mission sans recourir à une structure juridique particulière (dernièrement la France avec la loi PACTE et les articles L. 210-10 et s. du Code de commerce). Au Canada et aux États-Unis, l’entreprise à mission vient de faire parler d’elle sur le plan législatif.



A très bientôt pour de nouvelles publications…

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L’actionnariat familial a-t-il un avenir ?

C’est à cette question que répond le professeur Pierre-Yves Gomez dans un billet fort intéressant dont je relaie un extrait ci-dessous (ici).

Extrait :

Gouvernance : Actionnariat anonyme vs Actionnariat Familial

C’est à partir de ce moment, au tournant des années 1930, que la société anonyme (et plus tard la SAS)  s’est aussi imposée comme la forme juridique dominante : ni l’actionnaire, ni le dirigeant ne sont plus responsables sur leurs biens propres. Sans attaches, ils peuvent entrer et sortir de l’entreprise en utilisant les mécanismes du marché des capitaux ou du travail.  Le lien substantiel entre le décideur et l’entreprise se distend. Parallèlement, parce que les actionnaires sont devenus anonymes et que leur responsabilité se limite à leurs apports financiers, la demande de responsabilité s’est déplacée vers les entreprises elles-mêmes. D’où l’exigence contemporaine d’une Responsabilité sociale des entreprises (RSE) associée à une mission ou une raison d’être. Ce que la famille propriétaire portait naguère est désormais attendu de l’entreprise prise comme individu doté d’une personnalité morale.

Pour autant, au delà de cette fiction juridique, l’actionnariat reste massivement familial dans les sociétés anonymes et la famille demeure l’institution sociale de référence comme le montrent régulièrement les sondages d’opinion. Ce paradoxe invite à réfléchir sur l’avenir d’un pouvoir actionnarial fondé encore sur l’héritage. Que peut signifier « hériter d’un capital » au 21ème siècle et comment le destin de l’institution  » famille » et celui de l’institution « entreprise » pourraient-ils être encore liés ?

Si l’actionnariat familial ne se réduit plus qu’à un simple transfert générationnel de patrimoine en vue d’accumulation de richesses et de rentes, il achèvera certainement de perdre toute légitimité. Dans les années futures, des réformes de gouvernance s’imposeront comme nécessaires pour limiter l’acquisition de parts sociales d’entreprises par le hasard injuste de l’héritage. Mais si un tel héritage est assumé comme une charge engageant à maintenir un projet social, des savoir-faire ou une communauté de travail, l’actionnariat associé au destin d’une famille pourrait apporter aux parties-prenantes une caution bienvenue de continuité dans la durée. Dans une société fractionnée et rongée d’incertitudes, il associerait le pouvoir souverain du capital à une communauté humaine tenue par des liens non-capitalistes. A la croisée des chemins, cette forme de gouvernance ancienne peut s’inventer une nouvelle pertinence ou sombrer avec l’idée même de famille traditionnelle.

À la prochaine…

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Profit Keeps Corporate Leaders Honest

Article amenant à réfléchir dans le Wall Street Journal de Alexander William Salter : « Profit Keeps Corporate Leaders Honest » (8 décembre 2020).

Extrait :

(…) As National Review’s Andrew Stuttaford notes, this vision of wide-ranging corporate beneficence introduces a host of principal-agent problems in ordinary business decision-making. Profit is a concrete and clarifying metric that allows shareholders—owners—to hold executives accountable for their performance. Adding multiple goals not related to profit introduces needless confusion.

This is no accident. Stakeholder capitalism is used as a way to obfuscate what counts as success in business. By focusing less on profits and more on vague social values, “enlightened” executives will find it easier to avoid accountability even as they squander business resources. While trying to make business about “social justice” is always concerning, the contemporary conjunction of stakeholder theory and woke capitalism makes for an especially dangerous and accountability-thwarting combination.

Better to avoid it. Since profits result from increasing revenue and cutting costs, businesses that put profits first have to work hard to give customers more while using less. In short, profits are an elegant and parsimonious way of promoting efficiency within a business as well as society at large.

Stakeholder capitalism ruptures this process. When other goals compete with the mandate to maximize returns, the feedback loop created by profits gets weaker. Lower revenues and higher costs no longer give owners and corporate officers the information they need to make hard choices. The result is increased internal conflict: Owners will jockey among themselves for the power to determine the corporation’s priorities. Corporate officers will be harder to discipline, because poor performance can always be justified by pointing to broader social goals. And the more these broader goals take precedence, the more businesses will use up scarce resources to deliver diminishing benefits to customers.

Given these problems, why would prominent corporations sign on to the Great Reset? Some people within the organizations may simply prefer that firms take politically correct stances and don’t consider the cost. Others may think it looks good in a press release and will never go anywhere. A third group may aspire to jobs in government and see championing corporate social responsibility as a bridge.

Finally, there are those who think they can benefit personally from the reduced corporate efficiency. As businesses redirect cash flow from profit-directed uses to social priorities, lucrative positions of management, consulting, oversight and more will have to be created. They’ll fill them. This is rent-seeking, enabled by the growing confluence of business and government, and enhanced by contemporary social pieties.

The World Economic Forum loves to discuss the need for “global governance,” but the Davos crowd knows this type of social engineering can’t be achieved by governments alone. Multinational corporations are increasingly independent authorities. Their cooperation is essential.

Endorsements of stakeholder capitalism should be viewed against this backdrop. If it is widely adopted, the predictable result will be atrophied corporate responsibility as business leaders behave increasingly like global bureaucrats. Stakeholder capitalism is today a means of acquiring corporate buy-in to the Davos political agenda.

Friedman knew well the kind of corporate officer who protests too much against profit-seeking: “Businessmen who talk this way are unwitting puppets of the intellectual forces that have been undermining the basis of a free society these past decades.” He was right then, and he is right now. We should reject stakeholder capitalism as a misconception of the vocation of business. If we don’t defend shareholder capitalism vigorously, we’ll see firsthand that there are many more insidious things businesses can pursue than profit.

À la prochaine…

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Entreprise à mission : le cas Danone

Belle analyse de M. Stéphane Lauer sur LinkedIn : « Danone, entreprise à mission… impossible » (30 novembre 2020).

Extrait :

Le capitalisme bien ordonné

Mais le 23 novembre, face au recul de son cours de Bourse et à la chute des ventes d’eau en bouteille à cause de la crise liée à la pandémie, Danone a été obligé de rentrer dans le rang du capitalisme bien ordonné. L’amélioration de la compétitivité redevient la priorité au détriment des emplois, dont un quart doit disparaître dans les sièges sociaux pour économiser plusieurs centaines de millions d’euros.

Danone est-il au bord du dépôt de bilan ? Pas vraiment. Le groupe a versé 1,4 milliard d’euros de dividendes au titre des résultats de 2019, tandis qu’au premier semestre, les bénéfices se sont élevés à plus de 1 milliard d’euros, permettant de dégager une marge de 14 % du chiffre d’affaires. « La protection de la rentabilité d’une entreprise est fondamentale », explique le PDG. Certes, mais jusqu’où ?

La question fondamentale est celle du juste partage de la valeur. Est-il raisonnable que les rendements des entreprises restent aussi élevés que dans les années 1980 alors qu’entre-temps les taux d’intérêt à long terme sur les dettes publiques sont tombés à zéro et que la croissance a été divisée par deux ? Une rentabilité des fonds propres aux alentours de 15 % a-t-elle un sens dans un groupe agroalimentaire qui n’est ni une star de la high-tech ni un géant du luxe ? Des taux de marges d’un tel niveau sont-ils compatibles avec la préoccupation de rémunérer équitablement les producteurs de lait, de continuer à être présent sur certains marchés, de consacrer une part équitable des profits à sa masse salariale ?

Emmanuel Faber répond qu’à partir du moment où ses concurrents proposent des rendements supérieurs, son entreprise ne peut pas se laisser distancer. « Il est pris à son propre piège, estime Patrick d’Humières, consultant en stratégie durable et enseignant à l’Ecole centrale de Paris. S’il ne parvient pas à nouer un pacte avec des actionnaires qui comprennent que la course avec Nestlé ou Coca-Cola ne doit pas être le seul horizon de l’entreprise, le double discours sera compliqué à tenir sur le long terme. »

Au détriment des salaires

Il ne s’agit pas de clouer au pilori Emmanuel Faber. Il a su prendre des initiatives courageuses et ambitieuses sur le plan sociétal en droite ligne avec l’héritage laissé par le fondateur de Danone, Antoine Riboud. En réalité, le dilemme auquel l’entreprise fait face aujourd’hui pose la question du niveau de la rémunération du capital, qui devient de moins en moins soutenable sur le plan social et écologique.

Ces rendements mirifiques qui sont devenus la norme à partir des années 1980 ont fini par aboutir à une déformation spectaculaire du partage de la valeur au détriment des salaires. Logiquement, les rémunérations auraient dû progresser au même rythme que la productivité du travail. Or, depuis 1990, celle-ci a fait un bond de 50 % dans les pays de l’OCDE, alors que les salaires n’augmentaient que de 23 %.

Bien sûr le phénomène a été caricatural aux Etats-Unis, moins sensible en France. Mais le mécanisme reste le même. Pour que les entreprises puissent continuer à servir à leurs actionnaires les rendements exigés, il a fallu comprimer la part accordée aux salariés grâce à la flexibilisation du marché du travail, à la libéralisation à outrance des échanges, à la délocalisation de la production dans des pays à faibles coûts. La contrepartie s’est traduite dans les pays développés par une baisse du pouvoir d’achat, la disparition des emplois intermédiaires. Partout on assiste à la montée des inégalités.

Même constat sur le plan environnemental. Le maintien dans la durée de retours sur investissement artificiellement élevés conduit les entreprises à générer des externalités qui sont incompatibles avec ce que la planète est capable de supporter. « Les entreprises peuvent se déclarer “à mission”, chercher à améliorer leurs performances environnementales et sociales, mais rien de majeur ne changera si le rendement exigé du capital reste aussi élevé », tranchait récemment dans ces colonnes Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis. Patrick d’Humières est encore plus précis : « Il n’y aura pas d’économie durable dans les entreprises cotées si celles-ci ne parviennent pas à convaincre leurs actionnaires qu’ils doivent réduire leur rémunération de quatre ou cinq points. »

De plus en plus de fonds de pension et de fonds souverains arbitrent leurs investissements en fonction de critères sociaux et environnementaux. C’est un progrès décisif, mais si cette évolution ne s’accompagne pas d’une modération des rendements exigés, Danone et d’autres risquent de se transformer en entreprise à mission… impossible.

À la prochaine…

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Les entreprises peuvent-elles travailler au bien commun ? Un débat sur France Culture !

Il y aurait donc un mouvement général vers un meilleur encadrement des entreprises, leur responsabilisation sur des enjeux comme l’environnement, la diversité, le partage de la valeur ou le partage du pouvoir. Et les entreprises dites de la Tech en seraient le fer de lance. L’économie de demain sera écologique et sociale ou ne sera pas disent les uns… tout ceci n’est green ou social washing rétorquent les autres. Mais surtout, la question qui reste entière c’est de savoir qui dit le « good », de quel « bien » parle-t-on, qui et comment le mesure-t-on ?

Un débat à découvrir sur France Culture ou juste ci-dessous :