Société à mission et Loi PACTE

Contexte juridique. L’article 169 de la loi PACTE, publiée au journal officiel le 22 mai 2019[1] modifie l’article 1835 du Code Civil en prévoyant que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » Dans cette section légale intitulée « repenser la place des entreprises dans la société », le législateur a également pris soin de modifier l’article L.225-35 du Code de commerce relatif au conseil d’administration des sociétés anonymes pour indiquer que ce dernier devra prendre en considération, « s’il y a lieu, la raison d’être de la société définie en application de l’article 1835 du code civil. » La modification des articles du Code Civil et du Code de commerce fait suite à la réflexion menée au cours d’une mission gouvernementale « Entreprise et intérêt général », confiée à Nicole Notat et Jean-Dominique Senard. Ces derniers ont été chargés le 5 janvier 2018 de réfléchir à « une nouvelle vision de l’entreprise, en interrogeant pour cela son rôle et ses missions » et à formuler « un diagnostic et des propositions sur la manière dont les statuts des sociétés et leur environnement, notamment juridique, pourraient être adaptés et ainsi, permettre de renforcer le rôle de l’entreprise vis-à-vis de ses partie-prenantes[2] ».

A n’en point douter ces dispositifs légaux relève du domaine de la responsabilité sociétale des entreprises dite RSE, que la commission européenne avait défini comme la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société[3]. Pour Isabelle Cadet[4] « la notion de responsabilité sociétale (RS) est un rapprochement entre le concept initial RSE traduction de Corporate Social Responsibility, dans les années 50 aux Etats-Unis, responsabilité d’ordre éthique et philanthropique, où l’individu est au cœur des préoccupations, avec la théorie des parties prenantes, (responsabilité collective) dans les années 80, obligeant à prendre en considération l’impact des activités de l’entreprise sur un certain nombre d’acteurs, dont les attentes peuvent apparaître légitimes, et enfin, par extension, celles non exprimées des générations futures, issues du concept de développement durable (bien commun), thème cher à l’Europe depuis le début du XXIème siècle (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010) ».

Droit comparé. En permettant aux entreprises constituées sous forme sociétaire d’inclure dans leurs statuts une raison d’être, le législateur entend doter les entrepreneurs de la possibilité de constituer une entreprise à mission. De nombreux modèles à travers le monde ont récemment été recensés dans cette volonté d’attribuer aux entreprises un autre objectif que la seule recherche du profit. L’on pourrait citer outre atlantique la Benefit Corporation, introduite en avril 2010 au Maryland[5], la Public Benefit Corporation créée en 2015 au Delaware[6] ou de la Flexible Purpose Corporation[7]. Sur le continent européen, largement inspirées du modèle américain, on recense notamment les Società Benefit italiennes[8], les Community Interest Companies britanniques[9] ou encore les Sociétés à finalité sociale belges[10].

Définition société à mission. Une société à mission pourrait se définir simplement selon les travaux d’Emmanuel Rasset[11] comme une structure juridique de type commercial avec une finalité de nature sociale qui, au travers du contrat de société, conclue un engagement des associés, un choix collectif qui dépasse de simples obligations pesant sur les dirigeants de la personne morale. Si de multiples vocables existent semble-t-il pour définir le même concept (« société à objet élargi », « société à objet social étendu », « société à bénéfice étendu », « société à finalité sociale » ou encore « société d’intérêt sociétal »), l’usage du terme société à mission sera privilégié car semble-t-il assez général pour englober les subtiles différences des autres concepts.

Cadre juridique adopté. L’exposé des motifs de la loi PACTE reprenant in extenso les termes du rapport Notat-Sénard[12] définit la raison d’être comme « l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social ». La possibilité d’inclure dans les statuts une raison d’être n’est pas nouvelle, ce que n’a d’ailleurs pas manqué de faire remarquer le Conseil d’Etat[13]. Là où une véritable évolution est à noter c’est dans la création par l’article 176 de la loi PACTE de trois nouvelles dispositions au sein du Code de commerce qui viendront encadrer le contrôle de ce nouveau statut de société à mission. En effet, les articles L.210-10 à L.210-12 du Code de commerce prévoient qu’une société pourra faire publiquement état de sa qualité de société à mission si ses statuts prévoient une raison d’être, si ces derniers précisent un ou des objectifs environnementaux et/ou sociaux à atteindre et si un comité de suivi composé d’au moins un salarié de l’entreprise présente un document de suivi à joindre au rapport de gestion annuel. Les modalités du contrôle de suivi des objectifs seront assurées par un tiers indépendant dont la mission sera précisée par décret. En somme, les sociétés commerciales sont concernées par ce dispositif nouveau au même titre que les coopératives agricoles[14] ainsi que les sociétés d’assurance mutuelles[15].

Prospection. Il apparaît que la raison d’être sociétaire est un de ces concepts qui ont plus de valeur que de sens. Malgré les mises en garde du Conseil d’Etat, la loi PACTE a finalement modifié le Code Napoléon pour y inclure le concept de société à mission sans que l’on puisse être certain des conséquences de l’adoption d’un tel statut. S’il est certain que contrairement à la modification de l’article 1833 relatif à la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, l’article 1835 du Code civil n’accorde qu’un droit optionnel aux sociétés. Il n’en demeure pas moins que si ces dernières font le choix de devenir des sociétés à mission, la violation des statuts dans la gestion de la structure amènera inéluctablement de nouveaux cas de responsabilité des dirigeants. En outre, si de nombreux cas vertueux de sociétés à mission ont été recensés[16], il demeure un risque non négligeable de greenwashing et d’usage marketing d’un tel concept. En effet, l’une des plus grandes Public Benefit Corporation est la filiale d’une société française, DanoneWave, qui a adopté ce statut à la suite de son rachat par Danone et se donne pour mission de nourrir « les citoyens, les communautés et le monde » grâce à des produits alimentaires sains alors même que la société française était entendue par une commission d’enquête parlementaire sur les risques mis en lumière par une étude de NutriNet-Santé de corrélations qui existent « entre une conservation d’aliments ultra-transformés et le risque de développer un cancer ou d’autres maladies[17] » Enfin, au surplus de ce risque de greenwashing, la Chambre française de l’économie sociale et solidaire[18] met en garde contre le risque de confusion entre les régimes juridiques de l’ESS et le nouveau statut des sociétés à mission à tel point qu’un auteur a pu évoquer la possible « cannibalisation » des structures ESS[19].

Être ou ne pas être ? Tel sera sans doute la question que se poseront les sociétés à l’avenir. Peut-être qu’un cadre européen de référence avec des avantages fiscaux et un contrôle accru de la mise en œuvre de leur mission servira enfin à obliger les entreprises à mettre de côté la recherche effrénée du profit en questionnant leur raison d’avoir.


[1] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, Journal Officiel n°0119, 23 mai 2019.

[2] DUMOURIER Arnaud, Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard chargés d’une mission « Entreprise et intérêt général » – LE MONDE DU DROIT : le magazine des professions juridiques », [en ligne], 5 janvier 2018 (Consulté le 20 août 2019), www.lemondedudroit.fr.

[3] Commission européenne, Communication de la commission au parlement européenne, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie pour l’UE pour la période 2011-2014 [ en ligne ], Bruxelles, 25 octobre 2011, www.eur-lex.europa.eu.

[4] CADET Isabelle, Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), responsabilité éthiques et utopies, Les fondements normatifs de la RSE, Etude de la place du droit dans les organisations [en ligne], thesis, Paris, CNAM, 2014, [consulté le 3 septembre 2019]. http://www.theses.fr/2014CNAM0947, p.134.

[5] QUIRET Matthieu, « B Corp », le label qui séduit le capitalisme américain, Les Echos [en ligne], publié le 4 avril 2012, (Consulté le 20 août 2019), www.lesechos.fr.

[6] MARKEL Jack, ancien gouverneur du Delaware, « A New Kind of Corporation to Harness the Power of Private Enterprise for Public Benefit », HuffPost [en ligne], publié le 22 juillet 2013, (consulté le 22 août 2019), www.huffpost.com

[7] LEVILLAIN Kevin, La flexible purpose corporation : un petit pas pour le juriste, un grand pas pour l’entreprise ? [en ligne], 2012, pp. 7-16 p., [consulté le 3 septembre 2019]. https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-00796500.

[8] « Società Benefit » [en ligne], Lexique Novethic, (Consulté le 20 août 2019), www.novethic.fr.

[9] « What is a CIC? » [en ligne], CIC AssociationCIC, publié 11 octobre 2015, (Consulté le 20 août 2019), www.cicassociation.org.uk.

[10] Articles 661 à 664 du Code des sociétés belge.

[11] MASSET Emmanuel, « Vers la société à mission ? », Rev. sociétés, 11, novembre 2018, p. 635‑639.

[12] NOTAT Nicole, SENARD Jean-Dominique, « L’entreprise objet d’intérêt collectif » [Rapport en ligne], publié le 9 mars 2018 [consulté le 20 juin 2019], www.economie.gouv.fr.

[13] CE, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises [en ligne], publié le 14 juin 2018,  www.legifrance.gouv.fr. Le Conseil d’État observe, en premier lieu, que rien n’interdit aujourd’hui à une société d’inscrire dans ses statuts, dans le respect des règles d’ordre public, une « raison d’être » c’est à dire un dessein, une ambition, ou tout autre considération générale tenant à l’affirmation de ses valeurs ou de ses préoccupations de long terme. Il relève par ailleurs qu’au terme du projet de loi l’inscription d’« une raison d’être » dans les statuts constitue une simple faculté. Le Conseil d’État considère que cette disposition n’est toutefois pas dépourvue de portée normative dans la mesure où, pour les entreprises qui auront fait ce choix, l’inscription dans les statuts obligera à s’y conformer.

[14] Loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération – Article 7, Journal Officiel, n°0214, 11 septembre 1947, p.9088.

[15] Art. L.322-26-4-1 du Code des assurances.

[16] LEVILLAIN Kevin, Les entreprises à mission : Formes, modèle et implications d’un engagement collectif [en ligne], thesis, Paris, ENMP, 2015, [consulté le 20 août 2019]. http://www.theses.fr/2015ENMP0010,  p.103 : « Nutriset est une PME française basée dans la région de Rouen, fondée en 1986 par Michel Lescanne. Dès sa création, le fondateur lui attribue, selon ses termes, un « mandat », celui de « nourrir les enfants », et en particulier ceux qui, dans le monde, sont en situation de malnutrition. ».

[17] Assemblée nationale, Commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance [en ligne], 17 juillet 2018, (consulté le 20 août 2019),  www.assemblee-nationale.fr.

[18] ESS France,  Position d’ESS France sur la mission « Entreprises et intérêt général » confiée à Madame NOTAT et Monsieur SENARD [en ligne], publié le 5 mars 2018, (consulté le 21 août 2019).

[19] MASSET Emmanuel, « Vers la société à mission ? », Rev. sociétés, 11, novembre 2018, p. 635‑639.

Ce contenu a été mis à jour le 11 juin 2020 à 15 h 19 min.

Commentaires

Laisser un commentaire