rémunération

engagement et activisme actionnarial Gouvernance mission et composition du conseil d'administration Normes d'encadrement rémunération

Responsabilité du CA vis-à-vis des actionnaires

Bel édito d’Olivier De Guerre sur Philtrust intitulé : « De la Responsabilité des Conseils d’Administration vis-à-vis des actionnaires ». Une belle actualité qui soulève des questionnements sérieux.

Extrait

Visiblement les membres des conseils d’administration de Stellantis et de Danone ne semblent pas à l’écoute de leurs actionnaires… Le premier considère que l’appréciation de la rémunération des dirigeants est de sa compétence exclusive et ne relève pas de celle des actionnaires, la loi au Pays-Bas ne l’imposant pas…Le second considère normal qu’un Président d’honneur nommé par le Conseil (et non pas l’Assemblée) siège à tous les conseils d’administration s’il le souhaite et ce, alors même qu’il n’a pas été élu par les actionnaires.

Ces deux décisions de conseils d’administration de grandes sociétés cotées montrent bien que leurs membres ne se sentent pas « redevables » vis-à-vis des actionnaires qui les ont élus. Au Pays-Bas, ils ne sont révocables que par un juge ; en France ils peuvent l’être à tout moment en Assemblée Générale.

Cette situation est la conséquence du mode de nomination des administrateurs, présentée au vote en Assemblée Générale. Toute candidature externe, non préalablement agréée par le Conseil, est toujours vue comme une agression vis-à-vis de la société, alors que ce devrait être un acte normal en Assemblée Générale… Le process de nomination d’un administrateur, même s’il s’est professionnalisé depuis plusieurs années, passe toujours par une validation préalable par le Président. Les actionnaires votent très rarement contre ces propositions, ce qui amène naturellement les administrateurs indépendants – non liés à un actionnaire important – à se sentir « cooptés » par le Conseil et son Président plutôt qu’élus par les actionnaires. Bien peu d’entre eux avec qui nous avons échangé sur ce point précis se sentent investis de représenter les actionnaires…

Nos entreprises font partie du corps social et se doivent d’être exemplaires pour gérer les capitaux qui leur sont confiés par les actionnaires et ce dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. Les impacts négatifs liées à l’activité industrielle, humaine, considérés jusqu’à récemment comme une « nécessité » ne sont plus acceptables aujourd’hui. Et cela oblige les conseils d’administration élus par les actionnaires à se mettre à leur écoute, mais aussi à celle de leurs salariés, clients, fournisseurs ainsi que de l’ensemble des parties prenantes pour comprendre les points d’amélioration ou de changement stratégique attendus.

A cet égard, le refus de la société TotalEnergies d’accepter le dépôt de deux résolutions sur les enjeux climatiques (soit en faisant pression pour le retrait de l’une, soit en refusant tout simplement l’autre) nous rappelle la situation que nous avions connue en 2011 lors du dépôt d’une résolution demandant des informations sur les risques que l’exploitation très polluante et donc controversée des sables bitumineux au Canada faisait peser sur le groupe TotalEnergies.

À la prochaine…

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Rémunération des hauts dirigeants et critères ESG

Belle analyse de Mme Louise Champoux-Paillé dans Les affaires.com : « Les défis de rémunération des hauts dirigeants » (31 mai 2022).

Extrait

La rémunération demeure toujours un atout stratégique important pour aligner les objectifs des hauts dirigeants avec ceux de l’entreprise. Avant de discuter des défis relatifs à la rémunération sous l’éclairage des facteurs environnementaux et sociaux ainsi que ceux liés à la gouvernance (ESG), j’aimerais faire un court rappel de la réflexion académique qui a conduit à établir ce lien.

(…)

Matière à réflexion

Je me permettrai de soulever trois éléments qui me préoccupent particulièrement sur le sujet.

1. Il importe de s’assurer que les nouveaux indicateurs reflètent tout autant les objectifs à court terme qu’à long terme de l’entreprise et qu’il y ait une mixité d’objectifs financiers et extra-financiers qui traduisent la place accordée par l’entreprise à chacun de ces types d’objectifs.

On pourrait en outre se questionner sur l’équilibre à rechercher entre ces deux types d’objectifs et l’évaluation de la performance. À cet égard, il pourrait être pertinent de se poser certaines suivantes: qu’arriverait-il si un ou plusieurs dirigeants atteignent leurs objectifs extra-financiers tout en affichant une mauvaise performance sur le plan de leurs objectifs financiers? Dans un monde où la rémunération des hauts dirigeants est scrutée à la loupe, comment cette situation serait-elle expliquée aux diverses parties prenantes?

2. Il est impératif de s’interroger sur les facteurs ESG les plus susceptibles de contribuer à la création de la valeur à long terme pour l’entreprise. Quels sont les principaux facteurs pour l’atteinte de sa mission? Les indicateurs de performance véhiculent des messages quant à l’importance accordée au type de performance souhaitée pour l’entreprise. Il est donc nécessaire que ces nouveaux paramètres reflètent bien la mission de l’entreprise et s’imbriquent dans celle-ci.

De plus, il faut s’assurer que les nouveaux critères d’évaluation soient réalistes et s’appuient sur un système d’information qui permette de déterminer si ceux-ci sont atteints ou pas. Sans un tel système, il sera toujours difficile pour les dirigeants de suivre sa propre performance et aux personnes chargées de leur évaluation de procéder à ces évaluations de manière objective.

3. Retenons que l’intégration des facteurs ESG dans la rémunération des hauts dirigeants requiert à la fois temps et réflexion. Il faut aligner les intérêts des hauts dirigeants sur ceux les plus significatifs de l’ensemble des parties prenantes et ce, dans une perspective où le court terme et le long terme ont respectivement leur place.

À la prochaine…

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OPINION : Les boni de la discorde

Le sujet de la rémunération de la haute direction ne cesse d’animer la gouvernance d’entreprise, encore plus lorsque vient le temps des assemblées annuelles. Cette fois, ce sont les boni (ou primes de rendement) versés aux hauts dirigeants de plusieurs sociétés d’État qui sont pointés du doigt et dénoncés dans la presse[1]. Le sujet a même rebondi à l’Assemblée nationale. Le premier Ministre a pris l’engagement d’y mettre fin, du moins éventuellement[2]. La réaction de la classe politique québécoise illustre le profond malaise existant entre rémunération de la direction et fonds publics.

Raison d’être et objectifs

Les régimes de rémunération sont conçus pour répondre à trois objectifs : attirer le meilleur dirigeant, le fidéliser et l’inciter à avoir le meilleur rendement possible[3]. La rémunération constitue un moyen pour une entreprise de trouver et de conserver l’élément le plus adéquat pour satisfaire ses besoins en compétence. En effet, dans les organisations à vocation commerciale, les motivations intrinsèques occupent une place moindre. La « bonne rémunération » est d’autant plus importante que les hauts dirigeants sont sur un marché des dirigeants et ne sont pas à l’abri d’être courtisés par des sociétés concurrentes. Ce risque permanent conduit les entreprises à devoir toujours réajuster les conditions salariales. Or, comme tout marché, dès lors que la qualité d’un bon dirigeant est perçue comme un avantage concurrentiel, il devient inévitable que les sociétés sont tentées de fixer des barrières aussi élevées que possible à l’entrée du marché des dirigeants pour restreindre autant que possible la capacité de séduction de la concurrence. À cela, s’ajoute une concurrence accrue entre les grandes entreprises du fait de l’internationalisation des marchés. De plus, la rémunération est certes un moyen de récompenser les efforts accomplis, mais elle est aussi un encouragement à travailler toujours plus et mieux. Il ne s’agit pas de demander aux hauts dirigeants de rester dans leur zone de confort en fournissant le minimum, mais bien d’aller chercher au-delà pour faire croitre la prospérité et la productivité de l’entreprise. L’atteinte de paliers ou de seuils corrélée à des objectifs le plus souvent économiques (part de marché, valorisation boursière, chiffre d’affaire, bénéfice) contribue directement à aligner l’arbitrage du dirigeant sur la politique à adopter pour la société sur son augmentation de rémunération. C’est alors le talent de gestionnaires qui est récompensé. Tout cet argumentaire a du sens et a d’ailleurs était récemment utilisé par le P.D.-G. d’Investissement Québec (IQ)[4], mais…

Des dérives

Le niveau de la rémunération des hauts dirigeants agace et crée des crispations dans la société québécoise[5]. Les entreprises ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes : depuis plus d’une quinzaine d’année, force est de constater que le niveau et la composition de la rémunération interrogent. Complexité, tendance haussière, stratégie de légitimation ressemblant à du lavage… sont autant de maux. Au fil du temps, le sacrosaint lien entre rémunération et performance a même été remis en question; les travaux démontrant son incertitude. Les hauts dirigeants sont souvent récompensés lorsque le cours de l’action d’une entreprise grimpe, tandis qu’ils ne sont que rarement sanctionnés lorsque l’action baisse. La multiplication accrue des régimes incitatifs basés sur des mesures particulières de performance et des référentiels assure d’ailleurs aux P.-D.G. des montants supplémentaires dans à peu près toutes les circonstances[6]. Les réalités économiques des entreprises ne sont que trop rarement prises en considération (salaire moyen, bénéfices…) pour fixer la rémunération. Pour les primes au rendement dans les sociétés d’État à visée lucrative, la Vérificatrice générale du Québec avait constaté en 2019 que la rémunération incitative faisait partie intégrante de la rémunération attendue des hauts dirigeants, faisant peu de place à l’évaluation de la performance notamment individuelle[7]. La chance s’avère finalement être le facteur explicatif principal du niveau de rémunération des hauts dirigeants. Les crises économico-financière et la pandémie ont confirmé que les rémunérations échappaient à toute règle logique économique : certaines (rares) ayant disparu, d’autres étant maintenues, d’autres encore étant diminuées ou augmentées. Les rémunérations influencent même certaines stratégies financières (rachat d’actions…), critiquées à juste titre dans la presse spécialisées, qui n’ont pas d’autres justifications que de maintenir un haut niveau de rémunération des dirigeants. Le fameux « pile, je gagne ; face, tu perds » cher à Joseph Stiglits s’applique particulièrement bien à la rémunération des hauts dirigeants. L’application de critères ESG (environnement, social et gouvernance) ou de la responsabilité sociale à la rémunération progresse, mais se fait encore trop attendre en ce domaine, malgré les préconisations de certaines autorités boursières (comme l’AMF France). Les réformes adoptées dans certains pays (tel le vote des actionnaires) ne changent rien à ce phénomène. Alors, pourquoi ce sujet continue-t-il d’irriter autant le Québec ? Pour une raison simple : la rémunération des hauts dirigeants vient ébranler le pacte social. Les différences salariales trop importantes incommodent une partie des Québécois. Comment justifier raisonnablement que certains gagnent en quelques heures ce que d’autres mettent une année à gagner ? L’influence de la pratique des entreprises privées sur celle des entreprises publiques et des organisations proches de l’État se fait de plus en plus ressentir. Or, elle demeure critiquée quand la rémunération des dirigeants est en jeu. D’un enjeu propre à l’entreprise, la rémunération devient un enjeu de société. Équité et justice sociale sont balayées.

Sociétés d’État, CDPQ…

Le sujet de la rémunération est encore plus sensible lorsque ce sont les hauts dirigeants de sociétés d’État (SAQ et Loto-Québec), de la Caisse de dépôt et placement (CDPQ)[8] ou d’IQ qui sont concernés. Les rémunérations de la haute direction confirment le mouvement de convergence qui s’opère depuis près de vingt ans entre entreprises publiques et privées. Toutefois, derrière la SAQ, Loto-Québec, la CDPQ et IQ se dissimule l’État et sa présence change la done. Les sociétés d’État appartiennent à l’État, la CDPQ et IQ sont des organisations constituées par l’État. Cette filiation avec l’État ajoute une dose de complexité à la réflexion : comment espérer atteindre l’équilibre entre objectifs commerciaux et accomplissement d’une mission d’intérêt général ? L’État demeure porteur de politiques publiques et prescripteur de missions de service public, même sur le plan économique (protection des intérêts essentiels de la Nation, protection de la santé et de l’environnement, politique de l’emploi, action sociale, aménagement du territoire, politique des transports, gestion du domaine public…). Or, servir l’intérêt général, dût-il être économique, entraîne des conséquences. La Vérificatrice générale du Québec l’a affirmé en 2019 quand elle a écrit que les rémunérations nécessitaient l’atteinte d’un équilibre fragile[9]. Au-delà des sociétés d’État, c’est la seule présence d’une participation de l’État dans le capital des entreprises qui fait aujourd’hui réagir le citoyen : ce dernier s’estime personnellement propriétaire et actionnaire de celles-ci et doit, à ce titre, contribuer à la rémunération (manque d’encaissement) ou à une perte de l’entreprise (décaissement). Le citoyen a-t-il tort ? Pas sûr…

Des moyens d’encadrement ?

En 2019, la Vérificatrice générale du Québec (ainsi que certaines organisations œuvrant dans le domaine de la gouvernance d’entreprise comme l’IGOPP[10]) a insisté dans ses recommandations sur une remise à plat de pratiques et sur la transparence qui devait régner en matière de rémunération des hauts dirigeants de sociétés d’État à vocation lucrative[11]. Pourtant, la régulation publique doit-elle être pour autant exclue ?  N’est-elle tout simplement pas inexploitée à l’heure actuelle ? La société d’État possède, en effet, un conseil d’administration qui est nommé par le Gouvernement. Or, le conseil est l’entité qui doit donner son accord pour la rémunération des dirigeants. Par conséquent, la réévaluation du rôle du conseil est une piste à explorer. L’État dispose là d’un moyen pour encadrer la rémunération des hauts dirigeants à condition d’instaurer une culture de stratégie et de surveillance de la rémunération. Par ailleurs, les « administrateurs publics » sont soumis « aux normes d’éthique et de déontologie, y compris celles relatives à la rémunération, édictées par règlement du gouvernement », ce qui permet de limiter le risque attaché au phénomène de réseau entre les conseils d’administration et les hautes directions. Mais plus encore, conformément à l’article 27 de Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, le Gouvernement dispose d’un droit de délimiter le rôle du comité des ressources humaines vis-à-vis du conseil d’administration concernant la rémunération du P.-D.G., à « l’intérieur des paramètres fixés ». De manière complémentaire au conseil d’administration, un renforcement de l’implication de l’État québécois dans le processus de détermination de la rémunération doit être sérieusement encouragé. La transparence, au centre de la politique de rémunération au Québec, implique que l’encadrement de la rémunération des dirigeants soit voulu par les actionnaires. Or, l’actionnaire est l’État; sa toute puissant lui donne plein pouvoir sur la direction et sa rémunération. Il est incertain que ces mesures suffisent. Des réformes plus radicales pourraient être adoptées pour que le mécontentement cesse, quitte à être à contre-courant des théories économiques traditionnelles. La France a par exemple plafonné à 450 000 €  (environ 693 000 $), part fixe et variable incluse, la rémunération des dirigeants des entreprises publiques françaises. Pourquoi le Québec ne s’en inspirerait-il pas, au moins pour ses sociétés d’État à vocation commerciale ?

La rémunération des hauts dirigeants des entreprises dans lequel l’État québécois est impliqué a besoin de retrouver un équilibre. Le balancier est clairement en faveur d’une vision de marché, assimilant entreprises privées et publics. C’est ce balancier qu’il faut rééquilibrer au moyen de la régulation publique existante ou à venir. Mais au-delà, il apparaît fondamental que les hauts dirigeants, tout comme les membres des conseils d’administration, des sociétés d’État ou d’organisations comme la CDPQ et IQ n’oublient pas qu’ils demeurent au service de l’intérêt général avant d’être au service d’une logique de marché pensée au travers de profits et de rendements. Telle demeure la raison d’être et les valeurs de ces organisations.


[1] Jean-Michel Genois Gagnon, « La pluie de bonis se poursuit à la SAQ et chez Loto-Québec », Le journal de Québec, 4 mai 2022. Depuis l’année financière 2016-2017, seules quatre sociétés d’État à vocation commerciale sont autorisées à maintenir un programme de rémunération incitative, dont Investissement Québec, Loto-Québec et la SAQ.

[2] « Legault veut la fin des bonis mais justifie le salaire du patron de la CDPQ », La presse, 4 mai 2022; « François Legault prône la fin des bonis, mais pas pour le patron de la Caisse », Radio-Canada, 4mai 2022.

[3] Matthieu Zolomian, La rémunération excessive des dirigeants de sociétés : Identification des difficultés et voies de solution, mémoire de maîtrise, Québec, Faculté de droit, Université Laval, 2008, aux p. 8 et s.

[4] Sylvain Larocque, « Investissement Québec : condamnée à la médiocrité si les bonis sont abandonnés », Le journal de Montréal, 5 mai 2022.

[5] Michel Girard, « J’en ai marre des primes de rendement », Le journal de Montréal, 6 mai 2022.

[6] Sylvie St-Onge et Michel Magnan, « La rémunération des dirigeants : mythes et recommandations », Gestion, 2008, vol. 33, n° 3, p. 25-40, à la p. 32.

[7] Vérificateur général du Québec, « Chapitre 3. Rémunération des hauts dirigeants », dans Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2019-2020, Québec, mai 2019, à la p. 29, par. 100.

[8] Sylvain Larocque, « Le grand patron de la Caisse reçoit une rémunération record », le journal de Montréal, 28 avril 2022.

[9] Vérificateur général du Québec, « Chapitre 3. Rémunération des hauts dirigeants », dans Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2019-2020, Québec, mai 2019, à la p. 3.

[10] François Desjardins, « Il faut plus de transparence sur la rémunération des p.-d.g. de sociétés d’État, affirme l’IGOPP », Le Devoir, 3 octobre 2019.

[11] Vérificateur général du Québec, « Chapitre 3. Rémunération des hauts dirigeants », dans Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2019-2020, Québec, mai 2019.

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IGOPP : une belle réflexion sur le Say on pay

Encore une fois l’IGOPP prend un position intéressante et fournit de riches données dans son billet : « Le vote consultatif sur la rémunération des dirigeants (Say-on-Pay): Quoi de neuf ? » (Yvan Allaire et François Dauphin, 3 décembre 2020).

Extrait :

Rappel de la position de l’IGOPP

L’IGOPP affirme dans cette prise de position qu’il n’est ni approprié ni opportun d’imposer cette procédure du vote consultatif à l’ensemble des entreprises au pays.

Une gouvernance pleinement assumée par des conseils d’administration responsables et imputables forme la pierre angulaire du fonctionnement des sociétés cotées en Bourse. L’établissement de la rémunération des dirigeants incombe, juridiquement et pratiquement, au conseil d’administration.

L’IGOPP souligne alors que la démarche de vote consultatif (« say-on-pay ») sur la rémunération manifeste une méfiance, méritée ou non, envers les conseils d’administration. Derrière cette démarche se profile un déplacement significatif de responsabilité pour la gouvernance des sociétés du conseil vers les actionnaires. Si on ne peut se fier aux administrateurs d’une entreprise pour prendre de bonnes décisions en ce qui a trait à la rémunération de la haute direction, comment les actionnaires peuvent-ils leur faire confiance pour d’autres décisions tout aussi, sinon plus, importantes?

Dans les cas spécifiques de rémunérations problématiques, les investisseurs devraient être prêts à utiliser leur droit de vote (ou de «s’abstenir») pour contrer l’élection de certains administrateurs, particulièrement les membres du comité de rémunération (ou ressources humaines), dans les quelques cas où le conseil n’aurait pas agi de façon responsable.

Au Canada donc, la tenue d’un vote consultatif était alors une décision de l’entreprise et non pas obligatoire comme c’est le cas aux États-Unis.

Or, en avril 2019, le projet de Loi C-97 amendant la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), stipule notamment que les sociétés inscrites en bourse et constituées selon le régime fédéral des sociétés par actions devront adopter « une approche relative à la rémunération des administrateurs et des employés de la société qui sont des « membres de la haute direction » et présenter aux actionnaires l’approche relative à la rémunération à chaque assemblée annuelle, et les actionnaires devront voter sur l’approche présentée selon un format non contraignant.

Si la loi a été sanctionnée le 21 juin 2019, les modifications apportées aux articles cités ci-dessus ne sont toujours pas en vigueur. Toutefois, au moment où les modifications s’appliqueront, on prévoit qu’environ 500 entreprises additionnelles pourraient être contraintes de tenir un vote consultatif sur la rémunération de leurs dirigeants.

Statistiques sur le vote consultatif sur la rémunération des dirigeants (say-on-pay)

Aux États-Unis, où le vote consultatif sur la rémunération des dirigeants est obligatoire, la grande majorité des entreprises obtiennent annuellement un appui considérable des actionnaires à la politique de rémunération proposée, comme on peut le constater à la Figure 1. En effet, 92% des sociétés américaines du Russell 3000 ont obtenu un vote favorable de 70% et plus des droits de votes exercés, avec un niveau moyen d’appui (pourcentage de votes favorables) de 90% pour l’ensemble des firmes en 2020.

Fait intéressant, le niveau moyen d’appui atteint 93% (94% en 2019) lorsque l’agence de conseil en vote ISS donne une recommandation favorable, alors que ce niveau d’appui baisse à 64% (aussi 64% en 2019) en moyenne lors d’une recommandation défavorable. Ceci démontre bien l’influence d’ISS dans l’exercice des votes lorsqu’elle émet des recommandations. En 2020, ISS a émis une recommandation défavorable dans 11% des cas.

Statistiques canadiennes

Jusqu’à maintenant en 2020 , 204 votes consultatifs sur la rémunération des dirigeants ont été tenus au Canada, dont 154 par des sociétés constituantes de l’indice S&P/TSX (soit 69,7% d’entre elles). Le nombre d’entreprises qui tiennent un tel vote a été en constante croissance depuis 2010, malgré le caractère volontaire de l’exercice, puis s’est stabilisé depuis 2019. Comme on peut le constater à la Figure 2, le niveau moyen d’appui à la politique de rémunération proposée est semblable à celui observé aux États-Unis, avec des taux au-delà de 90% annuellement.

En 2020, seulement 13 sociétés canadiennes qui ont tenu un vote consultatif sur la rémunération ont obtenu un appui inférieur à 80% (mais néanmoins tous supérieur à 50%). ISS n’a émis aucune recommandation défavorable au cours de la dernière année au Canada.

Mise à jour :
Résultats d’études menées au cours des cinq dernières années

Nous avons analysé les résultats et les conclusions de 21 articles scientifiques ou théoriques publiés entre novembre 2015 et novembre 2020, et portant sur le SOP (pour une description des résultats et des conclusions des différentes études, voir à l’Annexe 1). Le Tableau 1 ci-dessous rend compte de la classification des opinions des auteurs (selon leur propre appréciation).

Ainsi, de façon générale, davantage d’études témoignent d’effets limités, voire indésirables, du SOP. Le constat était analogue lors du dernier exercice similaire mené par l’IGOPP en 2015, alors qu’une forte majorité des études publiées entre 2010 et 2015 (70% des études qui avaient été analysées à l’époque) montraient des effets défavorables du SOP.

Un examen des études dites « favorables » révèle que plus de la moitié d’entre elles portent sur des entreprises qui ont subi un vote défavorable, et ces études ne considèrent donc pas réellement l’effet du SOP sur l’ensemble des autres firmes. Or, comme le soulignait la position de l’IGOPP, les actionnaires ont d’autres mécanismes que le SOP pour faire valoir leur mécontentement, et ces autres mécanismes auraient très bien pu avoir le même effet en bout de piste.

D’ailleurs, même l’agence de conseil en vote Glass Lewis adopte une ligne directrice en ce sens au Canada :

En général, Glass Lewis estime que les actionnaires ne devraient pas être directement impliqués dans la fixation de la rémunération des dirigeants. Ces questions devraient être laissées au comité de rémunération. En l’absence d’un vote consultatif «Say-on-Pay», nous considérons l’élection des membres du comité de rémunération comme un mécanisme approprié permettant aux actionnaires d’exprimer leur désapprobation ou leur soutien à la politique du conseil d’administration sur la rémunération des dirigeants.

Un enjeu important se manifeste: les entreprises seraient-elles tentées d’adopter des formes de rémunération « conformes » aux diktats en cette matière promulgués par les agences de conseil en vote (ISS et autres) afin de réduire le risque d’une recommandation défavorable de ces agences lors du vote SOP. Si cela était, la conséquence serait des politiques de rémunération uniformes, souvent mal adaptées aux contextes particuliers de chacune des entreprises.

Quoiqu’il en soit, les résultats des études scientifiques portant sur le SOP depuis 2010 appuient majoritairement le scepticisme exprimé par l’IGOPP dans sa prise de position à ce sujet.

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Rémunération et climat : bilan critiquable en France

Information intéressante relayée par ID L’info durable : « La rémunération des PDG du CAC 40 encore trop faiblement indexée sur le climat » (27 avril 2021). Du travail encore à faire !

Extrait :

La rémunération des PDG du CAC 40 reste encore trop faiblement indexée – à hauteur de moins de 10% – sur des objectifs non financiers, notamment climatiques, affirme l’ONG Oxfam dans une étude publiée mardi.

Et lorsque ces objectifs existent, ils ne sont pas assez spécifiques, assure Oxfam dans cette étude qui passe au crible, en s’appuyant sur la méthodologie développée par le cabinet de conseil Proxinvest, la structure de la rémunération (fixe, variable, stocks options, bonus, etc.) des PDG du CAC 40 en 2019.

À la prochaine…

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OPINION : SNC-Lavalin… s’indigner !

Il y a peu, la presse a fait savoir que les six plus hauts dirigeants de SNC-Lavalin s’étaient partagé en 2020 une rémunération totale de 23,7 millions de dollars, soit 2,7 millions $ de plus qu’en 2019. Son P.D.-G. avait de son côté empoché 8,02 M$ en 2020. Pourtant, la COVID-19 a accéléré le besoin d’éthique des entreprises. Depuis mars 2020, réductions de salaires de base et des heures travaillées, mises à pied temporaire du personnel, attribution de congés, licenciements sont le quotidien du monde des affaires comme l’illustre SNC-Lavalin. Dans un tel contexte, les attentes des parties prenantes n’ont jamais été aussi élevées. Des comportements non vertueux (méprisant son environnement et ses parties prenantes) autrefois considérés comme acceptables le sont de moins en moins. En décembre 2019, le Forum de Davos a ainsi affirmé qu’une entreprise était plus qu’une simple entité économique qui génère des richesses. Elle répond à des aspirations humaines et sociétales dans le cadre du système social général. Comment SNC-Lavalin peut-elle tourner le dos à cette responsabilité de poursuivre le bien commun ? Simplement par manque d’éthique !

Licite

Même si les rémunérations des hauts dirigeants de SNC-Lavalin ne sont pas illicites, elles choquent l’opinion. Elles choquent parce qu’elles démontrent un excès, loin de l’esprit de solidarité, d’entraide et de réciprocité qui s’impose dans le monde post-pandémie. Si l’éthique est devenue aujourd’hui une évidence pour les entreprises, SNC-Lavalin semble l’ignorer et rappeler de ce fait un passé récent. Ces rémunérations ne sont toutefois qu’à l’image des polémiques qui ont lieu en ce domaine. Dans les grandes entreprises, la rémunération des hauts dirigeants suscite de vives tensions. Les raisons en sont diverses : montant astronomique; caractère excessif des augmentations; complexité des formes de rémunération; écarts entre rémunération des hauts dirigeants et celles des salariés; discordance entre rémunération et performance des entreprises; disparité entre rémunérations de sociétés comparables.

Des comportements exemplaires

Les recherches démontrent que certaines entreprises ont adopté dans le contexte de la COVID-19 un comportement éthique pour promouvoir l’idée de justice et assurer leur survie. Elles ont diminué la rémunération de leurs P.D-G. et hauts dirigeants, certains d’entre eux n’hésitant pas à reporter ou à diminuer leurs salaires. Aux États-Unis, plusieursdirigeants de sociétés ont renoncé à l’intégralité de leur salaire : Lyft, Airbnb et Marriott. D’autres ont également renoncé à une partie de leur rémunération afin de la rediriger vers des objectifs commerciaux et sociaux. Parmi ces derniers se trouvent des entreprises dont le siège social est au Québec. Air Canada, par exemple, a diminué de 100 % le salaire de son président et de 20 à 50 % les salaires versés à ses hauts dirigeants et à ses cadres supérieurs pendant le second trimestre 2020. Bombardier, BRP et CGI ont aussi choisi de diminuer de 100 % la rémunération du président et des hauts dirigeants pour une durée indéterminée. Chez CAE, le salaire du président a été diminué de 50 % et celle des hauts dirigeants et des cadres supérieurs de 20 à 50 %. La même décision a été prise chez Gildan Activewear. Plusieurs entreprises ont pris des mesures particulières pour s’ajuster à la COVID-19 et assurer une meilleure préservation de leurs liquidités. À ce titre, Signet Jewelers a réduit le salaire de son P.D-G. de 50 %, a différé le paiement de sa prime de l’année précédente au mois de juin, en plus de diviser la prime de l’année en cours en deux parties. Dans le même sens, Independance Contract Drilling a réduit le montant de la rémunération des directeurs et des membres exécutifs principaux de son CA, et ce, en plus de diminuer le nombre de membres de son équipe de direction et de son CA.

Où était le CA ?

Les CA et les hauts dirigeants canadiens sont à l’heure actuelle sous une plus forte pression pour assurer la survie de leurs entreprises. Les CA sont confrontés à un choix au moment de déterminer la politique de rémunération des hauts dirigeants. Or, de nouvelles valeurs comme l’éthique et la justice s’imposent en toile de fond de la rémunération. Ces valeurs s’imposent aux CA. Or, le CA de SNC-Lavalin a-t-il compris que la rémunération était devenue un sujet de moins en moins économique ? Le Le CA a-t-il compris que le risque éthique est une composante fondamentale de la mission des CA ? Pas sûr, d’autant que lesdites rémunérations ont été octroyées alors que SNC-Lavalin a avait retranché temporairement une partie de la rémunération versée aux présidents et aux vice-prési­dents exécutifs, a essuyé des pertes considérables en 2020, a vu son cours boursier chuté, et a versé des dividendes tout en bénéficiant d’aides publiques. Faut-il blâmer le CA de SNC-Lavalin ? Sans doute même s’il faut remarquer que sa position n’est pas isolée. Le cabinet Davies a relevé dans son rapport 2020 sur la gouvernance que les mesures de réduction de rémunération n’étaient pas particulièrement répandues parmi les grandes entreprises nord-américaines. Pourtant, l’éthique est un atout pour les entreprises et les CA. Elle est une réponse aux critiques qui leur seraient faites dans l’attribution des rémunérations, notamment de la part de leurs salariés. Au-delà de corriger les comportements, l’éthique redonne son plein sens au travail des hauts dirigeants. Elle est enfin un moyen d’aboutir à une nouvelle doctrine en matière de rémunération, ô combien salutaire – en ces temps difficiles –, celle de la prudence. Elle réduit les coûts, permet de se montrer solidaires avec les salariés, favorise des objectifs à long terme et préserve les liquidités. Attention toutefois, l’éthique doit reposer sur des convictions, parmi lesquelles la recherche d’une justice et l’absence d’instrumentalisation au service de la profitabilité. Comme une évidence, éliminer l’éthique ne doit pas être l’objectif d’un programme de rémunération. Pourtant, SNC-Lavalin semble l’avoir fait. L’éthique a ses limites et c’est dommage…

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Société d’État et rémunération : le cas d’IQ

Intéressante nouvelle diffusée par Le Devoir : « La nouvelle politique de rémunération chez Investissement Québec s’attire des critiques » (18 mars 2021). Belle réflexion suscitée sur la gouvernance des sociétés d’État…

Extrait

Le salaire de certains hauts dirigeants d’Investissement Québec (IQ) pourrait pratiquement doubler en vertu d’une nouvelle politique de rémunération qui s’attire des critiques des partis d’opposition et soulève des questions chez des observateurs en gouvernance.

Un volet à long terme fixé sur l’atteinte d’objectifs qui seront évalués tous les trois ans s’ajoutera au salaire de base ainsi qu’aux primes annuelles déjà offertes au personnel du bras financier de l’État québécois, qui joue un rôle d’agence de développement économique et de société de financement.

(…)

« Débalancement important »

S’il ne s’agit pas d’une « mauvaise chose » d’évaluer les résultats après quelques années, l’expert en gouvernance Michel Magnan apporte toutefois un bémol. « On parle d’une société d’État. Elle effectue des investissements en capital-actions, offre des prêts-subventions. Il n’y a pas beaucoup de banques dans le secteur privé qui font cela. C’est un peu embêtant d’aligner la rémunération avec le secteur financier. »

M. Magnan estime que le gouvernement Legault fait « bande à part » avec IQ, où les conditions de rémunération seront supérieures à ce qui est offert dans d’autres sociétés d’État comme Hydro-Québec et la SAQ.

Pour Luc Bernier, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public, le gouvernement Legault semble mettre sur pied un « débalancement important » des salaires chez IQ, une société sur laquelle il mise grandement pour notamment gonfler les investissements étrangers dans la province et stimuler l’investissement privé. « En raison des prêts-subventions et d’autres instruments du genre, IQ ne peut pas nécessairement dégager un rendement d’entreprise privée, explique-t-il. On dirait que l’on réinvente les mécanismes de rémunération pour qu’ils soient bien payés même s’ils ne sont pas rentables. »

À la prochaine…