jurisprudence
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Responsabilité des administrateurs et infractions environnementales
Ivan Tchotourian 15 novembre 2023 Ivan Tchotourian
Le 7 juillet 2023, la Cour provinciale de la Colombie-Britannique (la « Cour ») a déterminé que le président et chef de la direction d’une société minière était coupable de plusieurs infractions environnementales découlant du rejet de déchets produits par les activités minières de la société à Banks Island, en Colombie-Britannique. Cette décision (R. v. Mossman and Meckert) peut servir à la fois de rappel et de leçon aux administrateurs, dirigeants et employés, étant tous susceptibles d’engager personnellement leur responsabilité à l’égard de la conformité de leur société aux lois environnementales.
En matière d’infractions environnementales, comme un déversement ou un non-respect des normes réglementaires applicables, la culpabilité est habituellement attribuée à la société concernée. Les administrateurs ou les dirigeants d’une société sont rarement tenus principalement responsables d’une violation des lois environnementales parce que les dommages à l’environnement résultent généralement de problèmes systémiques associés à la façon dont la société exerce ses activités, plutôt que de la conduite d’une personne en particulier. Les organismes de réglementation portent rarement des accusations contre les employés qui ne font qu’exécuter les tâches reliées à leur emploi. Cependant, dans certaines circonstances, des administrateurs, des dirigeants et des employés peuvent être tenus personnellement responsables d’infractions environnementales.
Enseignements :
- Bien que, le plus souvent, c’est la société qui sera tenue principalement responsable des infractions environnementales, les administrateurs et les dirigeants peuvent également engager leur responsabilité à l’égard des manquements de la société à ses obligations environnementales. En général, la question fondamentale permettant d’établir la responsabilité d’un administrateur ou d’un dirigeant consiste à déterminer si celui-ci assurait la direction et le contrôle de l’entreprise ou de la conduite ayant donné lieu à l’infraction. Au Canada, certaines lois environnementales imposent aux administrateurs et aux dirigeants l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour assurer la conformité à la réglementation applicable ou pour prévenir la commission d’une infraction.
- Les administrateurs, les dirigeants et les membres de la haute direction ont la responsabilité de s’assurer que des systèmes adéquats sont en place pour gérer et contrôler la conformité d’une société à ses obligations environnementales. Ces systèmes doivent être conçus pour éviter que des problèmes prévisibles surviennent. Dans l’affaire Mossman, la Cour a déterminé que le fait que le laboratoire refuse de transmettre les résultats des analyses parce que BIG n’avait pas réglé les factures que celui-ci lui avait soumises constituait un événement prévisible que M. Mossman aurait dû prévoir et prévenir.
- Les administrateurs, les dirigeants et les membres de l’équipe de haute direction doivent s’assurer que la société dispose de politiques, de pratiques et de procédures robustes en matière environnementale assurant que les incidents environnementaux sont signalés et traités efficacement. Selon le secteur, il pourra notamment s’agir de désigner clairement un délégué responsable de la conformité aux obligations environnementales.
- Les administrateurs, les dirigeants et les membres de l’équipe de haute direction doivent agir lorsque des cas de non-conformité leur sont signalés et veiller à ce que leurs instructions soient suivies. Les personnes à la tête d’une société qui ignorent les signalements ou les conseils de leurs gestionnaires des questions environnementales pourraient engager leur responsabilité en cas de non-conformité.
- Les administrateurs, les dirigeants et les membres de l’équipe de haute direction doivent également agir lorsqu’ils apprennent que des mesures de gestion et de contrôle ont échoué. Dans l’affaire Mossman, la Cour a noté que M. Mossman aurait dû ordonner à BIG de cesser ses activités jusqu’à ce que les mesures de contrôle adéquates aient été rétablies.
Merci au cabinet Blakes de cette information !
À la prochaine…
devoir de vigilance judiciarisation de la RSE jurisprudence
L’État français condamné dans l’« affaire du siècle »
Larios Mavoungou 5 février 2021 Larios Mavoungou
Le 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a rendu son jugement[1] dans ce qu’on a appelé « l’Affaire du siècle » qui oppose l’Etat Français aux associations OXFAM France, NOTRE AFFAIRE À TOUS, FONDATION POUR LA NATURE ET L’HOMME et GREENPEACE France.
Le
Tribunal administratif a condamné l’Etat français pour son inaction en matière climatique.
Pour le Tribunal, l’Etat a brillé par des carences fautives dans le respect de
ses engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Il
a été retenu aussi que L’Etat versera, à chacune des associations, la somme d’1
euro symbolique au titre du préjudice moral.
Par
ailleurs, le Tribunal a prononcé un supplément d’instruction de deux mois pour
statuer sur la question des mesures (réparation en nature) à prendre par l’Etat
pour réparation du préjudice écologique ou prévenir son aggravation
Ces associations ont
rappelé dans cette affaire que :
« L’État est soumis à une obligation
générale de lutter contre le changement climatique, qui trouve son fondement,
d’une part, dans la garantie du droit de chacun à vivre dans un environnement
équilibré et respectueux de la santé, reconnu par l’article 1er de la Charte de
l’environnement, à valeur constitutionnelle, d’autre part dans l’obligation de
vigilance environnementale qui s’impose à lui en vertu des articles 1er et 2 de
la même Charte et qui s’applique, eu égard aux engagements internationaux de la
France, notamment la Convention cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques (CCNUCC) de 1992 et l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, à
la lutte contre le changement climatique, enfin, dans le contenu même de la
notion de vigilance, qui doit être rapprochée du devoir de prévention des
atteintes à l’environnement et du principe de précaution, consacrés par les
articles 3 et 5 de la Charte, ainsi que du devoir de diligence défini par le
droit international ».
Quelques
extraits de la décision.
Article 3 : L’État versera à l’association Oxfam France, l’association Notre Affaire À Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme et l’association Greenpeace France la somme d’un euro chacune en réparation de leur préjudice moral.
Article 4 : Il est ordonné, avant de statuer sur les conclusions des quatre requêtes tendant à ce que le tribunal enjoigne à l’État, afin de faire cesser pour l’avenir l’aggravation du préjudice écologique constaté, de prendre toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, un supplément d’instruction afin de soumettre les observations non communiquées des ministres compétents à l’ensemble des parties, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement
jugement n° 1904967-1904968-1904972-1904976
On
observera avec attention les intentions de l’Etat français. Fera-t-il appel de
cette décision ? Quelle sera la position des juridictions supérieures ?
Quoi qu’il en soit, cette décision fera date dans ce long processus de la
consécration de la responsabilité préventive (ex ante) qui s’inscrit à contre-courant
de la conception classique de la responsabilité. Ce mouvement démontre qu’il
faut « Prendre la responsabilité au sérieux »[2].
[1] Lire le
jugement n° 1904967-1904968-1904972-1904976
[2] A.
Supiot et M. Delmas-Marty (dir.), Prendre
la responsabilité au sérieux, PUF, 2015. https://www.cairn.info/prendre-la-responsabilite-au-serieux–9782130732594.htm
actualités internationales Base documentaire devoir de vigilance jurisprudence Responsabilité sociale des entreprises
France – Devoir de vigilance : quel tribunal compétent ?
lgdemerxem 5 février 2021 Yassine Ben Messaoud
Dans un arrêt récent, en date du 10 décembre 2020, les juges de la cour d’appel de Versailles devaient déterminer quel tribunal était compétent – entre le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire -, dans le cadre d’un litige portant sur l’établissement et la mise en oeuvre d’un plan de vigilance ( Société Total en l’espèce).
Les juges devaient déterminer si la mise en place d’un plan de vigilance se rattachait à la gestion de la société afin d’admettre in fine la compétence du tribunal de commerce. Pour y répondre, les juges de la cour d’appel se sont basés sur un faisceau d’indices.
Indice 1 : Est apprécié le positionnement de la disposition prévoyant le devoir de vigilance ( L. 225-102-4 du code de commerce).
Indice 2 : Le fait que le plan de vigilance ainsi que sa mise en œuvre figure en annexe du rapport annuel de gestion.
Enfin, la cour d’appel s’est appuyée sur l’article 1833 du code civil (second alinéa), dans sa version du 22 mai 2019, pour justifier cet élargissement du domaine d’intervention de la société. Cet article prévoit en effet que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
La mise en cause d’une entreprise pour manquement à son devoir de vigilance relève donc du tribunal de commerce !
Vous trouverez la décision ci dessous :
Base documentaire jurisprudence normes de droit Nouvelles diverses Responsabilité sociale des entreprises
Climate Change litigation in Canada: Recent developments
Ivan Tchotourian 28 novembre 2019 Ivan Tchotourian
JDSupra offre une belle photographie des litiges judiciaires canadiens occasionnés par le changement climatique : « Climate Change litigation in Canada: Recent developments » (15 novembre 2019). Je vous place ci-dessous les litiges concernant les entreprises, notamment celles du secteur énergétique.
Extrait :
Litigation against energy companies
The British Columbia cities of Vancouver, Victoria, Richmond and Port Moody are all considering filing claims against large conventional energy companies, potentially as a class action. The City of Victoria had previously advanced a motion at the Union of British Columbia Municipalities calling for its members to explore a class action lawsuit “to recover costs arising from climate change from major fossil fuel companies.”
While the City of Victoria later withdrew its motion and a similar motion by the City of Port Moody was defeated, municipalities in British Columbia appear to be continuing to consider litigation. Victoria has obtained an internal legal opinion, and a British Columbia law firm intends to share a legal opinion on the viability of a claim against conventional energy companies with Victoria and Vancouver later this fall.
Several municipalities have also requested British Columbia enact legislation that would support a claim against conventional energy companies, as the provinces did for their claims against tobacco companies. Greenpeace Canada and West Coast Environmental Law Association previously assisted with drafting such a bill that was introduced in the Legislative Assembly of Ontario, but was not enacted.
À la prochaine…
actualités internationales Base documentaire Gouvernance jurisprudence mission et composition du conseil d'administration normes de droit Nouvelles diverses
Delaware Supreme Court Reinforces Director Oversight Obligation
Ivan Tchotourian 22 novembre 2019 Ivan Tchotourian
Nouvelle intéressante en droit des sociétés par actions américain : la Cour suprême du Delaware a rendu une décision récemment (Marchand v. Barnhill) qui porte sur les devoirs des administrateurs en matière de surveillance institutionnelle et de mise en place d’un système de contrôle des risques (voir l’actualité sur Skadden).
Résumé :
On June 18, 2019, in Marchand v. Barnhill, 212 A.3d 805 (Del. 2019), the Delaware Supreme Court issued an important decision reaffirming the obligation that directors of Delaware corporations make good faith efforts to implement and monitor a risk oversight system. In Marchand, the Supreme Court reversed the Court of Chancery’s dismissal of a stockholder derivative suit seeking damages pursuant to alleged Caremark claims, which are difficult to plead and prove.1 Specifically, the Supreme Court held that, at the pleading stage, the plaintiffs had alleged facts sufficient to satisfy the high Caremark standard for establishing that a board breached its duty of loyalty by failing to make a good faith effort to oversee a material risk area, thus demonstrating bad faith.
À la prochaine…
actualités internationales jurisprudence Nouvelles diverses
Les pétrolières poursuivies de part et d’autre de l’Atlantique
Alexis Langenfeld 29 octobre 2019 Alexis Langenfeld
La pression
juridique pesant sur les entreprises pour leur part de responsabilité dans le
réchauffement climatique ne cesse d’augmenter. Des poursuites se profilent en France
(1/) et aux États-Unis (2/).
1/ Une pétrolière poursuivie en France
Total
poursuivie : La société mère du groupe total
vient d’être poursuivie en France pour des manquements allégués à son devoir de
vigilance concernant un projet d’oléoduc en Ouganda. C’est la première fois que
les juges français sont saisis pour obtenir l’application des mesures contenues
dans la loi sur le devoir de vigilance[1].
Les poursuites sont engagées par diverses ONG françaises et ougandaises et font
suite à une mise en demeure envoyée par ces mêmes ONG fin juin 2019. Il est
intéressant de relever qu’un rapport rendu public était joint à la mise en
demeure acheminée à l’entreprise[2].
Amis de la Terre, qui fait partie des demandeurs, nous informe qu’une première
audience est prévue le 8 janvier 2020[3].
Il pourrait bien s’agir de la première d’une longue série. Cependant, si Total
est la première entreprise poursuivie, elle ne devrait pas être la dernière puisque
deux autres entreprises ont également été mises en demeure[4].
Dans quel
but ? : L’objectif des demandeurs est double[5].
D’une part, il s’agirait d’obtenir que Total soit tenue de revoir sa copie en
obtenant du juge qu’il contraigne l’entreprise à améliorer son plan de
vigilance. D’autre part, il s’agirait d’obtenir la mise en application
effective des mesures contenues dans ledit plan. Par ailleurs, Total est
assignée en référé pour faire face à l’urgence de la situation alléguée sur
place, laquelle menacerait tant les personnes impactées par le projet que
l’environnement.
Réduire
l’insécurité juridique : Cette poursuite pourrait
apporter des réponses concernant certaines incertitudes découlant du texte de
la loi. Par exemple, peut-être aurons-nous plus d’informations quant à la
manière dont doit être évalué le caractère raisonnable des mesures de vigilance …
En revanche, l’insécurité juridique subsistera concernant le volet
responsabilité civile de la loi. Pour celui-ci, il faudra sans doute attendre
de nouvelles poursuites.
2/ Des pétrolières
américaines poursuivies aux États-Unis
La Cour suprême ferme
les portes des cours fédérales : Aux États-Unis, 26
pétrolières sont également poursuivies par les pouvoirs publics fédérés pour
leur rôle jouer dans le réchauffement climatique[6].
Elles sont notamment accusées d’avoir eu connaissance des risques climatiques
liés à l’exploitation pétrolière, de ne pas en avoir tenu compte et d’avoir
financé des campagnes de désinformation. Les entreprises poursuivies ont demandé
à ce que ces poursuites soient traitées par les cours fédérales et non par les
cours des États fédérés. En effet, les cours fédérales leur sont en général
plus favorables[7].
Les décisions en question[8]
n’ont pas été motivées et n’ont pas fait l’objet de dissidence. Reste à savoir
ce qu’il adviendra de ces poursuites une fois qu’elles seront examinées sur le
fond …
Et en France ? : Pour voir des poursuites de ce type en France il faudra encore attendre, mais peut-être plus très longtemps. En effet, Total, encore elle, fait l’objet d’une autre mise en demeure fondée sur une violation de la loi sur le devoir de vigilance constituée par une prise en compte insuffisante du risque climatique dans son plan de vigilance[9].
À bientôt pour un
nouveau billet …
[1] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au
devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre,
J.O. 28 mars 2017, texte n° 1.
[2] Les Amis de la Terre France et Survie, Manquements
graves à la loi sur le devoir de vigilance : Le cas de Total en Ouganda,
2019, en ligne : <https://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/rapport_totalouganda_at_survie2019.pdf>.
[3] Les Amis de la Terre, « Loi devoir de
vigilance : première saisine d’un tribunal français pour le cas de Total en
Ouganda », 23 octobre 2019, en ligne : <https://www.amisdelaterre.org/Loi-devoir-de-vigilance-premiere-saisine-d-un-tribunal-francais-pour-le-cas-de.html>.
[4] Concepcion ALAVAREZ, « Devoir de
vigilance : EDF mis en demeure pour violation des droits humains », Novethic,
3 octobre 2019, en ligne : <https://www.novethic.fr/actualite/gouvernance-dentreprise/entreprises-controversees/isr-rse/devoir-de-vigilance-edf-mis-en-demeure-pour-violation-des-droits-humains-147763.html>.
[5] Vincent COLLEN, « Devoir de vigilance :
Total, première multinationale assignée en justice », Les Échos,
23 octobre 2019, en ligne : <https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/devoir-de-vigilance-total-premiere-multinationale-assignee-en-justice-1142357>.
[6] Voir notamment : David HASEMYER, « Fossil
Fuels on Trial: Where the Major Climate Change Lawsuits Stand Today », Inside
Climate News, 23 octobre 2019, en ligne : <https://insideclimatenews.org/news/04042018/climate-change-fossil-fuel-company-lawsuits-timeline-exxon-children-california-cities-attorney-general>.
[7] Greg STOHR, « Oil Companies
Rejected by Supreme Court on Climate Change Suits », Bloomberg,
22 octobre 2019, en ligne : <https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-10-22/oil-companies-rejected-by-supreme-court-on-climate-change-suit>.
[8] BP v. Mayor and City Council of
Baltimore, 19A368 ; BP v. Rhode Island, 19A391 ; and Suncor
v. Board of County Commissioners of Boulder County, 19A428.
[9] Laurent RADISSON, « Justice climatique :
Total mis en demeure d’agir sous trois mois », Actu Environnement,
19 juin 2019, en ligne : <https://www.actu-environnement.com/ae/news/Total-devoir-vigilance-mise-en-demeure-contentieux-climat-Notre-Affaire-Eco-Maires-33639.php4>.
actualités internationales Base documentaire judiciarisation de la RSE jurisprudence Normes d'encadrement normes de droit Nouvelles diverses Responsabilité sociale des entreprises
La Cour suprême anglaise consacre l’existence du devoir de vigilance des sociétés mères
Alexis Langenfeld 22 octobre 2019 Alexis Langenfeld
Dans la récente décision Lungowe[1] du 10 avril 2019, la Cour Suprême du Royaume-Uni a autorisé à l’unanimité 1826 Zambiens à poursuivre la minière anglaise Vedanta, société mère du groupe éponyme. La Cour d’appel s’était déjà prononcée en faveur des demandeurs. Les deux sociétés malheureuses avaient donc interjeté appel. Les plaignants accusent la filiale locale de Vedanta, Konkola Copper Mines Plc (ci-après « KCM ») d’avoir pollué les eaux nécessaires à leur subsistance, leur causant ainsi de graves préjudices. « The essence of the claimants’ case against Vedanta is that it exercised a sufficiently high level of supervision and control of the activities at the Mine, with sufficient knowledge of the propensity of those activities to cause toxic escapes into surrounding watercourses, as to incur a duty of care to the claimants »[2]. Le litige concerne des dommages environnementaux[3] et constitue une poursuite de type foreign direct liability.
Il est important de noter que la Cour Suprême n’a pas
tranché le litige sur le fond puisque celui-ci ne se situe qu’au stade de la
détermination de la juridiction compétente. En l’espèce, pour s’arroger le
litige la Cour suprême[4] a reconnu qu’il existe
effectivement une réelle question à trancher (real triable issue). Cette
question est essentiellement celle de savoir s’il est possible que l’existence
d’un duty of care (ci-après « devoir de vigilance) de Vedanta soit
reconnue sur le fond. La plus haute cour anglaise a répondu par l’affirmative
(1). Le litige pourra donc recommencer au stade de la première instance pour
être, cette fois-ci, tranché sur le fond. À moins qu’un règlement hors cour ne
soit conclu … Cependant, si à bien des égards cette décision est un progrès
pour la RSE, elle pourrait bien contenir des éléments moins favorables à la
responsabilisation des groupes de sociétés (2).
1/ Confirmations et précisions sur le devoir de vigilance
anglais
Contrairement à ce qu’avançaient les appelants[5], la Cour suprême a
confirmé très clairement que le devoir de vigilance des sociétés mères existe
en common law anglaise et qu’il ne constitue pas une catégorie distincte
du droit de responsabilité fondé sur la négligence :
« But the liability of parent companies in relation to the activities of their subsidiaries is not, of itself, a distinct category of liability in common law negligence. Direct or indirect ownership by one company of all or a majority of the shares of another company (which is the irreducible essence of a parent/subsidiary relationship) may enable the parent to take control of the management of the operations of the business or of land owned by the subsidiary, but it does not impose any duty upon the parent to do so, whether owed to the subsidiary or, a fortiori, to anyone else »[6] (nous soulignons).
Comme le devoir de vigilance des sociétés mères ne constitue
pas une catégorie distincte de responsabilité, il ne constitue pas une
catégorie nouvelle de devoir de vigilance[7], ce qui l’exonère de
devoir passer un test préalable à la reconnaissance de son existence. Cette
décision est donc importante, car elle affirme que le devoir de vigilance
constitue une base légale permettant de poursuivre en Angleterre une société
mère anglaise pour obtenir réparation des préjudices causés par les activités
d’une de ses filiales. Par extension, les poursuites de type foreign direct
liability ont donc été consacrée comme viable par la Cour suprême.
Les questions de droit entourant ce devoir de vigilance reposent
donc substantiellement sur les circonstances dans lesquelles une société mère
peut être responsabilisée. Sur ce point, la Cour suprême a confirmé que le
principe demeure l’absence d’un devoir de vigilance. Seule certaines
circonstances factuelles peuvent lui donner naissance :
« Everything depends on the extent to which, and the way in which, the parent availed itself of the opportunity to take over, intervene in, control, supervise or advise the management of the relevant operations (including land use) of the subsidiary. All that the existence of a parent subsidiary relationship demonstrates is that the parent had such an opportunity »[8] (nous soulignons).
Cette décision limite également la portée des décisions Okpabi[9]et Unilever[10]. Les défendeurs arguaient
que ces décisions avaient consacrées « a general principle that a
parent could never incur a duty of care in respect of the activities of a
particular subsidiary merely by laying down group-wide policies and guidelines,
and expecting the management of each subsidiary to comply with them »[11]. Un argumentaire aussi
solide que logique étant donnée la teneur de ces décisions. Cependant, la Cour
a estimé que l’absence de mesure adoptée par la société mère visant
spécifiquement les activités dommageables ne fait pas obstacle à la naissance
d’un devoir de vigilance[12].
Cette position constitue un élargissement des conditions
factuelles pouvant donner naissance à un devoir de vigilance. En effet,
jusqu’ici seules des situations dans lesquelles la société mère s’était
effectivement et activement immiscée dans la gestion des faits dommageables
avaient été reconnues comme ouvrant la voie à la reconnaissance d’une
responsabilité. Une telle immixtion ne semble plus être considérée comme nécessaire.
Désormais les sociétés mères assujetties à la common law anglaise
seraient donc mieux avisées de surveiller de près la prévention des risques RSE
par leurs filiales.
2/ Le retour de la priorité donnée au for naturel ?
La compétence des cours anglaises sur KCM a également été
débattue. À la question de savoir si Vedanta et KCM devaient être jugées
ensemble, les juges ont répondu par l’affirmative. Le risque que les plaignants
n’obtiennent pas justice en Zambie a conduit les juges à décider de ne pas
renvoyer une partie du litige dans ce pays[13]. La théorie de l’entreprise
est, de facto, écartée par les juges.
Un test dit de « necessary and proper party » a été déployé en l’espèce. Le raisonnement qui y a été déployé pourrait bien constituer un précédent d’importance. Pour Lucas Roorda, cette décision est donc à double tranchant puisqu’ « [a]s also mentioned by the Court, this makes the test akin to how forum non conveniens was applied in early English foreign direct liability cases such as Connelly v. RTZ and Lubbe v. Cape »[14]. À l’avenir sociétés mères et sociétés filles pourraient être jugées dans des fors différents, ce qui pourrait soulever quelques problématiques, notamment quant à la cohérence des différents jugements qui pourraient être rendus. Le forum non conveniens serait-il de retour ?
À bientôt pour un nouveau billet …
[1] Vedanta Resources PLC and
anor v. Lungowe v and ors, [2019] UKSC 20,
en ligne : <https://www.supremecourt.uk/cases/docs/uksc-2017-0185-judgment.pdf> [Vedanta].
[2] Vedanta,
par 55
[3] C’est ainsi que le litige est
classifié par : Vibe ULFBECK et Andreas EHLERS, « Direct and vicarious
liability in supply chain », dans Vibe ULDBECK, Alexandra ANDHOV et Kateina
MITKIDIS (dir.), Law and responsible supply chain management : Contract and
tort interplay and overlap, Londres/New York, Routledge, 2019, p. 91-109,
p. 95.
[4] La
décision a été rendu par Lord Briggs, les quatre autres juges ont été
unanimement d’accord avec lui. Sur un sujet aussi polémique que la RSE
extraterritoriale des entreprises, le fait qu’il n’y ai pas de dissidence est à
souligner.
[5] « The appellants’
submission that this case involves the assertion of a new category of common
law negligence liability arises from the fact that, although the claimants
chose to plead their case by seeking to fit its alleged facts within a series
of four indicia given by the Court of Appeal in Chandler v Cape plc [2012] 1
WLR 3111, it was submitted that this was by no means a Chandler type of case.
It may, like the claim in the Chandler case, loosely be categorised as a claim
that a parent company has incurred a common law duty of care to persons (in
this case neighbours rather than employees) harmed by the activities of one of
its subsidiaries » (Vedanta, par. 49).
[6] Vedenta,
par. 49.
[7] « Once
it is recognised that, for these purposes, there is nothing special or
conclusive about the bare parent/subsidiary relationship, it is apparent that
the general principles which determine whether A owes a duty of care to C in
respect of the harmful activities of B are not novel at all. They may easily be
traced back as far as the decision of the House of Lords in Dorset Yacht Co Ltd
v Home Office [1970] AC 1004 » (Vedanta, par. 54).
[8] Vedenta,
par. 49.
[9] Godwin
Bebe Okpabi v Royal Dutch Shell plc [2018] EWCA Civ 191 ; [2018] Bus
LR 1022.
[10] AAA v. Unilever plc [2018] EWCA Civ
1532.
[11] Vedanta,
par. 52.
[12] Vedanta,
par 52-53.
[13]
Liz TOUT et Catherine GILFEDDER, « Supreme Court confirms Zambia
environmental group claims can proceed against parent company », Dentons,
17 avril 2019, en ligne : <https://www.dentons.com/en/insights/articles/2019/april/17/supreme-court-confirms-zambia-environmental-group-claims-can-proceed-against-parent-company>.
[14] Lucas
ROORDA, « Not quite ‘beating your head against a brick wall’: the Supreme
Court’s decision in Vedanta v. Lungowe », Right as Usual, 18 avril
2019, en ligne : <http://rightsasusual.com/?p=1317>.