Nos étudiants publient. Laëtitia Dorilas et Anaïs Nedjari s’intéressent à la gouvernance d’entreprise avec Ronald Gilson !

Le mot du Professeur Tchotourian.

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partage des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale).

Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Laëtitia Dorilas et Anaïs Nedjari. À cette occasion, Laëtitia et Anaïs analysent l’article du professeur Ronald Gilson intitulé « From corporate law to corporate governance » (ECGI – Law Working Paper No. 324/2016). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.


La gouvernance d’entreprise : entre développement et questionnement (par Ronald Gilson)


En septembre 2016, Ronald J. Gilson a publié un article « From Corporate Law to Corporate Gouvernance » à l’Institut européen de gouvernance d’entreprise[1]. Cet article met en avant les différentes problématiques qui entourent une question centrale : comment l’apparition de la gouvernance d’entreprise remplit le vide juridique laissé par le droit des sociétés par actions ?

1. Le passage « obligatoire » de la Corporate Law à la Corporate Governance

Dans son article, le professeur Gilson nous évoque l’un des sujets les plus « en vogue » depuis quelques années : la gouvernance d’entreprise. Ce dernier met en lumière l’insuffisance du droit des sociétés par actions si longtemps décrié par les juristes d’entreprises et acteurs économiques. Le droit des sociétés par actions a montré des insuffisances qu’il a fallu rapidement combler, comblement qui a eu lieu par le passage à la gouvernance d’entreprise qui s’est imposé naturellement : « […] from a largely legal focus, to one that focuses on the corporation’s inputs, outputs and how they are managed »[2]. Il convient d’éviter d’opposer droit des sociétés par actions et gouvernance d’entreprise, mais de les voir comme instrument complémentaire. La gouvernance d’entreprise vient combler le vide laissé par le droit des sociétés par actions. Reste à se demander comment évolueront le droit des sociétés par actions et la gouvernance d’entreprise. Le droit des sociétés par actions ne sera-t-il pas capable d’évoluer demain ou irons-nous vers un domaine nouveau remplaçant le droit des sociétés et la gouvernance d’entreprise ?

2. Une notion dépendante de l’histoire : la place du « Path dependence »[3]

Pour Ronald Gilson, la notion de gouvernance d’entreprise s’adapte à chaque système et à leurs caractéristiques. Intervient alors la notion de « path dependence » (ou sentier de dépendance) où Gilson met en exergue la complémentarité et la supermodularité (chaque élément ou événement a des répercussions sur le futur). Alors que la notion de path dependence de Gilson démontre une divergence des systèmes de gouvernance d’entreprise, la mondialisation entraîne un phénomène d’acculturation de normes[4]. Certains parlent « mondialisation des problèmes»[5] ou de « normes communes ». Il serait pertinent de se demander si la convergence vers l’harmonisation du droit des sociétés par actions ne serait pas également source d’harmonisation de la gouvernance d’entreprise et si la mondialisation ne serait pas débitrice d’un modèle de gouvernance mondial.

3. Gouvernance d’entreprise statique vs gouvernance d’entreprise dynamique

Ronald Gilson met en avant une vision dynamique de la gouvernance d’entreprise : une gouvernance qui s’adapte aux changements de l’économie et de la Société… alors même que les modèles de gouvernance (parties prenantes, primauté du CA, primauté de la direction, primauté des actionnaires) ont une logique et une philosophie qui est leur est propre. L’auteur revient sur le débat récent concernant la gouvernance d’entreprise apportant une confirmation à la position des professeurs Hansmann et Kraakman[6]. Ceux-ci ont décrit le « stakeholder model » comme un outil de maximisation des profits des actionnaires. De plus, Ronald Gilson fait le lien entre ce modèle et celui de la primauté du CA et affirme que ce dernier est la continuité logique du premier et s’inscrit dans une logique d’opportunisme. Dès lors, l’auteur met l’accent sur l’idéologie d’opportunisme qui est présente dans les modèles de gouvernance. Mais, le professeur Gilson ne rentre pas dans les débats de la littérature dominante et ne crée aucune ouverture.

4. Une évolution prometteuse, mais qui reste limitée

« Corporate governance as an indefinable terme, something – like love and happiness – of which we know the essential nature, but for which words do not provide an accurate description »[7]. Cet extrait démontre que la notion de gouvernance d’entreprise est une notion en devenir et n’est pas défini clairement. La gouvernance d’entreprise est économique et juridique et se doit d’être évolutive en fonction des éléments qui l’entourent. Cette affirmation est d’autant plus vraie, qu’au Canada notamment, elle est régulée par de la soft law. Ronald Gilson met en avant que la gouvernance d’entreprise fait écho au débat qu’il y a entre Schumpeter et Burke. Alors que Schumpeter avance l’idée que la gouvernance d’entreprise s’appuierait sur un modèle capitaliste, Burke défend une vision libérale des modèles de gouvernance. Le professeur Gilson souligne la différence de vision entre ces deux auteurs : vision à court terme d’un côté et vision à long terme d’un autre côté. Cette idée fait écho à l’importance du devoir de diligence et de prudence dont doivent faire preuve les entreprises dans leur prise de décision. Aux États-Unis, le Business Roundtable a publié au mois d’août dernier une « Déclaration sur la raison d’être de l’entreprise » qui affirme la fin de la primauté actionnariale. Cette actualité soulève la problématique de savoir si la gouvernance d’entreprise doit porter des valeurs qui ne sont pas envisagées par le droit des sociétés par actions. 

Laëtitia Dorilas et Anaïs Nedjari

Anciennes étudiantes du cours de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022)


[1] R. J. GILSON, « From corporate law to corporate governance », European Corporate Governance Institute (ECGI) – Law Working Paper No. 324/2016, 2016.

[2] R. J. GILSON, « From corporate law to corporate governance », European Corporate Governance Institute (ECGI) – Law Working Paper No. 324/2016, 2016, à la p. 12.

[3] R. J. GILSON, « From corporate law to corporate governance », European Corporate Governance Institute (ECGI) – Law Working Paper No. 324/2016, 2016, à la p. 12.

[4] A. COURET, « Mondialisation et droit des sociétés : La structure juridique des entreprises (corporate governance) », RIDE, 2002, n°2-3, p. 339.

[5] Y. PALAU, « Gouvernance et normativité : La gouvernance des sociétés contemporaines au regard des mutations de la normativité », Québec, PUL, 2011.

[6] H. HANSMANN et R. KRAAKMAN, « The End of history for Corporate Law », Georgetown Law Journal, 2011, vol. 89, p. 745.

[7] J.-J DU PLESSIS et al., « The concept’ corporate governance’ and essential principles of corporate governance », dans Principles of Contemporary corporate Governance, Melbourne, Cambridge University Press, 2011, à la p. 3.

Ce contenu a été mis à jour le 9 décembre 2020 à 22 h 56 min.

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