Nos étudiants publient. Maëva Huctin et Déborah Lochon s’intéressent au Stewardship Code avec Jennifer Hill !

Le mot du Professeur Tchotourian.

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partage des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale).

Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Maëva Huctin et Déborah Lochon. À cette occasion, Maëva et Déborah analysent l’article de la professeure Jennifer Hill intitulé « Good Activist/Bad Activist: The Rise of International Stewardship Codes » (ECGI – Law Series No. 368/2017). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.


Essor des Stewardship Code : place à l’engagement (par Jennifer Hill)


« L’activiste est utile […], ce qu’il faut combattre c’est les excès »[1]. Cette phrase d’Éric Woerth dans la présentation de son rapport d’information sur l’activisme actionnarial représente bien le débat doctrinal actuel sur l’activisme. C’est également le sujet de l’article de Jennifer Hill qui se penche sur ces différentes doctrines et sur leurs conséquences réglementaires[2].

  1. L’activisme des actionnaires : Docteur Jekyll et Mister Hyde

Depuis le début du XXe siècle, le profil des actionnaires a radicalement changé. S’est alors posée la question de leur rôle dans la gouvernance. L’actionnaire ne se trouve plus en position de faiblesse : il s’implique dans la vie de l’entreprise. Aujourd’hui, le petit actionnaire particulier s’est transformé en un investisseur institutionnel ayant une meilleure connaissance du marché et un objectif d’investissement différent. L’émergence des investisseurs institutionnels (notamment les fonds de pension) a donné naissance au débat sur l’activisme.

À la suite de la crise financière mondiale de 2007-2008, l’activisme a été décrié principalement aux États-Unis en rendant les actionnaires activistes responsables de celle-ci. La doctrine américaine les décrit comme des participants infidèles à l’entreprise et des prédateurs à l’affût de profit[3]. L’activisme a surtout été durcit par l’arrivée des hedges funds avec un engagement presque « hostile » envers les CA et la direction. Ils seraient court-termistes et pousseraient les dirigeants à prendre des risques excessifs et modifier leur stratégie pour obtenir plus de profit à court terme. Selon M. Lipton, la situation est telle que toute nouvelle législation devrait inclure une protection contre les pressions actionnariales[4]… dangereuses pour l’entreprise et l’économie[5].

  1. Activisme = Court-termisme = actionnaires ?

Lier actionnaires, activisme et court-termisme peut constituer un raccourci, car les profils et objectifs des actionnaires sont souvent bien différents. Les actionnaires représentent souvent des petits porteurs (ayant investi chez eux et recherchant la pérennité de leur investissement), auxquels les grands investisseurs institutionnels doivent alors rendre des comptes. À ce titre, leur activisme peut être positif. Selon une doctrine autorisée, lors de la crise financière, les actionnaires n’exerçaient pas assez de pression sur les dirigeants. En étant plus impliqué, l’actionnaire va veiller à ce que les décisions prises soient optimales; or il est compliqué d’exercer une telle influence avec un actionnariat trop dispersé et désintéressé. Des expérimentations ont d’ailleurs démontré une meilleure valorisation des actions lorsqu’une part importante de l’actionnariat est représentée par les investisseurs institutionnels. En outre, les enjeux de l’activisme sont forts et ne comportent pas uniquement un volet économique. Certains actionnaires utilisent déjà leur pouvoir pour influencer ou sensibiliser l’entreprise à des enjeux sociaux ou environnementaux. Enfin, au Royaume-Uni, le Kay Review de 2012[6] conclut que l’augmentation de l’engagement des actionnaires et des actions collectives peut être une solution au court-termisme et promeut un engagement accru des investisseurs institutionnels qui pourraient être la liaison entre les dirigeants et les autres actionnaires pour discuter des questions de bonne gouvernance. Ces investisseurs sont encouragés à nouer plus de relations avec l’entreprise dans laquelle ils investissent.

  1. Le boom des codes de gouvernance

Le profil de l’actionnaire ayant changé, la réglementation s’en trouve à devoir évoluer également. Malgré le débat doctrinal, le droit est venu consacrer une vision positive de l’activisme : loin de considérer l’activisme des actionnaires comme un problème, il est même vu comme une partie de la solution à la réussite à long terme des entreprises. C’est ainsi les techniques réglementaires ont évolué et ont fait place aux codes de gouvernance. Cette réglementation émane tantôt des gouvernements et organismes gouvernementaux, tantôt des industries (organismes privés), mais parfois aussi des investisseurs eux-mêmes (favorable alors à une autorégulation). Les codes viennent parfois instrumentaliser les actionnaires en les utilisant pour inciter à la mise en place d’outils de bonne gouvernance.

Dans son article, la professeure Hill relève la montée des codes de gouvernance et compare les deux premiers codes favorables à une vision à long terme des entreprises, tous deux émanant d’un organisme de réglementation et d’application volontaire, basée sur le principe du « comply or explain » : le UK Stewardship Code de 2012 et le Japanese Stewardship Code de 2014. Ces codes sont des précurseurs qui ont encouragé d’autres pays à aller plus loin en intégrant de nouveaux enjeux dans leur réglementation. Ces codes rappellent que les investisseurs jouent un rôle important en matière de responsabilisation de la société. Toutefois, ils n’ont pas pour autant un droit de gestion dans les affaires. Si ces deux codes sont relativement similaires, leur manière d’aborder l’activisme diffère notamment en raison de leur fondement et leurs objectifs. Le premier vient répondre à un besoin de contrôle efficace des risques après la crise financière; le second quant à lui, est né d’une lutte contre la baisse de rentabilité des entreprises. Le code britannique prône un engagement important des investisseurs institutionnels à travers une responsabilité de nouer des relations avec les sociétés dans lesquelles ils investissent. Il encourage alors la gestion par le vote, la surveillance ou encore le dialogue sur des sujets ciblés avec la direction. Il fournit également un cadre pour une montée progressive de l’activisme si le CA ne répond pas aux préoccupations des actionnaires. Le code japonais est plus ambigu dans sa manière de considérer l’activisme et prône un engagement plutôt modéré et une approche plus consensuelle avec le CA.

  1. Limiter les pouvoirs du CA par l’engagement

Ces codes de gouvernance se concentrent sur la limitation des pouvoirs du CA (en augmentant le niveau d’engagement) plutôt que sur le contrôle du pouvoir des actionnaires. En effet, ils ne posent pas de « barrières » aux actionnaires, mais font en sorte que ces derniers en posent au conseil d’administration. La question de l’engagement des actionnaires dans la gouvernance fait encore débat au niveau international, même s’il est possible de constater un consensus pour dire que la participation des actionnaires fait désormais partie intégrante d’une bonne gouvernance… que l’engagement tend à se renforcer.

Maëva Huctin et Déborah Lochon

Anciennes étudiantes du cours de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022)


[1] Éric WOERTH, Rapport d’information sur l’activisme actionnarial, 2 octobre 2019.

[2] Jennifer HILL, « Good Activist/Bad Activist: The Rise of International Stewardship Codes », European Corporate Governance Institute (ECGI) – Law Series No. 368/2017.

[3] Jennifer HILL, « Good Activist/Bad Activist: The Rise of International Stewardship Codes », European Corporate Governance Institute (ECGI) – Law Series No. 368/2017, à la p. 4.

[4] Martin LIPTON, « Will a New Paradigm for Corporate Governance Bring Peace to the Thirty Years’ War », Wachtell, Lipton, Rosen & Katz, 2 octobre 2015.

[5] Martin LIPTON, « Do Activist Hedge Funds Really Create Long- Term Value? », Harvard Law School Forum on Corporate Governance and Financial Regulation, 22 juillet 2014.

[6] The kay Review of UK Equity Markets and Long Term Decision-Marking, rapport final, juillet 2012.

Ce contenu a été mis à jour le 26 novembre 2020 à 12 h 11 min.

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