OPINION : Gouvernance de Soccer Canada… le temps de l’éthique organisationnelle ?

Nous avons tous été choqués d’apprendre l’affaire de tricherie de l’équipe féminine de soccer qui est parue dans la presse la semaine passée. Nous l’avons été encore plus en apprenant que l’espionnage était une pratique institutionnalisée sans que personne au sein de l’équipe d’encadrement (et peut-être au niveau de la direction) ne se pose la moindre question d’éthique sportive ! Vous me direz que d’autres fédérations, sportifs ou pays trichent parfois, mais ce n’est pas une raison pour le faire.

 

Une tache indélébile

Les équipes nationales et Soccer Canada vont devoir dorénavant vivre avec cette affaire qui éclabousse le Canada en plein Jeux olympiques 2024 de Paris, une épreuve mythique parmi les plus regardées au monde. Faut-il le rappeler, dans le domaine sportif, la tricherie est le comportement le plus grave tant il viole l’esprit même entourant l’activité sportive. Dans notre cas, il y a eu clairement violation d’une règle. Ce comportement n’est pas excusable. La tricherie ou, simplement, son apparence entache toute performance passée d’un doute sérieux et d’une perte de légitimité si dure à gagner pour tout sportif. Si l’équipe nationale féminine gagne depuis des années, triche-t-elle pour obtenir ce résultat ? Et que penser des résultats de l’équipe masculine ? Il y a un « doute » en dépit de ce que clament les joueuses dans les médias. Qu’elles ne trichent pas sur le terrain, tout le monde en convient. Mais, il reste que préparer un match en espionnant est interdit et contribue à tronquer la performance. Pour l’avenir, ce sont les membres de la communauté de soccer – professionnels et amateurs – qui vont être qualifiés de tricheurs, sérieusement ou sur le ton de la plaisanterie (ce qui est peut-être pire, tant ce genre de plaisanterie demeure de nombreuses années). Qu’importe le ton, le mal est fait et il faut gérer ce qu’il s’est passé. La réaction doit être à la hauteur de ce qu’il s’est passé.

 

Un urgent changement de culture

Au niveau de la gouvernance, Soccer Canada doit prendre conscience d’un fait : l’impensable s’est produit. L’espionnage par drone soulève un enjeu d’éthique organisationnelle et de gouvernance. Derrière cette affaire, c’est la culture de l’organisation de Soccer Canada qui est en question. Soccer Canada traverse une crise majeure, voire existentielle. Cet actif incorporel bâti avec le temps qu’est la réputation, est ébranlée. Plus que jamais, Soccer Canada doit remettre en place une relation éthique et responsable avec ses parties prenantes sous peine de mettre à mal sa crédibilité. Dans un contexte hautement concurrentiel des pratiques sportives, le soccer a perdu la bataille de l’image et risque également de perdre à terme, celle du chiffre (les pratiquants ne vont-ils pas aller vers d’autres sports : basket-ball, hockey, volley-ball… ?). Les commanditaires resteront-ils partenaires ? Comment les gouvernements vont-ils réagir par rapport à leur soutien ? Le conseil d’administration (CA) et la direction de Soccer Canada doivent donc envoyer un message fort et agir pour influencer positivement les comportements de ses équipes d’encadrement. Le CA doit prendre sa responsabilité au sérieux. En matière de culture et d’éthique, il est fondamental que le message provienne d’en haut : tone at the top. L’objectif de performance ne doit pas tout justifier. Dans le sport, il faut échouer et l’accepter, l’éthique sportive est à ce prix. Sinon que seraient les valeurs prônées par une organisation comme Soccer Canada ?

 

Or, pour le moment, il faut constater que le CA et la direction se font bien discrets. Certes, il y a eu ouverture d’une enquête et retour au pays de l’entraîneuse canadienne. Mais, le temps n’est pas à la sous-réaction, il faut gérer les conséquences de cette crise. À terme, il va falloir un changement de l’équipe d’encadrement accompagné du départ de certains membres de la direction, aussi douloureux soit-il. Trêve de naïveté, il est impensable que personne ne soit au courant et encore moins les entraîneurs. Les excuses récentes de l’entraineuse ne sont pas suffisantes, tant l’image et la réputation de Soccer Canada sont à reconstruire. Le CA va devoir aussi mener une réflexion profonde sur la gouvernance de Soccer Canada et prendre un engagement réel de changement afin de prévenir ce genre de comportement. Pour cela, il va falloir :

  • Identifier les contextes organisationnels et sociaux ayant poussé l’équipe d’encadrement à systématiser la tricherie et à fouler aux pieds une norme fondamentale du sport;
  • Repenser le leadership, les valeurs et la culture prônés par l’organisation (est-il admissible que le mot représailles ait été évoqué dans la presse ?);
  • S’assurer dorénavant d’intégrer les valeurs et la mission sportive et éthique de Soccer Canada dans les décisions quotidiennes;
  • Revoir la cartographie des risques de l’organisation et les mesures de mitigation et de gestion;
  • Repenser les structures et les programmes d’éthique organisationnelle : existe-t-il une ligne de dénonciation ? Qu’en est-il d’un comité éthique ? Pourquoi pas une participation des salariés dans l’élaboration d’initiatives éthiques ? Et que penser de l’intégration de critères éthiques et sportifs dans l’évaluation des salariés ?…

 

Sur le site Internet de de Soccer Canada, le cadre de gouvernance conduit étonnamment à une page vide. Il est temps de revoir cette page blanche pour avoir un processus de réflexion débouchant sur une décision sportivement éthique et assumée. A défaut, le plan stratégique 2022-2026 de Soccer Canada visant à s’assurer de son leadership responsable risque de n’être que de la poudre aux yeux. Soccer Canada n’est peut-être que l’arbre qui cache la forêt : chaque fédération sportive canadienne devrait s’inspirer de cette situation pour mettre à jour sa gouvernance en matière d’éthique et de gestion de risques.

 

À la prochaine…

Ce contenu a été mis à jour le 6 août 2024 à 14 h 29 min.

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