Nos étudiants publient. Ambyr Ladani lit Stephen Bainbridge : Capital-actions à classe multiple, pas un accident de l’histoire !

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Ambyr Ladani. À cette occasion, Ambyr fait une lecture critique de l’article de Stephen M. Bainbridge intitulé « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective » (ProfessorBainbridge.com, 6 septembre 2017) Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

L’avènement de la structure de capital de classe double ne date pas d’aujourd’hui et n’est en rien une anomalie historique : tel est le propos de Stephen M. Bainbridge (professeur émérite de droit à la faculté de droit de l’UCLA et spécialiste de la gouvernance d’entreprise) dans son article « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective ». Selon lui, l’hystérie provoquée par les évènements récents aux États-Unis tels que l’introduction en bourse des actions sans droit de vote de Snap inc. en 2017 n’a pas lieu d’être. A travers une perspective historique, l’auteur démontre que le système « une action – un vote » n’a pas toujours été la norme.

Tout commence au milieu des années 1800

Avant le milieu des années 1800, la plupart des chartes d’entreprises recommandaient un système limitant les droits de vote des grands actionnaires ou imposant un nombre maximal de voix auquel tout actionnaire avait droit. Mais, ce système était sérieusement contesté par la facilité avec laquelle les grands actionnaires arrivaient à contourner les règles de votes en transférant une partie de leurs actions à des tierces personnes qui votaient à leur place.

Une tendance qui s’inverse

Après 1819, la tendance à restreindre les droits de vote s’est progressivement inversée instaurant la norme « une action = un vote »[1] qui sera finalement adoptée en 1852 avec la première loi de l’incorporation générale du Maryland. Cette norme sera appliquée jusqu’en 1900 par la majorité des sociétés américaines comme règle par défaut avec la liberté de la modifier. L’auteur attire notre attention sur le fait qu’à l’époque, les actions privilégiées (ainsi que celles ordinaires) conféraient généralement des droits de vote égaux contrairement à ce qui se fait de nos jours. Selon lui, l’instauration de la norme « une action = un vote » s’explique par plusieurs facteurs : l’influence des grands actionnaires (directement intéressés) au sein des sociétés souvent à l’origine des réformes, le désir d’encourager les investissements de capitaux à grandes échelles, mais aussi et surtout la disparition de préjugés à l’égard des entreprises. Cette nouvelle norme n’était pas sans inconvénients, notamment pour les détenteurs d’actions privilégiées dont les droits de vote s’étaient vus substantiellement limités.

Une tendance inversée qui s’inverse

Par la suite, une nouvelle tendance s’était installée au début du XXe siècle avec l’adoption progressive des structures de gouvernance à deux classes avec l’émergence des actions ordinaires sans droit de vote. L’auteur en veut pour preuve que le nombre croissant de sociétés qui, après 1918, ont émis deux catégories d’actions ordinaires : l’une avec le droit de vote complet sur une base d’un vote par action (généralement destinée aux membres) et l’autre sans aucun droit de vote compensé avec des droits de dividendes plus élevés (généralement destinés au public). Ce type de configuration permettait une importante entrée de fonds sans toutefois soustraire le contrôle de la société à ses fondateurs. Malgré l’intérêt grandissant et surprenant des investisseurs à acquérir des actions sans droits de vote, cette configuration inégale des droits de vote a été fortement contestée dans les années 20 (notamment par le professeur d’économie politique William Z. Ripley). Le New York Stock Exchange (NYSE) s’est alors engagé à abolir cette pratique. Cependant, le projet ne se concrétisera qu’en 1940 avec l’annonce officielle d’une règle uniforme interdisant l’inscription des actions sans droit de vote. Mais, cette interdiction (ainsi que l’opposition menée par Ripley) n’a pas empêché certains géants tels que Ford et Hershey de conserver leur structure de capital à deux classes jusqu’à nos jours. Entre 1988 et 2007, 7 % des entreprises cotées sont restées des entreprises à deux classes affirme Stephen M. Bainbridge.

Et au Canada et au Québec ?

Dès 1945, la famille Molson, à l’origine de la plus vieille brasserie du Canada, a eu recours aux actions subalternes pour faciliter le financement de la société Molson, et ce, tout en conservant son contrôle et son pouvoir décisionnel[2]. Au Canada et au Québec, la structure de capital de classe multiple est aussi très controversée. Les critiques essuyées entre autres par Bombardier et Couche-tard pour la double catégorisation de leurs actions et surtout leurs modèles d’actions multi-votantes en sont la preuve. Toutefois, ces deux entreprises ne sont pas des cas isolés. De plus en plus de fondateurs optent pour un capital-actions à classe multiple, afin de garder le contrôle de leur entreprise. Quelques décisions de justice ont d’ailleurs été rendue en faveur de fondateurs d’entreprise à structure de capital double, telles que dans l’affaire Magna international[3]. Dès la fin du XIXe siècle, les dispositions législatives canadiennes et québécoises sur les sociétés par actions créées par lettres patentes ont exprimé une présomption d’égalité entre les actions du capital-actions. D’abord admise par les décisions des tribunaux britanniques, cette présomption a été acceptée par les tribunaux canadiens. La légalité d’accorder un traitement différent aux actionnaires par le biais de l’émission d’actions privilégiées a été admise au fédéral en 1934 et en 1964 au Québec. Les lois en matière de droit des sociétés (à l’échelle tant canadienne que québécoise) sont dans le même sens. Elles prévoient expressément la possibilité d’avoir des actions privilégiées ou subalternes[4] et de mettre fin à l’égalité entre actionnaires en créant des catégories d’actions auxquelles sont rattachés des droits, des privilèges et des restrictions énoncés dans les statuts[5]. Aussi, ce sont les statuts qui définissent le type d’actions en fonction des droits, des privilèges ou des restrictions attachés aux actions (les catégories). L’article 48 al. 1 LSAQ donne une grande latitude en énonçant ce principe au travers d’une formule souple : « sauf disposition contraire des statuts ». De plus, les alinéas 1 et 2 de l’article 48 LSAQ prévoient des présomptions qui ont pour but d’assurer la conformité des statuts à la LSAQ[6]. En 2013, 77 entreprises canadiennes avec une structure de capital de classe double dont Rogers communication et Teck ressources étaient inscrites à la bourse de Toronto[7].

Une mode assumée !

Malgré les divers débats menés au sujet de la démocratie actionnariale au sein des sociétés, les fondateurs d’entreprises aux États-Unis et au Canada n’hésitent plus à opter pour une structure de capital à double classe.

Ambyr Ladani

Ancienne étudiante du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] J. S. Davis, Essays in the Earlier History of American Corporations, 1912, à la p. 324 tel que cité dans S. M. Bainbridge, « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective ».

[2] S. Ben-Ishai et P. Puri, « Dual Class Shares in Canada: An Historical Analysis », (2006) 29 Dalhousie L.J. 117, aux p. 122 et suiv.

[3] « Magna : la Cour supérieure de l’Ontario rejette l’appel des actionnaires », Lesaffaires.com, 31 août 2010.

[4] Articles 5 5o et 44 LSAQ; et 6, al. 1 c) (i) et 24 (4) a) LCSA.

[5] Article 44 al. 2 LSAQ.

[6] R. Crête et S. Rousseau, Droit des sociétés par actions, Montréal, Les éditions Thémis, 2018, aux p. 242 et s., par. 527 et s.

[7] E. Desrosiers, « Gouvernance : Pas si bête, les actions à votes multiples », ledevoir.com, 16 octobre 2013.

Ce contenu a été mis à jour le 3 octobre 2019 à 12 h 08 min.

Commentaires

2 commentaires pour “Nos étudiants publient. Ambyr Ladani lit Stephen Bainbridge : Capital-actions à classe multiple, pas un accident de l’histoire !”

Jauriac

7 août 2019 à 13 h 12 min

Félicitations Ambyr !

LADANI

2 septembre 2019 à 6 h 51 min

Félicitation frangine. Et du courage pour la suite!

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