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Nos étudiants publient : Culture et modèles de gouvernance de l’entreprise… une proximité sous-estimée ? Une lecture d’Amir Licht (par Camille Lafourcade et Emma Guichard)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Camille Lafourcade et Emma Guichard. Ces dernières reviennent sur les liens entre droit, culture et gouvernance d’entreprise au travers d’une lecture de l’article d’Amir Licht « Culture and Law in Corporate Governance » (European Corporate Governance Institute (ECGI) – Law Working Paper No. 247/2014, 6 mars 2014). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Si de prime abord la culture semble ne présenter aucun lien évident avec le monde des affaires et particulièrement avec la gouvernance d’entreprise, Amir Licht, professeur de droit à la Radzyner Law School en Israël, parvient à nous prouver le contraire dans son article « Culture and Law in Corporate Governance » publié par l’European corporate governance institute (2014).

Aucune analyse des systèmes de gouvernance d’entreprise ne serait pleinement achevée sans prendre en considération le rôle potentiel de l’environnement culturel ! En effet, les orientations culturelles dominantes d’un pays influencent les dirigeants dans le choix des valeurs qu’ils souhaitent promouvoir au sein de leurs entreprises.

Cet article fournit un aperçu des zones d’interactions entre la culture et le droit des sociétés ce qui nous permet d’expliquer l’origine de la diversité des modes de gouvernance d’entreprise. Dans un premier temps, Amir Licht présente les concepts de base de la notion de culture, pour tenter d’en retirer un cadre d’analyse comparatif. Dans un second temps, il cherche à comprendre les effets de la culture sur les modes de gouvernance, par l’entremise de résultats des recherches sur la transpositions des règles légales entre deux pays, les effets de la culture sur les objectifs de l’entreprise, les relations avec les investisseurs et les parties prenantes, la rémunération des dirigeants, ou encore de la composition du conseil d’administration.

 

Concepts de base et théories sur la notion de « culture »

L’auteur revient d’abord sur la notion de « gouvernance d’entreprise » en tant que cadre institutionnel qui régule la division et l’exercice du pouvoir au sein de l’entreprise. Cette notion concerne les relations, souvent contractuelles, entre les parties prenantes de l’entreprise, d’où la métaphore du « réseau de contrats ». Mais d’après Licht, cette vision contractuelle ne tient pas puisque « la gouvernance d’entreprise commence justement là où le contrat finit », c’est-à-dire quand il devient insuffisant, quand l’information est incomplète ou quand son exécution devient impossible. L’asymétrie informationnelle conduit à placer le pouvoir dans les mains d’une seule partie prenante qui peut alors adopter un comportement opportuniste, défini par Oliver Williamson comme « la recherche de l’intérêt personnel par la tromperie »[1]. Pour Ronald Coase au contraire, l’entreprise ressemble plutôt a un « réseau de relations de pouvoir »[2]. Le résultat est que la régulation sociétale de ces relations de pouvoir ne peut être basée uniquement sur des arrangements contractuels et qu’une régulation institutionnelle est absolument cruciale. Par conséquent, pour pouvoir contracter dans un contexte d’asymétrie informationnelle, la société doit mettre en œuvre des moyens de régulation extracontractuels, tels que la loi ou la culture. Selon la définition conceptuelle de l’anthropologiste Clifford Geertz, la « culture » est perçue comme « un système de conceptions héritées exprimées en formes symboliques au moyen desquelles les hommes communiquent, perpétuent et développent leur connaissances et leurs attitudes face à la vie. ». Ces formes symboliques sont les valeurs, les croyances et les normes qui constituent nos cultures. C’est véritablement dans les années 1970, par l’avènement du courant de la « Nouvelle économie institutionnelle » prônant l’utilisation des méthodes économétriques pour analyser les institutions, que la culture est devenue un sujet d’intérêt. Pour Douglass North par exemple, les institutions sociales sont « les règles du jeu » de la société.

 

Amir Licht décrit ensuite le modèle d’Oliver Williamson qui divise les institutions sociales en quatre niveaux, chacun imposant des contraintes sur le développement du niveau inférieur : le niveau 1 représente les institutions informelles c’est-à-dire la culture (normes, habitudes, mœurs, traditions et religion); le niveau 2 comprend les règles légales formelles (constitutions, lois, droits de propriété); le niveau 3 représente la structure de la gouvernance (firmes, réseaux sociaux); et le niveau 4 se concentre sur l’analyse différentielle (allocation des ressources et emplois). L’effet contraignant de la culture résulte de la conviction commune qu’il est dans l’intérêt de chaque partie prenante d’adhérer à des valeurs et croyances partagées jusqu’à ce qu’un choc exogène ne renverse l’équilibre.

 

Mais la culture étant protéiforme, l’inclure dans un cadre d’analyse institutionnelle requiert d’abord que l’on identifie des facteurs de comparaison. Pour cela, la psychologie interculturelle a utilement permis d’établir les profils culturels des sociétés suivant l’importance qu’elles donnent à certaines valeurs. Amir Licht va donc s’appuyer sur les recherches qui comparent les comportements managériaux selon des différences culturelles nationales. L’enquête d’Hofstede (1980) demeure notamment la référence, il y décline la culture en quatre « dimensions » ou « valeurs collectives » : la distance hiérarchique, le contrôle de l’incertitude, l’individualisme et la masculinité. En fonction des indices de chaque dimension, il est possible de dessiner une carte culturelle du monde.

 

Pour finir, Amir Licht porte son regard sur une autre théorie mettant en lien culture et gouvernance, celle du capital social de Coleman et Putnam[3] qui place en son cœur la valeur de la confiance généralisée pour réduire les incertitudes et augmenter la performance économique des entreprises.

 

Conséquences de la culture sur la gouvernance de l’entreprise

Il ressort des propos de l’auteur que la culture en tant qu’institution informelle peut être un élément de réponse aux problèmes de gouvernance d’entreprise. Le cadre d’analyse des dimensions culturelles permet d’ouvrir la « boîte noire » de la culture et de formuler des hypothèses sur les liens entre une certaine orientation culturelle et une problématique ciblée de gouvernance d’entreprise. Par exemple, les entreprises familiales qui respectent la culture du mariage arrangée ont en général un faible niveau de développement économique, ce qui suggère que l’inertie culturelle peut les freiner dans l’adoption d’une organisation économique plus efficace.

 

Selon la théorie managériale de Williamson, culture et loi peuvent interagir dans la mesure où la culture définit des contraintes informelles et fournit les motivations au développement de lois culturellement compatibles. Ainsi, la norme sociale de légalité permet d’assurer que les lois formelles sont suivies, puisqu’elle tire sa force injonctive de sa compatibilité avec certaines valeurs culturelles, notamment celles qui reconnaissent l’égalité morale des individus. De la même façon, la survenance d’un choc exogène peut affecter les orientations culturelles. L’histoire des conquêtes britanniques a par exemple laissé un impact notable sur la culture et le cadre légal des pays concernés, ce qui a rendu ces nations plus réceptives aux mécanismes entrepreneuriaux incertains et ouverts.

 

Il reste que, prisent isolément, ni les classifications légales ni les classifications culturelles ne permettent d’expliquer la diversité des modèles de gouvernance d’entreprise, c’est pourquoi il convient de les combiner. Le mélange des modèles après un choc exogène implique parfois une transposition des règles légales, laquelle peut être soit involontaire en conséquence d’une occupation coloniale par exemple, soit volontaire par la mise en œuvre de mécanismes légaux. L’environnement culturel du pays receveur joue toujours un rôle significatif dans la prise de cette « greffe » et dans la façon dont elle va s’intégrer dans le système juridique de réception.

 

Amir Licht s’interroge par la suite sur les objectifs de l’entreprise, et il semblerait que les juridictions de common law et de droit civil soient souvent caractérisées par une orientation tournée, respectivement, vers les actionnaires et vers les parties prenantes. La culture joue aussi un rôle fondamental dans la façon de mener des relations avec les investisseurs et les actionnaires, car suivant leurs perceptions de l’incertitude, le degré de transparence dans la communication des informations financières va varier d’une entreprise à l’autre.

 

Amir Licht déploie encore de nombreuses autres implications de la culture que nous vous laisserons découvrir. Celle liée à la détermination de la rémunération des dirigeants, qui nous fait nous questionner sur l’existence d’un consensus autour de la notion de paye « juste », ainsi que celle liée à l’influence des institutions informelles (comme la culture), qui contraignent et motivent la formation d’un conseil d’administration en adéquation avec les valeurs et croyances de chaque société, seront particulièrement instructives.

 

Camille Lafourcade

Emma Guichard

Étudiantes du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Oliver E. Williamson, The Economic Institutions of Capitalism: Firms, Markets, Relational Contracting, New York University Press, 1986.

[2]  Ronald Coase, « The Nature of the Firm », Economica, Vol. 4 (16), 386-405 (1937).

[3]  James S. Coleman, « Social Capital in the Creation of Human Capital », 94 AM. J. SOC . S95 (1988); Robert D. Putnam, Making democracy work : civis traditions in modern Italy (1993).

autres publications Nouvelles diverses

Publication du FRC sur les liens entre long-terme et culture

Le FRC vient de publier un intéressant rapport intitulé : « Corporate Culture and the Role of Boards: Report of Observations » (juillet 2016).

Quels sont les enseignements ?

  • Recognise the value of culture: A healthy corporate culture is a valuable asset, a source of competitive advantage and vital to the creation and protection of long-term value. It is the board’s role to determine the purpose of the company and ensure that the company’s values, strategy and business model are aligned to it. Directors should not wait for a crisis before they focus on company culture.
    Demonstrate Leadership: Leaders, in particular the chief executive, must embody the desired culture, embedding this at all levels and in every aspect of the business. Boards have a responsibility to act where leaders do not deliver.
  • Be Open and Accountable: Openness and accountability matter at every level. Good governance means a focus on how this takes place throughout the company and those who act on its behalf. It should be demonstrated in the way the company conducts business and engages with and reports to stakeholders. This involves respecting a wide range of stakeholder interests.
  • Embed and Integrate: The values of the company need to inform the behaviours which are expected of all employees and suppliers. Human resources, internal audit, ethics, compliance, and risk functions should be empowered and resourced to embed values and assess culture effectively. Their voice in the boardroom should be strengthened.
  • Assess, Measure and Engage: Indicators and measures used should be aligned to desired outcomes and material to the business. The board has a responsibility to understand behaviour throughout the company and to challenge where they find misalignment with values or need better information. Boards should devote sufficient resource to evaluating culture and consider how they report on it.
    Align Values and Incentives: The performance management and reward system should support and encourage behaviours consistent with the company’s purpose, values, strategy and business model. The board is responsible for explaining this alignment clearly to shareholders, employees and other stakeholders.
    Exercise Stewardship: Effective stewardship should include engagement about culture and encourage better reporting. Investors should challenge themselves about the behaviours they are encouraging in companies and to reflect on their own culture.

 

Voici le résumé :

 

Today the Financial Reporting Council (FRC) publishes the results of a study, exploring the relationship between corporate culture and long-term business success in the UK. Stakeholders and society in general have a vested interest in healthy corporate values, attitudes and behaviours that lead to sustainable growth and long term economic success.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian