Nouvelles diverses

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Billet d’une auteure invitée : « L’aspect fiscal de l’économie collaborative au Québec » (de Grâce Kengoum)

Le développement des nouvelles technologies, la création des plateformes numériques de communication et l’utilisation d’internet sont autant de facteurs qui ont favorisé l’essor de l’économie collaborative dans la société. On entend par économie collaborative « le partage ou l’échange entre particuliers de biens, de services ou de connaissances, avec ou sans échange d’argent »[1]. Elle est présente dans plusieurs secteurs d’activités dont les plus prisés sont la finance, l’hébergement et le transport. Dans le domaine de la finance, les plateformes mettent en relation des individus qui se mettent ensemble pour financer un projet : c’est le crowdfunding. Les domaines de l’hébergement et du transport restent les plus connus grâce aux plateformes numériques Air bnb et Uber qui permettent à des particuliers de loger et de transporter d’autres particuliers au moyen de leurs biens personnels.

Le principe de fonctionnement de l’économie collaborative brise la conception traditionnelle de l’utilisation capitaliste des biens. Alors que le capitalisme était autrefois basé sur la propriété et l’utilisation privée des biens, l’économie collaborative promeut le service, la maximisation du rendement de ce que l’on possède déjà et l’utilisation de la capacité excédentaire[2]. Il est donc impossible de contester les avantages majeurs que contient cette économie dite « de partage ». En effet, l’on ne peut que féliciter cette initiative qui contribue à la lutte contre la pollution et à la protection de l’environnement. L’économie collaborative permet aux particuliers qui offrent un service ou un bien d’avoir une source de revenus complémentaire et de maximiser l’utilisation d’un bien. Le particulier qui utilise ce bien bénéficie d’une réduction des coûts car l’économie de partage propose des biens et services à des coûts plus faibles que les industries traditionnelles.

Toutefois, comme toutes les nouvelles technologies qui font leur entrée dans des secteurs traditionnels bien établis, le problème de l’encadrement de l’économie collaborative se pose. Les plateformes numériques qui proposent des services dans le domaine du transport (Uber) et de l’hébergement (Air bnb) ne sont pas soumises aux mêmes obligations que l’industrie du taxi et du logement, bien que proposant des activités similaires. Le défi pour les régulateurs consiste en une réglementation équitable qui ne serait toutefois pas trop contraignante, de manière à étouffer l’innovation. Selon Agathe Lehel, une bonne gestion de l’économie collaborative passerait par des règles fiscales plus resserrées[3]. Qui plus est, la perception de l’impôt est importante pour la société car elle permet de consacrer à la société des richesses issues de l’activité économique[4].

Voulant se positionner comme chef de file dans le domaine de l’économie collaborative, le Québec a mis sur pied un Groupe de Travail sur l’Économie Collaborative (GTEC) afin de « déterminer les actions les plus efficaces que peut entreprendre l’État pour intégrer harmonieusement toutes les transformations qu’elle amène »[5]. Ce groupe de travail doit répondre aux nombreux défis fiscaux qu’entraine l’économie collaborative. En effet, une grande méconnaissance des règles fiscales est observée chez les particuliers qui proposent des biens et services sur internet car  ils ignorent qu’ils ont l’obligation de déclarer tous les revenus perçus de leurs activités[6]. La plupart de ces particuliers considèrent que ces sommes sont trop minimes pour être déclarées, ou alors, ils considèrent que ces gains ne constituent qu’un gain « aléatoire » ou « autonome » qui ne peut être déclaré au même titre qu’un salaire fixe. Du côté des encadreurs, le défi est d’informer les utilisateurs de ces plateformes de leurs obligations, et de mettre à jour les règles fiscales qui sont souvent mal adaptées aux innovations technologiques. Il s’agit également pour eux, non seulement de trouver des règles adéquates qui encadrent des fournisseurs étrangers qui ne sont pas assujetties aux règles fiscales[7], mais aussi d’élaborer des moyens adéquats pour effectuer des vérifications et des recouvrements.

Cinq mois après la mise en place du GTEC, un rapport a été promulgué, proposant 12 recommandations afin de mieux contrôler et encadrer le développement de l’économie collaborative[8]. Les recommandations s’articulent autour de trois axes précis qui visent à mieux comprendre, mieux encadrer et mieux accompagner. Sous l’auspice de la compréhension, le GTEC propose de documenter l’économie collaborative et de créer un Chantier de l’économie pour regrouper l’État, les plateformes et les utilisateurs aux fins de discussion. L’encadrement vise à créer un organisme qui aura pour mission d’imposer et de vérifier le respect de certaines obligations fiscales telles que l’obligation de conformité fiscale et l’obligation d’information. D’autres recommandations sont également faites quant à la réglementation en matière de droit du travail et en matière d’hébergement de courte durée. L’accompagnement propose la création d’un secrétariat dont la mission est « d’assurer la mobilisation et la cohérence d’ensemble nécessaires à l’intégration effective de l’économie collaborative au Québec »[9].

L’agence Revenu Québec, responsable de de la perception des impôts et des taxes au Québec s’est également intéressée à la question et plusieurs travaux s’y déroulent dans le domaine de l’économie collaborative. Dans le Plan d’action 2016-2017 de Revenu Québec, les enjeux 1 et 2 prévoient de simplifier les démarches de conformité, de s’assurer de la conformité fiscale volontaire et d’assurer le respect des lois et règlements[10]. Deux ententes de conformité fiscale ont également été négociées avec les entreprises Uber et Air bnb, notamment l’Entente relative aux exigences de conformité fiscale au Québec à l’égard des chauffeurs utilisant les plateformes « uberX », « uberXL » ou « uberSELECT » et l’Entente de conformité fiscale relative à la taxe sur l’hébergement à l’égard des hôtes utilisant la plateforme « Airbnb ». L’adoption du projet de Loi 150 transfère dorénavant à Revenu Québec les pouvoirs d’inspection des établissements d’hébergement touristique[11]. Revenu Québec détient également une équipe chargée de l’étude de l’économie collaborative.

Le Québec n’est pas resté insensible à l’essor de l’économie collaborative et à ses impacts. Plusieurs recommandations sont faites dans le but d’élaborer des règles fiscales et équitables pour encadrer les plateformes numériques et les utilisateurs. Le Québec arrivera-t-il à rattraper les réalités de la technologie dans le domaine de l’économie collaborative?

Mme Grâce Kengoum

Ancienne étudiante du cours DRT-7022 Gouvernance de l’entreprise


[1] Revenu Québec, L’économie de partage, en ligne, https://www.revenuquebec.ca/fr/juste-pour-tous/vous-aider-a-vous-conformer/economie-collaborative/ (consulté le 20-06-2018)

[2] Catherone CHARRON, les Affaires, Restructurer le Québec en trois mois, de la magie?, en ligne, http://www.lesaffaires.com/strategie-d-entreprise/entreprendre/restructurer-la-societe-en-quatre-mois/600648 (consulté le 20-06-2018).

[3] Revenu Québec, L’économie de partage, préc. Note 1.

[4] Gérald FILLION, «Un virus nommé taxe», Radio-Canada, 13 octobre 2017.

[5] Catherone CHARRON, les Affaires, Restructurer le Québec en trois mois, de la magie?, préc. Note 2.

[6] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1, art. 2.

[7] Loi sur la taxe de vente du Québec, RLRQ c T-0.1, art. 23 et 407.

[8] Rapport du groupe de travail sur l’économie collaborative, Juin 2018, en ligne https://www.economie.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/entrepreneuriat/economie_collaborative/rapport_gtec.pdf (consulté le 21-06-2018).

[9] Rapport du groupe de travail sur l’économie collaborative, Juin 2018, préc., note 8.

[10] Revenu Québec, Plan d’action 2016-2017, Direction générale de la législation et du registraire des entreprises.

[11]Revenu Québec, adoption de la Loi 150, en ligne, https://www.newswire.ca/fr/news-releases/hebergement—adoption-du-projet-de-loi-150–revenu-quebec-amorcera-ses-activites-de-sensibilisation-et-dinspection-dans-les-etablissements-dhebergement-touristique-685397731.html (consulté le 21-06-2018)