Nouvelles diverses

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Entrevue avec Benoît Pigé : 5 ans après la publication de son ouvrage

Pour la première fois sur le blogue, nous vous proposons un entretien avec une personnalité de la gouvernance d’entreprise. Cette initiative sera reconduite plusieurs fois dans l’année et entend faire partager des travaux trop rarement diffusés et des visions originales touchant la gouvernance d’entreprise et la responsabilité sociétale.

Aujourd’hui, je vous propose de nous entretenir avec le professeur Benoît Pigé de l’Université  de franche Comté, membre du Laboratoire d’économie et de gestion (LEG). Avec lui, je reviens sur 5 ans après la publication de son ouvrage « Éthique et gouvernance des organisations » (Économica, 2010).

  1. Votre livre a-t-il été bien reçu auprès du public et des spécialistes ?

En fait, ce livre a rencontré très peu d’écho. En étant sévère, je dirai que ce livre n’a rencontré aucun écho qui me soit revenu, et ce blogue est la première réelle manifestation d’intérêt pour les idées développées dans ce livre. 

  1. Les choses ont-elles changé depuis la parution du livre ?

Non, ce livre est structuré en deux parties. La première qui montre la rigueur du raisonnement financier et, en même temps, ses limites dues aux hypothèses que l’on tend souvent à oublier sur la supposée complétude et efficience des marchés. La seconde partie propose de repartir de l’être humain pour fonder un modèle de gouvernance. Le point déterminant, et original, de la thèse qui est défendue dans ce livre est qu’une approche orientée vers les parties prenantes ne peut se faire qu’en intégrant l’exposition au risque des parties prenantes. Alors qu’on considère fictivement que seuls les actionnaires supportent le risque résiduel de l’entreprise, la réalité ne cesse de démontrer que toutes les parties prenantes supportent de façon diverse le risque de l’entreprise. S’intéresser aux parties prenantes suppose de mettre en place une gouvernance qui permette de confronter les attentes et les expositions au risque des diverses parties prenantes pour trouver des solutions qui sont nécessairement des conciliations entre des attentes et des points de vue divers. Mais cette conciliation ne peut pas s’exercer in abstracto, dans le vide, elle se déroule nécessairement dans un environnement normatif (institutionnel) qui est spécifique à chaque communauté, à chaque pays, à chaque territoire. 

  1. La direction des entreprises se montre-t-elle aujourd’hui plus ouverte aux parties prenantes ?

Il est certain que le concept de parties prenantes s’est imposé aux entreprises. Il suffit de lire les rapports de développement durable ou de responsabilité sociale des entreprises pour s’en rendre compte. Mais cette utilisation du concept de parties prenantes est très instrumentale. Elle permet aux entreprises multinationales de montrer qu’elles sont ouvertes sur le monde tout en ayant un outil pour appréhender analytiquement leurs partenaires. Cela ne signifie malheureusement pas que, dans leurs objectifs, elles aient réellement fait passer ces partenaires (ces parties prenantes) du statut de ressources nécessaires à celui de finalités de l’entreprise. 

  1. La gouvernance des entreprises s’est-elle modifiée ou demeure-t-elle ancrée dans une perspective américaine ?

Il me semble que la situation est en train d’évoluer, à la suite notamment des grands drames naturels survenus à Fukushima, dans le golfe du Mexique ou dans les usines de sous-traitants au Bangladesh; à la suite également de l’essor de la dimension écologiste dans les habitudes de consommation des ménages occidentaux. Comme toute situation en voie de modification, il me semble qu’on assiste à une plus grande radicalité dans les comportements, avec certaines entreprises plus que jamais orientées vers la recherche du profit à tout prix, et d’autres entreprises qui essaient de rechercher des voies originales de développement, le tout n’étant évidemment ni linéaire (il peut y avoir simultanément des avancées et des reculades sur cette recherche d’une plus grande intégration de l’économique du social et de l’environnemental) ni manichéen.

  1. Que faudrait-il faire pour aller de l’avant ?

Une solution, sur laquelle je travaille et qui a donné lieu à un programme de recherche déjà bien structuré, porte sur le rôle central du territoire. Parce que le territoire est le lieu où l’être humain s’inscrit dans le réel, s’incarne dans le monde, le territoire est le lieu où les liens, les relations entre l’entreprise et ses parties prenantes, peut s’analyser. 

  1. Comment voyez-vous le futur de l’éthique dans les entreprises ?

Inéluctable, mais en changeant de paradigme. Le paradigme actuel conçoit l’éthique dans une logique purement individuelle: l’être humain est une ressource qu’il faut respecter au même titre que les animaux et notre environnement naturel. Mais, dans cette réflexion, on oublie que l’être humain et aussi un être en société. Il n’est pas possible de séparer l’être humain en tant qu’individu, être biologique et être social (je ne fais que citer Edgard Morin dans son éloge de la complexité).

Pour en savoir plus sur Benoît : cliquez ici.

À la prochaine…

Ivan Tchotourian