Divulgation

Divulgation divulgation extra-financière

Critique du reporting extra-financer français par Nicolas Cuzacq

Dans son dernier article, Nicolas Cuzacq dépeint l’image du reporting extra-financier en France à l’aune d’une nouvelle réforme sur le sujet. Il y explique les changements, mais surtout les nombreux points faibles subsistants qui grèvent le dispositif. Le reporting extra-financier « consiste à mesurer la performance d’une organisation en matière de développement durable, à en communiquer les résultats puis à en rendre compte aux parties prenantes internes et externes ».

Le législateur français est venu modifier les dispositions relatives au reporting extra-financier l’été dernier afin de laisser place à la « déclaration de performance extra-financière ». Ce nouveau vocable vient marquer le désir de changement et de mentalité, même si le concept reste le même. Le reporting devient alors un « outil de pilotage[1] » au service de l’entreprise. Mais l’ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017[2] et son décret d’application n° 2017-1265 du 9 août 2017[3] n’arrivent pas à combler toutes les failles du dispositif antérieur, comme en atteste l’article de Nicolas Cuzacq.

Ce dernier a publié en juin dernier un article intitulé « Le nouveau visage du reporting extra-financier français » au sein de la Revue des sociétés — Dalloz[4]. Il explique que « le droit français contenait certaines scories qui ne sont pas corrigées par la réforme » et que « sur certains points, le nouveau dispositif constitue une régression au regard de l’objectif de comparabilité des entreprises par les consommateurs et les investisseurs et plus généralement par les parties prenantes ».

« Le nouveau dispositif contient de notables régressions qui ont déjà été mentionnées (suppression du reporting par filiale au sein des groupes ; création d’un seuil qui limite l’intervention de l’OTI). Également, il ne corrige pas les lacunes de l’ancien dispositif (absence de renvoi à des indicateurs précis [94] et insuffisance du dispositif d’audit de l’information extra-financière).[5] »

Nicolas Cuzacq développe ensuite son propos en expliquant point par point l’application de la réforme, et les critiques inhérentes à celle-ci. Il explique dans un premier temps, le champ d’application de la réforme : les sociétés cotées, non cotées, les formes sociales concernées, les exemptions, les seuils à respecter… Dans un second temps, il vient apporter un éclairage sur le contenu de l’obligation de reporting. Ainsi, l’entreprise doit communiquer sur de nombreux points : le modèle d’affaires de la société, les principaux risques, la politique de gestion desdits risques par l’entreprise, les items listés ou encore les résultats obtenus.

L’auteur passe ainsi au crible les différentes composantes de la déclaration de performance extra-financière pour en dévoiler les faiblesses et les pistes d’améliorations. À titre d’exemple, Nicolas Cuzacq dénonce la faible importance l’organisme tiers indépendant (ci-après « OIT ») dans le dispositif, notamment au niveau de son champ d’application. Le but de cet OIT est de contrôler la fiabilité d’informations extra-financières émises par les entreprises. Cependant, ce contrôle n’est réservé qu’à un nombre très restreint d’entreprises.

« Manifestement, les pouvoirs publics français ont considéré que peu d’États membres intégreraient un audit extra-financier dans leur législation, au moins à court et moyen terme, et dans ces conditions ils ont réduit le champ d’intervention de l’OTI. Le raisonnement consiste à assimiler l’audit extra-financier à un coût et à aligner, au moins partiellement, le droit français sur celui des autres États membres. Cette logique est aux antipodes de celle qui visait à faire de la France un fer de lance et un modèle en matière de RSE au sein de l’UE.[6] »

C’est cette forme de nivellement par le bas que l’auteur dénonce, où le droit européen et une vision plutôt économique au profit des entreprises priment sur la RSE et le reporting.

« un sentiment de déception l’emporte car le dispositif n’atteint pas son principal objectif à savoir donner une image fidèle de la situation extra-financière des entreprises afin de permettre aux parties prenantes d’intégrer cette information dans leurs arbitrages. L’une des finalités du reporting extra-financier est de permettre aux parties prenantes de valoriser les entreprises vertueuses et de sanctionner les autres. Ainsi, les consommateurs peuvent influer sur la stratégie des entreprises en application de la logique exit or voice d’Hirschman (103). La régulation par le marché, selon la loi économique de l’offre et la demande, ne peut fonctionner que si les agents économiques sont correctement informés.[7] »

« Au final, le reporting extra-financier français et européen est loin d’être inutile, mais il n’atteint pas son principal objectif à savoir la comparabilité des entreprises ainsi que la valorisation des meilleures d’entre elles. Au-delà, le reporting extra-financier renvoie à des théories institutionnelles et sociologiques comme celles de la légitimité (113) et de la redevabilité (114) des grandes entreprises à l’égard de leurs parties prenantes et son cadre à cet égard est également déceptif. L’ordonnance du 19 juillet 2017 et son décret d’application du 9 août 2017 illustrent la volonté de la France de s’aligner sur le droit européen plus que celle de jouer un rôle de fer de lance que la directive du 22 octobre 2014 autorisait. En conséquence, la question doit être posée à l’échelle européenne et il est difficile d’être optimiste sur la capacité de l’UE à améliorer le reporting extra-financier dans le cadre institutionnel actuel. La discussion renvoie à une réforme de l’UE qui suscite aujourd’hui d’intenses et nécessaires débats car le statu quo semble inenvisageable et comme a pu le dire C. Saint-Étienne : « le pire des services à rendre à l’Europe est d’en dire du bien aveuglément comme un cabri européiste » (115).[8] »

Cet article est extrêmement intéressant puisqu’il permet d’une part de voir les faiblesses concrètes et pratiques du reporting en France, mais Nicolas Cuzacq va plus loin. Il met en perspective la déclaration de performance extra-financière quant à ses possibilités, laissant alors entrevoir un véritable outil d’action au service de la régulation du marché, d’une plus grande transparence et de la RSE. Encore faut-il oser franchir le pas… Article à lire donc, pour une plus grande compréhension du reporting extra-financier et de ses possibilités.

 

[1] Nicolas Cuzacq, « Le nouveau visage du reporting extra-financier français » (2018) 6 Revue des sociétés 357, point 44.

[2] Ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017, JO, 21 juillet 2017, 169.

[3] Décret n° 2017-1265 du 9 août 2017, JO 11 août 2017, 25.

[4] Nicolas Cuzacq, supra note 1.

[5] Ibid, point 43.

[6] Ibid, point 35.

[7] Ibid, point 47.

[8] Ibid, point 50.