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Nos étudiants publient. Jérémy Gabin parle beauté et élections au CA avec Renneboog, Geiler et Zhao

Le mot du Professeur Tchotourian.

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par M. Jérémy Gabin. À cette occasion, Jérémy fait une lecture critique de l’article de Renneboog, Geiler et Zhao intitulé « Beauty and Appearance in Corporate Director Elections » (European Corporate Governance Institute (ECGI) – Finance Working Paper Series, No. 537/2017). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.).


Beauté et apparences dans les élections au CA (par Renneboog, Geiler et Zhao)

Si le sujet peut prêter à sourire, l’étude « Beauty and Appearance in Corporate Director Elections » réalisée par Philipp Geiler, Luc Renneboog et Yang Zhao (European Corporate Governance Institute (ECGI) – Finance Working Paper Series, No. 537/2017), apporte de nombreuses pistes de réflexion, révélant autant l’influence de composantes superficielles telles que la beauté dans les élections des administrateurs, que les traits des différents profils d’actionnaires. Le postulat de cette recherche est simple :

« Notre hypothèse de base est que la beauté faciale ne jouerait pas de rôle [dans les élections] parce que les actionnaires qui [(ré-)élisent] les administrateurs peuvent s’appuyer sur des informations concernant leur éducation et leur expérience, ainsi que sur la performance passée de la société, tout ceci étant présenté dans le rapport annuel disponible avant les (ré-)élections ».

Cadre

Cette étude empirique, présentée comme la première en son genre, se base sur un échantillon de 621 élections et réélections survenues au Royaume-Uni entre 1996 et 2007.  Pour chaque administrateur, la photographie fournie dans le rapport annuel a été collectée et soumise à un échantillon d’utilisateurs certifiés du Turc-mécanique d’Amazon[1]. Pour chacune de ces photographies, les répondants ont dû évaluer ce que représentait la personne à leurs yeux, selon 5 critères définis par les analystes : beauté, compétence, capital confiance, sympathie inspirée, et intelligence. Chacun de ces critères, évalués sur une échelle de 1 à 5, propose un profil général de l’individu. Ce résultat est alors mis en relation avec le « dissent vote » de chaque candidat, c’est-à-dire, la somme des votes exprimés contre l’élection et les abstentions. Leur analyse porte sur plusieurs points dans le but d’analyser l’influence de la beauté dans différentes circonstances :

  • Beauté (attractivité) ou compétences ?;
  • Élection d’un homme ou d’une femme;
  • Élection d’un membre exécutif ou d’un membre non exécutif;
  • Élection ou réélection du membre;
  • Composition de l’actionnariat.

Résultats

« Nous trouvons que les administrateurs avec une meilleure apparence (mieux notés), s’en sortent mieux dans les élections des administrateurs, [ainsi] une augmentation de note d’apparence d’un point est associée à une réduction du vote négatif d’environ 6,5% ». Alors, aussi étonnant que cela puisse paraître, la beauté générale influe sur les élections des administrateurs.

Toutefois, il faut noter que la beauté physique, c’est-à-dire l’attractivité pure, n’a aucune influence sur le vote des actionnaires. Ceux-ci se basent essentiellement sur les traits de personnalité qui se dégagent des photographies et notamment le capital. Mais ce qui est d’autant plus intéressant c’est la manière dont l’influence de la beauté varie selon les caractéristiques de l’élection et de l’actionnariat.

Typologie des actionnaires

L’un des paramètres révélateurs est celui de la composition de l’actionnariat. Autrement dit, l’influence de l’apparence dans des sociétés présentant plus ou moins d’investisseurs institutionnels. Les chercheurs remarquent ici que l’apparence est plus déterminante dans les (ré-)élections des sociétés ayant peu d’investisseurs institutionnels. Ainsi l’on pourrait avancer que les « petits porteur » sont moins enclin à effectuer des recherches sur les compétences et les diplômes des administrateurs et se base davantage sur les traits de caractère dégagés par la photographie contenue dans la convocation. Contrairement aux investisseurs institutionnels qui disposent de moyens et de temps pour analyser ces données — car les enjeux ne sont pas les mêmes.

Personnalité des candidats

La beauté n’influe pas en pratique sur l’élection des femmes au conseil d’administration. Une des raisons évoquées à cet égard est que la place des femmes à ce niveau de la direction est un enjeu en lui-même, mais trop peu de candidatures parviennent. Dans certains pays, comme la France, la composition des conseils de sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché est soumise au respect de quotas/ratios[2]. En cas de non-respect des niveaux imposés (40 % en l’occurrence), cela peut même entrainer une suspension du versement de la rémunération.

Paramètres de l’élection

Simultanément, les résultats montrent que l’élection des « executive directors » est plus influencée par l’apparence que celle des administrateurs n’ayant pas de responsabilité (« non-executive directors »). Cette disparité provient probablement du souhait des actionnaires que leur entreprise soit bien représentée dans les relations publiques, avec notamment des administrateurs charismatiques. Par ailleurs, on observe que l’influence de la beauté diffère selon qu’il s’agisse d’une élection ou d’une réélection d’un membre.  L’apparence importe plus dans les cas de réélection, les chercheurs avancent ici que lors des premières élections les actionnaires sont plus favorables à suivre l’avis du comité de nomination. Mais cela pourrait aussi s’expliquer qu’il est plus opportun d’analyser dans sa globalité un candidat lors de sa première élection, que lors de sa réélection qui sera davantage influencée par les résultats passés de l’entreprise.

Parallèle politique

Un parallèle intéressant est celui que l’on peut faire avec le monde politique, où le rôle de la beauté dans les élections est bien plus documenté. Une étude finlandaise de 2010[3], utilisant le même modèle d’analyse, démontre que pour une augmentation d’un point du ratio de beauté les votes pour les parlementaires finlandais peuvent augmenter de 20 %, et de 17 % pour les élections municipales.

Jérémy Gabin

Ancien étudiant du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Amazon Mechanical Turc : plate-forme de crowdsourcing faisant appel à un large panel d’individus pour répondre à certaines questions, ou réaliser des micro-tâches. Dans le cadre de cette enquête seuls les utilisateurs « certifiés » par la plate-forme étaient habilités à répondre : gage de qualité et l’un des nombreux « robustness-test » mis en place.

[2] Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, transposée aux articles L. 225-17 et s. du Code de commerce.

[3] N. Berggren, H. Jordahl et M. Poutvaara (chercheur ayant fourni les questionnaires de cette étude), « The Looks of a Winner: Beauty and Electoral Success », Journal of Public Economics, 2010, vol. 94, no 1-2, p. 8.

Nouvelles diverses Publications travaux des étudiants

Nos étudiants publient. Audrey Houle résume Justin Fox : Pourquoi les CA américains ne comportent pas de salariés ?

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Audrey Houle. À cette occasion, Audrey fait une lecture critique de l’article de Justin Fox intitulé « Why U.S. Corporate Boards Don’t Include Workers » (Bloomberg, 21 août 2018). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

Quelle est la place des salariés sur les CA américains ? En voilà une belle question de gouvernance d’entreprise ! La question a refait surface en août dernier alors que la sénatrice américaine Elizabeth Warren proposait que les entreprises ayant plus d’un milliard de chiffre d’affaires permettent aux employés d’élire 40 % des membres du CA[1]. Le but est de s’éloigner du courant de pensée de la maximisation des avoirs des actionnaires à court terme au détriment des salariés et des objectifs à long terme pour un partage plus élargi des bénéfices[2].

Une question brûlante partout

Le sujet faisait d’ailleurs déjà écho de l’autre côté de l’Atlantique. Theresa May a fait de la représentation des salariés sur les CA anglais une de ses promesses électorales en 2016 alors que le président français Emmanuel Macron envisage actuellement renforcer la présence des salariés dans les conseils d’administration suite à l’échec de la réforme du marché du travail[3]. De son côté, l’Allemagne prévoit une place aux employés sur les CA avec son système dualiste de surveillance adopté dans le Code allemand du Gouvernement d’entreprise en 1976[4]. Les salariés allemands siègent donc sur le conseil de surveillance et ont le pouvoir d’élire une partie des membres du CA[5].

Et aux États-Unis ?

Cette pratique n’a pas toujours été étrangère aux entreprises américaines. Au début des années 1900, les États-Unis avaient des entités qui ressemblaient beaucoup au comité d’entreprise allemand comme des « plans de représentation des employés » ou des « syndicats d’entreprise »[6]. En 1898, la Filene Corporation Association a été une des organisations d’employés pionnière du secteur industriel donnant une voix aux travailleurs leur permettant de gérer leur régime d’assurance santé. L’entreprise Colorado Fuel and Iron Company emboita le pas en 1915 en mettant au point un système de représentation des employés élus suite au « massacre de ludlow » qui fut l’un des conflits entre les salariés et le patronat les plus sanglants de l’histoire des États-Unis[7].

Une raison avant tout politique

Une des raisons qui peut expliquer la dérive de la gouvernance d’entreprises vers le modèle capitaliste que l’on connaît aujourd’hui se trouve dans l’histoire économique et politique américaine. La Grande Dépression des années 30 transformant les profits des entreprises en pertes a remis en question les pratiques de gouvernance d’entreprise priorisant la santé économique des entreprises[8]. Afin d’assurer une certaine protection aux salariés durant cette période difficile, le gouvernement de Franklin D. Roosevelt adopta la National Industrial Recovery Act en 1933 qui a été en vain déclaré inconstitutionnelle par la Cour Suprême quelques années plus tard[9]. Ce n’est qu’en 1937 que la National Labour Relation Act (aujourd’hui connue sous le nom de la National Labour Relation Board) a remplacé l’ancien régime de protection des salariés[10].

Une protection ailleurs

Le droit du travail américain protège les salariés et bon nombre d’entreprises offrent de nos jours des conditions de travail exemplaires, mais c’est en constatant les perversions de la gouvernance d’entreprise comme ce fut le cas dans l’affaire Enron au début des années 2000 que l’idée d’une représentation des salariés au sein des CA émerge. Aujourd’hui, la rareté des syndicats américains (à peine 6.5 % en 2017) rend l’absence de représentation des salariés encore plus critiquable[11].

Performance… et alors !

La littérature évoque que la représentation des salariés au sein des CA peut favoriser la relation entre les deux parties[12]. Toutefois, il n’existe en théorie aucune corrélation entre la performance financière d’une entreprise et la présence de salariés sur le CA[13]. Le modèle de l’Allemagne étant souvent étudié (et valorisé !) n’est pas sans faille. Le récent scandale de Volkswagen démontre que la présence des salariés ne garantit pas nécessairement de bonnes pratiques. Il y a une évidence derrière tout cela : il n’existe aucun modèle parfait de gouvernance d’entreprise. Toutefois, s’éloigner du modèle doctrinal prôné par Milton Friedman[14] (place prépondérante des propriétaires-actionnaires et concentration sur la responsabilité des entreprises de générer des profits) vers des objectifs plus collectifs incluant les différentes parties prenantes favorise le dialogue social et pourrait permettre d’éviter certains scandales. Au Québec, la récente faillite de l’entreprise Sears emportant avec elle les fonds de pensions des salariés alors que, quelques années plus tôt, les actionnaires recevaient des dividendes importants nous rappelle que les québécois bénéficieraient également d’une amélioration du modèle de gouvernance d’entreprise incluant la participation des salariés[15].

Audrey Houle

Ancienne étudiante du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Andrea GARNERO, « What We Do and Don’t Know About Worker Representation on Boards », Harvard Business Review, 6 septembre 2018.

[2] Benjamin SWASEY, « Warren Bill Would Have a Big Corporations’s Employees Elect Nearly Half of Board Membres », Wbur, 15 août 2018 ; Rafaella SADUN, « Worker Representation on Board Won’t Work Without Trust », Harvard Business Review, 17 août 2018.

[3] Andrea GARNERO, « What We Do and Don’t Know About Worker Representation on Boards », Harvard Business Review, 6 septembre 2018.

[4] Justin Fox, « Why U.S. Corporate Boards Don’t Include Workers », Bloomberg, 21 août 2018.

[5] Andrea GARNERO, « What We Do and Don’t Know About Worker Representation on Boards », Harvard Business Review, 6 septembre 2018 ; Rafaella SADUN, « Worker Representation on Board Won’t Work Without Trust », Harvard Business Review, 17 août 2018.

[6] Justin Fox, « Why U.S. Corporate Boards Don’t Include Workers », Bloomberg, 21 août 2018.

[7] Justin Fox, « Why U.S. Corporate Boards Don’t Include Workers », Bloomberg, 21 août 2018.

[8] Justin Fox, « Why U.S. Corporate Boards Don’t Include Workers », Bloomberg, 21 août 2018.

[9] A.L.A. Schechter Poultry Corp. v. United States, 295 US 495.

[10] NATIONAL LABOUR RELATION ACT, Our History.

[11] Justin Fox, « Why U.S. Corporate Boards Don’t Include Workers », Bloomberg, 21 août 2018.

[12] Andrea GARNERO, « What We Do and Don’t Know About Worker Representation on Boards », Harvard Business Review, 6 septembre 2018.

[13] Andrea GARNERO, « What We Do and Don’t Know About Worker Representation on Boards », Harvard Business Review, 6 septembre 2018.

[14] Milton FRIEDMAN, « The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits », The New York Times, 13 septembre 1970.

[15] Sophia HARRIS, « Les retraités de Sears s’attaquent aux milliards versés aux actionnaires », Radio-Canada, 13 février 2018.