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Entreprise à mission : Danone et le projet de loi québécois 797

Nouvelle publication sous ma plume portant sur l’entreprise à mission : « L’entreprise à mission au Québec : Critique du projet de loi no 797 à l’aune de l’affaire Danone » (Wilson & Lafleur, juin 2023). Cet ouvrage est l’occasion de revenir sur l’entreprise à mission, le projet de loi québécois et de mener une étude de terrain autour du cas Danone.

Merci à Irina Parachkévova-Racine, à André Pratte et à Ian B. Lee d’avoir contribué à cet ouvrage par les avant-propos, préface et postface.

  • Pour accéder à la table des matière de cet ouvrage : cliquez ici

Résumé :

En 2021, le Québec a fait entrer l’entreprise à mission sur la scène juridique provinciale. Il rejoint ainsi la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, et d’autres États tels que les États-Unis, la France, l’Angleterre… Avec le projet de loi no 797, Loi modifiant la Loi sur les sociétés par actions afin d’y intégrer l’entreprise à mission, le droit des sociétés par actions fait place à une entreprise lucrative qui allie rendement financier et mission sociale, inspirée de la Benefit Corporation étatsunienne. Dans ce projet, le choix est fait de consacrer une structure spécifique dotée de la personnalité morale. La finalité de l’entreprise, sa gouvernance et sa transparence sont repensées.

Ce projet de loi est innovant, car source d’une salutaire rupture. Au regard des lois adoptées ailleurs, il manque toutefois d’ambition et son contenu doit être bonifié. En outre, la récente polémique autour du groupe Danone illustre les limites de l’entreprise à mission, cette dernière n’étant pas exempte des menaces liées aux logiques de marché. Conseil d’administration et actionnaires sont la pierre angulaire du succès de ce type d’entreprise. Cet ouvrage propose donc plusieurs pistes destinées à améliorer ce projet de loi.

À la prochaine…

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Résolutions climatique : la grande incertitude

Alors que la France vient de faire le choix de rejeter toute initiative législative sur la thématique des résolutions climatiques (dans le but de préserver le pouvoir des actionnaires en ce domaine), l’incertitude demeure donc ! Dans un billet publié sur le site de L’initiative canadienne de droit climatique , j’ai pu résumer les termes du débat : « Incertitudes sur les résolutions climatiques des actionnaires » (5 juin 2023).

Petit extrait :

Le Say on Climate est devenu un objet juridique en débat ! Les résolutions climatiques ont assurément de l’avenir tant les actionnaires manifestent une volonté croissante de voter sur la stratégie climatique, mais leur avenir n’est pas assuré. Vigilance donc… Mark Carney, l’envoyé spécial des Nations Unies pour le financement de l’action climatique, veut pourtant inciter les investisseurs à contraindre les entreprises. Or, comment contraindre les entreprises à soumettre au vote annuel de leurs actionnaires leur stratégie climatique, notamment lorsqu’ils ont déposé une résolution en ce sens ? Faut-il continuer laisser libre le CA de décider d’accepter ou non le Say on Climate ? Le droit en matière de dépôt des résolutions actionnariales devrait-il être retouché ? Au Canada, l’article 137(5) LCSA (et son équivalent au Québec, l’article 200 de la LSAQ) encadre les motifs substantiels de rejet des propositions actionnariales. Si aucun de ces motifs ne vise expressément le climat, quelle va être la position adoptée par les CA des entreprises et banques canadiennes à l’avenir ? Tout comme en France, il est admis de longue date au Canada que la stratégie relève des pouvoirs du CA. Les mêmes difficultés ne risquent-elles pas alors de se produire et de créer des tensions entre le milieu d’affaires et les acteurs de la société civile œuvrant pour une gouvernance de long terme ? Il est plus que nécessaire qu’un dialogue ait lieu entre CA, direction et investisseurs sur cet enjeu, ou qu’une évolution ne s’opère dans la conception du fonctionnement traditionnel des sociétés et de la répartition des pouvoirs… ou encore, qu’une position du législateur ou du régulateur (ACVM, AMF, etc.) soit prise à l’image de l’autorité boursière américaine. Une lutte contre le changement climatique est à ce prix.

À la prochaine…

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OPINION : Les boni de la discorde

Le sujet de la rémunération de la haute direction ne cesse d’animer la gouvernance d’entreprise, encore plus lorsque vient le temps des assemblées annuelles. Cette fois, ce sont les boni (ou primes de rendement) versés aux hauts dirigeants de plusieurs sociétés d’État qui sont pointés du doigt et dénoncés dans la presse[1]. Le sujet a même rebondi à l’Assemblée nationale. Le premier Ministre a pris l’engagement d’y mettre fin, du moins éventuellement[2]. La réaction de la classe politique québécoise illustre le profond malaise existant entre rémunération de la direction et fonds publics.

Raison d’être et objectifs

Les régimes de rémunération sont conçus pour répondre à trois objectifs : attirer le meilleur dirigeant, le fidéliser et l’inciter à avoir le meilleur rendement possible[3]. La rémunération constitue un moyen pour une entreprise de trouver et de conserver l’élément le plus adéquat pour satisfaire ses besoins en compétence. En effet, dans les organisations à vocation commerciale, les motivations intrinsèques occupent une place moindre. La « bonne rémunération » est d’autant plus importante que les hauts dirigeants sont sur un marché des dirigeants et ne sont pas à l’abri d’être courtisés par des sociétés concurrentes. Ce risque permanent conduit les entreprises à devoir toujours réajuster les conditions salariales. Or, comme tout marché, dès lors que la qualité d’un bon dirigeant est perçue comme un avantage concurrentiel, il devient inévitable que les sociétés sont tentées de fixer des barrières aussi élevées que possible à l’entrée du marché des dirigeants pour restreindre autant que possible la capacité de séduction de la concurrence. À cela, s’ajoute une concurrence accrue entre les grandes entreprises du fait de l’internationalisation des marchés. De plus, la rémunération est certes un moyen de récompenser les efforts accomplis, mais elle est aussi un encouragement à travailler toujours plus et mieux. Il ne s’agit pas de demander aux hauts dirigeants de rester dans leur zone de confort en fournissant le minimum, mais bien d’aller chercher au-delà pour faire croitre la prospérité et la productivité de l’entreprise. L’atteinte de paliers ou de seuils corrélée à des objectifs le plus souvent économiques (part de marché, valorisation boursière, chiffre d’affaire, bénéfice) contribue directement à aligner l’arbitrage du dirigeant sur la politique à adopter pour la société sur son augmentation de rémunération. C’est alors le talent de gestionnaires qui est récompensé. Tout cet argumentaire a du sens et a d’ailleurs était récemment utilisé par le P.D.-G. d’Investissement Québec (IQ)[4], mais…

Des dérives

Le niveau de la rémunération des hauts dirigeants agace et crée des crispations dans la société québécoise[5]. Les entreprises ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes : depuis plus d’une quinzaine d’année, force est de constater que le niveau et la composition de la rémunération interrogent. Complexité, tendance haussière, stratégie de légitimation ressemblant à du lavage… sont autant de maux. Au fil du temps, le sacrosaint lien entre rémunération et performance a même été remis en question; les travaux démontrant son incertitude. Les hauts dirigeants sont souvent récompensés lorsque le cours de l’action d’une entreprise grimpe, tandis qu’ils ne sont que rarement sanctionnés lorsque l’action baisse. La multiplication accrue des régimes incitatifs basés sur des mesures particulières de performance et des référentiels assure d’ailleurs aux P.-D.G. des montants supplémentaires dans à peu près toutes les circonstances[6]. Les réalités économiques des entreprises ne sont que trop rarement prises en considération (salaire moyen, bénéfices…) pour fixer la rémunération. Pour les primes au rendement dans les sociétés d’État à visée lucrative, la Vérificatrice générale du Québec avait constaté en 2019 que la rémunération incitative faisait partie intégrante de la rémunération attendue des hauts dirigeants, faisant peu de place à l’évaluation de la performance notamment individuelle[7]. La chance s’avère finalement être le facteur explicatif principal du niveau de rémunération des hauts dirigeants. Les crises économico-financière et la pandémie ont confirmé que les rémunérations échappaient à toute règle logique économique : certaines (rares) ayant disparu, d’autres étant maintenues, d’autres encore étant diminuées ou augmentées. Les rémunérations influencent même certaines stratégies financières (rachat d’actions…), critiquées à juste titre dans la presse spécialisées, qui n’ont pas d’autres justifications que de maintenir un haut niveau de rémunération des dirigeants. Le fameux « pile, je gagne ; face, tu perds » cher à Joseph Stiglits s’applique particulièrement bien à la rémunération des hauts dirigeants. L’application de critères ESG (environnement, social et gouvernance) ou de la responsabilité sociale à la rémunération progresse, mais se fait encore trop attendre en ce domaine, malgré les préconisations de certaines autorités boursières (comme l’AMF France). Les réformes adoptées dans certains pays (tel le vote des actionnaires) ne changent rien à ce phénomène. Alors, pourquoi ce sujet continue-t-il d’irriter autant le Québec ? Pour une raison simple : la rémunération des hauts dirigeants vient ébranler le pacte social. Les différences salariales trop importantes incommodent une partie des Québécois. Comment justifier raisonnablement que certains gagnent en quelques heures ce que d’autres mettent une année à gagner ? L’influence de la pratique des entreprises privées sur celle des entreprises publiques et des organisations proches de l’État se fait de plus en plus ressentir. Or, elle demeure critiquée quand la rémunération des dirigeants est en jeu. D’un enjeu propre à l’entreprise, la rémunération devient un enjeu de société. Équité et justice sociale sont balayées.

Sociétés d’État, CDPQ…

Le sujet de la rémunération est encore plus sensible lorsque ce sont les hauts dirigeants de sociétés d’État (SAQ et Loto-Québec), de la Caisse de dépôt et placement (CDPQ)[8] ou d’IQ qui sont concernés. Les rémunérations de la haute direction confirment le mouvement de convergence qui s’opère depuis près de vingt ans entre entreprises publiques et privées. Toutefois, derrière la SAQ, Loto-Québec, la CDPQ et IQ se dissimule l’État et sa présence change la done. Les sociétés d’État appartiennent à l’État, la CDPQ et IQ sont des organisations constituées par l’État. Cette filiation avec l’État ajoute une dose de complexité à la réflexion : comment espérer atteindre l’équilibre entre objectifs commerciaux et accomplissement d’une mission d’intérêt général ? L’État demeure porteur de politiques publiques et prescripteur de missions de service public, même sur le plan économique (protection des intérêts essentiels de la Nation, protection de la santé et de l’environnement, politique de l’emploi, action sociale, aménagement du territoire, politique des transports, gestion du domaine public…). Or, servir l’intérêt général, dût-il être économique, entraîne des conséquences. La Vérificatrice générale du Québec l’a affirmé en 2019 quand elle a écrit que les rémunérations nécessitaient l’atteinte d’un équilibre fragile[9]. Au-delà des sociétés d’État, c’est la seule présence d’une participation de l’État dans le capital des entreprises qui fait aujourd’hui réagir le citoyen : ce dernier s’estime personnellement propriétaire et actionnaire de celles-ci et doit, à ce titre, contribuer à la rémunération (manque d’encaissement) ou à une perte de l’entreprise (décaissement). Le citoyen a-t-il tort ? Pas sûr…

Des moyens d’encadrement ?

En 2019, la Vérificatrice générale du Québec (ainsi que certaines organisations œuvrant dans le domaine de la gouvernance d’entreprise comme l’IGOPP[10]) a insisté dans ses recommandations sur une remise à plat de pratiques et sur la transparence qui devait régner en matière de rémunération des hauts dirigeants de sociétés d’État à vocation lucrative[11]. Pourtant, la régulation publique doit-elle être pour autant exclue ?  N’est-elle tout simplement pas inexploitée à l’heure actuelle ? La société d’État possède, en effet, un conseil d’administration qui est nommé par le Gouvernement. Or, le conseil est l’entité qui doit donner son accord pour la rémunération des dirigeants. Par conséquent, la réévaluation du rôle du conseil est une piste à explorer. L’État dispose là d’un moyen pour encadrer la rémunération des hauts dirigeants à condition d’instaurer une culture de stratégie et de surveillance de la rémunération. Par ailleurs, les « administrateurs publics » sont soumis « aux normes d’éthique et de déontologie, y compris celles relatives à la rémunération, édictées par règlement du gouvernement », ce qui permet de limiter le risque attaché au phénomène de réseau entre les conseils d’administration et les hautes directions. Mais plus encore, conformément à l’article 27 de Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, le Gouvernement dispose d’un droit de délimiter le rôle du comité des ressources humaines vis-à-vis du conseil d’administration concernant la rémunération du P.-D.G., à « l’intérieur des paramètres fixés ». De manière complémentaire au conseil d’administration, un renforcement de l’implication de l’État québécois dans le processus de détermination de la rémunération doit être sérieusement encouragé. La transparence, au centre de la politique de rémunération au Québec, implique que l’encadrement de la rémunération des dirigeants soit voulu par les actionnaires. Or, l’actionnaire est l’État; sa toute puissant lui donne plein pouvoir sur la direction et sa rémunération. Il est incertain que ces mesures suffisent. Des réformes plus radicales pourraient être adoptées pour que le mécontentement cesse, quitte à être à contre-courant des théories économiques traditionnelles. La France a par exemple plafonné à 450 000 €  (environ 693 000 $), part fixe et variable incluse, la rémunération des dirigeants des entreprises publiques françaises. Pourquoi le Québec ne s’en inspirerait-il pas, au moins pour ses sociétés d’État à vocation commerciale ?

La rémunération des hauts dirigeants des entreprises dans lequel l’État québécois est impliqué a besoin de retrouver un équilibre. Le balancier est clairement en faveur d’une vision de marché, assimilant entreprises privées et publics. C’est ce balancier qu’il faut rééquilibrer au moyen de la régulation publique existante ou à venir. Mais au-delà, il apparaît fondamental que les hauts dirigeants, tout comme les membres des conseils d’administration, des sociétés d’État ou d’organisations comme la CDPQ et IQ n’oublient pas qu’ils demeurent au service de l’intérêt général avant d’être au service d’une logique de marché pensée au travers de profits et de rendements. Telle demeure la raison d’être et les valeurs de ces organisations.


[1] Jean-Michel Genois Gagnon, « La pluie de bonis se poursuit à la SAQ et chez Loto-Québec », Le journal de Québec, 4 mai 2022. Depuis l’année financière 2016-2017, seules quatre sociétés d’État à vocation commerciale sont autorisées à maintenir un programme de rémunération incitative, dont Investissement Québec, Loto-Québec et la SAQ.

[2] « Legault veut la fin des bonis mais justifie le salaire du patron de la CDPQ », La presse, 4 mai 2022; « François Legault prône la fin des bonis, mais pas pour le patron de la Caisse », Radio-Canada, 4mai 2022.

[3] Matthieu Zolomian, La rémunération excessive des dirigeants de sociétés : Identification des difficultés et voies de solution, mémoire de maîtrise, Québec, Faculté de droit, Université Laval, 2008, aux p. 8 et s.

[4] Sylvain Larocque, « Investissement Québec : condamnée à la médiocrité si les bonis sont abandonnés », Le journal de Montréal, 5 mai 2022.

[5] Michel Girard, « J’en ai marre des primes de rendement », Le journal de Montréal, 6 mai 2022.

[6] Sylvie St-Onge et Michel Magnan, « La rémunération des dirigeants : mythes et recommandations », Gestion, 2008, vol. 33, n° 3, p. 25-40, à la p. 32.

[7] Vérificateur général du Québec, « Chapitre 3. Rémunération des hauts dirigeants », dans Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2019-2020, Québec, mai 2019, à la p. 29, par. 100.

[8] Sylvain Larocque, « Le grand patron de la Caisse reçoit une rémunération record », le journal de Montréal, 28 avril 2022.

[9] Vérificateur général du Québec, « Chapitre 3. Rémunération des hauts dirigeants », dans Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2019-2020, Québec, mai 2019, à la p. 3.

[10] François Desjardins, « Il faut plus de transparence sur la rémunération des p.-d.g. de sociétés d’État, affirme l’IGOPP », Le Devoir, 3 octobre 2019.

[11] Vérificateur général du Québec, « Chapitre 3. Rémunération des hauts dirigeants », dans Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2019-2020, Québec, mai 2019.

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OPINION : Nouvelle stratégie pour l’entreprise canadienne responsable : une étape

Le 28 avril 2022, le gouvernement canadien a publié sa nouvelle stratégie quinquennale pour les entreprises exerçant leurs activités à l’étranger. Dénommée Conduite responsable des entreprises à l’étranger : Stratégie du Canada pour l’avenir, cette stratégie établit les priorités du gouvernement fédéral pour soutenir les entreprises canadiennes. Troisième version d’une initiative prise en 2009, cette stratégie est assurément une belle étape de franchie en faveur de l’entreprise responsable, elle impose toutefois de futures initiatives réglementaires.

Une ambition affichée

Les mots de la nouvelle stratégie sont forts et le message envoyé par le gouvernement est porteur d’espoir. Contrairement à sa version précédente, cette stratégie étend sa portée en visant l’ensemble des entreprises canadiennes (peu importe leur taille, leur secteur d’activité ou la portée de leurs activités) et pas uniquement celles du secteur extractif. Le gouvernement souligne que : « La conduire responsable des entreprises est une priorité pour le Canada ». Il attend des entreprises « peu importe leur statut juridique, leur taille, leur propriété ou leur secteur d’activité, qu’elles contribuent au développement durable, tout en évitant les répercussions négatives de leurs opérations et en y remédiant, et qu’elles reconnaissent que les sociétés peuvent tirer parti de leur chaîne d’approvisionnement et de leurs relations commerciales pour promouvoir ces valeurs ». La stratégie se donne les moyens de ses ambitions en prévoyant une vaste panoplie d’actions qui vont de la constitution de groupes ou de forums à l’édiction d’une norme, en passant par l’établissement d’un fonds ou d’un réseau de champions. De manière pertinente, la stratégie « parle » aux entreprises en insistant sur l’atténuation des risques, la réduction des coûts et la facilitation de l’accès au capital qu’offre une conduite responsable. Cette stratégie s’inscrit de plus dans le débat actuel sur la vigilance dont devraient faire preuve les entreprises canadiennes qui déploient leurs activités à l’étranger. La stratégie affirme ainsi qu’une de ses composantes est de mettre l’accent sur la diligence raisonnable et la responsabilisation.

Un nécessaire suivi législatif

La stratégie conserve les défauts de ses prédécesseurs, à savoir son manque de mordants. Toutefois, cette nouvelle mouture ouvre la porte à de possibles futures contraintes. Plusieurs déclarations sont faites en ce sens. À propos de la diligence raisonnable par exemple, la stratégie énonce : « En collaboration l’Office des normes générales du Canada avec d’autres partenaires, et en complément de l’engagement du Canada à adopter une loi pour éliminer le travail forcé des chaînes d’approvisionnement canadiennes, le gouvernement du Canada élaborera une norme de diligence raisonnable en matière de CRE ». « La stratégie – et le plan d’action des activités et des outils clés qui produiront des résultats – complète la législation actuelle et future en matière de CRE dans de nouveaux domaines comme la diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement ». Il faudra donc s’assurer que cette législation future existe.

Ce suivi est particulièrement important dans le contexte canadien. Il existe peu de lois responsabilisant les entreprises par rapport à leurs activités à l’étranger, ni de base législative permettant aux victimes de les poursuivre devant les tribunaux pour leurs inconduites à l’étranger. Dans le contexte de la vigilance, il faut se contenter des règles douanières à l’efficacité incertaine ou de recours à des mécanismes non judiciaires de règlement des différends (PCN et ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises) qui montrent leurs limites et sont peu utilisés dans les faits. Deux projets de loi d’initiative parlementaire sont actuellement débattus. Ils ne doivent pas tomber aux oubliettes comme d’autres avant eux. Le projet de loi C-262 impose aux entreprises opérant à l’étranger une responsabilité de prévenir, de répondre et de réparer leurs effets négatifs sur les droits de l’Homme et l’environnement. De son côté, le projet de loi C-263 entend répondre à la faiblesse des pouvoirs d’enquête de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises.

Le Canada ne doit pas s’arrêter à sa nouvelle stratégie. Les recherches montrent que la responsabilité sociale doit être appuyée par le droit. Si l’ambition de la stratégie est affichée, il faut qu’elle soit assumée dans une prochaine étape. Cela passe par l’adoption de lois contraignantes. C’est à cette condition que la stratégie atteindra ses objectifs et que les entreprises canadiennes seront socialement responsables, loin du simple affichage. Le Québec pourrait d’ailleurs s’inspirer de ce qui se passe à l’échelon fédéral pour chercher à responsabiliser ses entreprises et développer ses propres outils. Pourquoi pas une norme québécoise de vigilance ?…

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OPINION : Taxe carbone, il faut dépasser la logique du prix

Dans Renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre rendu le 25 mars dernier par la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal du pays a tranché : la tarification des gaz à effet de serre (GES) constitue une matière d’intérêt national relevant du pouvoir du Parlement de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada.

Au-delà du droit

Bien qu’interprétant l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, ce jugement dépasse largement le droit. La position de la Cour suprême est tout d’abord porteuse d’une symbolique forte : la question de l’émission de GES est clairement devenue d’intérêt national et l’incapacité provinciale doit être dépassée (par. 190 de la décision). Cette décision de la Cour suprême apporte ensuite un espoir dans la lutte au changement climatique en rappelant la nécessité d’une intervention à large échelle. Cette décision a par ailleurs une valeur politique tant elle place les autorités publiques devant leur responsabilité. Non seulement les conséquences du changement climatique vont se faire ressentir partout au Canada et dans le monde entier, mais encore « [i]l est bien établi que les changements climatiques causent des dommages considérables à l’environnement, à l’économie et aux êtres humains au pays et à l’étranger, et qu’ils ont des répercussions particulièrement sévères dans les régions arctiques et côtières du Canada, ainsi que pour les peuples autochtones » (par. 187 de la décision). Cette décision met enfin fin à certaines croyances, parfois véhiculées par la justice elle-même : celle voulant par exemple que les émissions de GES de chaque province ne causeraient pas de préjudice mesurable ou n’auraient pas de répercussions tangibles sur d’autres provinces (par. 188 de la décision). Le jugement de la Cour suprême donne sa pleine portée à un instrument de régulation, dont on attribue la paternité à l’économiste Pigou, qui peut s’avérer efficace.

Mieux construire la taxe

Pour corriger certaines défaillances du marché engendrées par les entreprises (comme la pollution), l’histoire démontre que l’éthique et le volontariat sont insuffisants. L’État doit intervenir. Si autoriser/interdire est une possibilité, le contrôle de la réglementation reste problématique. L’incitation économique soutenue par l’État, comme la taxe carbone, est une autre avenue. La taxe carbone fonctionne selon un plafond d’émission de polluants fixé par les autorités que les entreprises doivent respecter, sans quoi elles se voient sujettes à payer une taxe. Dans une logique économique, cette taxe agit par les prix afin que les gestes posés par les acteurs du marché prennent en compte la préservation du climat. Pourtant, faire de la taxe carbone un instrument de lutte au changement climatique impose de bien la construire. Le Canada doit d’abord répondre au sentiment d’injustice sociale souvent attachée à la taxe carbone : pénalisation des petites et moyennes entreprises, fardeau plus lourd pour une partie des consommateurs, niveau de taxation souvent trop faible… Mais, un Canada ambitieux doit dépasser cet objectif. Pigou avait cette intuition que la fiscalité incitative permettait d’intervenir en amont des entreprises, en vue de les inciter à prendre en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Par ses règles, une « bonne » taxe carbone devrait donc chercher à modifier les conditions de prise de décision au sein des entreprises. Loin d’être un coût, une telle taxe serait alors perçue comme un outil de transition soutenant une gouvernance d’entreprise responsable qui devient progressivement la norme, poussée par la COVID-19.

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Nouvel ouvrage : The New Corporation: How « Good » Corporations Are Bad for Democracy

Le professeur de UBC Joel Bakan nous gâte avec un nouvel ouvrage intitulé : « The New Corporation: How « Good » Corporations Are Bad for Democracy » (Allen Lane).

Résumé :

From the author of The Corporation: The Pathological Pursuit of Profit and Power comes this deeply informed and unflinching look at the way corporations have slyly rebranded themselves as socially conscious entities ready to tackle society’s problems, while CEO compensation soars, income inequality is at all-time highs, and democracy sits in a
precarious situation.

Over the last decade and a half, business leaders, Silicon Valley executives, and the Davos elite have been calling for a new kind of capitalism. The writing was on the wall. With income inequality soaring, wages stagnating, and a
climate crisis escalating, it was no longer viable to justify harming the environment and ducking taxes in the name of shareholder value. Business leaders realized that to get out in front of these problems, they had to make
social and environmental values the very core of their messaging. Their essential pitch was: Who could be better suited to address major societal issues than efficiently run corporations? There is just one small problem with their
doing well by doing good pitch. Corporations are still, ultimately, answerable to their shareholders, and doing well always comes first.

This essential truth lies at the heart of Joel Bakan’s argument. In lucid and engaging prose, Bakan lays bare a litany of immoral corporate actions and documents corporate power grabs dressed up as social initiatives. He makes
clear the urgency of the problem of the corporatization of society itself and shows how people are fighting back and making gains on a grassroots level.

À la prochaine…

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Nouvel ouvrage : The accountability of transnational corporations for the adverse impacts of their business activities

Mme Adeline Michoud vient de publier sa thèse chez Schulthess Verlag dans la collection Genevoise sous le titre : « The accountability of transnational corporations for the adverse impacts of their business activities: an international and comparative law study ». Nul doute que cet ouvrage intéressera nos lectrices et lecteurs du blogue !

Résumé :

In the last decades, transnational corporate activities have given rise to serious human rights abuses. In this doctoral thesis, the author provides an exhaustive account of the obstacles preventing the implementation of an effective corporate social responsibility system. The first chapter analyses the mechanisms developed in public international law to introduce corporate regulation. The second chapter explains the inadequacies of both American and European private international law systems to receive victims’ claims. Finally, the third chapter elaborates a comparative study of the different national law mechanisms to establish the responsibility of transnational corporations. The present book is addressed to all lawyers and more generally to all readers interested in the question of business and human rights.

À la prochaine…