Responsabilité sociale des entreprises

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Vers un capitalisme des parties prenantes

Klaus Schwab (fondateur et le président exécutif du Forum économique mondial, dit Forum de Davos) vient de publier une belle tribune dans FigaroVox : « La crise économique liée au Covid-19: une épreuve de vérité pour les principes qui guident les dirigeants des grandes entreprises » (26 mars 2020).

Extrait :

Alors que l’urgence sanitaire mondiale Covid-19 se poursuit, les retombées économiques se multiplient. La croissance économique mondiale s’est inversée, les entreprises ont commencé à annuler les services qu’elles assurent à leurs clients et des millions de personnes sont au chômage technique ou licenciées. On peut se demander ce qu’est devenu le «capitalisme des parties prenantes» [capitalisme inclusif, NDLR], le modèle économique éclairé auquel de nombreuses entreprises ont adhéré il y a quelques mois à peine. Comment peut-on le rapprocher de ce que nous voyons aujourd’hui?

Avant de répondre à cette question, rappelons ce qu’est le «capitalisme des parties prenantes»: il s’agit d’assurer la préservation et la résilience à long terme de l’entreprise, et son ancrage dans la société. De ce point de vue, une crise économique à court terme, comme celle déclenchée par le Covid-19, permet de distinguer les entreprises qui incarnent véritablement le «modèle des parties prenantes» de celles qui ne lui ont accordé qu’un intérêt de pure forme, tout en conservant fondamentalement une orientation de profit à court terme.Une organisation orientée vers les parties prenantes s’efforcerait de maintenir ses compétences de base.

Cela s’applique à toutes les organisations. Le Forum Économique Mondial est lui aussi confronté à la question de savoir quoi faire des équipes qui sont temporairement «en chômage technique» en raison de l’annulation d’événements physiques. Une organisation orientée vers les actionnaires réduirait immédiatement ses effectifs, afin de maintenir la rentabilité à court terme. Mais une organisation orientée vers les parties prenantes s’efforcerait de maintenir ses compétences de base, de conserver ses talents et d’accepter les coûts à court terme pour préserver sa résilience à long terme.

Nous avons la chance de pouvoir choisir cette dernière voie. Pendant de nombreuses années en tant que fondateur et président exécutif du Forum Économique Mondial, ni moi ni les autres membres du conseil d’administration n’avons demandé ou reçu une augmentation de salaire ou une prime à court terme basée sur les performances, malgré une augmentation constante de la taille et des revenus de l’organisation. D’ailleurs, le Forum Économique Mondial a supprimé les bonus il y a deux ans. Les salariés doivent être motivés par l’objectif et non par l’argent.

Cette approche fait que notre organisation n’est pas obligée de recourir à des licenciements immédiats ou de diminuer son offre à ses membres. Au contraire, ces dernières semaines, nous avons mis en place une offre virtuelle, et nous avons réuni nos partenaires mondiaux pour des réunions et des échanges de bonnes pratiques au sujet du Covid-19. Nous avons aussi mis en place un groupe de travail pour soutenir la réponse sanitaire de l’Organisation mondiale de la santé et pour aider à assurer la continuité des activités tout en protégeant les vies et les moyens de subsistance des salariés.

Il en va de même ailleurs. La crise du Covid-19 révèle ceux qui ne pratiquent pas le «capitalisme des parties prenantes» tout en faisant mine de l’approuver. Bien sûr, presque toutes les entreprises mondiales sont profondément secouées par le Covid-19, et beaucoup ont dû recourir à des mesures très douloureuses, sans que ce soit de leur faute. Mais les différences entre les entreprises qui ont réellement orienté leur activité vers le modèle des parties prenantes et celles qui avaient un modèle d’actionnariat à court terme sont parfois frappantes.

Certaines entreprises ont utilisé leurs bénéfices croissants des années précédentes pour mener des programmes de rachat d’actions importants. Cela a stimulé leur rentabilité à court terme et augmenté artificiellement les bonus distribués aux cadres. Mais, confrontées au manque de réserves ou d’investissements stratégiques, nombre de ces entreprises sont aujourd’hui les premières à souffrir, incapables de redresser la situation sans intervention du gouvernement. En revanche, les entreprises qui ont utilisé leurs bénéfices pour investir dans la transformation numérique, le talent et la recherche et développement font souvent preuve d’une capacité de réaction qui fait défaut aux autres.De nombreuses entreprises qui ont adopté le modèle des parties prenantes ont déjà réagi en offrant leur aide pendant cette crise.

Ces dernières semaines, certaines entreprises ont continué à annoncer des bonus record pour leur PDG, calculés sur la rentabilité et le cours des actions de l’année fiscale 2019. Leurs clients et leurs salariés, dont beaucoup souffrent, n’oublieront pas des décisions aussi éloignées de la réalité qu’ils vivent. En revanche, le Directeur général de Marriot, Arne Sorenson, dont l’entreprise et les salariés ont été sévèrement touchés, a annoncé que le président et lui ne toucheraient aucun salaire en 2020 et réduiraient de moitié la rémunération de l’équipe dirigeante. Ainsi a-t-il illustré la capacité de son entreprise à faire corps avec ses salariés et les sociétés où elle opère.

Enfin, de nombreuses entreprises qui ont adopté le modèle des parties prenantes ont déjà réagi en offrant leur aide pendant cette crise. Unilever, qui est un champion du modèle des parties prenantes depuis le mandat de Paul Polman, a annoncé le 23 mars un don immédiat de 50 millions de dollars en savon à la plateforme d’action Covid qui a été mise en place en réponse à l’urgence sanitaire mondiale. Le géant du transport maritime Maersk offre ses navires et son espace de chargement pour acheminer des fournitures d’urgence partout où elles sont nécessaires dans le monde.

Ces entreprises comprennent qu’une urgence sanitaire mondiale comme celle du Covid-19 exige que tous les acteurs de la société se réorientent temporairement vers l’urgence, et elles ont l’agilité et la préparation nécessaires pour le faire. Ce n’est pas une coïncidence. Ce sont les mêmes entreprises qui ont optimisé la prospérité à long terme et cultivé le capitalisme des actionnaires. Pendant cette période, et lorsque tout cela sera terminé, nous devons soutenir ces entreprises. Elles mettent en œuvre le modèle économique qui nous permettra de survivre aujourd’hui et de prospérer à nouveau demain.

À la prochaine…