Responsabilité sociale des entreprises

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Une publication de l’équipe sur les entreprises à mission

Nouvelle publication sur l’entreprise à mission sociétale dans la revue Vie & sciences de l’entreprise 2019/2 (N° 208) sous le titre : « Entreprises à mission sociétale : regard de juristes sur une institutionnalisation de la RSE ».

Merci à Margaux d’avoir partagé la plume…

Résumé :

L’évolution actuelle du droit des affaires démontre une influence considérable de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) dans la gouvernance des sociétés. Suite à de nombreux scandales d’envergure internationale, le choix de la RSE se dessine désormais comme un incontournable pour les entrepreneurs d’aujourd’hui et de demain. Le droit traduit cette nouvelle orientation du système économique au travers de l’évolution combinée du droit dur et du droit souple. L’émergence depuis plusieurs années d’entreprises à mission sociétale en constitue une illustration marquante. Toutefois, le risque d’aboutir à une RSE sans contenu est présent, comme l’illustre la thématique connue de « l’écoblanchiment ». Pour y faire face, le droit a passé la vitesse supérieure avec la récente réforme française portée par le projet de loi PACTE. Ces nouveaux mécanismes, souvent salués et parfois institutionnalisés, posent tout de même la question de l’efficacité pour la RSE d’irriguer la sphère économique, de savoir si le droit se construit de la bonne manière et, finalement, de déterminer si cette finance sociale est une réelle opportunité d’appropriation sociétale pour ces organisations qualifiées d’hybrides.

À la prochaine…

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Entreprises à mission : le paradoxe européen

Depuis quelques mois, le projet de loi PACTE entrepris par le gouvernement français pour repenser l’entreprise et sa finalité anime l’actualité juridique. Alors que cette initiative s’inscrit dans un mouvement déjà bien amorcé d’une responsabilisation du monde des affaires, l’entreprise commerciale à vocation sociale semble avoir montré ses limites en Belgique.

 

La France : vers la consécration légale de la mission sociale de l’entreprise

 

Au mois d’octobre 2017, le ministre de l’Économie Bruno Lemaire a lancé le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) avec pour objectif de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois[1]. Le processus, qui a fait notamment appel à une consultation publique, aboutira à un projet de loi qui sera présenté au Conseil des Ministres au mois de juin 2018. Au sein de ce projet, la réécriture des articles 1832 et 1833 du Code civil est envisagée dans le but de repenser la finalité de l’entreprise pour l’orienter vers des considérations extrafinancières. Défendue depuis plusieurs années par des chercheurs de MINES ParisTech[2], cette ouverture du monde des affaires à des considérations de plus en plus éthiques soulève pourtant quelques problématiques juridiques. En effet, ce nouvel encadrement du droit des sociétés aurait pour conséquence de permettre à des entrepreneurs d’inscrire une mission sociale dans leurs statuts. Cela s’est déjà fortement illustré dans plusieurs pays, comme les États-Unis avec la benefit corporation ou encore le Royaume-Uni avec la community interest company.

 

Les aspects de cette réforme sont abordés dans le rapport rédigé par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat et remis aux ministres Bruno Le Maire, Nicolas Hulot, Nicole Pénicaud et Nicolle Belloubet. Ainsi, la reconnaissance de l’entreprise à mission, selon les recommandations du rapport, serait soumise à quatre conditions :

  • l’inscription de la raison d’être de l’entreprise dans ses statuts ;
  • l’existence d’un comité d’impact doté de moyens, éventuellement composé de parties prenantes ;
  • la mesure par un tiers et la reddition publique par les organes de gouvernance du respect de la raison d’être inscrite dans les statuts ;
  • la publication d’une déclaration de performance extra-financière comme les sociétés de plus de 500 salariés[3].

 

Premier constat : la présence des parties prenantes au comité d’impact ne serait qu’optionnelle. De plus, le même rapport ne fait mention d’aucune responsabilité supplémentaire pour les administrateurs et les dirigeants d’entreprises à mission. Bien que le projet n’ait pas encore été rendu public, il semblerait que le gouvernement n’ait pas suivi toutes ces recommandations et que le Code civil ne subisse pas des changements aussi profonds que ceux proposés[4].

 

Pour autant, cette évolution s’inscrit dans un phénomène global de responsabilisation des entreprises. Les patrons semblent séduits par cette initiative[5] alors que ce changement de législation est parfois perçu comme trop contraignant par les investisseurs internationaux[6].

 

La Belgique : le choix de la simplification du droit des sociétés  

 

De l’autre côté de la frontière, la Belgique a longtemps été considérée comme un chef de fil dans le domaine des entreprises sociales. En créant dès 1995 la « Société à finalité sociale » (ci-après « SFS »), elle a fait preuve d’innovation dans le secteur des entreprises aux vocations nouvelles. Plutôt qu’une forme spécifique de société, le législateur a plutôt prévu une modalité permettant aux sociétés commerciales d’inscrire une mission sociale dans leurs statuts. Or, sa nécessité est aujourd’hui remise en cause. Plus de vingt ans après sa consécration, la SFS ne témoigne pas du succès espéré.

« En pratique, on a pu constater que ce statut n’a pas eu le succès escompté. Le secteur de l’économie sociale relève en effet un échec quantitatif (fin 2005, on en dénombrait moins de 400 SFS) et un échec qualitatif (la SFS reprend plus ou moins bien les valeurs de l’économie sociale sans apporter d’avantage particulier ni de dynamique d’entrepreuneriat). En effet, pour une ASBL, opter pour une transformation en SFS pourrait être un moyen de développer son activité marchande de manière illimitée tout en préservant sa finalité désintéressée. Néanmoins, en ce qui concerne l’accès aux aides publiques, même si certaines incertitudes subsistent, on peut affirmer ce qui suit : les programmes fédéraux de réduction de cotisations sociales patronales sont pour la plupart accessibles aux ASBL comme aux SFS ; seules les SFS pourront prétendre à l’octroi des aides liées aux lois d’expansion économique – les ASBL en sont clairement exclues ; la possibilité d’engager des travailleurs dans le cadre des « programmes de résorption du chômage » est réduite pour les SFS. »[7]

 

Depuis 2015, plusieurs discussions ont mené le droit des sociétés belges vers une réforme d’envergure[8]. Celle-ci passerait par la suppression des SFS. Derrière cette initiative, c’est une volonté de « simplification » qui guide le législateur belge. Le but du projet de loi est en effet de réduire les formes d’entreprises au nombre de quatre. Par ce biais, les associations pourraient exercer une activité commerciale (sous certaines restrictions). Le droit des sociétés belge prendrait exemple sur le modèle allemand, selon lequel « toutes sociétés qui adoptent une forme juridique et bénéficient de la personnalité morale obtiendrait, quel que soit leur objet, un caractère commercial par leur forme et seraient par conséquent intégralement soumises au droit commercial »[9].

 

Conclusion

 

À l’heure actuelle, les législateurs de nombreux pays ont fait le choix de consacrer cette nouvelle forme juridique d’entreprise à mission. Aux États-Unis, depuis les années 2010, le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur jusqu’à séduire de grandes entreprises multinationales à l’image de Danone, dernière en date à avoir franchi le pas et qui progresse dans la mise en œuvre de sa stratégie de finance sociale, comme sa récente émission d’une obligation à impact social d’une valeur de 300 millions d’euros.

 

Pour autant, le paradoxe européen actuel semble montrer les limites de certaines structures juridiques de la finance sociale. Un des véhicules privilégiés de ce secteur repose inévitablement sur les entreprises dont le profit n’est plus leur seule vocation. Alors que la France entend poursuivre la conscientisation du monde des affaires qu’elle a débutée dès le début des années 2000, la Belgique recul à grand pas, après plus de vint ans d’expérimentation dans le domaine. Point intéressant, l’entreprise française CAMIF a inscrit sa mission sociale dans ses statuts, et ce, bien avant que le projet de loi n’ait même été rédigé[10]. Il ne reste donc plus qu’à attendre l’imminente présentation du projet de loi français pour en apprendre davantage sur l’avenir des entreprises à mission.

 

[1] LE PORTAIL DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES, DE L’ACTION ET DES COMPTES PUBLICS, Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), 7 novembre 2011, en ligne : https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte

[2] SEGRESTIN B., K. LEVILLAIN, S. VERNAC et A. HATCHUEL, La « société à objet social étendu » Un nouveau statut pour l’entreprise, Presses des Mines, Coll. Économie et gestion, Paris, 2015.

[3] NOTAT N. et J.-D. SENARD, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, Rapport aux Ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Économie et des Finances, 9 mars 2018, à la p. 8.

[4] ALEMAGNA L., « Responsabilité sociale et écolo : un projet de loi décroissant », Libération, 2 avril 2018, en ligne : http://www.liberation.fr/france/2018/04/02/responsabilite-sociale-et-ecolo-un-projet-de-loi-decroissant_1640595 (consulté le 24 avril 2018).

[5] Selon une étude menée par le cabinet Prophil, 70% des dirigeants français souhaitent la mise en place d’un cadre juridique et fiscal spécifique, voir : NOVETHIC, « Loi PACTE : le statut « entreprises à mission » plaît aux patrons », 23 février 2018, en ligne : http://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/isr-rse/les-entreprises-a-mission-le-modele-qui-seduit-de-plus-en-plus-de-patrons-francais-145465.html (consulté le 29 mars 2018).

[6] BELLAN M. « La redéfinition du rôle de l’entreprise ne fait pas l’unanimité au sein du gouvernement », Les Échos, 5 janvier 2018, en ligne : https://www.lesechos.fr/economie-france/social/0301102456759-la-redefinition-du-role-de-lentreprise-ne-fait-pas-lunanimite-au-sein-du-gouvernement-2142610.php#formulaire_enrichi::bouton_google_inscription_article (consulté le 29 mars 2018).

[7] Centre d’économie sociale, « Société à finalité sociale », 20 décembre 2017, en ligne : http://www.ces.uliege.be/societe-a-finalite-sociale-sfs/ (consulté le 30 mars 2018).

[8] Proposé par le ministre de la justice Koen Greens, l’avant projet de loi introduisant le Code des sociétés et des associations a été approuvé par le Conseil des Ministres le 20 juillet 2017 : Sarah DELFORTIE et Christophe SPRINGEAL, Réforme du doit des sociétés, Communiqué de presse du Conseil des ministres du 20 juillet 2017, Direction générale Communication externe, Bruxelles, 2017, en ligne : http://www.presscenter.org/fr/pressrelease/20170720/reforme-du-droit-des-societes (consulté le 15 janvier 2018).

[9] CENTRE BELGE DU DROIT DES SOCIÉTÉS, Un code moderne des sociétés et des associations, Mémorandum adressé au Ministre de la Justice, Juillet 2015, en ligne : http://www.bcv-cds.be/files/bcv_nota_minister_justitie_fr_20151002.pdf (consulté le 15 janvier 2018), à la p. 5.

[10] FRACHET S., « La Camif se fixe une «“mission élargie” », Les Echos, 13 février 2018, en ligne : https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/0301293986117-la-camif-se-fixe-une-mission-elargie-2153355.php (consulté le 10 avril 2018).