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Étude de l’UE sur les devoirs des administrateurs : une gouvernance loin d’être durable !

Belle étude qu’offre l’Union européenne sur les devoirs des administrateurs et la perspective de long-terme : « Study on directors’ duties and sustainable corporate governance » (29 juillet 2020). Ce rapport document le court-termisme de la gestion des entreprises en Europe. En lisant les grandes lignes de ce rapport, on se rend compte d’une chose : on est loin du compte et la RSE n’est pas encore suffisamment concrétisée…

Résumé :

L’accent mis par les instances décisionnelles au sein des entreprises sur la maximisation à court terme du profit réalisé par les parties prenantes, au détriment de l’intérêt à long terme de l’entreprise, porte atteinte, à long terme, à la durabilité des entreprises européennes, tant sous l’angle économique, qu’environnemental et social.
L’objectif de cette étude est d’évaluer les causes du « court-termisme » dans la gouvernance d’entreprise, qu’elles aient trait aux actuelles pratiques de marché et/ou à des dispositions réglementaires, et d’identifier d’éventuelles solutions au niveau de l’UE, notamment en vue de contribuer à la réalisation des Objectifs de Développement Durable fixés par l’Organisation des Nations Unies et des objectifs de l’accord de Paris en matière de changement climatique.
L’étude porte principalement sur les problématiques participant au « court-termisme » en matière de droit des sociétés et de gouvernance d’entreprises, lesquelles problématiques ayant été catégorisées autour de sept facteurs, recouvrant des aspects tels que les devoirs des administrateurs et leur application, la rémunération et la composition du Conseil d’administration, la durabilité dans la stratégie d’entreprise et l’implication des parties prenantes.
L’étude suggère qu’une éventuelle action future de l’UE dans le domaine du droit des sociétés et de gouvernance d’entreprise devrait poursuivre l’objectif général de favoriser une gouvernance d’entreprise plus durable et de contribuer à une plus grande responsabilisation des entreprises en matière de création de valeur durable. C’est pourquoi, pour chaque facteur, des options alternatives, caractérisées par un niveau croissant d’intervention réglementaire, ont été évaluées par rapport au scénario de base (pas de changement de politique).

Pour un commentaire, voir ce billet du Board Agenda : « EU urges firms to focus on long-term strategy over short-term goals » (3 août 2020).

À la prochaine…

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Fraudes financières et dirigeants : quelles leçons ?

Bien que cet article date de 2010, je le relaie sur le blogue tant il touche en plein coeur notre problématique : D. Cormier et M. Magnan, « Fraudes financières et dirigeants d’entreprise : les leçons à tirer » (Gestion, 7 juin 2010).

Extrait :

Les leçons à tirer

Quelles leçons peut-on tirer des cas de dirigeants accusés d’une fraude financière ou comptable et, de manière plus générale, du fait que cette fraude comporte des motifs irrationnels?

S’il ne faut pas dénigrer le succès, il faut aussi être conscient que celui-ci n’est pas éternel et qu’il peut contenir en germe l’échec. Nous insistons ici sur les leçons à tirer pour les principaux responsables du maintien de l’intégrité des marchés financiers, soit les conseils d’administration, les organismes de réglementation et les auditeurs, de même que pour les analystes financiers, les journalistes et les autres vigies de marché (…).

Le conseil d’administration

Le cas de Cinar, ainsi que plusieurs autres cas de fraude émanant de la direction de l’entreprise, illustre le bien-fondé de plusieurs pratiques de bonne gouvernance qui ont émergé ces dernières années afin de mieux équilibrer le pouvoir au sein des conseils d’administration. Ainsi, il importe de séparer les rôles de président du conseil et de P.D.G. (Micheline Charest cumulait les deux fonctions). En outre, il faut réduire le nombre d’administrateurs qui sont aussi dirigeants ou employés, le seul administrateur ultimement accepté étant le P.D.G. (outre le couple Charest-Weinberg, le conseil de Cinar comptait deux vice-présidents qui relevaient d’eux directement). De même, on doit s’assurer que le conseil compte sur l’expertise nécessaire afin de bien suivre les actions et les décisions de la direction.

Par ailleurs, il est important que le conseil d’administration rencontre régulièrement les membres de l’équipe de direction sans la présence du P.D.G. afin de prendre le pouls du climat organisationnel et de l’attitude du P.D.G., de mettre à jour régulièrement le plan de relève, d’établir des liens de confiance avec les membres de l’équipe et de vérifier que l’équipe de direction est au fait de la stratégie de l’entreprise et de sa mise en œuvre. Un P.D.G. fort, compétent et honnête ne devrait pas craindre cette pratique.

Le conseil d’administration doit également prêter attention à la manière dont les stratégies, les projets ou les plans d’action sont présentés, documentés et défendus. Poser des questions devient impératif lorsqu’on constate des incohérences dans les états financiers ou entre le discours et la réalité projetée par les indicateurs financiers et non financiers. Il doit également s’assurer que l’organisation se dote d’une politique en matière d’intégrité et d’éthique, que des mécanismes de communication sont mis en place pour que le personnel puisse faire part de ses préoccupations et que l’audit interne soit dévolu à des personnes compétentes et en lien direct avec le conseil. Il serait douteux que tous les faits rapportés dans la saga de Cinar soient passés inaperçus.

Enfin, le conseil d’administration doit se méfier des P.D.G. -vedettes. Les résultats de recherche à leur égard indiquent clairement que leur performance réelle est souvent médiocre, ce qui rend d’autant plus forte la tentation de frauder (pensons à Al Dunlap, ancien P.D.G. de Sunbeam, qui est arrivé auréolé de gloire à la direction de cette entreprise pour la quitter avec de nombreuses accusations de fraude pesant sur lui)18.

Les auditeurs

Les auditeurs ou les vérificateurs de Cinar, un cabinet international, ne semblent pas avoir vu venir les coups. Un autre cabinet a rapidement été engagé pour enquêter sur les diverses allégations de fraude et de nouveaux auditeurs ont été retenus par le conseil d’administration à la suite de la démission du couple Charest-Weinberg. La saga de Cinar confirme le diagnostic de Jamal (2008) que la fraude est le talon d’Achille de la profession comptable, car les attentes des investisseurs et du public dépassent nettement les responsabilités des auditeurs à l’égard de la détection de la fraude19.

De fait, selon un sondage réalisé par KPMG en 2002, moins de 3 % des fraudes sont découvertes par les auditeurs. Dans ces conditions, Salterio (2008) insiste sur l’importance d’adopter une approche beaucoup plus dynamique de détection de la fraude (et peut-être de la prévention, quoique cela aille au-delà des responsabilités actuelles des auditeurs).

Outre cette limite, la nature même de plusieurs fraudes remet en question la «rationalité» des dirigeants qui y sont impliqués. En effet, l’approche traditionnelle de détection des fraudes repose sur la rationalité des dirigeants. Or, les risques assumés par la plupart des dirigeants impliqués dans des fraudes comptables ou financières dépassaient largement les gains qu’ils ont pu réaliser, ce qui traduit probablement leur sentiment d’invulnérabilité. Les cas de Drabinsky (Livent), de Black (Hollinger) et de Charest en sont de bons exemples.

Par conséquent, les auditeurs doivent également s’attarder au processus de prise de décision stratégique d’une entreprise, une trop grande centralisation sans documentation valide ou indépendante devenant un facteur de risque. Ils doivent aussi élargir leur grille d’analyse de la fraude pour y intégrer des aspects comportementaux de la direction, lesquels incluront des entrevues avec les principaux intéressés et leurs collaborateurs, ainsi que certaines dimensions de la culture organisationnelle reflétant un mépris de l’éthique.

Enfin, les déclarations publiques de dirigeants ainsi que la couverture médiatique les entourant sont extrêmement importantes pour mieux dresser leur profil de même que le contexte de gestion. Il s’agit ici d’examiner l’adéquation entre l’image projetée à l’extérieur et la réalité organisationnelle : plus l’écart entre les deux est grand, plus le risque est grand.

Les autorités de réglementation

Le rôle des autorités de réglementation est très exigeant. En effet, la surveillance de milliers d’individus (initiés, personnes autorisées, etc.) et de sociétés cotées en Bourse n’est pas une mince tâche. D’une part, elles jouent un rôle réactif et se doivent d’agir avec célérité si des plaintes ou des doutes leur parviennent. Elles doivent pour cela pouvoir compter sur un service d’analyse et d’enquête compétent et efficace. D’autre part, elles doivent être proactives afin de s’assurer que les instances de gouvernance des sociétés cotées jouent leur rôle et qu’une information financière fiable est communiquée au public à temps.

Compte tenu du fait que les états financiers, même manipulés, peuvent receler certains indices de fraude, une analyse continue des informations financières communiquées par les entreprises s’avère nécessaire. En ce sens, l’évolution vers une plate-forme unique d’informations où les données financières sont comparables entre entreprises et secteurs d’activités (XBRL) peut faciliter la vigie20.

Les analystes financiers, les journalistes et les autres vigies du marché

Dans le cas de Cinar, alors que le bénéfice grimpait de 3,4 millions à 21,8 millions de dollars entre 1994 et 1998, son flux de trésorerie généré par l’exploitation (cash flow, ou les sommes reçues des clients moins les sommes versées aux fournisseurs, aux employés et aux gouvernements) chutait de +6,6 millions à -27 millions durant la même période (voir le tableau 1).

En d’autres termes, alors que Cinar affichait des bénéfices cumulatifs de 51 millions en 1994-1998, son exploitation faisait subir à l’entreprise une saignée de 44 millions, laquelle devait être financée par des prêts bancaires ou de nouvelles émissions d’actions. Les fraudes découvertes chez Enron, Worldcom, Mount Real ou Nortel montrent qu’un tel écart entre bénéfices et flux de trésorerie est souvent le signe annonciateur de manipulations comptables.

Le conseil à donner aux analystes financiers et aux journalistes vaut donc tout autant pour les membres du conseil d’administration, les auditeurs et les organismes de réglementation. Il s’agit de ne pas se laisser éblouir par le discours, l’arrogance ou les gestes d’éclat, mais de s’en tenir aux faits.

Sachant que la plupart des fraudes commises par des directions d’entreprise sont comptables ou financières, il s’agit de bien analyser les états financiers. Notons aussi que la surveillance des conflits d’intérêts et des opérations entre parties apparentées est une source sûre d’indices quant à des manipulations ou à des irrégularités possibles.

À la prochaine…

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De la contrainte pour plus de femmes dans les CA !

Mon dernier billet de blogue sur Contact est paru et il s’attaque à un sujet hautement d’actualité : la féminisation des CA (« La place des femmes dans les CA: l’intenable position canadienne », blogue Contact, 24 septembre 2018). Parmi les sujets qui animent le plus la gouvernance d’entreprise figure la place des femmes dans les CA et les postes de haute direction. Sur le plan juridique, ce sujet fait d’ailleurs l’objet de position opposée des États… loin du consensus supposé. Les États se répartissent comme suit :

  • Certains imposent des quotas et des sanctions en cas de non-respect : Norvège, France, Allemagne, Pays-Bas…
  • D’autres incluent la diversité dans des codes de gouvernance ou demandent aux entreprises de se soumettre au principe du comply or explain (« se conformer ou s’expliquer ») : dont le Canada, mais aussi la Suisse, la Finlande, le Danemark, l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande…
  • D’autres enfin choisissent de ne rien faire et de laisser le marché fonctionner : États-Unis, Chine, Russie, Japon, Grèce…

Il semble que le Canada manque d’ambition, même si la récente loi fédérale ouvre les CA à la diversité plus qu’à la seule féminisation. Le Canada regarde souvent du côté des États-Unis. Or, que voit-on ?

Aux États-Unis, jusque récemment, aucune disposition (contraignante ou non) n’incitait à la féminisation des CA. Sur le plan réglementaire, l’essentiel du droit américain tenait dans une position prise par la Securities and Exchange Commission (ci-après « SEC ») en février 2010. Mais, les parlementaires californiens ont adopté le 5 septembre 2018 une loi visant à contraindre les CA à intégrer des femmes en leur sein (SB-826 Corporations: boards of directors, Enrolled and presented to the Governor, Californie, 10 septembre 2018.). La loi SB-826 Corporations: boards of directors ajoute deux articles à la loi californienne sur les sociétés par actions : les articles 301.3 et 2115.5. En vertu de l’article 301.3, la loi impose aux sociétés cotées sur un marché américain dont le siège social est en Californie d’avoir un minimum d’une femme dans leurs CA d’ici le 31 décembre 2019. À compter du 31 décembre 2021, ce chiffre devra être au moins de deux pour les sociétés dont le CA comprend cinq membres et, au moins, de trois pour les sociétés dont le CA comprend six membres et plus. De plus, la loi prévoit qu’au plus tard le 1er juillet 2019, le secrétaire d’État de la Californie publiera un rapport sur son site Internet dressant un bilan des entreprises soumises à la loi et de celles qui disposent d’au moins une femme au sein de leur conseil. Au plus tard le 1er mars 2020, le secrétaire d’État de la Californie publiera un rapport annuel sur son site Internet indiquant minimalement le nombre de sociétés soumises à la loi et qui s’y sont conformées durant l’année; le nombre de sociétés qui ont déplacé leur siège social vers un autre État; le nombre de sociétés dont les titres étaient échangés sur un marché américain, mais qui ne le sont plus. Enfin, même si elles sont réduites par rapport à ce qui était initialement annoncé, la loi prévoit des sanctions financières en cas de non-respect.

 

Être audacieux
En 2014, le Canada a choisi d’entreprendre une démarche souple pour baliser la représentation des femmes dans les CA et dans les postes de haute direction. Malheureusement, le bilan chiffré de cette démarche dénote de trop faibles progrès. Ce qui n’est pas vraiment surprenant: attendre que le marché et les investisseurs disciplinent les entreprises est long et incertain.

Cette attente doit faire place au courage d’agir en resserrant la législation! Rappelons-nous que la loi a su être utile dans le domaine de la gouvernance d’entreprise lorsqu’il a fallu réagir aux soubresauts du marché boursier10. Plus encore, une étude récente comparant le Canada et la France conclut qu’une loi contraignante a des résultats plus rapides qu’une loi souple en matière de féminisation des conseils d’administration, sans différence majeure quant au capital humain des administratrices recrutées11.

Selon moi, la diversité, et tout ce qu’elle apporte de positif à une entreprise et à sa gouvernance12, mérite sans doute mieux que le timide comply or explain. Et puis, quel risque y a-t-il à être ambitieux et à faire changer les mentalités dans ce domaine, sachant que les pays qui ont entrepris des démarches en ce sens en récoltent déjà les bénéfices?

 

À la prochaine…