Normes d’encadrement

Gouvernance Normes d'encadrement Responsabilité sociale des entreprises

Raison d’être : interrogation autour de la guerre

Drôle de réflexion que propose le professeur Armand Hatchuel, mais ô combien intéressante ! « La « raison d’être » des entreprises à l’épreuve de la guerre en Ukraine » (Le Monde, 22 mars 2022).

Extrait

Inscrite dans le droit par la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019, la « raison d’être » d’une entreprise stipule « les principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » (article 1835 du code civil). Conçue en temps de paix, cette disposition permet aux entreprises de préciser leurs engagements sociaux et environnementaux, mais peut-elle aussi éclairer les décisions difficiles à prendre en situation de conflit armé ?

Les guerres posent aux entreprises des dilemmes de plusieurs types. Les plus connus sont ceux qui émergent lors des périodes d’occupation. Sous la botte nazie, fallait-il se saborder ou continuer à produire ? En poursuivant l’activité, l’intérêt des actionnaires rejoignait celui de l’occupant, mais la préservation de l’appareil de production préparait aussi le futur de la nation libérée.

En revanche, sauf réquisition, la raison d’être devrait exclure de servir l’appareil militaire de l’occupant, car de telles collaborations ont conduit à disqualifier de nombreuses entreprises après la Libération.

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La raison d’être en vedette

La Harvard Business Review propos un hors-série intitulé : « Le Must de la Raison d’être ».

« C’est parce qu’une entreprise est utile qu’elle est prospère, et non l’inverse. » Ce propos d’Antoine Frérot, le P-DG de Veolia, résume à lui seul toute l’ambition de la raison d’être, un concept qui prend de plus en plus d’ampleur au sein des entreprises. Car l’entreprise n’a pas pour finalité de permettre aux actionnaires de réaliser un maximum de profits. Elle doit avant tout contribuer au bien commun. Mais encore faut-il que les organisations trouvent le sens de leur raison d’être, autrement dit la raison d’être de leur raison d’être. Pour beaucoup d’entre elles, c’est encore un but à atteindre.

Table des matières

  1. Idées À Suivre
  2. Un Manifeste Pour L’économie À Impact Positif Net
  3. Pourquoi Sommes-Nous Ici ?
  4. Mettez La Raison D’être Au Coeur De Votre Stratégie
  5. Insuffler Une Raison D’être À L’entreprise
  6. Diriger À L’ère Des Parties Prenantes
  7. Les Clés D’une Gestion Hybride Réussie
  8. Créer De La Valeur Partagée
  9. La Mission Sociale Comme Avantage Concurrentiel
  10. De La Vocation À L’impact

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Raison d’être et OPA : liaisons dangereuses ?

Intéressant billet de Mes François Gilbert et Thibault Jabouley du cabinet CMF Francis Lefebvre « Raison d’être et OPA » (Option finance, 9 décembre 2021).

Extrait

L’une des mesures les plus remarquées de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019, dite loi « Pacte », fut de permettre aux sociétés de se doter d’une « raison d’être ». L’article 1835 du Code civil, ainsi complété d’une phrase, dispose désormais que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Les articles L.225-35 et L.225-64 du Code de commerce prévoient en conséquence, pour les sociétés anonymes et par extension les sociétés européennes, que le conseil d’administration ou le directoire doit notamment prendre en considération dans sa gestion, s’il y a lieu, « la raison d’être de la société définie en application de l’article 1835 du code civil ».

L’objectif poursuivi par les promoteurs de la raison d’être, précisé dans l’étude d’impact et l’exposé des motifs de la loi, était, pêle-mêle, de « déterminer le sens de la gestion de la société et d’en définir l’identité et la vocation », d’identifier « ce qui est indispensable pour remplir l’objet social », ainsi que « d’orienter la société vers une recherche du long terme ». Rapidement toutefois, certaines sociétés ont envisagé la raison d’être à d’autres fins, dont celle de défense anti-OPA. Elles ont ainsi conçu d’opposer à l’initiateur d’une offre hostile la contradiction de principe, voire l’incompatibilité existentielle, entre son projet économique et la raison d’être statutairement adoptée. A notre sens cependant, le propos mérite d’être largement nuancé, à l’instar de la portée juridique de la raison d’être.

Une utilité mesurée

Tout d’abord, il est vraisemblable qu’il sera le plus souvent difficile d’invoquer une réelle incompatibilité entre intentions de l’initiateur et raison d’être de la cible. La plupart des sociétés concernées ont en effet adopté une raison d’être singulièrement large, formulée en termes très généraux, rendant peu probable toute contradiction manifeste avec les objectifs poursuivis par l’offrant.

Ensuite, la majorité des sociétés du SBF 120 dotées d’une raison d’être mentionnent celle-ci, non dans leurs statuts comme le prévoit la loi Pacte, mais dans des documents annexes. Le rapport Rocher, publié le 19 octobre 2021, souligne ainsi que seules 15 de ces sociétés ont inclus la raison d’être dans leurs statuts ou au sein d’un préambule à ceux-ci, lorsque 55 se sont dotées d’une raison d’être extrastatutaire. Ces dernières sociétés, parce que dépourvues de l’autorité conférée par les statuts, pourraient éprouver quelques difficultés à opposer efficacement leur raison d’être à l’auteur d’une offre hostile.

Enfin et plus généralement, on peut douter que la raison d’être constitue une défense anti-OPA au sens plein du terme, tant son invocation semble en elle-même insusceptible de faire échouer une offre publique, d’autant moins lorsque le projet industriel de l’initiateur est cohérent avec celui de la cible. A notre sens en revanche, la raison d’être, étroitement liée à l’objet et l’intérêt social, devrait se révéler utile pour légitimer l’adoption ou la mise en œuvre de mesures défensives. En particulier, en s’efforçant d’assimiler préservation de la raison d’être et sauvegarde de l’intérêt social, le conseil d’administration ou le directoire justifiera plus aisément les mesures visant à prévenir ou lutter contre des OPA susceptibles d’y porter atteinte.

Ainsi, en permettant aux sociétés de se doter d’une raison d’être, le législateur leur a offert, non une nouvelle défense anti-OPA à proprement parler, mais une justification supplémentaire des mesures défensives existantes. Une faveur bien involontaire, sans doute, tant il semble que là n’ait pas été la raison d’être de la raison d’être.

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Cahier sur la raison d’être

À l’été 2020, Entrepreneurs & dirigeants chrétiens (EDC) a publié un cahier à lire : « Cahier des EDC : Raison d’être de l’entreprise ».

Résumé

Si la responsabilité sociale de l’entreprise n’est pas chose nouvelle pour les chrétiens, la notion de « raison d’être » de l’entreprise leur ouvre une nouvelle occasion de s’interroger sur le sens à lui donner et l’opportunité́ de réfléchir sur les missions des entreprises, au regard non seulement de la conduite des affaires, mais aussi de l’enseignement de la Pensée Sociale Chrétienne.

Dans la période difficile que traversent de nombreuses entreprises, cette notion de « raison d’être » rappelle aux entrepreneurs tentés de se replier sur leurs urgences et leurs chiffres qu’ils peuvent puiser de l’espérance dans le sens de leur travail.

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Gouvernance Normes d'encadrement objectifs de l'entreprise

L’intérêt de l’entreprise en Allemagne : aperçu historique

Merci à la professeure Anne-Christin Mittwoch de nous offrir une très belle synthèse sur la notion d’intérêt social en droit allemand pour montrer que la notion de raison d’être doit être comprise en lien avec elle. Un billet à lire de toute urgence !

Extrait :

Lessons learnt from legal history: the company’s role in society as a whole

The company interest has a tradition of almost a hundred years, its roots dating even further back. The intersection between private and public interests has its origin in ancient Roman law that had been absorbed by German legal scholars since the 12th century. This tradition has made it difficult to align private and public interests explicitly within the definition of the corporate purpose – until today, public and private law are considered separate. Thus, the early phase of German stock corporation regulation in the 19th century was characterized by a sharp dichotomy of public and private interests (rather than shareholder and stakeholder interests). They seemed so incompatible with each other that the German octroi and concession system sought to interweave them in regulatory terms in order to provide protection for society against the unbridled pursuit of private interests of corporate managers and to deal with the threat this posed to the public good. As a result, it was not possible to incorporate in Germany between 1794 and 1843 if not for the purpose of the common or public good.

The common benefit as a condition for incorporation

This strict precondition was abandoned in 1870, but in the 20th century, the discourse on the common good in company law gained ground again with the debate on the concept of the ‘company per se’. This discussion was initiated by Rathenau’s writings and aimed at a practical independence of the company from its governing bodies and their individual interests. Due to their considerable macroeconomic importance, Rathenau considered stock corporations no longer the sole objects of the private interests of shareholders but demanded that they should be detached from the purely private sector and linked to the interests of the state and civil society. Consequentially, the Stock Corporation Act of 1937 stipulated: ‘The Management Board shall, under its own responsibility, manage the company in such a way as […] the common benefit of the people and the state demand’.

The 1965 amendment to the Stock Corporation Act erased this statement from the wording of the law, because of its Nazi connotations and because it was deemed unnecessary to spell out the obvious. The continued validity of the common benefit as an unwritten principle of stock corporation law has since then been discussed and the development of codetermination in the 1970s intensified this discussion.

Where is the concept of company interest today?

In the following decades, various understandings of the interest of the company were put forward by academics and shaped this concept that until today is considered the major guideline for board members’ actions. Since the 1990s, the debate has opened up to the Anglo-American shareholder-stakeholder dichotomy and its influences can be seen in today’s foreword of the GCGC. However, binding standards of conduct for corporate bodies as well as for an associated liability were not developed. Does this render the concept of the company interest useless? No. It offers a framework, an overarching normative idea, in which different legal obligations for board members can be placed and interpreted. And its dynamic offers flexibility: it constantly poses the questions of the ‘right’ relationship between company and society and between public regulation and private interests. But currently, flexibility is accompanied by legal uncertainty.

Towards a better framework for the corporate purpose?

Without an explicit definition, the concept of the company interest seems to be at a crossroads. Thus, a legal clarification of its relevance is much needed. This clarification should connect to its historical core: the relation between public and private interests that have to be continuously balanced within corporate decision-making. And the responsibility of the company for the common good as its background. Yet a conclusive definition of its scope will not be possible: History has shown that none of the above-mentioned interest groups dominates over another on an abstract level. And what is in the company interest depends also on the object and the articles of association of the respective enterprise together with the individual situation. Nevertheless, the law can and should make explicitly clear that corporate boards are committed to the company interest. This clarification is not only needed in order to reject the shareholder-stakeholder dichotomy. It can also serve as a reference point for further obligations of the board to foster corporate sustainability. Because ultimately, it is in the enterprise’s best interests, that boards ensure a sustainable value creation within the planetary boundaries.

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Raison d’être ou entreprise à mission, le faux débat

C’est sous ce titre (« Raison d’être ou entreprise à mission, le faux débat », La Tribune, 2 septembre 2020) que M. Patrick d’Humières propose une lecture de la raison d’être et du statut d’entreprise à mission qui, selon lui, vont se rejoindre dans une trajectoire commune.

Extrait :

En apparence, le statut d’entreprise à mission rencontre un succès d’estime avec une cinquantaine d’entreprises très différentes, d’agences conseils à des sociétés mutuelles, qui l’ont adopté. Ce n’est pas le cas du statut de raison d’être, au bilan beaucoup plus mitigé, car les démarches que l’on connaît expriment des positionnements déclaratifs dans la veine de « la RSE de bonne volonté » qui ne s’accompagnent pas de mécanisme de mesure, de pression et de transparence garantissant de vrais changements d’orientation des modèles.

À la décharge des entreprises qui ont fait preuve d’initiative en la matière, il faut dire que le dispositif légal proposé comporte de considérables faiblesses. L’essentiel du changement juridique porté par la loi réside dans la modification de l’article 1833 du Code civil qui enjoint à toutes les entreprises de « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux » au côté de l’intérêt social de l’entreprise, dont on n’a pas tiré les implications fondamentales. Les organisations professionnelles concernées ont fait preuve d’un souci défensif, pour limiter la mise en cause conséquente de cette assertion fondamentale, qui acte la nouvelle mission de l’entreprise, à savoir créer de la valeur dans le respect des enjeux sociétaux ; mais ni les juges, ni la puissance publique n’ont eu encore le souci d’accompagner ce cadre, cherchant plutôt à le minimiser, alors même que c’est une innovation majeure : il articule l’économie de marché avec la stratégie nationale de développement durable (ODD) et il crée le socle de ce qu’on appelle désormais « l’économie responsable », consacrée par la nomination pertinente d’une ministre en charge du sujet, qu’on aurait pu ou du appeler aussi « l’économie durable » dans un souci de cohérence politique.

Le texte de loi appelle des transformations de fond dans la gouvernance des entreprises qui devrait se poser des questions à cet effet, sans attendre qu’une jurisprudence fasse le travail pour dire qu’un Conseil d’administration ou une direction générale a mesestimé les enjeux sociaux et environnementaux, définis désormais de façon claire et objective (cf. indicateurs des ODD, incluant l’alignement sur l’Accord de Paris etc.).

L’entreprise dispose de tous les éléments pour établir son niveau de durabilité qui reconnaît cette prise de considération attendue des enjeux communs ; le travail de fond engagé parallèlement en Europe afin de standardiser l’information extra-financière ne pourra qu’encourager les Conseils à débattre et à décider de l’état de leur trajectoire économique au regard de leurs impacts acceptables qui sera la règle en 2025, à n’en pas douter.

Certaines entreprises ont tenu à disposer d’un cadre formel beaucoup plus structuré pour assumer cette responsabilité élargie à la Société, celui de « l’entreprise à mission » ; il constitue une facilité juridique et une aide technique qui a le plus grand intérêt pour accélérer la mutation d’un « capitalisme a-moral » vers « un capitalisme « parties prenantes ». Ce choix implique le vote par les actionnaires, le comité de suivi, l’audit de contrôle etc.. Les actionnaires n’ont pas à craindre pour autant une démission de l’engagement fiduciaire, à leur détriment, car le contrat est explicite, même s’il gagnerait encore à ce que les objectifs de rendement financier soient précisés au regard des objectifs d’amélioration de la création et de la répartition de la valeur globale et de leurs ROI. Ceci afin de ne pas glisser vers « le non profit » : une attention déséquilibrée en faveur de la dimension sociétale de la mission marginaliserait le dispositif, alors que les statuts coopératif, mutualiste ou solidaire sont là pour ça.

Coincé entre le droit général et le cadre précis de « la mission », « la raison d’être » aura du mal à trouver sa place, d’autant que la loi Pacte ne dit rien sur le comment, laissant l’entreprise libre de son engagement, de son inclusion ou non dans les statuts, ce qui en fait un process au mieux pédagogique et au pire de communication ; les parties prenantes ne voient pas les conclusions qu’on en tire sur les conditions nouvelles de production et de répartition de la valeur – objectifs et indicateurs à l’appui-  pour exclure ce qui n’est pas « durable » dans l’offre et équilibrer l’allocation des résultats, voire la négocier, s’il existe un mécanisme ad hoc en amont de « l’arbitraire » des conseils. On voit bien qu’une Raison d’Etre bien posée conduit à terme au mécanisme de l’entreprise à mission et que dans le cas contraire l’entreprise ne fait que s’exposer à des critiques et frustrations qui mettent sa stratégie au défi de la cohérence et de la constance d’une gouvernance qui voudrait avancer sans oser le demander à ses actionnaires…

Cette décantation se fera inévitablement dans le temps, au détriment des entreprises « superficielles » et à l’avantage des entreprises authentiques. Le dispositif de Raison d’Etre va devenir un statut intermédiaire, de transition vers « l’entreprise à mission » ; il pousse à la construction d’un droit des sociétés qui recherche le changement profond de la gouvernance actionnariale, comme vient de le proposer la Commission Européenne dans un rapport très critique sur l’engagement insuffisant des gouvernances qui s’abritent derrière des intentions pour répondre aux pressions, rendant leur projet illisible ! Mais rien n’empêche les gouvernances d’accélérer par elles-mêmes sans attendre un règlement européen et éviter les malentendus autour d’une « raison d’être incantatoire » qui mine  la crédibilité des initiatives sociétales des entreprises ; dans un monde périlleux, les gouvernances doivent « choisir leur camp » !

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Sustainable Value Creation Within Planetary Boundaries—Reforming Corporate Purpose and Duties of the Corporate Board

Ma collègue Beate Sjåfjell nous gâte encore avec un très bel article (accessible en ligne !) : « Sustainable Value Creation Within Planetary Boundaries—Reforming Corporate Purpose and Duties of the Corporate Board » (Sustainibility, 2020, Vol. 12, Issue 15). Je vous conseille vivement la lecture de cet article…

Résumé :

Business, and the dominant legal form of business, that is, the corporation, must be involved in the transition to sustainability, if we are to succeed in securing a safe and just space for humanity. The corporate board has a crucial role in determining the strategy and the direction of the corporation. However, currently, the function of the corporate board is constrained through the social norm of shareholder primacy, reinforced through the intermediary structures of capital markets. This article argues that an EU law reform is key to integrating sustainability into mainstream corporate governance, into the corporate purpose and the core duties of the corporate board, to change corporations from within. While previous attempts at harmonizing core corporate law at the EU level have failed, there are now several drivers for reform that may facilitate a change, including the EU Commission’s increased emphasis on sustainability. Drawing on this momentum, this article presents a proposal to reform corporate purpose and duties of the board, based on the results of the EU-funded research project, Sustainable Market Actors for Responsible Trade (SMART, 2016–2020).

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