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La responsabilité des entreprises multinationales en matière de droits de l’homme et l’accès des victimes à la justice : l’affaire Tonkolili Iron Ore Ltd

 

Le 29 janvier 2018 s’est ouvert, à la Haute Cour de justice de Londres, un procès contre une société exploitant un site minier en Sierra Léone pour des atteintes présumées aux droits de l’homme. En effet, 142 plaignants ont engagé une action contre la société Tonkolili Iron Ore Ltd pour complicité dans des actes de répression commis par la police contre des employés et des villageois près de l’une de ses mines à Bumbuna. La compagnie est poursuivie pour complicité notamment pour la mort d’une jeune femme de 24 ans abattue par la police, pour agression, viol et détention arbitraire. Ces atteintes présumées aux droits de l’homme ont été déjà relevées dans un rapport de Human Right Watch en 2014.[1]

La justice britannique s’est déclarée compétente au motif qu’au moment des faits (2010 et 2012), la société Tonkolili Iron Ore Ltd, était une filiale de la société African Minerals Ltd (AML) [2] dont le siège social se trouvait à Londres. Cette affaire fait écho aux récentes décisions des juridictions canadiennes[3].

La particularité de ce procès tient au fait qu’une partie de son déroulement s’est fait en Sierra Léone, pays dans lequel les atteintes présumées aux droits de l’homme ont eu lieu. Les avocats des plaignants ont fait recours à une règle de procédure civile (Civil Procedure Rule 34.13)[4] qui permet à la Haute Cour de nommer un représentant spécial lorsque l’une des parties souhaite recueillir les témoignages d’un témoin qui ne réside pas au Royaume-Uni. Les avocats des plaignants ont justifié le recours à cette règle par la difficulté des victimes de se rendre à Londres (coût du voyage et refus de visas pour de nombreux plaignants). Cette procédure a été mise en œuvre par la Haute Cour et le Juge Mark Turner a été désigné comme représentant spécial nonobstant les contestations des avocats de la partie défenderesse. Notons que c’est la première fois que cette procédure est utilisée dans la recherche de la responsabilité des entreprises en matière d’atteintes aux droits de l’homme commises à l’étranger.

Du 8 au 22 février 2018 le Juge Mark Turner et son équipe ont effectué les auditions des victimes à Freetown, capitale de la Sierra Léone.

Cette affaire est une illustration topique de deux mouvements. Le premier est relatif à la recherche de la responsabilité juridique des entreprises multinationales lorsqu’elles sont présumées coupables ou complices des atteintes aux droits de l’homme dans le cadre de leurs activités à l’étranger. Le deuxième concerne la recherche des alternatives juridiques (la levée des obstacles) facilitant l’accès à la justice aux victimes dans les pays où sont basées les sociétés mères. Ce mouvement s’inscrit dans la ligne droite des recommandations des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme qui invitent les Etats, au titre de leur obligation de protéger contre les atteintes aux droits de l’homme commises par les entreprises, de prendre des mesures notamment judiciaires facilitant de manière effective l’accès à la justice aux victimes.

La décision que rendra la Haute Cour dans quelques jours est attendue et constituera, pour les victimes, soit un espoir (possibilité d’obtenir réparation) soit une désillusion (renforcement du sentiment d’impunité des entreprises multinationales) concernant la protection de leurs droits fondamentaux. En outre, elle permettra aux autres victimes de savoir si l’Angleterre pourra leur offrir l’hospitalité judiciaire lorsqu’elles sont dans l’impossibilité de poursuivre ces entreprises dans leurs propres pays. Précisons néanmoins que les juridictions anglaises restent assez frileuses en la matière. La récente décision de la Cour d’appel dans l’affaire Shell pour pollution au Nigéria est assez éclairante[5].

 

[1] Rapport de Human Right watch sur l’activité d’exploitation minière de la compagnie African Minerals Ltd https://www.hrw.org/report/2014/02/19/whose-development/human-rights-abuses-sierra-leones-mining-boom

[2] Tonkolili Iron Ore Ltd a été placée en redressement judiciaire en 2015 puis rachetée par un groupe chinois : Shandong Iron and Steel Group.

[3] Choc c. Hudbay Minerals inc. 2013 ONSC 1414 ; Araya v. Nevsun Resources Ltd., 2016 BCSC 1856

[4]https://www.justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/part34

[5] Okpabi & Ors v Royal Dutch Shell Plc & Anor (Rev 1) [2018] EWCA Civ 191 (14 February 2018) http://www.bailii.org/ew/cases/EWCA/Civ/2018/191.html. Les victimes ont décidé de saisir la Cour supreme.