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Raison d’être ou entreprise à mission, le faux débat

C’est sous ce titre (« Raison d’être ou entreprise à mission, le faux débat », La Tribune, 2 septembre 2020) que M. Patrick d’Humières propose une lecture de la raison d’être et du statut d’entreprise à mission qui, selon lui, vont se rejoindre dans une trajectoire commune.

Extrait :

En apparence, le statut d’entreprise à mission rencontre un succès d’estime avec une cinquantaine d’entreprises très différentes, d’agences conseils à des sociétés mutuelles, qui l’ont adopté. Ce n’est pas le cas du statut de raison d’être, au bilan beaucoup plus mitigé, car les démarches que l’on connaît expriment des positionnements déclaratifs dans la veine de « la RSE de bonne volonté » qui ne s’accompagnent pas de mécanisme de mesure, de pression et de transparence garantissant de vrais changements d’orientation des modèles.

À la décharge des entreprises qui ont fait preuve d’initiative en la matière, il faut dire que le dispositif légal proposé comporte de considérables faiblesses. L’essentiel du changement juridique porté par la loi réside dans la modification de l’article 1833 du Code civil qui enjoint à toutes les entreprises de « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux » au côté de l’intérêt social de l’entreprise, dont on n’a pas tiré les implications fondamentales. Les organisations professionnelles concernées ont fait preuve d’un souci défensif, pour limiter la mise en cause conséquente de cette assertion fondamentale, qui acte la nouvelle mission de l’entreprise, à savoir créer de la valeur dans le respect des enjeux sociétaux ; mais ni les juges, ni la puissance publique n’ont eu encore le souci d’accompagner ce cadre, cherchant plutôt à le minimiser, alors même que c’est une innovation majeure : il articule l’économie de marché avec la stratégie nationale de développement durable (ODD) et il crée le socle de ce qu’on appelle désormais « l’économie responsable », consacrée par la nomination pertinente d’une ministre en charge du sujet, qu’on aurait pu ou du appeler aussi « l’économie durable » dans un souci de cohérence politique.

Le texte de loi appelle des transformations de fond dans la gouvernance des entreprises qui devrait se poser des questions à cet effet, sans attendre qu’une jurisprudence fasse le travail pour dire qu’un Conseil d’administration ou une direction générale a mesestimé les enjeux sociaux et environnementaux, définis désormais de façon claire et objective (cf. indicateurs des ODD, incluant l’alignement sur l’Accord de Paris etc.).

L’entreprise dispose de tous les éléments pour établir son niveau de durabilité qui reconnaît cette prise de considération attendue des enjeux communs ; le travail de fond engagé parallèlement en Europe afin de standardiser l’information extra-financière ne pourra qu’encourager les Conseils à débattre et à décider de l’état de leur trajectoire économique au regard de leurs impacts acceptables qui sera la règle en 2025, à n’en pas douter.

Certaines entreprises ont tenu à disposer d’un cadre formel beaucoup plus structuré pour assumer cette responsabilité élargie à la Société, celui de « l’entreprise à mission » ; il constitue une facilité juridique et une aide technique qui a le plus grand intérêt pour accélérer la mutation d’un « capitalisme a-moral » vers « un capitalisme « parties prenantes ». Ce choix implique le vote par les actionnaires, le comité de suivi, l’audit de contrôle etc.. Les actionnaires n’ont pas à craindre pour autant une démission de l’engagement fiduciaire, à leur détriment, car le contrat est explicite, même s’il gagnerait encore à ce que les objectifs de rendement financier soient précisés au regard des objectifs d’amélioration de la création et de la répartition de la valeur globale et de leurs ROI. Ceci afin de ne pas glisser vers « le non profit » : une attention déséquilibrée en faveur de la dimension sociétale de la mission marginaliserait le dispositif, alors que les statuts coopératif, mutualiste ou solidaire sont là pour ça.

Coincé entre le droit général et le cadre précis de « la mission », « la raison d’être » aura du mal à trouver sa place, d’autant que la loi Pacte ne dit rien sur le comment, laissant l’entreprise libre de son engagement, de son inclusion ou non dans les statuts, ce qui en fait un process au mieux pédagogique et au pire de communication ; les parties prenantes ne voient pas les conclusions qu’on en tire sur les conditions nouvelles de production et de répartition de la valeur – objectifs et indicateurs à l’appui-  pour exclure ce qui n’est pas « durable » dans l’offre et équilibrer l’allocation des résultats, voire la négocier, s’il existe un mécanisme ad hoc en amont de « l’arbitraire » des conseils. On voit bien qu’une Raison d’Etre bien posée conduit à terme au mécanisme de l’entreprise à mission et que dans le cas contraire l’entreprise ne fait que s’exposer à des critiques et frustrations qui mettent sa stratégie au défi de la cohérence et de la constance d’une gouvernance qui voudrait avancer sans oser le demander à ses actionnaires…

Cette décantation se fera inévitablement dans le temps, au détriment des entreprises « superficielles » et à l’avantage des entreprises authentiques. Le dispositif de Raison d’Etre va devenir un statut intermédiaire, de transition vers « l’entreprise à mission » ; il pousse à la construction d’un droit des sociétés qui recherche le changement profond de la gouvernance actionnariale, comme vient de le proposer la Commission Européenne dans un rapport très critique sur l’engagement insuffisant des gouvernances qui s’abritent derrière des intentions pour répondre aux pressions, rendant leur projet illisible ! Mais rien n’empêche les gouvernances d’accélérer par elles-mêmes sans attendre un règlement européen et éviter les malentendus autour d’une « raison d’être incantatoire » qui mine  la crédibilité des initiatives sociétales des entreprises ; dans un monde périlleux, les gouvernances doivent « choisir leur camp » !

À la prochaine…

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Sustainable Value Creation Within Planetary Boundaries—Reforming Corporate Purpose and Duties of the Corporate Board

Ma collègue Beate Sjåfjell nous gâte encore avec un très bel article (accessible en ligne !) : « Sustainable Value Creation Within Planetary Boundaries—Reforming Corporate Purpose and Duties of the Corporate Board » (Sustainibility, 2020, Vol. 12, Issue 15). Je vous conseille vivement la lecture de cet article…

Résumé :

Business, and the dominant legal form of business, that is, the corporation, must be involved in the transition to sustainability, if we are to succeed in securing a safe and just space for humanity. The corporate board has a crucial role in determining the strategy and the direction of the corporation. However, currently, the function of the corporate board is constrained through the social norm of shareholder primacy, reinforced through the intermediary structures of capital markets. This article argues that an EU law reform is key to integrating sustainability into mainstream corporate governance, into the corporate purpose and the core duties of the corporate board, to change corporations from within. While previous attempts at harmonizing core corporate law at the EU level have failed, there are now several drivers for reform that may facilitate a change, including the EU Commission’s increased emphasis on sustainability. Drawing on this momentum, this article presents a proposal to reform corporate purpose and duties of the board, based on the results of the EU-funded research project, Sustainable Market Actors for Responsible Trade (SMART, 2016–2020).

À la prochaine…

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Raison d’être : conséquences pour la gouvernance

Intéressant article dans la Harvard Business Review sur la raison d’être et ses conséquences pour la gouvernance d’entreprise (8 janvier 2020) : « Gouvernance : entrez dans l’ère de la raison d’être ».

Résumé

La raison d’être nouvelle génération est une véritable révolution culturelle. Nous entrons dans une nouvelle ère de l’entreprise avec une conception tournée vers l’intérêt général. La construction de la raison d’être s’articule dorénavant autour de deux axes fondamentaux : l’intérêt de l’actionnaire et l’intérêt du bien commun. Elle est le résultat d’une vocation business et d’une innovation sociétale. La raison d’être remplace désormais la vision stratégique de l’entreprise. Et pourtant, de nombreux échanges, articles et études permettent de constater, de la part des dirigeants d’entreprises, des hésitations à s’engager, des difficultés à définir leur propre raison d’être, une incompréhension quant à la portée de la raison d’être sur la gouvernance et une réticence sur la nécessité d’inscrire la raison d’être dans les statuts ou encore… le risque de ne pas s’y engager. Il s’agit d’ajuster la gouvernance et l’exercice de la responsabilité au sein des entreprises.

À la prochaine…

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Une « raison d’être » pour les entreprises publiques

Bonjour à toutes et à tous, article de Les Échos.fr qui vous intéressera : « Le Maire pousse les entreprises publiques à se doter d’une « raison d’être » » (Les Échos.fr, 13 septembre 2019).

Extrait :

Les entreprises dont l’Etat est actionnaire vont devoir se trouver une raison d’être. Il ne s’agit pas d’une raison d’exister à proprement parler mais plus prosaïquement de définir un objet social. Le Code civil et le Code de commerce ont en effet été changés par la loi Pacte, promulguée au printemps dernier, afin de permettre aux entreprises qui le veulent de définir quelle est leur responsabilité dans la société, au-delà de la recherche de bénéfices.

C’est Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, qui l’a annoncé jeudi à Bercy. « Je demande à Martin Vial [le directeur de l’Agence des participations de l’Etat, NDLR] que toutes les entreprises dont l’Etat est actionnaire se dotent d’une raison d’être en 2020 », a-t-il déclaré. L’APE gère aujourd’hui les participations de l’Etat dans 88 entreprises. Bruno Le Maire souhaite aussi que « la Banque publique d’investissement (BPI) entame la même démarche en 2020 auprès des entreprises dans lesquelles elle investit », ce qui concerne environ 90 entreprises.

À la prochaine…