L’éthique est la réponse à la question quelle est la meilleure décision que je devrais prendre, en tenant compte de mes valeurs fortes, de mes comportements exemplaires et des normes en vigueur.
Il n’y a pas une Vérité mais plusieurs réponses qu’on pourrait donner en fonction du contexte et du temps. Les modèles ou grilles de prise de décision peuvent nous aider grandement dans nos réflexions.
L’éthique est une affaire d’introspection, de remise en question et de discernement.
La Revue internationale de droit économique a publié un numéro dédié aux liens entre « Éthique et droit économique » (2021/3 T. XXXV). Dans ce numéro, vous trouverez trois beaux articles :
L’éthique environnementale et la vigilance de l’entreprise : Le devoir de vigilance, entre responsabilité éthique et juridique de l’entreprise en matière environnementale
Par Juliette Camy
Éthique environnementale et droit des sociétés
Par Irina Parachkevova-Racine
Une perspective de droit économique sur les engagements volontaires des firmes en matière d’éthique et de conformité
Le ton de la direction a un poids moral. Il peut promouvoir une certaine culture au sein de l’organisation, encourageant les employés à se comporter de façon plus ou moins éthique. (…)
Ton de la direction : prêcher par l’exemple
Idéalement, les chefs d’entreprise doivent se montrer attentifs envers leurs communautés, se comporter de façon responsable et poser comme des modèles de bonne conduite. Ils connaissent le poids moral de leurs paroles et de leurs actes.
Pour y parvenir, il faut s’y prendre tôt. Les leaders sont le produit de leur culture sociétale. L’éducation joue un rôle essentiel si on veut avoir conscience de nos paroles et actes, de la façon dont ils résonnent chez les autres et de leur impact sur eux.
Proches des bureaux de direction, les conseils d’administration ont la responsabilité de surveiller les chefs d’entreprise ; ils doivent agir de façon proactive avant qu’une crise n’éclate.
Pour ce faire, ils doivent définir les limites d’un comportement approprié ou inapproprié en s’interrogeant sur les attentes, les priorités ainsi que la façon dont doit agir et parler un chef d’entreprise. Ils doivent déterminer ce qui se passe si les limites fixées ne sont pas respectées.
Les membres d’un conseil d’administration doivent utiliser cette information lors du processus de recrutement afin d’identifier les leaders qui répondent aux attentes de l’entreprise et, par la suite, de les encadrer et de les évaluer de façon exhaustive et régulière.
Qu’avez-vous fait de votre raison d‘être ? Alors que la saison des assemblées générale approche à grands pas, les dirigeants des entreprises vont devoir répondre à cette question. Elle ne sera pas forcément formulée aussi clairement, mais les citoyens, les salariés, les parties prenantes, les actionnaires, les administrateurs, tous veulent savoir. C’est une question qui engage ce que l’entreprise a de plus en plus profond, la confiance qu’elle inspire, la force qu’elle déploie, l’adhésion qu’elle suscite.
Depuis 2018, depuis que la loi Pacte offre aux entreprises l’opportunité de se doter d‘une raison d’être, plus de 80 % des membres du CAC 40 et 60 % des membres du SBF 120 se sont lancés dans cette aventure. En déclarant une raison d’être, ces entreprises affichent l’intérêt qu’elles veulent porter aux parties prenantes de leur écosystème. Elles entendent formuler, les grands principes qui les guideront dans leurs choix stratégiques et décisions opérationnelles. La raison d’être est à la fois une identité, une boussole stratégique de long terme et une promesse. Elle est engageante. Il est difficile d’imaginer message plus fort et plus durable. Rien d’important ne peut échapper à une raison d’être construite avec soin.
Ethique. Les exemples concrets de mises en application sur un plan strictement opérationnel émergent de plus en plus. Telle entreprise minière s’appuie sur sa raison d’être pour adhérer à une initiative en faveur de la biodiversité et agir en conséquence. Telle entreprise de transport honore la sienne en recherchant des parcs éoliens pour se fournir en électricité. Et cette entreprise de la Tech qui modifie son organisation pour garantir que managers et salariés soient dans leur activité et comportement en ligne avec la raison d’être. Telle autre encore qui intègre à ses statuts sa raison d’être comme l’y invite la loi Pacte.
Voilà pourquoi les entreprises devraient parler mieux et plus souvent de leur raison d’être. Quel meilleur moment que l’Assemblée générale des actionnaires ? En 2019, dans l’enthousiasme du vote de la loi Pacte, ce fut le cas, les entreprises ont abondamment évoqué leur raison d‘être en AG. Ce ne fut pas le cas en 2020, première année de pandémie, pas plus qu’en 2021, année dont les AG ont été dominées par les premières résolutions climat. En 2022, les AG commencent ces jours-ci, il y a fort à parier que deux sujets domineront légitimement les AG :le climat à nouveau, et la guerre en Ukraine. Avec en arrière-plan une question sensible : que doivent faire les entreprises ? Quitter la Russie en signe de protestation contre l’invasion ou rester parce qu’elles fournissent un service essentiel, parfois vital, aux populations locales ? En d’autres termes, se référer à l’éthique de conviction fondée sur la stricte conformité à des valeurs, ou à l’éthique de responsabilité en arbitrant entre les conséquences positives et négatives de la décision de partir ou de rester ?
Boussole stratégique. En ces temps de crises à répétition, il est vraiment nécessaire que la raison d‘être revienne sur le devant de la scène pour illustrer comment elle a inspiré les décisions et les sujets qui seront à l’ordre du jour de l’AG. Et ainsi démontrer son caractère intégré et assurer pleinement le rôle que lui a dévolu la loi. A défaut, existe le risque qu’elle soit lue comme un artifice de packaging chargé d’enrober les offres commerciales ou un slogan fédérateur pour donner de la densité aux communiqués de presse. Elle est, répétons-le, la boussole stratégique qui permet de faire les choix difficiles. Comme l’explique le nouvel article 1835 du code, la raison d’être établit « les principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».
Ce n’est pas dans l’urgence d’une crise majeure que le dirigeant peut construire le cadre éthique qui le guidera dans un choix de cette ampleur. La raison d’être, adossée au temps long des engagements de l’entreprise, lui servira à sélectionner les options acceptables et à rejeter les autres. La raison d‘être est un levier de décision irremplaçable, différent et au-dessus de tous les autres. L’AG est le moment de le dire et de le réaffirmer.
À l’occasion du webinaire Éthique et conformité : tendances et enjeux à surveiller en 2022, trois spécialistes, Marie-Chantal Dréau, associée aux Services de juricomptabilité chez PwC Canada, Caroline Leblanc, directrice associée aux Services d’investigation et de veille économique chez Kroll France et Me Tommy Tremblay, associé chez Langlois Avocats, se sont prononcés sur la transformation des pratiques au sein des entreprises.
La culture éthique évolue rapidement dans les organisations, soulève d’emblée Marie-Chantal Dréau. Selon elle, la dimension éthique doit être prise en compte dans chacune de leurs actions et de leurs décisions. Elle souligne que la pandémie de COVID-19 a entre autres accentué les risques de cybercriminalité ou de comportement non éthique, notamment en raison des changements de pratiques d’affaires en mode virtuel, de l’augmentation de l’absentéisme, du manque de main-d’œuvre et des équipements technologiques inadéquats.
Même en période de crise, des organisations ont toutefois réussi à développer une culture éthique forte, grâce aux valeurs qu’elles ont mises de l’avant. « Ce n’est pas d’hier qu’on pousse pour une culture d’entreprise », affirme Marie-Chantal Dréau. À son avis, la condition primordiale pour qu’il y ait un véritable changement est le soutien indéfectible de la direction. Ses membres doivent également montrer l’exemple pour promouvoir la culture éthique.
Me Tommy Tremblay mentionne pour sa part que l’intolérance envers les comportements inappropriés est grandissante dans la société. Les têtes dirigeantes ne peuvent plus tolérer ni faire de l’aveuglement volontaire.
Le conseil d’administration doit donc s’assurer que des politiques, des procédures et des mesures de contrôle interne en matière de harcèlement sexuel soient non seulement introduites, mais qu’elles soient mises en œuvre efficacement.
Il y a peu, la presse a fait savoir que les six plus
hauts dirigeants de SNC-Lavalin s’étaient partagé en 2020 une
rémunération totale de 23,7 millions de dollars, soit 2,7 millions $ de plus
qu’en 2019. Son P.D.-G. avait de son côté empoché 8,02 M$ en 2020. Pourtant, la
COVID-19 a accéléré le besoin d’éthique des entreprises. Depuis mars 2020,
réductions de salaires de base et des heures travaillées, mises à pied temporaire
du personnel, attribution de congés, licenciements sont le quotidien du monde
des affaires comme l’illustre SNC-Lavalin. Dans un tel contexte, les
attentes des parties prenantes n’ont jamais été aussi élevées. Des
comportements non vertueux (méprisant son environnement et ses parties
prenantes) autrefois considérés comme acceptables le sont de moins en moins. En
décembre 2019, le Forum de Davos a ainsi affirmé qu’une entreprise était plus qu’une simple
entité économique qui génère des richesses. Elle répond à des aspirations
humaines et sociétales dans le cadre du système social général. Comment
SNC-Lavalin peut-elle tourner le dos à cette responsabilité de
poursuivre le bien commun ? Simplement par manque d’éthique !
Licite
Même si les rémunérations des hauts dirigeants de SNC-Lavalin
ne sont pas illicites, elles choquent l’opinion. Elles choquent parce qu’elles
démontrent un excès, loin de l’esprit de solidarité, d’entraide et de
réciprocité qui s’impose dans le monde post-pandémie. Si l’éthique est devenue
aujourd’hui une évidence pour les entreprises, SNC-Lavalin semble
l’ignorer et rappeler de ce fait un passé récent. Ces rémunérations ne sont toutefois
qu’à l’image des polémiques qui ont lieu en ce domaine. Dans les grandes
entreprises, la rémunération des hauts dirigeants suscite
de vives tensions. Les raisons en sont diverses : montant astronomique;
caractère excessif des augmentations; complexité des formes de rémunération;
écarts entre rémunération des hauts dirigeants et celles des salariés;
discordance entre rémunération et performance des entreprises; disparité entre
rémunérations de sociétés comparables.
Des comportements
exemplaires
Les recherches démontrent que certaines entreprises ont
adopté dans le contexte de la COVID-19 un comportement éthique pour promouvoir l’idée
de justice et assurer leur survie. Elles ont diminué la rémunération de leurs P.D-G.
et hauts dirigeants, certains d’entre eux n’hésitant pas à reporter ou à
diminuer leurs salaires. Aux États-Unis, plusieursdirigeants de sociétés ont renoncé à l’intégralité de leur salaire :
Lyft, Airbnb et Marriott. D’autres ont également renoncé à une partie de leur
rémunération afin de la rediriger vers des objectifs commerciaux et sociaux.
Parmi ces derniers se trouvent des entreprises dont le siège social est au
Québec. Air Canada, par exemple, a
diminué de 100 % le salaire de son président et de 20 à 50 % les
salaires versés à ses hauts dirigeants et à ses cadres supérieurs pendant le
second trimestre 2020. Bombardier, BRP et CGI ont aussi choisi de diminuer de 100 % la rémunération du
président et des hauts dirigeants pour une durée indéterminée. Chez CAE,
le salaire du président a été diminué de 50 % et celle des hauts
dirigeants et des cadres supérieurs de 20 à 50 %. La même décision a été
prise chez Gildan Activewear. Plusieurs
entreprises ont pris des mesures particulières pour s’ajuster à la COVID-19 et
assurer une meilleure préservation de leurs liquidités. À ce titre, Signet Jewelers a réduit le salaire de
son P.D-G. de 50 %, a différé le paiement de sa prime de l’année
précédente au mois de juin, en plus de diviser la prime de l’année en cours en
deux parties. Dans le même sens, Independance
Contract Drilling a réduit le montant de la rémunération des directeurs et
des membres exécutifs principaux de son CA, et ce, en plus de diminuer le
nombre de membres de son équipe de direction et de son CA.
Où était le CA ?
Les CA et les hauts dirigeants canadiens sont à l’heure actuelle sous une plus forte pression pour assurer la survie de leurs entreprises. Les CA sont confrontés à un choix au moment de déterminer la politique de rémunération des hauts dirigeants. Or, de nouvelles valeurs comme l’éthique et la justice s’imposent en toile de fond de la rémunération. Ces valeurs s’imposent aux CA. Or, le CA de SNC-Lavalin a-t-il compris que la rémunération était devenue un sujet de moins en moins économique ? Le Le CA a-t-il compris que le risque éthique est une composante fondamentale de la mission des CA ? Pas sûr, d’autant que lesdites rémunérations ont été octroyées alors que SNC-Lavalin a avait retranché temporairement une partie de la rémunération versée aux présidents et aux vice-présidents exécutifs, a essuyé des pertes considérables en 2020, a vu son cours boursier chuté, et a versé des dividendes tout en bénéficiant d’aides publiques. Faut-il blâmer le CA de SNC-Lavalin ? Sans doute même s’il faut remarquer que sa position n’est pas isolée. Le cabinet Davies a relevé dans son rapport 2020 sur la gouvernance que les mesures de réduction de rémunération n’étaient pas particulièrement répandues parmi les grandes entreprises nord-américaines. Pourtant, l’éthique est un atout pour les entreprises et les CA. Elle est une réponse aux critiques qui leur seraient faites dans l’attribution des rémunérations, notamment de la part de leurs salariés. Au-delà de corriger les comportements, l’éthique redonne son plein sens au travail des hauts dirigeants. Elle est enfin un moyen d’aboutir à une nouvelle doctrine en matière de rémunération, ô combien salutaire – en ces temps difficiles –, celle de la prudence. Elle réduit les coûts, permet de se montrer solidaires avec les salariés, favorise des objectifs à long terme et préserve les liquidités. Attention toutefois, l’éthique doit reposer sur des convictions, parmi lesquelles la recherche d’une justice et l’absence d’instrumentalisation au service de la profitabilité. Comme une évidence, éliminer l’éthique ne doit pas être l’objectif d’un programme de rémunération. Pourtant, SNC-Lavalin semble l’avoir fait. L’éthique a ses limites et c’est dommage…