Gouvernance

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Raison d’être et OPA : liaisons dangereuses ?

Intéressant billet de Mes François Gilbert et Thibault Jabouley du cabinet CMF Francis Lefebvre « Raison d’être et OPA » (Option finance, 9 décembre 2021).

Extrait

L’une des mesures les plus remarquées de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019, dite loi « Pacte », fut de permettre aux sociétés de se doter d’une « raison d’être ». L’article 1835 du Code civil, ainsi complété d’une phrase, dispose désormais que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Les articles L.225-35 et L.225-64 du Code de commerce prévoient en conséquence, pour les sociétés anonymes et par extension les sociétés européennes, que le conseil d’administration ou le directoire doit notamment prendre en considération dans sa gestion, s’il y a lieu, « la raison d’être de la société définie en application de l’article 1835 du code civil ».

L’objectif poursuivi par les promoteurs de la raison d’être, précisé dans l’étude d’impact et l’exposé des motifs de la loi, était, pêle-mêle, de « déterminer le sens de la gestion de la société et d’en définir l’identité et la vocation », d’identifier « ce qui est indispensable pour remplir l’objet social », ainsi que « d’orienter la société vers une recherche du long terme ». Rapidement toutefois, certaines sociétés ont envisagé la raison d’être à d’autres fins, dont celle de défense anti-OPA. Elles ont ainsi conçu d’opposer à l’initiateur d’une offre hostile la contradiction de principe, voire l’incompatibilité existentielle, entre son projet économique et la raison d’être statutairement adoptée. A notre sens cependant, le propos mérite d’être largement nuancé, à l’instar de la portée juridique de la raison d’être.

Une utilité mesurée

Tout d’abord, il est vraisemblable qu’il sera le plus souvent difficile d’invoquer une réelle incompatibilité entre intentions de l’initiateur et raison d’être de la cible. La plupart des sociétés concernées ont en effet adopté une raison d’être singulièrement large, formulée en termes très généraux, rendant peu probable toute contradiction manifeste avec les objectifs poursuivis par l’offrant.

Ensuite, la majorité des sociétés du SBF 120 dotées d’une raison d’être mentionnent celle-ci, non dans leurs statuts comme le prévoit la loi Pacte, mais dans des documents annexes. Le rapport Rocher, publié le 19 octobre 2021, souligne ainsi que seules 15 de ces sociétés ont inclus la raison d’être dans leurs statuts ou au sein d’un préambule à ceux-ci, lorsque 55 se sont dotées d’une raison d’être extrastatutaire. Ces dernières sociétés, parce que dépourvues de l’autorité conférée par les statuts, pourraient éprouver quelques difficultés à opposer efficacement leur raison d’être à l’auteur d’une offre hostile.

Enfin et plus généralement, on peut douter que la raison d’être constitue une défense anti-OPA au sens plein du terme, tant son invocation semble en elle-même insusceptible de faire échouer une offre publique, d’autant moins lorsque le projet industriel de l’initiateur est cohérent avec celui de la cible. A notre sens en revanche, la raison d’être, étroitement liée à l’objet et l’intérêt social, devrait se révéler utile pour légitimer l’adoption ou la mise en œuvre de mesures défensives. En particulier, en s’efforçant d’assimiler préservation de la raison d’être et sauvegarde de l’intérêt social, le conseil d’administration ou le directoire justifiera plus aisément les mesures visant à prévenir ou lutter contre des OPA susceptibles d’y porter atteinte.

Ainsi, en permettant aux sociétés de se doter d’une raison d’être, le législateur leur a offert, non une nouvelle défense anti-OPA à proprement parler, mais une justification supplémentaire des mesures défensives existantes. Une faveur bien involontaire, sans doute, tant il semble que là n’ait pas été la raison d’être de la raison d’être.

À la prochaine…

devoirs des administrateurs engagement et activisme actionnarial Gouvernance mission et composition du conseil d'administration

Contestation de Hecla : position des organismes de réglementation

Bonjour à toutes et à tous, merci au cabinet Osler de cette intéressante nouvelle portant sur les placements privés et leur rôle tactique comme moyen de défense dans le cadre du nouveau régime canadien d’offres publiques d’achat (« Les organismes de réglementation des valeurs mobilières rejettent la contestation de Hecla à l’encontre du placement privé de Dolly Varden »).

 

Dans une décision très attendue qui suit l’entrée en vigueur d’un nouveau régime canadien d’offres publiques d’achat plus tôt cette année, les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières ont refusé de prononcer une interdiction d’opérations sur valeurs à l’encontre d’un placement privé d’actions par une société cible mis en œuvre à la suite de l’annonce d’une offre publique d’achat non sollicitée. Comme le sujet des tactiques de défense n’avait pas encore été abordé dans le nouveau régime d’offres publiques d’achat, cette décision (et, plus important encore, les motifs détaillés qui suivront) revêt un très grand intérêt pour les participants au marché qui lorgnent le paysage canadien des offres publiques d’achat.

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

engagement et activisme actionnarial Normes d'encadrement

Weak Governance by Informed Large Shareholders

Eitan Goldman (Indiana University) et Wenyu Wang (Indiana University) publient un article intitulé : « Weak Governance by Informed Large Shareholders » (Finance Working Paper No. 469/201, avril 2016).

 

A commonly held belief is that better informed large shareholders with greater voting power improve corporate governance.

We argue that this may not be true in general and demonstrate our argument in a model of corporate takeovers. We show that a large shareholder’s ability to collect information and trade ex post may cause him to vote ex ante in favor of pursuing takeovers, even if such takeovers generate a negative expected return.

We test the model’s main predictions regarding how institutional investors trade around corporate takeovers. Consistent with the model, we find that institutional investors increase their holdings in firms that subsequently pursue acquisitions with greater performance variability and that following takeover initiation, institutional trading positively correlates with long-run deal performance.

We further document that these trading patterns are more pronounced when the institutional investor has larger initial holdings of acquirer shares, when the acquirer accounts for a larger fraction of the institution’s portfolio, and when the institutional investor demonstrates better trading ability prior to acquisitions.

Overall, our study sheds light on the limits of relying on better informed large shareholders to improve corporate governance.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Gouvernance Normes d'encadrement

OPA : que faut-il en penser ?

Les tentatives de Vivendi (géant des médias) sur Gameloft (éditeur de jeux vidéos) illustrent les difficultés entourant une OPA hostile. L’article d’Olivier Meier publié au JDE (« OPA hostiles et raids financiers : des batailles de chiffres, de valeurs et d’égo ») l’aborde de manière synthétique.

 

À l’instar de l’offre de Sanofi-Aventis sur Genzyme aux Etats-Unis en 2011, une opération de croissance externe est dite hostile, lorsque les modalités de l’accord sont proposées aux actionnaires contre l’agrément de la direction en place. Il s’agit donc d’une démarche à destination des actionnaires d’une société cible cotée, visant à les convaincre de transférer leurs actions, alors même que l’initiateur de l’offre a subi un refus de la part du conseil d’administration de la société concernée. Les opérations hostiles sont le plus souvent caractérisées par un fort effet de levier, c’est-à-dire par un recours extensif à l’endettement au détriment du financement par actions ou par de la trésorerie disponible. Les grandes OPA hostiles des années 1980 ont souvent été des opérations à très fort effet de levier, appelées Leverage Buy-Out (LBO).

L’intérêt de procéder à ce type d’opérations est d’autant plus naturel, qu’il n’y a pas, de l’avis même des analyses et experts financiers, fondamentalement d’obstacles techniques majeurs à mener de telles démarches.

Mais si les tentatives sont nombreuses, les échecs le sont tout autant. En effet, ces pratiques qui ont donné un dynamisme aux mouvements de fusions-acquisitions, ont souvent été mises à mal, en raison de positions en décalage avec l’instabilité économique et politique du moment.

 

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Ivan Tchotourian

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OPA au Canada : ne pas oublier les changements

Le cabinet Osler revient sur la modification législative au régime des OPA dans un récent éclairage (« Les modifications apportées aux régimes canadiens d’offres publiques d’achat et de déclaration selon le système d’alerte sont entrées en vigueur », 9 mai 2016).

 

Les modifications apportées aux régimes canadiens d’offres publiques d’achat et de déclaration selon le système d’alerte sont entrées en vigueur le 9 mai 2016. Le régime modifié d’offres publiques d’achat est présenté dans le Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat (Règlement 62-104) que toutes les provinces, dont l’Ontario, ont adopté. Selon le régime modifié, toutes les offres publiques d’achat ne faisant pas l’objet d’une dispense (dont les offres partielles) seront assujetties à plusieurs exigences.

 

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Ivan Tchotourian

Base documentaire devoirs des administrateurs engagement et activisme actionnarial loi et réglementation mission et composition du conseil d'administration normes de droit Nouvelles diverses

Nouveau régime d’OPA au Canada

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié des modifications fondamentales au régime d’offres publiques d’achat qui devraient entrer en vigueur le 9 mai 2016 (ici). Les modifications accorderont plus de temps aux émetteurs visés pour réagir à une offre hostile, qui se traduira concrètement par un régime « offre permise » de 105 jours et un régime d’offres publiques d’achat harmonisé à l’échelle du Canada lorsque le Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat (le Règlement 62-104) sera adopté en Ontario. Les modifications entraînent des incidences importantes sur l’utilisation de régimes de droits à la fois tactiques et stratégiques, et peuvent également influencer la façon dont les opérations seront structurées à l’avenir.

Une des modifications fondamentales prévoit que toute OPA non dispensée devra respecter une obligation de dépôt minimal de plus de 50 % des titres en circulation visés par l’offre (à l’exclusion des titres détenus par l’initiateur ou ses alliés).

Les modifications prévoient également un délai minimal de dépôt de 105 jours, sauf dans certaines situations où le délai peut être abrégé à la discrétion du conseil de l’émetteur visé ou si l’émetteur réalise l’une des opérations de remplacement prévues. Qui plus est, le délai minimal de dépôt fait l’objet d’une prolongation obligatoire d’au moins 10 jours une fois que l’obligation de dépôt minimal et toutes les autres conditions ont été remplies.

Selon le régime actuel, les OPA non dispensées doivent être maintenues pendant 35 jours et ne sont soumises à aucune obligation de dépôt minimal ni prolongation obligatoire une fois que l’initiateur a pris livraison des titres déposés.

Vous pourrez trouver un commentaire du cabinet Osler : ici.

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Ivan Tchotourian

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Rona : pourquoi c’était inévitable ?

Bonjour à toutes et à tous, Philippe Leblanc revient dans le cadre de son blogue sur l’affaire Rona : « La loi du plus fort: pourquoi Rona s’est fait avaler ». Selon l’auteur, l’achat était devenu inévitable !

Morceaux choisis :

(…) Rona a été un succès commercial québécois depuis sa fondation en 1939. Force est toutefois d’admettre que sa performance financière laissait sérieusement à désirer depuis quelques années. (…)

Pour revenir à Rona, compte tenu de la performance financière qui a laissé à désirer au cours des dernières années, j’estime que son achat par un compétiteur n’était qu’une question de temps. Pour son conseil d’administration, le choix se posait entre accepter une offre en espèces de 24 $ payable immédiatement ou attendre la réalisation d’un plan stratégique (qui semblait en bonne voie) incertain qui aurait pu créer une valeur semblable dans 3, 4 ou 5 ans. Pour ma part, je ne peux m’empêcher de penser que cette offre de Lowe’s à 24,00 $ en espèces est un véritable cadeau du ciel pour les actionnaires de Rona et que le conseil d’administration a fait le bon choix. Les actionnaires de Rona pourront maintenant redéployer les sommes reçues dans d’autres sociétés québécoises aux perspectives davantage prometteuses.

À la prochaine…

Ivan Tchotourian