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Danone : clap de fin ?

Le CA de Danone a mis fin dimanche 14 mars au soir aux fonctions d’Emmanuel Faber. Le PDG était dans le viseur de certains actionnaires qui le jugeaient responsable des mauvaises performances du géant agroalimentaire face à ses concurrents comme Nestlé ou Unilever (ici). Dans Le Monde.fr, Philippe Escande revient sur ce cas dans une tribune : « L’échec d’Emmanuel Faber chez Danone signifie-t-il que ces deux objectifs, environnemental et économique, sont irréconciliables ? » (15 mars 2021). Une belle réflexion pour l’entreprise à mission…

Résumé

Peut-on atteindre dans un même élan l’exemplarité sociale et la performance économique ? La justice de l’une et l’efficacité de l’autre. Le débarquement du PDG de Danone, Emmanuel Faber, nous plonge une fois de plus dans cette confusion des sentiments au cœur de la réflexion sur l’éthique du capitalisme. Les défenseurs du patron licencié mettront en avant le sacrifice d’un visionnaire, les autres la sanction d’un piètre gestionnaire.

Emmanuel Faber, comme tout grand dirigeant, a aspiré à tenir les fils de ces deux exigences. A un bout de ce fil, le 26 juin 2020, Danone recueille le plébiscite de ses actionnaires qui votent à plus de 99 % la transformation de la société en « entreprise à mission ». Elle est la première société cotée française à adopter ce statut introduit par la nouvelle loi Pacte. Désormais, Danone, au-delà de l’exigence de générer des profits, devra aussi, statutairement, remplir des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux. « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre », comme le stipule la raison d’être de l’entreprise. Avec des objectifs clairs et un suivi rigoureux par un comité indépendant.

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actualités internationales Gouvernance objectifs de l'entreprise Structures juridiques

Retour sur Danone et l’entreprise à mission

Bel éditorial du journal Le Monde du 3 mars 2021 sous le titre « Danone : la pression de rendements insoutenables ».

Quand, en juin 2020, Emmanuel Faber est parvenu à faire de Danone le premier groupe coté de taille mondiale à se doter du statut juridique d’entreprise à mission, le volontarisme du PDG avait ouvert de nouvelles perspectives sur l’évolution du capitalisme. L’entreprise n’avait plus pour unique horizon le retour sur investissement des actionnaires, elle devait parallèlement se fixer des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux. Huit mois plus tard, la crise de gouvernance que traverse le géant des produits laitiers et de l’eau en bouteille résonne comme un dur rappel aux réalités de la primauté des actionnaires sur les autres parties prenantes : salariés, consommateurs, fournisseurs et citoyens.

Lundi 1er mars, sous la pression de deux fonds d’investissement, le conseil d’administration de Danone a réduit les responsabilités d’Emmanuel Faber. Le patron se voit retirer la direction opérationnelle pour se concentrer uniquement sur la présidence du groupe. Cette dissociation des fonctions vise à répondre aux inquiétudes des actionnaires sur les performances de Danone. Le cours de Bourse a chuté d’un quart en 2020, tandis que sa rentabilité reste inférieure de quatre points à celle de ses principaux concurrents comme Nestlé ou Unilever qui affichent des marges autour de 18 % du chiffre d’affaires.

Même si les deux fonds n’ont pas obtenu entière satisfaction dans la mesure où ils réclamaient le départ pur et simple du PDG, la décision de limiter le pouvoir d’Emmanuel Faber révèle ainsi la difficulté de concilier les intérêts des actionnaires, qui réclament un niveau de rendement maximum, avec une croissance plus responsable. Déjà, en novembre 2020, l’exercice avait montré ses limites lorsque Danone avait annoncé la suppression de 2 000 emplois malgré un bénéfice net stable sur l’année à près de 2 milliards d’euros.

Emmanuel Faber n’est, certes, pas exempt de tout reproche. En interne, son exercice du pouvoir, autoritaire et solitaire, fait grincer des dents. Quant à sa stratégie, qui consiste à réorganiser le groupe par pays et non plus par marque pour mieux répondre aux attentes locales des consommateurs, elle suscite le scepticisme des cadres d’un groupe qui s’est construit sur le marketing. Les actionnaires peuvent être fondés à exprimer des critiques sur ces choix et sur cette concentration des pouvoirs.

Interrogation sur la soutenabilité des exigences

En revanche, au-delà du cas particulier de Danone, cette crise amène à s’interroger sur la soutenabilité des exigences de rentabilité des fonds d’investissement. Est-il raisonnable que les rendements des entreprises restent aussi élevés que dans les années 1990, alors qu’entre-temps les taux d’intérêt à long terme sont tombés à zéro et que le rythme de la croissance économique a singulièrement diminué ?

Hormis dans certains secteurs innovants ou dans celui du luxe, de tels retours sur investissement ne peuvent être obtenus impunément. Sur le plan environnemental, ils conduisent à générer des dommages qui sont incompatibles avec ce que la planète est capable de supporter. Sur le plan social, ils ont abouti, ces dernières années, à une déformation spectaculaire du partage de la valeur au détriment des salaires.

Fonds de pension et fonds souverains arbitrent de plus en plus leurs investissements en fonction de critères sociaux et environnementaux. Mais tant que cette évolution ne s’accompagnera pas d’une modération des rendements exigés, le développement durable s’en trouvera d’autant limité.

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Entreprise à mission : le cas Danone

Belle analyse de M. Stéphane Lauer sur LinkedIn : « Danone, entreprise à mission… impossible » (30 novembre 2020).

Extrait :

Le capitalisme bien ordonné

Mais le 23 novembre, face au recul de son cours de Bourse et à la chute des ventes d’eau en bouteille à cause de la crise liée à la pandémie, Danone a été obligé de rentrer dans le rang du capitalisme bien ordonné. L’amélioration de la compétitivité redevient la priorité au détriment des emplois, dont un quart doit disparaître dans les sièges sociaux pour économiser plusieurs centaines de millions d’euros.

Danone est-il au bord du dépôt de bilan ? Pas vraiment. Le groupe a versé 1,4 milliard d’euros de dividendes au titre des résultats de 2019, tandis qu’au premier semestre, les bénéfices se sont élevés à plus de 1 milliard d’euros, permettant de dégager une marge de 14 % du chiffre d’affaires. « La protection de la rentabilité d’une entreprise est fondamentale », explique le PDG. Certes, mais jusqu’où ?

La question fondamentale est celle du juste partage de la valeur. Est-il raisonnable que les rendements des entreprises restent aussi élevés que dans les années 1980 alors qu’entre-temps les taux d’intérêt à long terme sur les dettes publiques sont tombés à zéro et que la croissance a été divisée par deux ? Une rentabilité des fonds propres aux alentours de 15 % a-t-elle un sens dans un groupe agroalimentaire qui n’est ni une star de la high-tech ni un géant du luxe ? Des taux de marges d’un tel niveau sont-ils compatibles avec la préoccupation de rémunérer équitablement les producteurs de lait, de continuer à être présent sur certains marchés, de consacrer une part équitable des profits à sa masse salariale ?

Emmanuel Faber répond qu’à partir du moment où ses concurrents proposent des rendements supérieurs, son entreprise ne peut pas se laisser distancer. « Il est pris à son propre piège, estime Patrick d’Humières, consultant en stratégie durable et enseignant à l’Ecole centrale de Paris. S’il ne parvient pas à nouer un pacte avec des actionnaires qui comprennent que la course avec Nestlé ou Coca-Cola ne doit pas être le seul horizon de l’entreprise, le double discours sera compliqué à tenir sur le long terme. »

Au détriment des salaires

Il ne s’agit pas de clouer au pilori Emmanuel Faber. Il a su prendre des initiatives courageuses et ambitieuses sur le plan sociétal en droite ligne avec l’héritage laissé par le fondateur de Danone, Antoine Riboud. En réalité, le dilemme auquel l’entreprise fait face aujourd’hui pose la question du niveau de la rémunération du capital, qui devient de moins en moins soutenable sur le plan social et écologique.

Ces rendements mirifiques qui sont devenus la norme à partir des années 1980 ont fini par aboutir à une déformation spectaculaire du partage de la valeur au détriment des salaires. Logiquement, les rémunérations auraient dû progresser au même rythme que la productivité du travail. Or, depuis 1990, celle-ci a fait un bond de 50 % dans les pays de l’OCDE, alors que les salaires n’augmentaient que de 23 %.

Bien sûr le phénomène a été caricatural aux Etats-Unis, moins sensible en France. Mais le mécanisme reste le même. Pour que les entreprises puissent continuer à servir à leurs actionnaires les rendements exigés, il a fallu comprimer la part accordée aux salariés grâce à la flexibilisation du marché du travail, à la libéralisation à outrance des échanges, à la délocalisation de la production dans des pays à faibles coûts. La contrepartie s’est traduite dans les pays développés par une baisse du pouvoir d’achat, la disparition des emplois intermédiaires. Partout on assiste à la montée des inégalités.

Même constat sur le plan environnemental. Le maintien dans la durée de retours sur investissement artificiellement élevés conduit les entreprises à générer des externalités qui sont incompatibles avec ce que la planète est capable de supporter. « Les entreprises peuvent se déclarer “à mission”, chercher à améliorer leurs performances environnementales et sociales, mais rien de majeur ne changera si le rendement exigé du capital reste aussi élevé », tranchait récemment dans ces colonnes Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis. Patrick d’Humières est encore plus précis : « Il n’y aura pas d’économie durable dans les entreprises cotées si celles-ci ne parviennent pas à convaincre leurs actionnaires qu’ils doivent réduire leur rémunération de quatre ou cinq points. »

De plus en plus de fonds de pension et de fonds souverains arbitrent leurs investissements en fonction de critères sociaux et environnementaux. C’est un progrès décisif, mais si cette évolution ne s’accompagne pas d’une modération des rendements exigés, Danone et d’autres risquent de se transformer en entreprise à mission… impossible.

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Nouvelles diverses Structures juridiques

Dividendes des banques : en verser en temps de COVID-19 ?

Quelques jours avant une décision très attendue de la Banque centrale européenne (BCE) sur le sujet, la Commission européenne a à son tour appelé mardi à la prudence sur les dividendes bancaires, estimant justifié de maintenir le gel imposé aux banques au printemps dernier pour faire face aux incertitudes persistantes liées à la pandémie de Covid-19.

Pour en savoir plus : Thibault Madelin, « La Commission européenne appelle à la prudence sur les dividendes bancaires », Les Échos.fr, 8 décembre 2020.

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Purpose et revitalisation du droit des sociétés

La professeure australienne Rosemary Teele Langford offre un bel article relayé par l’Oxford Business Law Blog : « Purpose-Based Governance and Revitalisation of Company Law to Facilitate Purpose-Based Companies » (18 septembre 2020).

Extrait :

The permissibility of corporations pursuing purposes other than profit has been the subject of debate for a number of years. This debate has intensified recently with proposals from bodies such as the British Academy and the Business Round Table (as discussed in previous OBLB posts) to allow or mandate the adoption of purposes by corporations. The challenges posed by COVID-19 have also focused attention on corporate purpose. In addition, there is increasing demand for appropriate vehicles for the conduct of social enterprises and other purpose-based ventures. At the same time, purpose is central to governance in the charitable sphere. In two recent articles I critically analyse the role of purpose in Australian company and charity law and demonstrate revitalisation of the law to facilitate adoption of, and governance centred on, purpose.

(…)

The second article, ‘Use of the Corporate Form for Public Benefit – Revitalisation of Australian Corporations Law’, provides extended detail on relevant aspects of the company law regime and focuses more closely on particular issues that arise in the facilitation of purpose-based companies. These include the application of directors’ duties in the context of such companies, with particular focus on the application of the duty to act in good faith in the interests of the company where companies have multiple purposes. This in turn has relevance for the drafting of appropriate constitutional provisions. Other issues arise in relation to standing and enforcement, departure from purposes and signalling. The focus of analysis is on the for-profit corporate form given that it is uncontroversial that other corporate forms (such as companies limited by guarantee) can be used for charitable and not-for-profit purposes. 

In this respect, experience from the UK and US can provide helpful insights in the revitalisation of Australian law. In particular, scholarly analysis of the issues arising from these overseas legislative regimes, and suggested solutions, are invaluable in determining the application of directors’ duties to purpose-based companies and in framing appropriate constitutional provisions. Although changes to the law are not necessary to enable companies to adopt purposes, these lessons from other jurisdictions that have legislated to allow for special-purpose companies are therefore instructive in revitalising Australian law. 

This analysis demonstrates that revitalisation of Australian law to allow purpose-based companies is feasible. In fact, it is opportune. This in turn allows company law to be attuned to practical and conceptual developments in the corporate sphere and more broadly. Such revitalisation does not require a fundamental shift, particularly given the malleability of directors’ duties. Indeed, given that the origins of the corporate form were connected with public ends, this evolution of the corporate form, and the attendant adaption of directors’ duties, are a natural adaptation rather than a radical reformulation. 

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autres publications Publications Responsabilité sociale des entreprises Structures juridiques

Nouvel ouvrage : The New Corporation: How « Good » Corporations Are Bad for Democracy

Le professeur de UBC Joel Bakan nous gâte avec un nouvel ouvrage intitulé : « The New Corporation: How « Good » Corporations Are Bad for Democracy » (Allen Lane).

Résumé :

From the author of The Corporation: The Pathological Pursuit of Profit and Power comes this deeply informed and unflinching look at the way corporations have slyly rebranded themselves as socially conscious entities ready to tackle society’s problems, while CEO compensation soars, income inequality is at all-time highs, and democracy sits in a
precarious situation.

Over the last decade and a half, business leaders, Silicon Valley executives, and the Davos elite have been calling for a new kind of capitalism. The writing was on the wall. With income inequality soaring, wages stagnating, and a
climate crisis escalating, it was no longer viable to justify harming the environment and ducking taxes in the name of shareholder value. Business leaders realized that to get out in front of these problems, they had to make
social and environmental values the very core of their messaging. Their essential pitch was: Who could be better suited to address major societal issues than efficiently run corporations? There is just one small problem with their
doing well by doing good pitch. Corporations are still, ultimately, answerable to their shareholders, and doing well always comes first.

This essential truth lies at the heart of Joel Bakan’s argument. In lucid and engaging prose, Bakan lays bare a litany of immoral corporate actions and documents corporate power grabs dressed up as social initiatives. He makes
clear the urgency of the problem of the corporatization of society itself and shows how people are fighting back and making gains on a grassroots level.

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L’entreprise, un bien commun ?

Sympathique article « L’entreprise comme bien commun » de MM. Desreumaux et Bréchet dans la RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise (2013/3 (n°7), pages 77 à 93). Pourquoi pas ?

Extrait :

Compte tenu des enjeux associés à la représentation en action de l’entreprise (questions de création et de répartition de valeur, de santé et de dynamisme d’une nation, de conception du rôle et des responsabilités des dirigeants, de gouvernance, de responsabilité sociale, de justice, etc.), il apparaît nécessaire de trouver un fondement cohérent pour une représentation dépassant les limites respectives des métaphores déjà disponibles dont l’inventaire et le reclassement mettent au jour l’opposition de visions contractualistes et « sociocognitives ». Pour de multiples raisons, la métaphore du bien commun constitue une piste potentiellement féconde. Pour l’explorer, on posera quelques repères fondamentaux sur la notion de bien commun avant d’envisager ce qui justifie d’aborder l’entreprise sur cette base. Les filiations plurielles que nous privilégierons nous conduiront ensuite à exposer plus précisément notre point de vue et à proposer une grille de lecture propre à restituer l’entreprise en termes dynamiques, exprimant les enjeux, les tensions, la façon dont se construit le bien commun : le bien commun de l’entreprise c’est le projet d’entreprise dans le cadre de la théorie de l’entreprise fondée sur le projet ou Project-Based View. C’est donc le projet dans le cadre d’une lecture processuelle, subjectiviste et multidimensionnelle.

Le projet de l’entreprise se comprend dans le cadre de la théorie de l’entreprise ou de l’action collective fondée sur le projet, ou Project-Based View (PBV), qui se présente comme une lecture subjectiviste, multidimensionnelle et développementale (Desreumaux et Bréchet, 2009). Elle représente une vision de l’entreprise fondée sur le projet à caractère englobant. Les théories dites de la firme, d’inspiration économique, ne traitent pas directement de l’entreprise réelle et de ses préoccupations de management. La théorie de l’agence ou la théorie des coûts de transaction, qui privilégient les facettes d’allocation, d’efficience et de coût, délaissent les dimensions de conception et de production de biens et de services, de même que les comportements entrepreneuriaux (Desreumaux et Bréchet, 1998 ; Bréchet et Prouteau, 2010). Elles restent pourtant largement mobilisées par les chercheurs en gestion. Les théories d’inspiration évolutionniste, qui portent leur attention sur les compétences et les connaissances de l’entreprise, nourrissent, de ce fait, une perspective plus riche. Pour autant, elles n’épuisent pas les questions d’émergence des organisations ni celles ayant trait, par exemple, aux dimensions de politique générale. Ce que propose la théorie de l’entreprise fondée sur le projet ou Project-Based View, c’est de considérer l’entreprise comme un projet collectif possédant tout à la fois un contenu éthico-politique, un contenu technico-économique (les besoins ou missions que l’entreprise entend satisfaire à travers le métier qu’elle choisit d’exercer et les compétences qu’il recouvre) et un contenu organisationnel (les voies et moyens de l’action). Considérer l’entreprise sur cette base, revient à instruire les questions des pourquoi, des quoi et des comment de l’action qui se trouvent au cœur de la constitution d’un collectif.

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