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Lecture bien intéressante : tout est-il de la faute des actionnaires ?

Le professeur de finance Christophe Bonnet a publié en avril 2023 un ouvrage au titrage surprenant aux Presses Universitaires de France : C’est la faute des actionnaires ! Fausses croyances et vrais débats. Alors que le titre pourrait laisser penser à un contenu donnant davantage dans le sensationnalisme, il n’en est rien. Bien au contraire, il s’agit d’un livre on ne peut plus sérieux, produit par un universitaire d’expérience et qui partage là son recul sur un sujet qui fait souvent l’objet de prises de position de nature émotionnelle.

Six questions – sous forme de chapitres – qui sont posées et qui font l’objet de l’analyse :

  • Les actionnaires exigent-ils vraiment 15 % de rentabilité ? (chapitre 1)
  • Les dividendes nuisent-ils à l’emploi et à la croissance ? (chapitre 2)
  • Les actionnaires poussent-ils les entreprises à privilégier le court terme ? (chapitre 3)
  • Pourquoi les fausses croyances sur les actionnaires se diffusent-elles ? (chapitre 4)
  • La finance verte est-elle un mirage ? (chapitre 5)
  • Faut-il réduire le pouvoir des actionnaires dans l’entreprise ? (chapitre 6)

Un ouvrage à découvrir, je viens d’en finir la lecture !

À la prochaine…

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COVID-19 : les actionnaires doivent s’engager !

Bonjour à toutes et à tous, je vous informe de la parution de mon nouveau billet sur Contact intitulé « COVID-19: actionnaires, engagez-vous! » (10 mai 2020).

Extrait :

Dans un moment si chaotique et incertain, la contribution des actionnaires s’avère essentielle au succès du plan de relance du Canada et du Québec. Une fois cette observation faite, encore faut-il répondre à nombre de questions : que devraient alors faire les actionnaires ? Quelle attitude devraient-ils adopter ? Comment devraient-ils s’engager ? Une idée-force émerge que les Principes d’investissement responsable des Nations unies (PRI) expriment avec netteté : « As for the responsible investment community, it’s time for us to step up and play our role as long-term holders of capital, to call corporations to account ».

(…) Plusieurs positions récemment publiées par les PRI et des organisations d’investisseurs institutionnels (ICGN et ICCR) apportent un précieux éclairage sur le contenu de l’engagement COVID-19 en fournissant des recommandations aux actionnaires. Ces normes de comportement (désignées sous le vocable de « stewardship ») s’organisent autour des éléments suivants :

  • Rester calme
  • Se concentrer sur la COVID-19
  • Défendre une approche de long terme
  • S’assurer de sécuriser la position des salariés
  • Abandonner les sacro-saints dividendes
  • Se montrer financièrement prudent et souple
  • Maintenir les relations avec leurs fournisseurs et consommateurs
  • Être vigilant sur la démocratie actionnariale

(…) Alors actionnaires, retenez une chose de la crise sanitaire mondiale : que cela vous plaise ou non, il va falloir sérieusement vous engager. C’est à ce prix que les entreprises vont pouvoir se redresser. Clap de fin pour la responsabilité limitée des actionnaires, même si elle demeure ancrée dans le droit des sociétés par actions !

À la prochaine…

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COVID-19 et RSE : fini la responsabilité limitée des actionnaires

Bonjour à toutes et à tous, mon nouveau billet sur Contact vient d’être publié. Il s’intéresse aux actionnaires dans le contexte de la COVID-19 et est intitulé « COVID-19: actionnaires, engagez-vous! » (10 mai 2020).

Extrait :

(…) Ainsi, les entreprises ont besoin des actionnaires, mais, bien au-delà de leur argent, c’est de leurs valeurs qu’elles ont besoin. La crise de la COVID-19 est une occasion unique pour ces gens d’affaires de redevenir des parties prenantes responsables, plutôt que des «actionnaires-investisseurs » qui depuis trop longtemps, comme des passagers clandestins, se cachent derrière leur irresponsabilité et la seule financiarisation des entreprises.

(…) Or, si l’engagement demeure une attitude souhaitable de la part des actionnaires en temps normal, il devient une nécessité dans le contexte de la pandémie sanitaire actuelle. Dans un moment si chaotique et incertain, la contribution des actionnaires s’avère essentielle au succès du plan de relance du Canada et du Québec. Une fois cette observation faite, encore faut-il répondre à nombre de questions: que devraient faire les actionnaires? Quelle attitude devraient-ils adopter? Comment devraient-ils s’engager? 

(…)

  • Rester calme
  • Se concentrer sur la COVID-19
  • Défendre une approche de long terme
  • S’assurer de sécuriser la position des salariés
  • Abandonner les sacro-saints dividendes
  • Se montrer financièrement prudent et souple
  • Maintenir les relations avec les fournisseurs et les consommateurs
  • Être vigilant à l’égard de la démocratie actionnariale

(…)

Les actionnaires ont certes des droits, mais il est temps qu’ils assument des obligations, notamment en matière de RSE et de gestion adéquate des parties prenantes d’une entreprise. Autrement dit, ils devraient encourager une gestion financière responsable qui permette aux entreprises de prioriser les employés, les sous-traitants, les fournisseurs et le succès à plus long terme de l’entreprise en mettant de côté les avantages consentis aux dirigeants ainsi que les rachats et les dividendes pour les actionnaires.

Avec la COVID-19, les entreprises peuvent légitimement donner corps à la RSE (voir mon billet de blogue) et dire adieu à la fameuse théorie de la primauté actionnariale. Ce n’est pas parce que le droit est (à notre sens) imparfait et donne la possibilité aux actionnaires d’agir le plus égoïstement possible (voir mon billet de blogue) que ce comportement est celui à adopter. Après tout, la crise peut être vue comme une porte ouverte vers la RSE!

(…)

Cela fait bien longtemps que les juristes ont observé que les actionnaires se désintéressent du sort des entreprises où leurs fonds sont placés. Encore plus quand ce ne sont pas eux, mais des professionnels qui placent leurs fonds en leur nom et pour leur compte. Au fil du temps, les actionnaires se sont transformés en prêteurs qui réclament une rentabilité tout en rejetant l’investissement qu’elle implique. D’ailleurs, le droit leur impose peu d’obligations, si ce n’est de réaliser le paiement en contrepartie du titre qu’ils reçoivent. Toutefois, «[l]es choses n’ont pas été données au départ et ne sont pas pour ainsi dire naturelles».

Alors, actionnaires, retenez une chose de la crise sanitaire mondiale: que cela vous plaise ou non, il va falloir sérieusement vous engager. L’heure est venue d’entendre le clap de fin pour la responsabilité limitée des actionnaires, même si elle demeure ancrée dans le droit des sociétés par actions! C’est à ce prix que les entreprises pourront se redresser.

À la prochaine…

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Nos étudiants publient : « Maximisation de la valeur actionnariale : une nouvelle idéologie ? » Retour sur un texte de Lazonick et O’Sullivan (billet de Guillaume Giguère et Pierre-Luc Godin)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée pares derniers sur le primat de la valeur actionnariale et relisent l’étude de William Lazonick et Mary O’Sullivan « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance ». Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Le texte « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance »[1], écrit par les auteurs William Lazonick et Mary O’Sullivan, a pour but de mettre en perspective l’évolution et l’impact de l’idéologie entourant la maximisation de la valeur des actionnaires en tant que principe ancré de gouvernance corporative aux États-Unis depuis les années 80. Plus précisément, les auteurs tracent une analyse historique de la transformation d’une stratégie corporative s’orientant davantage vers la rétention des bénéfices de l’entreprise et de leur réinvestissement dans la croissance corporative (ci-après « retain and reinvest »), en une stratégie corporative beaucoup plus axée sur la réduction des effectifs de l’entreprise et la distribution des bénéfices des sociétés par actions aux actionnaires (ci-après « downsize and distribute »). Ultimement, les auteurs en viennent à se demander si cette nouvelle stratégie est appropriée pour diriger la gouvernance des entreprises.

Une nouvelle stratégie ?

Dans les années 60 et 70, deux problématiques principales ont poussé les entreprises à réfléchir à une nouvelle stratégie corporative à adopter au détriment de celle du retain and reinvest : l’amplification de la croissance de la société et la progression de nouveaux concurrents. Relativement à la première problématique, l’envergure que prenaient les entreprises, ainsi que leur subdivision, engendra des difficultés au niveau de la prise de décisions, laquelle s’est effectuée de plus en plus de manière centralisée. Relativement à la seconde problématique, l’environnement macroéconomique instable et l’ascension d’une compétition internationale innovante occasionnée notamment par la production de masse des industries automobiles et électroniques ont amené les entreprises américaines à faire une prise de conscience sur la nécessité d’améliorer leurs procédés.

Dans la foulée des conséquences du retain and reinvest, des économistes financiers américains ont développé dans les années 70 une nouvelle approche dans le domaine de la gouvernance d’entreprise connue sous le nom de « théorie de l’agence » (« agency theory »). Ces économistes considéraient qu’il était préférable pour les organisations qu’elles laissent le marché faire son œuvre en s’abstenant d’intervenir excessivement dans l’allocation des ressources. Selon cette nouvelle théorie, les actionnaires sont les principaux intéressés tandis que les dirigeants sont leurs agents, qui doivent agir dans leur intérêt. La limitation du contrôle des dirigeants sur l’allocation des ressources et le renforcement de l’influence du marché forcerait ainsi les dirigeants à agir dans l’intérêt des actionnaires en visant davantage la maximisation de la valeur des actions. En addition, dans cette même période, la poursuite d’un objectif de création de valeur pour les actionnaires dans l’économie américaine a trouvé du support auprès de nouveaux acteurs : les investisseurs institutionnels. Ces investisseurs institutionnels, incarnés par les fonds mutuels, les fonds de pension et les compagnies d’assurance-vie, ont rendu possibles les prises de contrôle préconisées par les théoriciens de l’agence et ont donné aux actionnaires un pouvoir collectif important pour influencer les rendements et la valeur des actions qu’ils détenaient. L’accroissement des possibilités de financement, notamment avec le recours aux obligations pourries (« junk bonds »), un instrument spéculatif à haut taux de risque, a permis aux investisseurs institutionnels et aux institutions d’épargne et de crédit de devenir rapidement des participants centraux dans cette prise de contrôle hostile. Le résultat a été l’émergence d’un puissant marché pour le contrôle d’entreprise.

 

Au nom de la création de la valeur actionnariale

Dans une tentative d’accroître le rendement sur les capitaux propres, les années 80 et 90 ont été marquées par une réduction significative de la main-d’œuvre, par une augmentation considérable des dividendes distribués (même s’ils n’étaient pas toujours précédés par une augmentation de profits) et par des rachats d’actions importants et récurrents. L’implantation de cette stratégie de type downsize and distribute a d’ailleurs été soutenue par le fait que les dirigeants recevaient de plus en plus d’actions ou d’autres types de bonus en guise de rémunération depuis les années 50. En effet, cette stratégie a mené à l’explosion de la rémunération des hauts dirigeants.

Cependant, les rendements élevés des actions de sociétés, en plus de la réduction de la main-d’œuvre sous la stratégie du downsize and distribute, n’ont fait qu’exacerber l’inégalité des revenus aux États-Unis[2]. Pour réduire l’inégalité dans la distribution des richesses, il faut que les sociétés qui préconisent la stratégie downsize and distribute s’engagent à adopter certaines stratégies requérant qu’elles fassent aussi du retain and reinvest, particulièrement en faveur des cols bleus. Sans l’adoption de telles stratégies, il faudra alors aussi se demander si les États-Unis possèderont l’infrastructure technologique requise pour être prospères au 21e siècle. Par ailleurs, bien que l’adoption par les entreprises américaines d’une politique de downsize and distribute a fourni l’élan sous-jacent au boom boursier des années 90, il n’en demeure pas moins que le taux soutenu et rapide de la hausse des cours est principalement le résultat d’un afflux massif par les fonds mutuels en équité au sein du marché boursier.

Conclusion

Les auteurs clôturent leur texte en affirmant que le boom du marché boursier n’a pas mis plus de capitaux à la disposition de l’industrie, l’émission d’actions ayant demeurée faible, mais plutôt causé une hausse de la consommation par l’abondante distribution des revenus corporatifs. Se référant à des exemples de compagnies américaines dominantes dans leur secteur[3], lesquelles employaient les principes du retain and reinvest, ils retiennent de l’expérience américaine que la poursuite de la maximisation de la valeur des actionnaires est une stratégie appropriée si l’on souhaite ruiner une entreprise, voire même une économie. Il serait donc intéressant de voir si, aujourd’hui en 2017, la maximisation de la valeur des actionnaires est une stratégie de gouvernance qui a fait ses preuves et qui bénéficie d’une validation auprès des experts dans les milieux concernés[4].

 

Guillaume Giguère et Pierre-Luc Godin

Étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] William Lazonick et Mary O’Sullivan, « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance » (2000) 29:1 Economy and Society 13.

[2] Les ménages de classe moyenne détenant rarement des actions de sociétés.

[3] Causé notamment par l’investissement, dans ces fonds mutuels, des générations âgées ayant accumulés du capital durant les périodes marquées par le retain and reinvest.

[4] Il semblerait qu’au contraire, le principe de la maximisation de la valeur des actionnaires connaît aujourd’hui encore de vives critiques quant à son efficacité et ses effets. Voir à cet effet les articles suivants : Steve Denning, « Making Sense Of Shareholder Value: ‘The World’s Dumbest Idea’ », Forbes (17 juillet 2017); Steve Denning, « The ‘Pernicious Nonsense’ Of Maximizing Shareholder Value  », Forbes (27 avril 2017); Peter Atwater, « Maximizing Shareholder Value May Have Gone Too Far », Time (3 juin 2016). D’autres articles vont, quant à eux, à la défense du principe et misent sur la création de la valeur des actionnaires sur le long terme et non au court terme : Michael J. Mauboussin et Alfred Rappaport, « Reclaiming The Idea of Shareholder Value » (2016) Harvard Business Review; Alfred Rappaport, « Ten Ways to Create Shareholder Value » (2006) Harvard Business Review.

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Hedge funds et gouvernance d’entreprise : activisme des CA et réaction au découplage

Bonjour à toutes et à tous, je vous signale que je viens de publier mon dernier billet sur le blogue Contact de l’Université Laval : « Le retour des hedge funds » (18 octobre 2017).


Voici quelques extraits :

Depuis quelque temps, certains hedge funds développent une nouvelle activité: l’investissement dans les entreprises par l’entremise d’achat de titres. Utilisant leur statut d’actionnaire, ils sont accusés d’activisme. On leur reproche de pousser certaines sociétés à générer des rendements financiers rapides sans égard aux conséquences négatives à long terme de cette stratégie pour les entreprises, leurs parties prenantes et l’économie.

Pour y faire face, 2 orientations doivent être prises :

  1. Un CA responsabilisé, placé au centre du jeu et qui dialogue : la présence d’administrateurs compétents, qui respectent des normes générales de conduite (loyauté, prudence et diligence), qui possèdent une compréhension des enjeux de l’entreprise et qui sont activement engagés envers elle et ses actionnaires est nécessaire.
  2. Un droit de vote des actionnaires mieux compris et bien encadré : l’investissement dans les titres de sociétés réalisé par les hedge funds a entraîné l’émergence de phénomènes nouveaux comme la propriété occulte (hidden ownership) et le vote vide (empty voting). Si les hésitations sont encore nombreuses quant au choix législatif à privilégier pour faire face au découplage, quelques pistes d’action se dégagent : accroître la transparence associée à un contrôle plus grand de l’attribution et de l’exercice du vote des actionnaires; interdire le droit de vote découlant du découplage; renforcer les devoirs de loyauté des actionnaires en regard de l’entreprise; ou donner aux tribunaux plus de flexibilité pour dénoncer les situations d’abus et de violation du droit.

 


À la prochaine…

Ivan Tchotourian

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Nos étudiants publient : pourquoi un contrôle effectif de l’entreprise par l’actionnaire ? (par Éric Brault)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par M. Éric Brault. Ce dernier porte une réflexion sur la légitimité du contrôle des actionnaires et revient sur l’étude « The Essential Unity of Shareholders and the Myth of Investor Short-Termism » du professeur George W. Dent. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Le texte The Essential Unity of Shareholders and the Myth of Investor Short-Termism de George W Dent Jr. s’inscrit dans un débat éternel plaçant face-à-face actionnaires et administrateurs. L’auteur fait l’apologie du contrôle effectif de l’entreprise par les actionnaires[1].

 

Mise en perspective

L’argumentaire du professeur Dent découle d’abord d’une réflexion qu’il fait sur le système de gouvernance des entreprises américaines. Pour lui, le niveau de contrôle exercé par les conseils d’administration d’entreprises ouvertes américaines est trop important, en rapport au peu de contrôle effectif détenu par les actionnaires. Cette situation ouvre la porte à un conseil d’administration qui se permet de prendre des décisions qui ne cadrent pas avec les intérêts des actionnaires, engendrant ainsi une perte d’intérêt de la part des investisseurs envers les entreprises publiques américaines. La solution serait alors de permettre aux actionnaires (ceux ayant l’intérêt le plus marqué dans la réussite de l’entreprise) d’obtenir un plus grand contrôle de cette dernière. Cette solution est toutefois diamétralement opposée à ceux qui défendent le pouvoir détenu par les administrateurs et qui cherchent à limiter le pouvoir actionnarial et, conséquemment, l’influence des investisseurs institutionnels. L’article du professeur Dent s’inscrit comme réponse aux partisans d’un maintien du statu quo qui cherchent à limiter le contrôle détenu par les actionnaires.

 

Des actionnaires légitimés

L’auteur pose comme hypothèse de départ que les intérêts des actionnaires n’entrent pas en conflits, mais convergent plutôt vers un but unique : la maximisation de la valeur de l’action qu’ils détiennent. Afin de le démontrer, ce dernier isole d’abord les principales prémisses servant à la construction des arguments des disciples de la théorie voulant un contrôle actionnarial plus faible[2]. Il déconstruit ensuite chacune de ces prémisses afin de démontrer les failles dans l’argumentaire évoqué. Pour terminer, il dresse un portrait de la situation actuelle où la prise de décision effective est contrôlée par les administrateurs qui sont eux-mêmes souvent soumis à l’influence du P.-D.G. Le professeur Dent démontre que les différentes tentatives règlementaires voulant donner aux conseils d’administration une plus grande indépendance n’ont pas permis d’aligner correctement les intérêts des actionnaires et des administrateurs.

 

Déconstruire

La première des prémisses déconstruites par le professeur Dent concerne l’ignorance de l’actionnaire. D’après les adhérents du statu quo, l’actionnaire n’a pas assez de connaissances concernant l’entreprise et ses projets afin de faire un choix éclairé et conséquemment, ses choix risquent de faire diminuer la valeur des actions. Le professeur Dent démontre aisément les failles de l’argument.  Il explique, entre autres, que les votes des actionnaires touchent principalement les « Règles du jeu »[3] et non les enjeux opérationnels. Il n’est donc pas nécessaire de comprendre en profondeur l’élément opérationnel de l’entreprise afin de prendre une décision favorable à la maximisation de sa valeur.

La seconde des prémisses déconstruite par le professeur Dent est celle de la présence de conflits d’intérêts chez les actionnaires et entre actionnaires qui peuvent mener à une priorisation de certains projets ou secteurs d’activités nuisibles à la santé financière de l’entreprise. Un conflit d’intérêts au niveau de l’actionnariat peut s’exprimer de multiples façons et l’auteur s’attarde sur cinq situations[4]. L’auteur pose ensuite deux constats afin de démontrer la non-importance des conflits d’intérêts évoqués. D’abord, le conflit ne concerne souvent que quelques actionnaires qui sont loin d’être en mesure d’obtenir la majorité nécessaire à la poursuite de leurs agendas respectifs et, ces différents agendas sont souvent contradictoires. Deuxièmement, une étude sur litiges dans les conseils d’administration démontre que ceux-ci ne sont pas causés par des conflits entre actionnaires plutôt par des luttes pour le pouvoir entre administrateurs[5].

La troisième prémisse déconstruite par le professeur Dent est celle des investisseurs détenant des actions à court terme et cherchant un rendement rapide au détriment des gains et de la stabilité à long terme. Cette préoccupation cadre avec une présence accrue des fonds d’investissement alternatifs[6] qui ont tendance à détenir des actions moins longtemps que les investisseurs traditionnels. Pourtant, l’auteur explique qu’il n’y a pas de preuves empiriques qui démontrent que les pressions provenant des actionnaires détenteurs d’actions à court terme produisent des effets nocifs à long terme.

 

Conclusion

Par son texte, le professeur Dent parvient à démontrer que les intérêts des actionnaires convergents vers l’unique but de maximiser la valeur des actions de l’entreprise. Il exprime toutefois certaines retenues sachant qu’aucun système n’est parfait. Le contrôle effectif par les actionnaires peut laisser place à la prise de décisions allant à l’encontre du but établi ci-dessus. Mais, l’objectif est de permettre l’amélioration du système actuel qui laisse le contrôle effectif de l’entreprise entre les mains du conseil d’administration et des dirigeants ce qui permet une dissociation entre les intérêts de ces derniers et ceux des actionnaires. Toutefois, l’auteur ne démontre pas comment s’effectuerait ce contrôle plus effectif de l’actionnaire. Il existe par exemple déjà dans certains pays certaines mesures comme le Say-on-Pay qui augmentent ce contrôle. Est-ce « la » solution ?

 

Éric Brault

Étudiant du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] G. W. DENT Jr, « The Essential Unity of Shareholders and the Myth of Investor Short-Termism », Delaware Journal of Corporate Law, 2010, Vol. 35, p. 97.

[2] Dans le texte, l’auteur fait effectivement référence à une théorie : « Corporate managers as well as their operatives and camp followers constructed a theory that shareholder control would not serve the national interest in economic efficiency; indeed it would not serve the interests of shareholders themselves » (p. 99 de l’article du professeur Dent).

[3] Le professeur Dent utilise le terme « Rules-of-the-game » (p. 133 de l’article du professeur Dent).

[4] Ces cinq conflits d’intérêt sont : employé mais également actionnaire; actionnaire ayant un mandat politique externe; actionnaire ayant des intérêts financiers dans une autre entreprise partenaire (problématique de l’auto-négociation); actionnaire n’ayant plus d’intérêts dans l’entreprise lors du vote; et actionnaire ayant un intérêt financier dans un compétiteur.

[5] Anup AGRAWAL et Mark A. CHEN, « Boardroom Brawls: An Empirical Analysis of Disputes Involving Directors », EFA 2008 Athens Meetings Paper, 1er juillet 2008, 1.

[6] Yvan ALLAIRE, « La démocratie et le droit de vote des actionnaires », dans Propos de gouvernance…et autres. Montréal, Presse Forstrat International, 2007, p. 95 et s.

 

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Le rendement à court-terme, une menace pour nos entreprises

Bel article du Journal de Montréal : « Le rendement à court-terme, une menace pour nos entreprises » (22 novembre 2016). Une occasion de discuter gouvernance d’entreprise en se concentrant sur la situation actuelle caractérisée par une omniprésence des investisseurs institutionnels !

 

Auparavant, les petits investisseurs québécois conservaient leurs actions en bourse en moyenne 10 ans. Aujourd’hui, à peine quatre mois. Quelque chose a changé dans notre rapport aux entreprises. Et pas pour le mieux, dit Gaétan Morin, président et chef de la direction du Fonds de solidarité FTQ.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian