Valeur actionnariale vs. sociétale

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‘Stakeholder’ Capitalism Seems Mostly for Show

Alors que tout le monde évoque le changement de paradigme lié à l’émergence d’un « stakeholderism », le Wall Street Journal lance un pavé dans la mare sous la plume notamment du professeur Bebchuk : rien n’a vraiment changé ! « ‘Stakeholder’ Capitalism Seems Mostly for Show » (Wall Street Journal, 6 août 2020)

Extrait :

Notwithstanding statements to the contrary, corporate leaders are generally still focused on shareholder value. They can be expected to protect other stakeholders only to the extent that doing so would not hurt share value.

That conclusion will be greatly disappointing to some and welcome to others. But all should be clear-eyed about what corporate leaders are focused on and what they intend to deliver.

Pour un commentaire du Board Agenda, voir « Stakeholderism: Study finds evidence in short supply ».

À la prochaine…

Gouvernance parties prenantes Valeur actionnariale vs. sociétale

Concilier actionnaires et parties prenantes : le temps !

Merci à M. Jean-Florent Rérolle qui offre une tribune bien intéressante sur la nécessité de faire concilier les intérêts des actionnaires et des parties parties prenantes et de ne pas les opposer. Seule cette conciliation permet de dégager une valeur globale : économique et sociale.

Jean-Florent Rérolle, « Actionnaires/parties prenantes : une union sacrée », Option finance, 17 juillet 2020.

Extrait :

Cette vision, qui repose sur l’idée que ce qui est donné à l’un est pris à l’autre, est archaïque et contre-productive. Elle ne correspond pas à la réalité des marchés, qui valorisent en fait le long terme (depuis 2005, 40 % en moyenne de la valeur des entreprises françaises s’explique par des flux de trésorerie qui seront générés au-delà d’une période de dix ans) et tiennent compte des performances ou des risques extra-financiers. L’intégration ESG et l’engagement actionnarial sont deux tendances lourdes dans la gestion d’actifs. Elles ont des répercussions très positives sur les entreprises, car elles les poussent à perfectionner sans cesse leur stratégie RSE.

Vouloir privilégier les partenaires de l’entreprise au détriment des actionnaires est aussi un mauvais calcul. Nous sommes tous à la fois des consommateurs, des employés, des contribuables, des épargnants et des futurs retraités ! Nous avons besoin de croissance, et donc d’investissement pour nos emplois et notre niveau de vie. De nombreuses recherches montrent que, à long terme, il existe une corrélation entre la valeur actionnariale et la valeur sociale. 

L’heure est donc à la réconciliation des intérêts des partenaires de l’entreprise avec celui de leurs actionnaires.

Plusieurs approches sont susceptibles de pacifier leurs relations : 

– Théorisée par Jensen, l’«enlightened shareholder value» considère que la valeur actionnariale ne peut être maximisée sur le long terme qu’à condition que l’entreprise serve correctement ses partenaires. La maximisation de la valeur actionnariale demeure l’objectif final, et la valeur sociale est un sous-produit de cette logique. 

– La «shared value» de Michael Porter consiste à rechercher une création de valeur qui bénéficie également à la société. L’objectif n’est plus le profit, mais la valeur partagée. La responsabilité des entreprises est de trouver les moyens de créer de la valeur économique tout en s’efforçant de générer de la valeur sociale. 

– La troisième approche est celle d’Alex Edmans, présentée dans un livre récent : «Grow the Pie1». Pour ce professeur de finance de la London Business School, la raison d’être de l’entreprise n’est pas le profit mais la maximisation de la valeur sociale. En créant de la valeur pour ses partenaires, les entreprises créent aussi de la valeur à long terme pour leurs actionnaires. La valeur actionnariale est le sous-produit de la valeur sociale.

Quelle que soit l’approche, la croissance de la valeur dépend de la matérialité stratégique de la politique ESG. Une politique ESG même ambitieuse, mais non matérielle, n’apporte aucun avantage et peut même conduire à une moindre performance. Du point de vue de l’investisseur, cette matérialité doit être définie en fonction d’un objectif clair et univoque : maximiser la valeur financière à long terme de l’entreprise (ce qui se traduira à terme dans le cours de Bourse), objectif cohérent avec la valeur sociale. Elle doit s’appuyer sur une compréhension fine des éléments clés de la valeur, financiers et non financiers, ce qui suppose une bonne dose d’empathie actionnariale. Elle doit viser l’amélioration des avantages concurrentiels, la résilience du business model et l’efficacité de l’allocation du capital.

Au bout du compte, les initiatives ESG retenues doivent résulter d’un arbitrage en faveur de celles qui sont les plus proches de la proposition de valeur de l’entreprise et qui ont un impact évident et démontré sur sa rentabilité et son risque. L’extra-financier doit être soumis à la même discipline que le financier. La valeur économique et sociale tout comme la confiance des actionnaires en dépendent. 

À la prochaine…

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CA : faire ce qui est juste

Intéressante tribune dans La presse par Milville Tremblay : « Faire ce qui est juste » (14 juillet 2020). Cela semble une évidence mais il est bon de le rappeler !

Extrait :

Faire ce qui est juste, c’est placer la barre plus haut que la légalité des décisions et la satisfaction des seuls actionnaires. Même dans l’adversité, on s’attend aujourd’hui à ce que les dirigeants tiennent compte des besoins légitimes de toutes les parties prenantes de l’entreprise : les employés, les clients, les fournisseurs, les gouvernements, la société en général, l’environnement et, bien sûr, les actionnaires.

(…) Considérer ne veut pas dire donner raison à tous ou nuire à personne. Une compagnie n’est pas l’État-providence. Parfois les dirigeants doivent prendre des décisions qui font mal, mais beaucoup dépend de la manière.

L’opinion publique juge sévèrement ceux qui exigent des sacrifices de tous — sans toucher à leurs propres privilèges, comme on l’a vu chez Bombardier.

(…) Le tribunal de l’opinion publique tranche vite et sans appel. La bonne réputation d’une entreprise prend des années à bâtir et se brise en un instant. Non seulement les dirigeants doivent-ils prendre des décisions justes, mais aussi savoir communiquer avec franchise, surtout s’il y a eu faute. Ceux qui espèrent que leurs bourdes passeront inaperçues courent un risque élevé.

Les bailleurs de fonds exercent aussi une pression accrue sur les patrons. Un nombre croissant de grands gestionnaires d’actifs intègrent les dimensions ESG (pour environnement, social et gouvernance) dans la sélection des sociétés en portefeuille. Les grandes caisses de retraite publiques canadiennes, telle la Caisse de dépôt et placement du Québec, sont du nombre. Ces gestionnaires de fonds commencent à retirer leur appui aux dirigeants qui s’entêtent dans l’erreur et aux administrateurs qui les tolèrent, leur adressent des remontrances derrière les portes closes ou préfèrent les actions d’un concurrent, qui fait ce qui est juste.

(…) On s’attend aujourd’hui à ce que les dirigeants saisissent rapidement les changements de valeurs portés par l’air du temps, ce qui n’est pas évident pour ceux qui s’isolent avec des gens qui pensent comme eux. Il est trop tard, s’ils attendent de réagir à ce qui est devenu évident.

En matière de gouvernance, on regrette les trop lents progrès pour faire place aux femmes à la haute direction et dans les conseils d’administration.

Et si on décante le mouvement Black Lives Matters, on réalise que la diversité ne se limite pas au sexe. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’équité, mais d’intégrer des perspectives variées pour de meilleures décisions.

Le profit n’est plus une finalité, mais une exigence pour assurer la croissance à long terme de l’entreprise. Sans profit, les sources de capital se tarissent et avec elles la capacité d’investir et d’innover.

Mais au-delà des profits, les dirigeants doivent réfléchir à l’utilité sociale de leur entreprise, comme le recommande la Business Roundtable, une association de PDG américains. Le piège, comme d’autres modes en management, est qu’il n’en résultera qu’un slogan, que les employés découvriront creux.

Le regard des employés est souvent plus cynique que celui du public, car ils sont mieux placés pour déceler les écarts entre le discours et la réalité. Les dirigeants qui posent des gestes cohérents et qui reconnaissent les inévitables manquements ont de meilleures chances de mobiliser leurs troupes. Les travailleurs du savoir, particulièrement les milléniaux, ne s’achètent plus avec un bon salaire et une table de billard. Ils veulent aussi que l’entreprise reflète leurs valeurs.

La crise braque les projecteurs sur la manière dont la gouvernance traite la dimension sociale de l’entreprise, soit les lettres G et S des critères ESG. La préoccupation pour le E de l’environnement n’a pas disparu et j’y reviendrai prochainement.

En effet, la plupart des patrons ont posé des gestes énergiques pour protéger la santé de leurs employés et de leurs clients. Quelques-uns se sont lancés dans la production de matériel de protection sanitaire. Plusieurs ont sabré leur salaire à l’annonce de mises à pied, bien que certains vont se refaire avec de nouvelles options d’achat d’actions à prix déprimé.

Les exemples d’entreprises sur la sellette se multiplient. Facebook fait face au boycottage de grands annonceurs pour n’avoir pas éradiqué les discours haineux de sa plateforme. Adidas est durement critiquée pour étrangler ses fournisseurs. Amazon, dénoncée pour négliger la santé de ses travailleurs durant la pandémie. Plus près de nous, Ubisoft clouée au pilori pour avoir fermé les yeux sur le harcèlement de ses employées. Pas besoin d’être devin pour anticiper les critiques des sociétés qui auront bénéficié de l’aide publique tout en recourant aux paradis fiscaux.

À la prochaine…

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Du shareholder au stakeholder

Sébastien Thevoux Chabuel propos un article intéressant dans la revue Banque (15 mai 2020): « Du shareholder au stakeholder : comment organiser le gouvernement d’entreprise ? ». Une belle lecture…

Extrait :

La question de la responsabilité ne se pose jamais aussi bien qu’en période de crise et d’incertitude. En effet, qu’elle soit intense et courte – comme celles de 2008 et de la COVID-19 – ou larvée et longue – comme la crise climatique –, chaque crise agit comme un test sur la solidité du système et la responsabilité des acteurs, et interpelle sur les éventuelles solutions à mettre en place. Dans un monde hyperfinanciarisé où l’actionnaire occupe un rôle central dans le fonctionnement de l’entreprise, il paraît légitime de vouloir reconfigurer les règles du jeu et donner plus d’importance aux…

À la prochaine…

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COVID-19 : les actionnaires doivent s’engager !

Bonjour à toutes et à tous, je vous informe de la parution de mon nouveau billet sur Contact intitulé « COVID-19: actionnaires, engagez-vous! » (10 mai 2020).

Extrait :

Dans un moment si chaotique et incertain, la contribution des actionnaires s’avère essentielle au succès du plan de relance du Canada et du Québec. Une fois cette observation faite, encore faut-il répondre à nombre de questions : que devraient alors faire les actionnaires ? Quelle attitude devraient-ils adopter ? Comment devraient-ils s’engager ? Une idée-force émerge que les Principes d’investissement responsable des Nations unies (PRI) expriment avec netteté : « As for the responsible investment community, it’s time for us to step up and play our role as long-term holders of capital, to call corporations to account ».

(…) Plusieurs positions récemment publiées par les PRI et des organisations d’investisseurs institutionnels (ICGN et ICCR) apportent un précieux éclairage sur le contenu de l’engagement COVID-19 en fournissant des recommandations aux actionnaires. Ces normes de comportement (désignées sous le vocable de « stewardship ») s’organisent autour des éléments suivants :

  • Rester calme
  • Se concentrer sur la COVID-19
  • Défendre une approche de long terme
  • S’assurer de sécuriser la position des salariés
  • Abandonner les sacro-saints dividendes
  • Se montrer financièrement prudent et souple
  • Maintenir les relations avec leurs fournisseurs et consommateurs
  • Être vigilant sur la démocratie actionnariale

(…) Alors actionnaires, retenez une chose de la crise sanitaire mondiale : que cela vous plaise ou non, il va falloir sérieusement vous engager. C’est à ce prix que les entreprises vont pouvoir se redresser. Clap de fin pour la responsabilité limitée des actionnaires, même si elle demeure ancrée dans le droit des sociétés par actions !

À la prochaine…

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Le purpose, toujours le purpose

Martin Lipton, William Savitt et Karessa L. Cain ont publié sur le Harvard Law School Forum on Corporate Governance un intéressant papier intitulé : « On the Purpose of the Corporation » (27 mai 2020).

Extrait :

The growing view that corporations should take into account environmental, social and governance (ESG) issues in running their businesses, and resistance from those who believe that companies should be managed solely to maximize share price, has intensified the focus on the more fundamental question of corporate governance: what is the purpose of the corporation?

The question has elicited an immense range of proposed answers. The British Academy’s Future of the Corporation Project, led by Colin Mayer, suggests that the purpose of the corporation is to provide profitable solutions to problems of people and planet, while not causing harm. The Business Roundtable has articulated a fundamental commitment of corporations to deliver value to all stakeholders, each of whom is essential to the corporation’s success. Each of the major US-based index funds has also expressed their views about the purpose of the corporations in which they invest, which, considered collectively, can be summarized as the pursuit of sustainable business strategies that take into account ESG factors in order to drive long-term value creation. On the other hand, the Council of Institutional Investors, some leading economists and law professors, and some activist hedge funds and other active investors continue to advocate a narrow scope of corporate purpose that is focused exclusively on maximizing shareholder value. The Covid-19 pandemic has brought into sharp focus the inequality in our society that, in considerable measure, is attributable to maximizing shareholder value at the expense of employees and communities.

For our part, we have supported stakeholder governance for over 40 years—first, to empower boards of directors to reject opportunistic takeover bids by corporate raiders, and later to combat short-termism and ensure that directors maintain the flexibility to invest for long-term growth and innovation. We continue to advise corporations and their boards that they may exercise their business judgment to manage for the benefit of all stakeholders over the long term.

As the pandemic disrupts settled expectations and provokes fresh perspectives, we believe it is critical to the vitality of our economic system for corporations—and the asset managers and investors who hold their shares—to recognize that ESG and stakeholder purpose are necessary elements of sustainable business success, and to engage on a regular basis to rationalize their views as to governance and stewardship. The roadmap for this shared understanding is elaborated in The New Paradigm: A Roadmap for an Implied Corporate Governance Partnership Between Corporations and Investors to Achieve Sustainable Long-Term Investment and Growth, which we developed for the World Economic Forum in 2016.

These imperatives lead us to a simple formulation of corporate purpose:

The purpose of a corporation is to conduct a lawful, ethical, profitable and sustainable business in order to create value over the long-term, which requires consideration of the stakeholders that are critical to its success (shareholders, employees, customers, suppliers, creditors and communities), as determined by the corporation and the board of directors using its business judgment and with regular engagement with shareholders, who are essential partners in supporting the corporation’s pursuit of this mission.

This conception of purpose is broad enough to apply to every business entity but at the same time supplies clear principles for action and engagement. The basic objective of sustainable profitability recognizes that the purpose of for-profit corporations is to create value for investors. The requirement of lawful and ethical conduct ensures minimum standards of corporate social compliance. Going further, the broader mandate to take into account corporate stakeholders—including communities, which is not limited to local communities, but comprises society and the economy at large—directs boards to exercise their business judgment within the scope of this broader responsibility. The requirement of regular shareholder engagement acknowledges accountability to investors, but also shared responsibility with shareholders for responsible long-term corporate stewardship.

Fulfilling this purpose will require different approaches for each corporation, dependent on its industry, history, governance and other factors. We expect that board committees—focusing on stakeholders, ESG issues and the stewardship obligations of shareholders—may be useful or even necessary for some companies. But for all the differences among companies, there is an important unifying commonality: corporate action, taken against the backdrop of this view of corporate purpose, will be fully protected by the business judgment rule, so long as it reflects the decisions of unconflicted directors acting upon careful deliberation.

Executed in this way, stakeholder governance is more consistent with a value-creation mandate than the shareholder primacy model. Directors and managers enjoy broad authority to act for the corporate entity they represent, over the long term, balancing its many rights and obligations and taking into account both risks and opportunities, in regular consultation with shareholders. Directors will not be forced to act as if any one interest trumps all others, with potentially destructive consequences, but will instead have latitude to make decisions that reasonably balance the interests of all constituencies and operate to the benefit of the sustainable, long-term business success of the corporation as a whole.

À la prochaine…