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OPINION : Directive sur la vigilance des entreprises, une durabilité à petits pas

Après de nombreux mois de négociations et une volte-face de dernière minute, la directive européenne sur le devoir de vigilance devrait être adoptée sous peu. Les États membres du Conseil européen ont en effet trouvé un accord le 15 mars 2024. Quelques jours plus tard, c’est la Commission des affaires juridiques du Parlement européen qui a approuvé l’accord sur le projet. Si la version préliminaire de la directive affichait de fortes ambitions, le texte témoigne de reculs, fruits de concessions. Néanmoins, cette directive demeure un texte historique qui détaille les obligations de vigilance des entreprises au regard des droits humains, de l’environnement et du climat et qui met en place des mécanismes de contrôles et d’accès à la justice, le tout à l’échelle européenne (!).

Le projet de directive a vu son champ d’application se réduire. En effet, elle ne concerne désormais que les entreprises de plus de 1 000 salariés réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions €. Les entités hors UE, dont les entreprises canadiennes, devront réaliser un chiffre d’affaires de plus de 450 millions € en Europe pour être concernées. Au départ, le texte s’appliquait aux entreprises rassemblant plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur ou égal à 150 millions € (ou, pour les entreprises non européennes de 300 millions € générés dans l’UE). Bien que les seuils ont donc été revus à la hausse, ils sont en réalité évolutifs, ces chiffres passant de 4 000 salariés et 900 millions € de chiffre d’affaires dans quatre ans, les autres entreprises étant visées dans cinq ans. Mais, l’application de la directive aux entreprises de certains secteurs considérés comme « à risque » (textile, agriculture, industrie minière…) a été malheureusement abandonnée. En bout de ligne, seulement 0,05 % des entreprises européennes (5 000 entreprises) vont être concernées par la directive, soit une diminution de 70 % des entreprises visées par rapport au texte validé en décembre 2023, du moins sur les trois premières années.

Les entreprises vont être tenues d’identifier, de prévenir et de supprimer les atteintes aux droits humains et à l’environnement issues de leur activité et de celle de leurs partenaires directs au sein de leur chaîne d’approvisionnement. Dans les grandes lignes, les entreprises vont ainsi devoir :

  • Identifier, évaluer et hiérarchiser les risques en matière de droits humains, de droits des travailleurs, et de l’environnement liés à leurs activités et à leurs partenaires directs;
  • Mettre en place des mesures préventives pour prévenir les violations des droits humains et des droits environnementaux;
  • Instaurer des mécanismes de suivi et d’évaluation pour vérifier l’efficacité de leurs mesures préventives et pour identifier les éventuels impacts négatifs sur les droits humains et l’environnement;
  • Inclure dans leur rapport annuel des informations détaillées sur les mesures prises pour identifier, prévenir et atténuer les risques identifiés, issues de leur activité et de celle de leurs partenaires directs ainsi que leur résultat.

Point intéressant, les entreprises devront intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques et systèmes de gestion des risques, ainsi qu’adopter et mettre en œuvre un plan de transition rendant leur modèle d’entreprise compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C prévu par l’Accord de Paris. En dépit de ces avancées, il faut tout de même regretter que des pans entiers des opérations en aval de la chaîne de valeur de l’obligation de vigilance, telles que les opérations de démantèlement et recyclage, de même que l’abandon des incitants aux plans de transition climatique ont été exclus. Dans le même sens, le lien entre plan de transition climatique et rémunération variable des dirigeants a été supprimé.

La directive n’a pas abandonné les sanctions puisqu’en cas de non-respect des obligations de diligence nécessaires, des amendes sont prévues qui ne peuvent pas dépasser 5 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise. Attention toutefois, l’engagement de la responsabilité des entreprises et ses modalités seront décidés par les États lors de leur transposition.

Quand on compare le projet et le résultat, l’Union européenne démontre que les États résistent parfois et que les entreprises n’accueillent pas facilement ce genre d’initiatives, malgré leurs volontés affichées. Bien que le Canada a été critiqué au moment de l’adoption de sa Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement, on se rend compte qu’elle le mérite d’exister. Avec la directive européenne, il n’en demeure pas moins que les droits humains et les enjeux sociétaux et climatiques s’intègrent dans la gouvernance des entreprises européennes… un message que le gouvernement du Canada devrait entendre pour travailler à un renforcement de la loi adoptée en 2023 (adoption d’un plan, ouverture au climat…) et que les entreprises devraient recevoir pour améliorer leurs pratiques et soutenir les initiatives législatives. C’est à ce prix que le Canada demeurera compétitif par rapport à ses concurrentes outre-Atlantique.

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Investissement ESG : un outil pour prévenir le greenwashing

Le RRSE offre un bel outil concernant le greenwashing des produits financiers. À la fin de l’automne 2023, le RRSE a produit un guide très utile que je vous invite à découvrir…

 

Résumé :

 

Ce guide a vocation à accompagner les institutions financières, les investisseurs et les détenteurs d’actifs dans leurs démarches d’investissement responsable, en les outillant plus particulièrement dans la détection de pratiques d’écoblanchiment qui représentent un frein à l’engagement dans la transition écologique par les investisseurs particuliers et institutionnels. – Une production du Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises (RRSE)

 

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Responsabilité sociale des entreprises

Planification fiscale agressive : l’oublié de l’ESG ?

Danielle A. Chaim et Gideon Parchomovsky propose un article (sur SSRN) abordant les limites de la prise en compte des facteurs ESG : la non tenue compte de l’évitement fiscal des entreprises !

 

Quelques extraits :

 

In a recent paper, we argue that amidst the enthusiasm about ESG, a critical parameter has gone virtually unnoticed: corporate tax behavior. The payment of corporate taxes is a powerful indicator of how a company views its role in society and supports the communities in which it operates and the stakeholders with whom it engages.

(…)

To demonstrate this gap, we have examined the criteria used by ESG rating agencies, their methodologies and scoring systems. We then supplemented our findings by direct communications with several agencies. Our investigation reveals a persistent tendency to overlook tax behavior when evaluating companies’ ESG profiles. Specifically, a company’s involvement in tax avoidance—the pursuit of transactions and structures to reduce tax liability in a manner that is contrary to the spirit of the law—hardly impacts its ESG score despite the potential consequences for stakeholders and society.

(…)

The emerging pattern suggests that rather than advocating for greater tax compliance that aligns more closely with ESG values, institutional investors, including those at the helm of the nation’s largest mutual ESG funds, may be fueling tax avoidance behavior. Given the broad economic and social implications of corporate tax avoidance, this inclination reflects the illusory promise of asset managers as ESG regulators.

As to public corporations, our analysis of the tax performance of many U.S. corporations lauded for being the promoters of ESG goals reveals that they grossly underpay taxes, leading to unprecedented levels of corporate tax avoidance. 

(…)

To fix the problem and break the vicious cycle, we propose implementing changes on three fronts. First, ESG rating agencies must incorporate tax considerations into their ratings with considerable weight. Second, asset managers should explicitly commit to responsible tax behavior in their corporate guidelines and, under certain circumstances, divest from companies whose tax behavior falls below industry peers. Lastly, we advocate for mandatory public disclosure of tax-related information, including adopting a CbCR requirement for all U.S. public companies.

 

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Greenwashing climatique au Québec et au Canada : état des lieux et recommandations

L’écoblanchiment ou greenwashing est l’une des menaces la plus sérieuses à la responsabilité sociale et à la confiance que les parties accordent aux initiatives en ce domaine. L’écoblanchiment donne lieu à une certaine actualité en raison de recours devant les tribunaux ou les autorités en ce moment.

Le Centre québécois du droit de l’environnement a publié à l’automne 2022 une synthèse sur ce phénomène en matière climatique, synthèses assortie de recommandations.

 

Extrait :

Sur la base de ces quatre principes, le CQDE formule trois recommandations pour l’élaboration de politiques encadrant les déclarations climatiques des entreprises.

Recommandation 1
Les décideurs chargés de l’élaboration de politiques devraient publier ou entériner une norme de divulgation pour les déclarations climatiques émises par les entreprises au public. Ce cadre devrait inclure des règles de comptabilité carbone, de compensation et de déclaration. Il ne devrait pas être exclusif au
secteur financier et devrait couvrir autant les déclarations climatiques liées aux activités que celles liées aux produits et services.

Recommandation 2
Les décideurs devraient faire de l’écoblanchiment climatique une haute priorité pour les autorités chargées de la protection du consommateur, lesquelles devraient mettre en place des équipes d’enquête qui surveillent activement le marché, et devraient publier des lignes directrices dédiées aux déclarations climatiques.

 

Recommandation 3
Les décideurs politiques devraient adopter une approche cohérente et complète qui tient compte des diverses initiatives privées et des réformes législatives à venir relatives à la comptabilité carbone, aux cibles de réduction et aux déclarations obligatoires aux autorités publiques. Toute initiative politique additionnelle devrait englober à la fois les règles de protection du consommateur et de divulgation financière, et devrait s’assurer que les entreprises sont assujetties à des normes de divulgation et de déclaration cohérentes d’un régime à l’autre.

 

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Gouvernance mission et composition du conseil d'administration

Avoir des réseaux : est-ce nuisible ?

Intéressant Coup d’oeil du Collège des administrateurs (CAS) qui résume une étude sur les affinités de réseaux au CA (« Les affinités de réseaux au CA : nuisibles ou bénéfiques?« ). Sur la base de l’article synthétisé, le professeur Henir dégage d’intéressantes pistes de réflexion pour les CA. Les voici :

 

Extrait :

Dans quelle mesure les membres de vos comités affichent-ils des affinités de réseaux? Est-ce que cette présence ou absence contribue à l’efficacité du comité et par ricochet celle du conseil d’administration?

Votre conseil est-il sensible à l’existence même de ce phénomène?

Jusqu’à quel point votre CA encourage ou décourage l’existence de certaines affinités de réseaux entre ses membres?

Dans quelle mesure votre conseil est-il conscient de l’existence potentielle d’affinités de réseaux entre ses membres et la ou le PDG?

De quelle manière est établie la composition des comités du CA?

Dans une logique de gouvernance ambidextre, estimez-vous votre CA en équilibre :

  • entre les avantages des affinités de réseaux et les vertus de la diversité au CA?
  • entre la compétence des membres et leur indépendance?
  • entre la diversité des points de vue et la recherche d’un consensus?

 

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Gouvernance objectifs de l'entreprise parties prenantes Valeur actionnariale vs. sociétale

Stakeholder Governance and the Eclipse of Shareholder Primacy : une lecture du matin

Bel article de Martin Lipton tiré du Harvard Law School Forum on Corporate Governance intitulé : « Stakeholder Governance and the Eclipse of Shareholder Primacy » (7 mai 2024). Cet article (court) fait de précieux rappel et évoque également les actualités récentes sur la question. Il y a qui plus est de belles sources !

 

Extrait :

Today, there is a growing recognition of the harm that shareholder primacy has wrought. In a widely heralded edition of his annual letter to shareholders, Jamie Dimon, CEO of JPMorgan Chase, recently decried the “treadmill to ruin” for companies that succumb to the undue pressure of quarterly earnings by resorting to shortcuts, calling instead for building shareholder value over the long run by considering all of the company’s stakeholders, from customers to employees to communities. Echoing that concern, The Financial Times’ Rana Foroohar regularly implores policymakers and business leaders to beware “the perils of short-term financial market pressures” confronting the United States, warning in particular about a looming transport-and-logistics “crisis moment” due to the dramatic contraction in the American shipbuilding industry over the past several decades. And in the academic world, a variety of scholars have been rethinking prevailing theories of corporate governance — from Harvard Business School’s Joseph Bower and Lynn Paine, in The Error at the Heart of Corporate Leadership; to Oxford University’s Colin Mayer, who decisively states in his book Capitalism and Crises that the purpose of the corporation is “to produce profitable solutions for the problems of people and planet, not profiting from producing problems for either.” Indeed, recent debates about the corporation’s fundamental purpose have borne fruit in powerful statements of the urgency of stakeholder governance for our Nation’s economy, and for society more broadly.

(…)

With this history in mind, we continue to believe that It’s Time to Adopt The New Paradigm — CEOs and boards of corporations should forge partnerships with shareholders and other stakeholders in order to resist short-termism and embrace stakeholder governance in pursuit of sustainable, long-term value creation. And, it bears cautioning, corporations must not be diverted from this commitment by the growing politicization and polarization around specific environmental, social, and governance issues.

The panoply of complex stakeholder issues that companies face today remain integral to corporate sustainability, responsible risk management, and value creation. But the agendas of activists targeting stakeholder issues — in some cases, opposing consideration of such issues altogether, and in other cases, seeking to mandate the board’s prioritization of a specific stakeholder issue — threaten to distort stakeholder governance and undermine our progress away from the era of shareholder primacy. As we recently reiterated, “There should be no doubt that the law in Delaware and every other U.S. jurisdiction empowers well-advised boards . . . to vindicate long-term value as the true purpose of the corporation.” It remains incumbent upon and entirely within the purview of boards of directors to exercise their reasoned business judgment in carefully balancing the interests of all stakeholders in order to create long-term, sustainable value.

The emerging consensus about the essential role of stakeholder governance in America’s long-term corporate, economic, national security, and societal prosperity, heralds a development long overdue: the eclipse of shareholder primacy.

 

À la prochaine…

Normes d'encadrement Responsabilité sociale des entreprises

RSE, ESG et conformité au coeur d’un article dans la revue Lamy Droit des affaires

Ma collègue Morgane Tirel vient de publier un article que je vous conseille sur les liens et les distinctions entre RSE, ESG et compliance… tout un programme !

  • « RSE, ESG et compliance : éléments pour une distinction » (2023) 189 R Lamy Dr Affaires 22 à la p 25.

 

Pour accéder à cet article sur une plateforme d’accès libre : ici

 

Résumé :

RSE, ESG, compliance : ce triptyque est omniprésent dans le discours politique et économique, et désormais juridique. Loin d’être synonymes, ces concepts sont porteurs de sens et d’enjeux différents. Une clarification conceptuelle s’impose, permettant de distinguer la RSE de la compliance et de l’ESG afin de ne pas occulter, derrière des logiques procédurales (compliance) ou des indicateurs financiers (ESG), le principe de responsabilité propre à la RSE.

 

À la prochaine.