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Entreprise à mission : le cas Danone

Belle analyse de M. Stéphane Lauer sur LinkedIn : « Danone, entreprise à mission… impossible » (30 novembre 2020).

Extrait :

Le capitalisme bien ordonné

Mais le 23 novembre, face au recul de son cours de Bourse et à la chute des ventes d’eau en bouteille à cause de la crise liée à la pandémie, Danone a été obligé de rentrer dans le rang du capitalisme bien ordonné. L’amélioration de la compétitivité redevient la priorité au détriment des emplois, dont un quart doit disparaître dans les sièges sociaux pour économiser plusieurs centaines de millions d’euros.

Danone est-il au bord du dépôt de bilan ? Pas vraiment. Le groupe a versé 1,4 milliard d’euros de dividendes au titre des résultats de 2019, tandis qu’au premier semestre, les bénéfices se sont élevés à plus de 1 milliard d’euros, permettant de dégager une marge de 14 % du chiffre d’affaires. « La protection de la rentabilité d’une entreprise est fondamentale », explique le PDG. Certes, mais jusqu’où ?

La question fondamentale est celle du juste partage de la valeur. Est-il raisonnable que les rendements des entreprises restent aussi élevés que dans les années 1980 alors qu’entre-temps les taux d’intérêt à long terme sur les dettes publiques sont tombés à zéro et que la croissance a été divisée par deux ? Une rentabilité des fonds propres aux alentours de 15 % a-t-elle un sens dans un groupe agroalimentaire qui n’est ni une star de la high-tech ni un géant du luxe ? Des taux de marges d’un tel niveau sont-ils compatibles avec la préoccupation de rémunérer équitablement les producteurs de lait, de continuer à être présent sur certains marchés, de consacrer une part équitable des profits à sa masse salariale ?

Emmanuel Faber répond qu’à partir du moment où ses concurrents proposent des rendements supérieurs, son entreprise ne peut pas se laisser distancer. « Il est pris à son propre piège, estime Patrick d’Humières, consultant en stratégie durable et enseignant à l’Ecole centrale de Paris. S’il ne parvient pas à nouer un pacte avec des actionnaires qui comprennent que la course avec Nestlé ou Coca-Cola ne doit pas être le seul horizon de l’entreprise, le double discours sera compliqué à tenir sur le long terme. »

Au détriment des salaires

Il ne s’agit pas de clouer au pilori Emmanuel Faber. Il a su prendre des initiatives courageuses et ambitieuses sur le plan sociétal en droite ligne avec l’héritage laissé par le fondateur de Danone, Antoine Riboud. En réalité, le dilemme auquel l’entreprise fait face aujourd’hui pose la question du niveau de la rémunération du capital, qui devient de moins en moins soutenable sur le plan social et écologique.

Ces rendements mirifiques qui sont devenus la norme à partir des années 1980 ont fini par aboutir à une déformation spectaculaire du partage de la valeur au détriment des salaires. Logiquement, les rémunérations auraient dû progresser au même rythme que la productivité du travail. Or, depuis 1990, celle-ci a fait un bond de 50 % dans les pays de l’OCDE, alors que les salaires n’augmentaient que de 23 %.

Bien sûr le phénomène a été caricatural aux Etats-Unis, moins sensible en France. Mais le mécanisme reste le même. Pour que les entreprises puissent continuer à servir à leurs actionnaires les rendements exigés, il a fallu comprimer la part accordée aux salariés grâce à la flexibilisation du marché du travail, à la libéralisation à outrance des échanges, à la délocalisation de la production dans des pays à faibles coûts. La contrepartie s’est traduite dans les pays développés par une baisse du pouvoir d’achat, la disparition des emplois intermédiaires. Partout on assiste à la montée des inégalités.

Même constat sur le plan environnemental. Le maintien dans la durée de retours sur investissement artificiellement élevés conduit les entreprises à générer des externalités qui sont incompatibles avec ce que la planète est capable de supporter. « Les entreprises peuvent se déclarer “à mission”, chercher à améliorer leurs performances environnementales et sociales, mais rien de majeur ne changera si le rendement exigé du capital reste aussi élevé », tranchait récemment dans ces colonnes Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis. Patrick d’Humières est encore plus précis : « Il n’y aura pas d’économie durable dans les entreprises cotées si celles-ci ne parviennent pas à convaincre leurs actionnaires qu’ils doivent réduire leur rémunération de quatre ou cinq points. »

De plus en plus de fonds de pension et de fonds souverains arbitrent leurs investissements en fonction de critères sociaux et environnementaux. C’est un progrès décisif, mais si cette évolution ne s’accompagne pas d’une modération des rendements exigés, Danone et d’autres risquent de se transformer en entreprise à mission… impossible.

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La société à mission : quel fonctionnement ?

Me Errol Cohen publie un intéressant article dans Les Échos.fr sur l’entreprise à mission : « La société à mission : un fonctionnement spécifique, Fiscalité et droit des entreprises » (13 août 2020).

Extrait :

La société à mission : un fonctionnement spécifique, Fiscalité et droit des entreprises

Le statut de société à mission s’appuie sur les travaux académiques relatifs à la société à objet social étendu. Mais il les adapte aux nouvelles dispositions relatives à la « raison d’être » . Ce dernier étage de la fusée regroupe essentiellement les principes suivants : une définition de la mission, étendant l’objet social, marquant l’engagement de l’entreprise et assurant l’opposabilité de la mission ; une mission qui intègre des objectifs d’ordre social et environnemental, propres à l’entreprise, et non réductibles au profit ; une mission qui constitue un outil d’ancrage de l’entreprise dans son environnement, ses écosystèmes et plus largement dans le cours de l’histoire, et qui vient donc donner un déploiement plus approfondi et plus opérationnel à la « raison d’être » ; un principe de contrôle interne de cet engagement par un comité de mission dont la composition reflète les différentes parties inscrites dans la mission, et notamment un salarié. Les parties prenantes de l’entreprise (sans que cette liste soit exhaustive, clients, fournisseurs, salariés, famille de ceux-ci, le territoire où ils se trouvent, etc.) ne sont pas explicitement mentionnées dans le texte de la « société à mission » mais elles sont clairement évoquées dans les débats parlementaires.

La notion de mission englobe aussi indirectement les principes suivants : la prise en compte du temps long, de l’innovation et de la recherche ; le développement pérenne, comme fondement de l’entreprise et de son engagement collectif ; la restauration de la liberté d’arbitrage du dirigeant et des instances de direction ; l’arbitrage éclairé dans le cadre de la mission.

La raison d’être, tout comme la mission, se distingue de la vocation habituelle de la société ou d’une activité qui se justifierait avant tout par son but lucratif. Elles doivent marquer des « avancées » et des engagements par rapport à l’objet social habituel, et donc impliquer des engagements nouveaux et des transformations à venir promises à certaines parties. Raison d’être et mission sont clairement des vecteurs de mouvement et de progrès collectif. Certes, des particularismes dans l’activité ou dans le déploiement d’une société peuvent rendre plus aisé le passage en société à mission, mais ils ne peuvent pour autant lui servir de substitut.

Indépendance du dirigeant face aux actionnaires

L’établissement d’une mission invite les dirigeants, dans leurs relations avec les actionnaires et les parties prenantes, à une prise de conscience plus large de leur action, des énergies à libérer et des partenaires à prendre en compte. La mission sera une vigoureuse incitation à projeter les valeurs sociales, environnementales et d’innovation dans un monde plus responsable et riche de sens. Ce plaidoyer peut paraître « idéaliste », mais il ne l’est en rien.

Il est facile de constater que les entreprises sont devenues des acteurs fondamentaux de nos sociétés, tant par la croissance économique et sociale qu’elles peuvent amener que par les impacts négatifs (pollutions, inégalités…) qu’elles peuvent induire.

Rappelons que ce qui s’est révélé être un parti pris idéaliste, c’était l’idée que les entreprises par la seule prise en compte de leur « intérêt bien compris » adopteraient spontanément des démarches engagées en faveur d’une responsabilité sociale et environnementale accrue. Or – et c’est là que se cachait l’idéalisme – c’était supposer que les dirigeants ont toujours les moyens de résister face aux exigences et aux pressions en termes de valeur actionnariale ; la recherche a bien montré que cette résistance, si elle existe, ne dure pas longtemps. Car l’univers des actionnaires est lui-même un univers en mouvement rapide.

Et si certains actionnaires peuvent être attentifs à l’intérêt à long terme de l’entreprise, encore faut-il que cette stratégie ne joue pas trop sur le cours des actions, car une baisse attirerait immédiatement des fonds activistes avides d’opérations aux effets rapides et qui rapportent gros. Paradoxalement, dans un monde dominé par la valeur actionnariale et les codes de gouvernance standards, un comportement vertueux vulnérabilise l’entreprise et peut la soumettre à des risques difficilement soutenables. Ce qui revient simplement à dire que l’idéalisme réside surtout dans l’idée que les dirigeants peuvent installer un comportement responsable envers et contre tous les mécanismes juridiques et normatifs actuels.

La société à mission permet de sortir du paradoxe de la vertu contre-productive et vulnérabilisante. Elle offre un schéma de gouvernance alternatif et cohérent qui soutient le dirigeant en réorganisant ses relations avec les actionnaires et les parties prenantes.L’auteur

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Benefit Company : une synthèse

Sur le sujet, vous pourrez lire sur le site Osler : Trevor Scott et Andrew MacDougall, « La Colombie-Britannique introduit la « société d’intérêt social » (benefit company) dans sa législation ».

Extrait :

Qu’est-ce qu’une société d’intérêt social ?

Une société d’intérêt social est une société à but lucratif qui s’engage, au moyen d’une « déclaration d’intérêt social » (benefit statement) et d’une « disposition relative à l’intérêt social » (benefit provision) à exercer ses activités de manière responsable et durable, et à promouvoir un ou plusieurs « intérêts publics » :

  • déclaration d’intérêt social – L’avis relatif aux statuts de la société comportera la déclaration qui suit : « Cette société est une société d’intérêt social et, par conséquent, elle s’engage à exercer ses activités de manière responsable et durable et à promouvoir un ou plusieurs intérêts publics. » (traduction libre)
  • disposition relative à l’intérêt social – Les statuts de la société doivent préciser les intérêts publics dont la société d’intérêt social fait la promotion et ils établissent son engagement à :
    • exercer ses activités de « façon responsable et durable » et
    • promouvoir les intérêts publics qu’elle a choisis. (traduction libre)

Un « intérêt public » s’entend d’un « effet positif » qui profite à un groupe de personnes (autre que les actionnaires en leur qualité de détenteurs d’actions), à un type de collectivité ou d’organisation, ou à l’environnement. L’« effet positif » éventuel peut notamment en être un de nature artistique, philanthropique, culturelle, écologique, éducative, environnementale, littéraire, médicale, religieuse, scientifique ou technologique.

La Loi prévoit qu’une société d’intérêt public exerce ses activités de « façon responsable et durable » si elle :

  • tient compte du bien-être des personnes touchées par les activités de la société d’intérêt public;
  • s’efforce d’utiliser une part équitable et proportionnée des ressources et capacités environnementales, sociales et économiques disponibles.

Pourquoi devenir une société d’intérêt social ?

On se demande de plus en plus si les entreprises, en plus de maximiser leur valeur pour les actionnaires, devraient avoir un objectif social plus important. La tendance croissante à l’adoption d’une législation sur les sociétés d’intérêt social aux États-Unis, et maintenant au Canada, l’illustre bien. Cette réflexion se manifeste également dans la déclaration de l’organisation américaine Business Roundtable d’août 2019 dans laquelle 181 chefs de la direction d’entreprises américaines ont redéfini la raison d’être d’une société pour manifester leur engagement collectif à diriger leur entreprise au profit de toutes les parties prenantes, notamment les clients, les employés, les fournisseurs, les collectivités et les actionnaires. Depuis 1978, la Business Roundtable a publié des principes de gouvernance d’entreprise, qui vont maintenant au-delà de la primauté des actionnaires et englobent désormais la reconnaissance des autres parties prenantes. Les lettres annuelles du président du conseil et chef de la direction de BlackRock, Larry Fink, soulignent par ailleurs le fait qu’une société ne peut réaliser de bénéfices à long terme si elle ne se fixe pas d’objectifs et si elle ne tient pas compte des besoins d’un large éventail de parties prenantes. En 2006, B Lab, un organisme sans but lucratif, a créé le programme de certification « B Corporation » dans le cadre duquel une société devient certifiée et peut se désigner comme étant une « B Corp » une fois que B Lab a évalué l’impact positif global de l’entreprise et déterminé qu’elle a obtenu un pointage vérifié minimum en fonction de son impact sur ses travailleurs, ses clients, la collectivité et l’environnement, et une fois que l’entreprise a modifié ses actes constitutifs pour y inclure certaines dispositions exigées par B Lab. La certification « B Corp » a gagné en popularité, avec une augmentation de 25 % du nombre de sociétés certifiées « B Corp » en 2019. On compte actuellement plus de 2 500 entreprises certifiées « B Corp », dont 1 269 sociétés américaines et 275 sociétés canadiennes. Certaines de ces « B Corp » sont cotées en bourse.

Les entreprises peuvent tirer parti du statut de société d’intérêt social pour acquérir un capital social et une reconnaissance de marque auprès de ses parties prenantes et en profiter pour se distinguer de ses concurrents. Dans un contexte où les investisseurs se préoccupent de plus en plus des questions environnementales et sociales et cherchent à investir dans des entreprises reconnues comme leaders dans ces domaines, le fait pour une entreprise de devenir une société d’intérêt social peut lui permettre d’accéder à des sources de financement supplémentaires de la part d’investisseurs désireux d’investir dans des entreprises qui ont à la fois un mandat économique et un mandat social.

En quoi les fonctions de l’administrateur et du dirigeant de l’entreprise d’une société d’intérêt social sont-elles différentes ?

Dans toutes les sociétés, y compris les sociétés d’intérêt social, les administrateurs et les dirigeants sont tenus à une obligation fiduciaire au titre de laquelle ils doivent agir avec intégrité et de bonne foi, au mieux des intérêts de la société.

Les administrateurs et dirigeants des sociétés d’intérêt social ont deux responsabilités supplémentaires (les « responsabilités de la société d’intérêt social ») :

  • agir honnêtement et de bonne foi de sorte que l’entreprise exerce ses activités de manière responsable et durable et fasse la promotion des intérêts publics inscrits aux statuts de la société;
  • maintenir l’équilibre entre l’obligation susmentionnée et l’obligation fiduciaire.

La Cour suprême du Canada a déclaré que les administrateurs, en exécutant leurs obligations fiduciaires et en déterminant ce qui sert au mieux les intérêts de la société, peuvent examiner les intérêts de diverses parties prenantes, notamment les employés, les fournisseurs, les créanciers, les consommateurs, les gouvernements et l’environnement, mais ils n’y sont pas tenus. Cependant, dans le cas d’une société d’intérêt social, les intérêts de certaines parties prenantes qui ne sont pas des actionnaires et dont le bien-être peut être touché par les intérêts publics stipulés dans les statuts de la société doivent, dans les faits, être examinés et les administrateurs et dirigeants doivent veiller au maintien de l’équilibre entre les intérêts de ces parties prenantes et ceux de la société dans son ensemble.

La Loi accorde une certaine protection aux administrateurs et aux dirigeants dans l’exécution de leurs obligations pour la société d’intérêt social. Ainsi, un administrateur ou un dirigeant qui agit conformément aux obligations de la société d’intérêt social ne peut être en violation de ses obligations fiduciaires d’agir dans l’intérêt supérieur de la société. Certains commentateurs ont laissé entendre que le fait de pouvoir définir l’intérêt public au sens large dans les statuts d’une société pourrait réduire considérablement l’obligation de rendre compte de la direction et du conseil d’administration. Cela ne signifie cependant pas que l’administrateur ou le dirigeant qui agit selon les intérêts publics indiqués dans les statuts de la société peut ignorer ses obligations fiduciaires à l’égard de la société, puisqu’il a l’obligation de maintenir un équilibre entre ces deux responsabilités. Comme la Loi ne fournit pas d’indications sur la façon dont les administrateurs et les dirigeants doivent s’acquitter de leurs responsabilités dans une société d’intérêt social, il appartiendra aux tribunaux de déterminer si un administrateur ou un dirigeant s’est conformé à ses obligations.

La Loi prévoit par ailleurs que les administrateurs et les dirigeants n’ont aucune obligation envers toute personne dont le bien-être peut être touché par l’exercice des activités de la société, ou qui a un intérêt public énoncé dans les statuts de la société, et qu’aucune procédure ne peut être intentée contre eux à cet effet. Des procédures peuvent uniquement être intentées en raison d’une violation des obligations de la société d’intérêt social par « un actionnaire détenant, au total, au moins 2 % des actions émises de la société ou, dans le cas d’une société ouverte, 2 % des actions émises ou des actions émises dont la juste valeur marchande se chiffre à 2 000 000 $ au moins, si ce montant est moins élevé. » (traduction libre). En raison de ces seuils, les intérêts publics énoncés dans les statuts de la société ne pourront pas tous être considérés de la même façon. Il est probable que l’accent soit mis uniquement sur les intérêts publics qui intéressent de temps à autre un grand nombre d’actionnaires.

De surcroît, un tribunal ne peut pas condamner à des dommages pécuniaires à l’égard d’une violation des responsabilités de la société d’intérêt social. Il peut cependant ordonner une mesure de réparation non pécuniaire, y compris une ordonnance de se conformer.

Comment devenir une société d’intérêt social ?

Toute société nouvelle ou déjà établie peut devenir une société d’intérêt social en incorporant la déclaration d’intérêt social dans son avis relatif aux statuts de la société et la disposition relative à l’intérêt social dans ses statuts, auxquels les actionnaires auront consenti au moyen d’une résolution spéciale. De son côté, une société d’intérêt social peut cesser de l’être en retirant la déclaration d’intérêt social dans son avis relatif aux statuts de la société et en retirant la disposition relative à l’intérêt social dans ses statuts, avec le consentement des actionnaires manifesté au moyen d’une résolution spéciale.

Les actionnaires qui s’opposent à l’ajout ou à la suppression de ces dispositions peuvent exercer leur droit à la dissidence dans le cadre de la résolution spéciale et, si cette dernière est adoptée, les actionnaires dissidents pourront faire racheter leurs actions à leur juste valeur.

Quelles sont les responsabilités continues d’une société d’intérêt social ?

Pour conserver son statut de société d’intérêt social, la société doit produire un rapport annuel des avantages qui comporte une évaluation des résultats en matière d’intérêts publics de la société selon une norme établie par une tierce partie. Les normes tierces peuvent notamment comprendre celles de la certification B Corp, de la Global Reporting Initiative et du Sustainability Accounting Standards Board. Les sociétés d’intérêt social doivent conserver leurs rapports des avantages à leur siège social et les publier sur leur site Web (si elles en ont un). Le défaut de publier leur rapport annuel sur les avantages ou de publier un rapport conforme à la Loi et à toute réglementation applicable constitue une infraction en vertu de la Loi, pour laquelle la société s’expose à une amende maximale de 5 000 $. Le gouvernement ne surveille pas l’évaluation des résultats de l’entreprise par rapport à ses intérêts publics.

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Décret sur les entreprises à mission : parution début janvier 2020

Le Décret n° 2020-1 du 2 janvier 2020 relatif aux sociétés à mission précise, d’une part, les déclarations que la société doit effectuer lors de sa demande d’immatriculation et les informations portées au répertoire mentionné à l’article R. 123-222 du code de commerce et, d’autre part, la vérification effectuée par l’organisme tiers indépendant sur l’exécution par la société à mission des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés dans les statuts, que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité. S’agissant de l’intervention de l’organisme tiers indépendant, les dispositions sont inspirées de celles relatives à la vérification des informations de la déclaration de performance extra-financière par un organisme tiers indépendant.

Pour accéder au décret : ici

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Publication du guide « Entreprises à mission : de la théorie à la pratique »

Le 7 novembre 2019, Citizen Capital et Deloitte ont publié le guide « Entreprises à mission : de la théorie à la pratique ».

Résumé :

Reconnue par la loi Pacte sous le nom de « société à mission », la notion d’entreprise à mission naît dans le prolongement de travaux de recherche démarrés il y a 10 ans en France, interrogeant la nature de la crise de 2008 : simple crise économique et financière ou mutation plus profonde des systèmes de gouvernance de l’entreprise ? A quoi sert l’entreprise ? A qui appartient l’entreprise ? Quel est le rôle de l’actionnaire ? Des formes d’entreprises affirmant une finalité sociale ou environnementale au cœur de leur business model émergent dans plusieurs pays contribuant à renouveler progressivement ces représentations.

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Projet de loi PACTE : le Sénat ne souhaite pas « repenser la place de l’entreprise dans la société »

Depuis la fin de l’année 2017, le projet de loi PACTE sur la croissance et la transformation des entreprises anime grandement l’actualité française en matière de droit des sociétés. Alors que le chemin semblait tracé vers la consécration des enjeux sociétaux et environnementaux dans la gouvernance d’entreprise, le Sénat a décidé de supprimer l’article 61 relatif à ces considérations dans le projet adopté le 12 février 2019.

Retour sur les étapes antérieures du projet de loi PACTE

En octobre 2017, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) prenait naissance dans la stratégie du gouvernement français alors nouvellement élu. Dans cette optique de modernisation de l’économie, la présentation du rapport L’entreprise, objet d’intérêt collectif[1] proposait la réécriture des articles 1832, 1833 et 1835 du Code civil, qui constituent les fondements juridiques du droit des sociétés en France. Derrière cette idée, il s’agissait d’intégrer dans la gestion courante des affaires de l’entreprise la prise en compte de l’intérêt général d’une façon assez élargie pour y intégrer les parties prenantes, la société dans sa globalité et l’environnement.

En juillet 2018, le projet de loi prenait forme et était présenté à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une procédure législative accélérée[2]. Or, ce texte ne reprenait alors que la modification des articles 1833 et 1835 pour parvenir à « repenser la place de l’entreprise dans la société » [3]. Ainsi, il s’agissait de réécrire l’article 1833 en y incluant un nouvel alinéa disposant que « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité »[4]. Un changement majeur intervenait plus particulièrement dans l’article 1835. En effet, le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale entendait doter le droit des affaires français de son propre modèle d’entreprise hybride, alors nommée entreprise à mission sociétale[5]. En venant rompre avec l’idée traditionnelle que les entreprises ne poursuivent comme unique finalité que la maximisation des profits pour les actionnaires, M. Bruno Lemaire, ministre de l’économie et des finances, et M. Édouard Philippe, premier ministre, à travers cette proposition, souhaitaient permettre aux entreprises de se doter d’une « raison d’être », précisée dans les statuts de la société, et qui orienterait la gestion de l’entreprise conformément à son objet social[6]. L’avenir du droit des sociétés français tendait ainsi à se moderniser face aux enjeux sociaux et environnementaux majeurs du XXIe siècle. En octobre 2018, ce projet de loi été adopté par l’Assemblée nationale.

Le recul du Sénat

Alors que l’optimisme avait envahi les partisans de l’entreprise à mission sociétale, le Sénat a décidé de ne pas se ranger de leur côté en supprimant l’article 61 du projet voté le 12 février 2019. Dans les discussions ayant eu lieu autour de ces articles, plusieurs arguments ont été soulevés. D’une part, les sénateurs favorables à ces articles défendent l’idée que les enjeux sociaux et environnementaux doivent être intégrés à la gouvernance d’une entreprise qui évolue dans un contexte aujourd’hui soucieux d’un développement durable, responsable et pérenne[7]. De ce fait, le gouvernement s’est prononcé à ce sujet par le biais de sa secrétaire d’État, Mme Agnès Pannier-Runacher en soutenant que

  • le droit serait ainsi en accord avec la réalité dans laquelle il s’inscrit, qui est celle d’un monde entrepreneurial où les chefs d’entreprise ont la volonté de faire évoluer leur structure pour faire le bien dans la communauté ;
  • qu’il est actuellement impossible d’ignorer que les activités économiques ont un impact social et environnemental et que la prévention des risques au sein d’une entreprise passe par la prise en compte de la RSE, qui a su démontrer qu’elle agit positivement sur la performance de cette dernière[8].

À l’opposé, les sénateurs qui n’y sont pas favorables ont dénoncé « un risque juridique et contentieux important sur les sociétés de toute taille » par rapport à des actions en responsabilités qui pourraient être menées envers les dirigeants d’entreprises pour ne pas avoir pris suffisamment en compte les enjeux sociaux et environnementaux[9]. La problématique que la RSE puisse devenir un « alibi juridique » a également été soulevée, emportant avec elle le risque d’« annihiler l’élan réel » qu’elle connaît actuellement[10]. Enfin, la rédaction de l’article 61 du projet de loi PACTE a été vivement critiquée. La « prise en considération » des enjeux sociaux et environnementaux ainsi que le « pouvoir » de définir une « raison d’être » dans les statuts manquent pour certains de clarté, altérant ainsi le droit positif français et ouvrant la porte à des ambiguïtés et de l’insécurité juridique si des litiges venaient à être portés devant les juges[11].

Le débat s’est clôturé avec un vote favorable à l’amendement n° 653 qui visait à supprimer l’article 61 du projet de loi PACTE. À l’heure actuelle, il n’est donc plus question pour le Sénat de « repenser la place de l’entreprise dans la société ».

Et maintenant ?

Étant donné les modifications majeures qui ont été adoptées par le Sénat, le processus législatif accéléré qui régit ce projet de loi s’ouvre maintenant sur une commission mixte paritaire qui se réunira le 20 février 2019 pour tenter de trouver un consensus sur ce texte.

Affaire à suivre !


[1] Nicole NOTAT et Jean-Dominique SENARD, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, Rapport aux ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Économie et des Finances, du Travail, 9 mars 2018, en ligne : https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=FAA5CFBA-6EF5-4FDF-82D8-B46443BDB61B&filename=entreprise_objet_interet_collectif.pdf.

[2] Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi n° 1088 (19 juillet 2018 – renvoyé à une commission spéciale), 15e légis., en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl1088.pdf.

[3] C’est ainsi qu’est intitulée la section 2 du Chapitre III – Des entreprises plus justes, comprenant les articles 61 et suivants du projet de loi PACTE, voir : Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi n° 1088 (19 juillet 2018 – renvoyé à une commission spéciale), 15e légis.,  en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl1088.pdf.

[4] Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi n° 1088 (19 juillet 2018 – renvoyé à une commission spéciale), 15e légis., article 61, p. 190, en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl1088.pdf.

[5] Une entreprise à mission sociétale est une entreprise lucrative qui a pour activité une vente de biens et/de services, et qui limite la distribution des bénéfices réalisés pour les réinvestir dans la réalisation d’une mission extrafinancière.

[6] Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi n° 1088 (19 juillet 2018 – renvoyé à une commission spéciale), 15e légis., article 61, p. 191, en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl1088.pdf.

[7] Intervention de M. Fabien Gay, Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206018.html.

[8] Intervention de Mme Agnès Pannier-Runacher (secrétaire d’État), Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206019.html.

[9] Intervention de Mme Patricia Morhet-Richaud, Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206018.html.

[10] Intervention de Mme Sophie Primas, Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206019.html.

[11] Intervention de M. Dominique Legge et de M. Jean-Marc Gabouty, Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206019.html.