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Nos étudiants publient : « Maximisation de la valeur actionnariale : une nouvelle idéologie ? » Retour sur un texte de Lazonick et O’Sullivan (billet de Guillaume Giguère et Pierre-Luc Godin)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée pares derniers sur le primat de la valeur actionnariale et relisent l’étude de William Lazonick et Mary O’Sullivan « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance ». Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Le texte « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance »[1], écrit par les auteurs William Lazonick et Mary O’Sullivan, a pour but de mettre en perspective l’évolution et l’impact de l’idéologie entourant la maximisation de la valeur des actionnaires en tant que principe ancré de gouvernance corporative aux États-Unis depuis les années 80. Plus précisément, les auteurs tracent une analyse historique de la transformation d’une stratégie corporative s’orientant davantage vers la rétention des bénéfices de l’entreprise et de leur réinvestissement dans la croissance corporative (ci-après « retain and reinvest »), en une stratégie corporative beaucoup plus axée sur la réduction des effectifs de l’entreprise et la distribution des bénéfices des sociétés par actions aux actionnaires (ci-après « downsize and distribute »). Ultimement, les auteurs en viennent à se demander si cette nouvelle stratégie est appropriée pour diriger la gouvernance des entreprises.

Une nouvelle stratégie ?

Dans les années 60 et 70, deux problématiques principales ont poussé les entreprises à réfléchir à une nouvelle stratégie corporative à adopter au détriment de celle du retain and reinvest : l’amplification de la croissance de la société et la progression de nouveaux concurrents. Relativement à la première problématique, l’envergure que prenaient les entreprises, ainsi que leur subdivision, engendra des difficultés au niveau de la prise de décisions, laquelle s’est effectuée de plus en plus de manière centralisée. Relativement à la seconde problématique, l’environnement macroéconomique instable et l’ascension d’une compétition internationale innovante occasionnée notamment par la production de masse des industries automobiles et électroniques ont amené les entreprises américaines à faire une prise de conscience sur la nécessité d’améliorer leurs procédés.

Dans la foulée des conséquences du retain and reinvest, des économistes financiers américains ont développé dans les années 70 une nouvelle approche dans le domaine de la gouvernance d’entreprise connue sous le nom de « théorie de l’agence » (« agency theory »). Ces économistes considéraient qu’il était préférable pour les organisations qu’elles laissent le marché faire son œuvre en s’abstenant d’intervenir excessivement dans l’allocation des ressources. Selon cette nouvelle théorie, les actionnaires sont les principaux intéressés tandis que les dirigeants sont leurs agents, qui doivent agir dans leur intérêt. La limitation du contrôle des dirigeants sur l’allocation des ressources et le renforcement de l’influence du marché forcerait ainsi les dirigeants à agir dans l’intérêt des actionnaires en visant davantage la maximisation de la valeur des actions. En addition, dans cette même période, la poursuite d’un objectif de création de valeur pour les actionnaires dans l’économie américaine a trouvé du support auprès de nouveaux acteurs : les investisseurs institutionnels. Ces investisseurs institutionnels, incarnés par les fonds mutuels, les fonds de pension et les compagnies d’assurance-vie, ont rendu possibles les prises de contrôle préconisées par les théoriciens de l’agence et ont donné aux actionnaires un pouvoir collectif important pour influencer les rendements et la valeur des actions qu’ils détenaient. L’accroissement des possibilités de financement, notamment avec le recours aux obligations pourries (« junk bonds »), un instrument spéculatif à haut taux de risque, a permis aux investisseurs institutionnels et aux institutions d’épargne et de crédit de devenir rapidement des participants centraux dans cette prise de contrôle hostile. Le résultat a été l’émergence d’un puissant marché pour le contrôle d’entreprise.

 

Au nom de la création de la valeur actionnariale

Dans une tentative d’accroître le rendement sur les capitaux propres, les années 80 et 90 ont été marquées par une réduction significative de la main-d’œuvre, par une augmentation considérable des dividendes distribués (même s’ils n’étaient pas toujours précédés par une augmentation de profits) et par des rachats d’actions importants et récurrents. L’implantation de cette stratégie de type downsize and distribute a d’ailleurs été soutenue par le fait que les dirigeants recevaient de plus en plus d’actions ou d’autres types de bonus en guise de rémunération depuis les années 50. En effet, cette stratégie a mené à l’explosion de la rémunération des hauts dirigeants.

Cependant, les rendements élevés des actions de sociétés, en plus de la réduction de la main-d’œuvre sous la stratégie du downsize and distribute, n’ont fait qu’exacerber l’inégalité des revenus aux États-Unis[2]. Pour réduire l’inégalité dans la distribution des richesses, il faut que les sociétés qui préconisent la stratégie downsize and distribute s’engagent à adopter certaines stratégies requérant qu’elles fassent aussi du retain and reinvest, particulièrement en faveur des cols bleus. Sans l’adoption de telles stratégies, il faudra alors aussi se demander si les États-Unis possèderont l’infrastructure technologique requise pour être prospères au 21e siècle. Par ailleurs, bien que l’adoption par les entreprises américaines d’une politique de downsize and distribute a fourni l’élan sous-jacent au boom boursier des années 90, il n’en demeure pas moins que le taux soutenu et rapide de la hausse des cours est principalement le résultat d’un afflux massif par les fonds mutuels en équité au sein du marché boursier.

Conclusion

Les auteurs clôturent leur texte en affirmant que le boom du marché boursier n’a pas mis plus de capitaux à la disposition de l’industrie, l’émission d’actions ayant demeurée faible, mais plutôt causé une hausse de la consommation par l’abondante distribution des revenus corporatifs. Se référant à des exemples de compagnies américaines dominantes dans leur secteur[3], lesquelles employaient les principes du retain and reinvest, ils retiennent de l’expérience américaine que la poursuite de la maximisation de la valeur des actionnaires est une stratégie appropriée si l’on souhaite ruiner une entreprise, voire même une économie. Il serait donc intéressant de voir si, aujourd’hui en 2017, la maximisation de la valeur des actionnaires est une stratégie de gouvernance qui a fait ses preuves et qui bénéficie d’une validation auprès des experts dans les milieux concernés[4].

 

Guillaume Giguère et Pierre-Luc Godin

Étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] William Lazonick et Mary O’Sullivan, « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance » (2000) 29:1 Economy and Society 13.

[2] Les ménages de classe moyenne détenant rarement des actions de sociétés.

[3] Causé notamment par l’investissement, dans ces fonds mutuels, des générations âgées ayant accumulés du capital durant les périodes marquées par le retain and reinvest.

[4] Il semblerait qu’au contraire, le principe de la maximisation de la valeur des actionnaires connaît aujourd’hui encore de vives critiques quant à son efficacité et ses effets. Voir à cet effet les articles suivants : Steve Denning, « Making Sense Of Shareholder Value: ‘The World’s Dumbest Idea’ », Forbes (17 juillet 2017); Steve Denning, « The ‘Pernicious Nonsense’ Of Maximizing Shareholder Value  », Forbes (27 avril 2017); Peter Atwater, « Maximizing Shareholder Value May Have Gone Too Far », Time (3 juin 2016). D’autres articles vont, quant à eux, à la défense du principe et misent sur la création de la valeur des actionnaires sur le long terme et non au court terme : Michael J. Mauboussin et Alfred Rappaport, « Reclaiming The Idea of Shareholder Value » (2016) Harvard Business Review; Alfred Rappaport, « Ten Ways to Create Shareholder Value » (2006) Harvard Business Review.

Gouvernance mission et composition du conseil d'administration

Nos étudiants publient : « Les jeunes font leur place dans les CA… ou presque ! » Retour sur un article de La presse (billet de François-Olivier Picard)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est un billet de synthèse d’un article de presse (« Les jeunes font leur place dans les C.A », La Presse, 2017) réalisé par M. François-Olivier Picard. Ce dernier s’interroge sur la présence des jeunes dans les CA des sociétés d’État. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Une loi

Le 15 octobre 2017, M. Réjean Bourdeau (journaliste à la Presse) écrivait un article sur la présence des jeunes dans les conseils d’administration des Sociétés d’État au Québec : R. Bourdeau, « Les jeunes font leur place dans les C.A », La Presse, 2017. Le journaliste s’est entretenu avec Mme Sophie Tremblay, présidente de l’organisme Force Jeunesse, qui a commenté les avancées de la nouvelle Loi 693[1] adoptée à l’unanimité au mois de décembre 2016 à l’Assemblée Nationale du Québec. Cette loi modifie la Loi existante régissant les sociétés d’État québécoises et les obligera, à compter de 2021, à avoir une personne âgée de moins de 35 ans au sein de leur CA. Cette loi qui s’appliquera à 23 sociétés d’État a déjà enclenché un certain changement selon Mme Sophie Tremblay, même si la loi 693 entrera officiellement en vigueur en 2021. Ces 23 sociétés d’État comptaient uniquement deux administrateurs âgés de moins de 35 ans en 2013, on en compte aujourd’hui 8. Il reste maintenant, selon elle, à s’assurer que cette mesure de transparence dans le processus de recrutement et de formation des nouveaux administrateurs incitera le secteur privé à diversifier leur CA et qu’elle sera mise en place.

 

Un choix justifié

La diversité dans les instances décisionnelles est de plus en plus d’actualité. La diversité est définie comme la variété au sein des membres du CA par des aspects observables (genre, âge, nationalité) et moins tangibles comme l’éducation, les compétences et les expériences professionnelles[2]. Plusieurs études démontrent qu’au-delà de l’aspect éthique et symbolique que peut relever la diversité d’un CA, la diversité peut également augmenter les performances de l’organisation[3]. Effectivement, la créativité, une meilleure résolution des problèmes et une amélioration de la compréhension du marché produisent un avantage compétitif pour l’entreprise[4].

 

Des approches

Plusieurs approches sont mises en place dans le monde pour favoriser la diversité dans les instances décisionnelles. Celle choisie par le Québec, comme mentionné ci-dessus, est pour l’instant l’implantation de quotas de jeunes dans les CA… mais uniquement au niveau des Sociétés d’État provinciales. D’autres pays vont plus loin comme la Norvège ou l’Espagne qui ont voté une loi fixant à 40 % la présence féminine dans les CA[5]. De son côté, la France a instauré en 2011 une législation semblable relative à la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d’administration mieux connus sous le nom de Loi Copé-Zimmermann[6]. Cette loi mentionne que chaque société de plus de 500 salariés et ayant un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros doit détenir une proportion d’au moins 40 % d’hommes et de femmes depuis 2017[7]. Même si l’on constate que ces mesures ont fait en sorte d’accroître grandement la proportion de femmes dans les instances décisionnelles, il est important de noter qu’elles ne peuvent contrer le fait qu’on a observé depuis l’entrée en vigueur de la loi un cumul des fonctions des femmes au sein des CA et une sous-représentation de celles-ci au sein des comités spéciaux[8]. Des auteurs soulignent l’enjeu du plafond de verre qualitatif qui pourrait se substituer au plafond de verre quantitatif[9].

 

Se conformer ou s’expliquer au Canada

En ce qui concerne la politique du gouvernement canadien en termes de diversité aux seins des CA, celui-ci a décidé d’envisager l’approche « se confirmer ou s’expliquer ». Le Canada n’envisage pas pour le moment une réglementation contraignante. Le projet de loi C-25[10] adopté au printemps 2018 modifie la Loi canadienne sur les sociétés par actions et adopte une approche « se confirmer ou s’expliquer » pour favoriser la diversité dans les CA. Dans son rapport de juin 2009, l’Institut sur la Gouvernance d’Organisations Privées et Publiques[11] opte dans le même sens pour des mesures incitatives pour arriver à un taux de féminisation des conseils au-delà de 40 %. Pour l’IGGOP, « la compétence est la vertu première de tout membre de conseil. En aucun cas, les parties prenantes à une entreprise puissent croire qu’une administratrice a été qu’en raison de son genre et non pour ses qualités personnelles ». Pour le professeur Jean Bédard, titulaire de la Chaire de recherche en gouvernance de sociétés à FSA Ulaval, les exemples d’autres gouvernements ayant adopté l’approche « se conformer ou s’expliquer » semblent indiquer une augmentation de la féminisation des CA de seulement 1,5 % par année… ce qu’il considère à juste titre comme insuffisant[12]. Selon lui, la résistance au changement pourrait être une cause de l’échec de cette approche. Parmi les solutions possibles, figurent le « name and shame » instauré par la France, l’obligation faites d’établir des cibles de diversité des genres au CA des plus grandes entreprises par la Grande-Bretagne et, enfin, l’implantation de quotas comme dans les pays nordiques de l’Union.

 

Conclusion : et le fédéral ?

Il y a un certain consensus au sein de la communauté scientifique sur les bienfaits d’une saine diversité dans les CA. Plusieurs pays ont adopté des positions audacieuses en légiférant pour accroître la diversité dans les CA. Le Québec suit le mouvement. Le contexte étant favorable pour le gouvernement canadien avec l’étude du Projet de Loi C-25, il serait pertinent que celui-ci étudie l’option d’émettre des quotas de jeunes et de femmes dans les CA des Sociétés d’États et des grandes entreprises afin d’accélérer la transition en place vers une saine diversité.

 

François-Olivier Picard

Étudiant du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Assemblée Nationale, 2016, « Loi modifiant la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État afin de favoriser la présence de jeunes au sein des conseils d’administration des sociétés d’État » [En ligne], file:///C:/Users/fopic/Downloads/16-693f.pdf.

[2] Fabrice Galia et Emmanuel Zenou, « La diversité du conseil d’administration influence-telle l’innovation ? L’impact de la diversité de genre et d’âge sur les différents types d’innovation », Revue Management & Avenir, 2013, n° 66, p. 152-181.

[3] Fabrice Galia et Emmanuel Zenou, « La diversité du conseil d’administration influence-telle l’innovation ? L’impact de la diversité de genre et d’âge sur les différents types d’innovation », Revue Management & Avenir, 2013, n° 66, p. 152-181.

[4] Fabrice Galia et Emmanuel Zenou, « La diversité du conseil d’administration influence-telle l’innovation ? L’impact de la diversité de genre et d’âge sur les différents types d’innovation », Revue Management & Avenir, 2013, n° 66, p. 152-181.

[5] Stéphane Gregoir, Tristan-Pierre Maury et Frédéric Palomino, « La féminisation des Conseils d’Administration des grandes entreprises en France : au-delà des apparences », EDHEC Business School : Pôle de recherche en économie, évaluation des politiques publiques et réforme de l’État, 2013.

[6] Legifrance, « Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle », 2011.

[7] Stéphane Gregoir, Tristan-Pierre Maury et Frédéric Palomino, « La féminisation des Conseils d’Administration des grandes entreprises en France : au-delà des apparences », EDHEC Business School : Pôle de recherche en économie, évaluation des politiques publiques et réforme de l’État, 2013.

[8] Stéphane Gregoir, Tristan-Pierre Maury et Frédéric Palomino, « La féminisation des Conseils d’Administration des grandes entreprises en France : au-delà des apparences », EDHEC Business School : Pôle de recherche en économie, évaluation des politiques publiques et réforme de l’État, 2013.

[9] Stéphane Gregoir, Tristan-Pierre Maury et Frédéric Palomino, « La féminisation des Conseils d’Administration des grandes entreprises en France : au-delà des apparences », EDHEC Business School : Pôle de recherche en économie, évaluation des politiques publiques et réforme de l’État, 2013.

[10] Parlement du Canada, « Projet de loi C-25 », Chambre des Communes du Canada, 2017.

[11] Institut sur la Gouvernance d’Organisations Privées et Publiques (IGOPP), « La place des femmes au sein des conseils d’administration : Pour faire bouger les choses », prise de position no 4, juin 2009.

[12] Jean Bédard, 2017, « Les femmes dans les conseils d’administrations », La Presse, 2017.

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Nos étudiants publient : « Devoir des actionnaires et RSE… mythe ou réalité ? » Retour sur un texte de François-Guy Trébulle (billet de Épiphanie Houssou et Grâce Kengoum)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Épiphanie Houssou et Grâce Kengoum. Ces dernières se demandent si les actionnaires ont un devoir en matière de RSE et reviennent sur l’étude « La responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises » du Doyen et professeur de l’Université Paris 1 François-Guy Trébulle. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

La désacralisation de la place des actionnaires au sein de l’entreprise n’est pas sans conséquences sur les devoirs de ceux-ci envers la société. Auparavant considérés comme les propriétaires de l’entreprise dont les principales activités avaient pour finalité la préservation de leurs intérêts personnels[1], les actionnaires ont de nos jours une multitude de devoirs qui doivent s’accommoder aussi bien aux divers acteurs de l’entreprise qu’aux nouveaux enjeux qui définissent dorénavant l’entreprise, à savoir la prise en compte des RSE dans leur mécanisme de gouvernance. C’est bien ce que nous démontre le professeur François-Guy Trébulle dans son texte intitulé « La Responsabilité sociale et environnementales (RSE) des entreprises »[2].

 

Le professeur Trébulle soutient qu’il est impossible de parler de la RSE sans reconnaître aux actionnaires des devoirs en ce domaine, car la RSE tend à responsabiliser tous les acteurs de l’entreprise en vue de promouvoir un objectif à long terme. De son point de vue, les devoirs des actionnaires et la RSE tirent conjointement leurs origines de la soft law et des règles d’éthique. Cette opinion est soutenue par Jean Marc Gollier qui affirme que la RSE tient son origine au sein des règles non contraignantes[3]. Toutefois, il existe aussi une corégualtion entre soft law et hard law[4], ces deux règles s’harmonisant dans certains États afin de garantir la parfaite mise en œuvre de la RSE au sein des entreprises. Par ailleurs, le côté coercitif du droit oblige les divers acteurs en présence à le respecter ; c’est pourquoi, de nos jours, la RSE et les devoirs des actionnaires deviennent de plus en plus obligatoires à l’instar du droit belge[5].

 

Différents devoirs

Rompant avec la conception de l’actionnaire-propriétaire[6], l’auteur met en évidence la déconstruction du mythe de la primauté des intérêts des actionnaires au sein de l’entreprise et énumère des devoirs qui incombent à l’actionnaire. Le premier devoir impose aux actionnaires d’agir dans l’intérêt social et non pas dans leur seul intérêt ; cette idée s’oppose alors à cette jurisprudence qui affirmait que c’est l’intérêt des actionnaires qui doit être pris en compte[7]. Le deuxième devoir, celui d’agir, permet à l’actionnaire de s’impliquer davantage dans l’entreprise. Ce devoir se rapproche de l’idée de l’activisme actionnariale. Les actionnaires sont clairement plus proactifs qu’avant[8] ! S’agissant du troisième devoir (celui de partir), il répond au besoin de préserver l’image de l’actionnaire en investissant dans une société dont les activités prennent en compte les exigences de la RSE. L’actionnaire doit alors faire preuve de vigilance. Enfin, pour ce qui est du quatrième devoir (celui d’exiger plus de RSE), cela revient à demander aux actionnaires de faire preuve de loyauté. Ils peuvent demander davantage de RSE s’ils constatent que ceux-ci ne sont pas suffisamment pris en compte.

 

Tous les actionnaires concernés… même les court-termistes

Pour les actionnaires concernés par les devoirs en matière de RSE, le professeur Trébulle affirme que cette responsabilité incombe à toutes les catégories d’actionnaires, même minoritaires. Ceux-ci peuvent ainsi être tenus responsables s’ils se rendent coupables d’une violation. Les actionnaires minoritaires ne sont donc plus des acteurs effacés de la vie de l’entreprise car on assiste de nos jours au renforcement de leurs droits au sein de la société[9]. Toutefois, si l’auteur intègre une responsabilité en matière de RSE pour les actionnaires minoritaires, il ne fait pas réellement état des actionnaires court-termistes, portés sur une réalisation rapide de bénéfices. En réalité, si la responsabilité de prendre des mesures en faveur de la RSE incombe aux actionnaires visant le court-terme, ils peuvent aisément se servir de ce pouvoir pour servir leurs intérêts personnels. Comme l’illustre Paul Martel, « le droit de vote de l’actionnaire est total et personnel, et il peut être exercé sans tenir compte de l’intérêt général de la société, voire même directement à l’encontre de cet intérêt général »[10]. Étendre le champ de la RSE aux actionnaires court-termiste peut donc faire manquer l’objectif ciblé, c’est-à-dire, celui d’assurer une gouvernance répondant aux besoins interne et externe de l’entreprise.

 

Si attribuer la responsabilité aux actionnaires de mettre en place des mesures favorisant la RSE apparaît de prime à bord comme un devoir, il faut savoir qu’en le faisant l’on contribue à accroître leurs pouvoirs au sein de l’entreprise. Or, comme le souligne le professeur Trébulle dans son article, « la RSE qui s’intéresse au pouvoir va nécessairement concerner celui qui, in fine, en est détenteur dans les sociétés par actions »[11]. Est-ce à dire que le pouvoir appartient réellement aux actionnaires ? Cela reviendrait à appuyer la thèse de l’actionnaire-propriétaire que réfute l’auteur ! Si on accorde ce pouvoir aux actionnaires, il faut nécessairement le retirer à la haute direction et au CA. Sera-t-il pertinent d’agir ainsi lorsqu’on sait que les administrateurs doivent essentiellement servir les intérêts de la société[12] tandis que les actionnaires sont généralement portés à servir leur propre intérêt  ? Le pouvoir au sein de l’entreprise peut être détenu soit par les actionnaires qui pourront faire pencher les décisions en leur faveur, soit par des administrateurs qui interviennent ente les dirigeants et les actionnaires en toute neutralité.

 

Conclusion

Le professeur Trébulle est favorable à donner plus de responsabilités et de devoirs aux actionnaires en matière de RSE. Toutefois, il est important de se pencher sur la volonté réelle des actionnaires d’appliquer ces devoirs. S’il peut paraître probable que les actionnaires visant le long terme peuvent être plus concernés par de tels devoirs, tel n’est pas nécessairement le cas des actionnaires court termistes. De plus, le retour en investissement que visent ceux-ci ne sera réellement atteint que si on se déploie pour le long terme ce qui risque de ne pas satisfaire les actionnaires court termistes. Par ailleurs, est-ce réellement le rôle des actionnaires de porter la RSE quand l’on sait qu’initialement, il s’agit pour eux d’apporter des capitaux au sein de l’entreprise et, par conséquent, de rechercher un résultat financier à la hauteur de leur investissement ? Par ailleurs si l’on leur attribue un tel rôle, quid du rôle de la haute direction et du CA ?

Épiphanie Houssou et Grâce Kengoum

Étudiantes du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Ivan tchotourian, Jean-Christophe Bernier et Charles Tremblay-Poitvin, « Les cinq mythes de la gouvernance d’entreprise. Perspectives économico juridique et nord-américaine », (2017) 2 Revue internationale de droit économique, p. 5-39.

[2] François-Guy trébulle,  « La responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises », dans Devoir des actionnaires, (2016)  n° hors-série 2 Gaz. Pal., p. 55-60.

[3] Jean-Marc GOLLIER, « Le dirigeant et la responsabilité sociétale de l’entreprise », dans Yves DE CORDT (dir.), Le statut du dirigeant d’entreprise, Larcier, Bruxelles, 2009, p. 323.

[4] Jean-Marc GOLLIER, « Le dirigeant et la responsabilité sociétale de l’entreprise », dans Yves DE CORDT (dir.), Le statut du dirigeant d’entreprise, Larcier, Bruxelles, 2009, p. 323.

[5] C. des sociétés, art. 96.

[6] Ivan tchotourian, Jean-Christophe Bernier et Charles Tremblay-Poitvin, « Les cinq mythes de la gouvernance d’entreprise. Perspectives économico juridique et nord-américaine », (2017) 2 Revue internationale de droit économique, p. 5-39.

[7] Comm. Brux. (Réf.), 18 Novembre 2008, R.K, 212/2008, n°124.80.

[8] Raymonde CRÊTE et Stéphane ROUSSEAU, « De la passivité à l’activisme  des investisseurs institutionnels au sein des corporations. Le reflet de la diversité des facteurs d’influence », (1997) 42 Revue de droit McGill p. 863-880; et aussi : DELOITTE, Avis du Centre de gouvernance d’entreprise, « Participation des actionnaires. Une nouvelle aire de gouvernance d’entreprise », octobre 2013.

[9] Gérard HIRIGOYEN, « Droit et finance », dans Bruno Arman (dir.), Gestion et droit, Dalloz, Paris, 2000, p. 55-73.

[10] Paul MARTEL, La société par actions au Québec, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2011, p. 19.13.

[11] François-Guy trébulle,  « La responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises », dans Devoir des actionnaires, (2016)  n° hors-série 2 Gaz. Pal. p. 55-60.

[12] Paul MARTEL, La société par actions au Québec, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2011, p. 19.13.

Gouvernance Normes d'encadrement Valeur actionnariale vs. sociétale

Des profits au détriment du reste

Bel article du journal Le Monde qui revient sur le fameux partage des profits qui démontre que les profits des entreprises du CAC40 sont prioritairement versés aux actionnaires : « CAC 40 : un partage déséquilibré des bénéfices » (Le Monde, 14 mai 2018).

 

Mieux vaut être actionnaire que salarié, si l’on en croit les conclusions du rapport publié, lundi 14 mai, par l’organisation non gouvernementale Oxfam et le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic). Cette étude montre que, depuis 2009, les actionnaires des groupes du CAC 40 ont été généreusement servis en accaparant plus des deux tiers des bénéfices de ces entreprises. Vient ensuite la part consacrée aux investissements, qui n’a été en moyenne que de 27,5 %. Les salariés, eux, se sont vu attribuer seulement 5 % du total sous la forme d’intéressement et de participation

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

finance sociale et investissement responsable Gouvernance

Rachat d’actions en 2018 : une croissance

Selon un article de Les affaires, « les rachats d’actions pourraient dépasser les 800 milliards $US en 2018 » (29 mars 2018). Cet article revient sur des données statistiques et résument les arguments favorables et défavorables à ce genre de politique.

 

Le phénomène n’est pas nouveau, mais l’année 2018 devrait être particulièrement riche en opérations de ce type. Selon la société de recherche financière américaine TrimTabs, les annonces de rachats d’actions ont déjà atteint plus de 226 milliards de dollars aux Etats-Unis depuis le début de l’année.

Un analyste de JP Morgan anticipe 800 milliards de dollars en 2018 pour les seules entreprises de l’indice S&P500, contre 530 milliards en 2017, grâce notamment à la réforme fiscale de Donald Trump.

Profitant de la croissance mondiale, les entreprises ont en effet engrangé beaucoup de bénéfices en 2017. Et elles décident de redistribuer cette manne de liquidités, que ce soit sous forme de dividendes ou de rachats d’actions, une tradition plus ancrée aux États-Unis qu’en Europe où ces programmes sont cependant fréquents.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

finance sociale et investissement responsable Gouvernance normes de droit

Projet de loi en France : réinventer l’entreprise, vraiment ?

« Réinventons l’entreprise. Vite! »… C’est sous ce titre que M. Olivier Schmouker commente le projet de loi français qui vise à modifier plusieurs règles touchant les grandes entreprises notamment pour ouvrir leur objet social à la prise en compte des parties prenantes.

 

Saviez-vous que la France est en train de connaître une véritable révolution? J’imagine que non, et pourtant c’est bel et bien le cas. Une révolution susceptible d’avoir des répercussions majeures pour les entrepreneurs français, mais aussi – tenez- vous bien! – du monde entier. Explication.

Lors de sa toute première entrevue télévisée après son arrivée à l’Élysée, le président Emmanuel Macron a lancé une phrase marquante : « Je veux qu’on réforme profondément la philosophie de ce qu’est l’entreprise. » Il s’agissait là d’un de ses principaux chevaux de bataille, lui qui avait concocté un projet de loi à ce sujet en 2015, en tant que ministre, dans lequel il proposait de modifier un article du Code civil qui stipule que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Son idée ? Faire suivre cette définition par : « Elle doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental. »

 

L’auteur se montre enthousiasme à la réforme à venir… Force est de constater que ce ne sont pas tous les juristes qui partagent son enthousiasme !

 

J’ai eu l’occasion moi-même de faire part de mon scepticisme sur ce projet dans un article qui va paraître sous peu à la prestigieuse Revue des sociétés : « Légiférer sur l’article 1832 du code civil : une avenue pertinente pour la RSE ? Expérience canadienne ». Extraits :

 

Une réécriture du code civil a été récemment proposée. Elle vise à imposer une prise en compte des préoccupations environnementales et sociétales dans l’objet social des sociétés. Cette discussion aborde la délicate question de l’introduction dans le droit d’une nouvelle forme de structure sociétaire (dite « hybride ») offrant aux entreprises à but lucratif la possibilité de réaliser des profits au bénéfice de leurs actionnaires tout en poursuivant parallèlement des objectifs d’ordre sociétal. Redéfinissant la mission des entreprises et renforçant l’intégration de la RSE, le projet envisagé actuellement en France soulève de délicates interrogations sur les plans de sa pertinence, de son contenu, de sa nécessité et des risques dont il est porteur. De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada et ses provinces font face à des questionnements identiques, même si la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse ont déjà fait évoluer leur droit des sociétés pour faire place à une entreprise hybride (à l’instar d’autres pays). Cet article détaille la position canadienne et analyse le potentiel que représente une réforme législative intégrant la RSE dans l’objet social.

Si le législateur français devait légiférer sur l’objet social, modifier certains articles fondamentaux du droit des sociétés contenus dans le code civil et faire ainsi à la RSE une place plus importante, le Canada démontre qu’une telle évolution a ses zones d’ombre et qu’elle n’entraine pas nécessairement un changement dans la représentation de l’entreprise. De plus, elle est complexe à mettre en oeuvre et recèle des écueils. In fine, une telle évolution doit être pensée dans une perspective large dépassant le  seul droit des sociétés. Une réforme réglementaire ouvrant l’objet social à la RSE (et introduisant parallèlement l’entreprise hybride) doit être bien construite, sans que le succès de ladite réforme soit pour autant garanti.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian