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devoirs des administrateurs Gouvernance Nouvelles diverses objectifs de l'entreprise Valeur actionnariale vs. sociétale

Nos étudiants publient : la thèse de Dodd encore plus juste aujourd’hui ? (par Léna-Lydia Djemili, Alexis Langenfeld et Bèlè Rose de Lima Tchamdja)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Léna-Lydia Djemili et Bèlè Rose de Lima Tchamdja et M. Alexis Langenfeld. Ces derniers présentent le fameux texte de 1932 de Merrick Dodd « For Whom are Corporate Managers Trustees? » et le mettent en perspective. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Dans son article « For Whom are Corporate Managers Trustees? »[1], Merrick Dodd Jr (professeur à la Harvard Law School) défend la thèse selon laquelle les administrateurs sont les mandataires de l’entreprise et non des actionnaires[2] leur permettant de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes. Le professeur Merrick Dodd contestait la vision d’Adolph A. Berle qui faisait des administrateurs les mandataires des actionnaires[3] pour chercher un profit maximum pour ces derniers. L’opposition entre les deux auteurs est connue comme le « Berle/Dodd debate » et a beaucoup influencée le droit des sociétés par actions.

Le professeur Merrick Dodd démontre qu’il est bénéfique pour une entreprise de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes (le public et les salariés) et avance que les dirigeants s’engageant dans cette direction ne font rien d’illégal.

 

Trois idées fortes

Le professeur Merrick Dodd forme son argumentation autour de trois idées principales : le changement des opinions du public et des praticiens; la limitation du profit dans les entreprises d’intérêt public; et le fait que l’entreprise doit être vue comme une personne à part entière.

Le professeur Merrick Dodd avance que l’opinion publique soutient ses idées en réclamant que les entreprises prennent en compte d’autres intérêts que ceux des seuls actionnaires, notamment ceux des salariés pour leur éviter de vivre le chômage[4]. Or, l’opinion publique faisant la Loi, le législateur devrait apporter son appui à sa thèse. Le professeur Merrick Dodd constate également que l’opinion de certains professionnels de la gestion d’entreprise est conforme à sa thèse[5]. Ces derniers préconisent la prise en compte des intérêts de l’ensemble des personnes participant à la vie de l’entreprise : actionnaires, salariés, public, État…

Le professeur Merrick Dodd fait aussi état de dispositions particulières touchant les entreprises exerçant dans des domaines d’intérêt public[6]. En règlementant la concurrence entre ces entreprises, leurs tarifs (au bénéfice des consommateurs) et les salaires (au bénéfice des salariés), le législateur américain a limité la propriété privée des actionnaires. Ces derniers ne disposent plus en effet de la liberté de prendre certaines mesures dans leur intérêt ! Cette limitation s’explique par le souci de protéger les tiers. Le professeur Merrick Dodd établit que dans certains domaines l’intérêt des parties prenantes conduit à limiter le profit des actionnaires. Aussi, les dirigeants prenant en compte d’autres intérêts que ceux des actionnaires ne font que suivre la Loi. Le professeur Merrick Dodd souhaiterait que ce système soit étendu à l’ensemble des sociétés. De plus, pour lui, une telle orientation législative serait positive pour les actionnaires tant les salariés satisfaits seraient plus productifs.

Enfin Le professeur Merrick Dodd plaide pour une évolution de la vision de l’entreprise[7]. Pour lui, celle-ci doit être considérée comme une personne à part entière et non comme un simple agrégat d’actionnaires. Dès lors, en tant que personne, celle-ci se doit d’être bonne citoyenne. Aussi doit-elle prendre en considération l’ensemble des parties prenantes pour adopter un comportement responsable.

 

Des limites

Néanmoins, le professeur Merrick Dodd lui-même limite la portée de son texte et doute que ses idées soient accueillies à court terme. Il considère que, même si le droit change, les administrateurs pourront toujours chercher à privilégier l’intérêt des actionnaires. Il pense aussi que l’état actuel du droit ne permet pas l’application de ses thèses. De plus, le professeur Merrick Dodd craint que l’entreprise demeure encore longtemps à la merci de la volonté des actionnaires[8].

 

Un texte toujours porteur

Aujourd’hui encore, certaines entreprises recherchent de manière illimitée et déraisonnée un profit maximum[9], n’hésitant pas à recourir à la fraude[10]. Malgré l’âge de cet article qui explique que des considérations actuelles (environnement, féminisation du conseil d’administration ou rémunération des hauts-dirigeants), l’article conserve encore aujourd’hui une grande pertinence. L’article est le fruit d’un raisonnement sans précèdent qui lui a permis de remporter le débat doctrinal contre son homologue Adolph Berle, lequel a lui-même fini par l’admettre[11]. De plus, la conception de l’entreprise change aujourd’hui. En effet, l’État n’hésite plus à intervenir pour sauver des entreprises en difficulté, non pour secourir les seuls actionnaires, mais pour venir en aide à l’ensemble de parties prenantes et notamment les salariés[12]. Enfin, certaines entreprises continuent de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes via des chartes éthiques[13] ou des engagements en terme de responsabilité sociale[14].

Léna-Lydia Djemili

Alexis Langenfeld

Bèlè Rose de Lima Tchamdja

Étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145.

[2] Le Code civil du Québec reprend cette thèse : Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64, art. 321.

[3] Adolph A. Berle, « Corporate Powers as Powers in Trust », Harvard Law Review, 1931, 44, 1049.

[4] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1151.

[5] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, aux p. 1154 et s.

[6] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1150.

[7] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1160.

[8] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1161.

[9] Frank DOBBIN et Jiwook JUNG, « The Misapplication of Mr. Michael Jensen. How Agency Theory Brought Down the Economy and Why it Might Again », 2010.

[10] Raymonde CRÊTE, « The Volkswagen Scandal from the Viewpoint of Corporate Governance », 2016; Jeanne DESJARDINS, « Erreurs stratégiques: Mitsubishi, Volkswagen, Suzuki », 2016; L’express.fr, actualité économique, « Un rapport accable la Société Générale et ses 2,2 milliards de « cadeau fiscal » », 2016.

[11] Adolph A. BERLE, The 20th Century Capitalist Revolution, Harcourt Brace & Co., 1954, à la p. 169.

[12] Les affaires.com, bourse, nouvelles économies, « Bombardier: une perte de 4,9G$ et une participation de 1G$ de Québec », 2016; Pascal ORDONNEAU, « Société de Prise de Participation de l’Etat (SPPE) », Les Échos.fr, 2016.

[13] AccorHotel, Charte éthique et responsabilité sociétale d’entreprise.

[14] Coca-Cola European Partners, Nos engagements RSE.

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Le rendement à court-terme, une menace pour nos entreprises

Bel article du Journal de Montréal : « Le rendement à court-terme, une menace pour nos entreprises » (22 novembre 2016). Une occasion de discuter gouvernance d’entreprise en se concentrant sur la situation actuelle caractérisée par une omniprésence des investisseurs institutionnels !

 

Auparavant, les petits investisseurs québécois conservaient leurs actions en bourse en moyenne 10 ans. Aujourd’hui, à peine quatre mois. Quelque chose a changé dans notre rapport aux entreprises. Et pas pour le mieux, dit Gaétan Morin, président et chef de la direction du Fonds de solidarité FTQ.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

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Maximisation de la valeur actionnariale : une belle critique

Bonsoir à toutes et à tous, dans « Resisting The Lure Of Short-Termism: Kill ‘The World’s Dumbest Idea' » publié dans Forbes, Steve Denning revient sur une belle critique de la maximisation de la valeur actionnariale comme objectif des entreprises.

 

When pressures are mounting to deliver short-term results, how do successful CEOs resist those pressures and achieve long-term growth? The issue is pressing: low global economic growth is putting stress on the political and social fabric in Europe and the Americas and populist leaders are mobilizing widespread unrest. “By succumbing to false solutions, born of disillusion and rage,” writes Martin Wolf in the Financial Times this week, “the west might even destroy the intellectual and institutional pillars on which the postwar global economic and political order has rested.”

The first step in resisting the pressures of short-termism is to correctly identify their source. The root cause is remarkably simple—the view, which is widely held both inside and outside the firm, that the very purpose of a corporation is to maximize shareholder value as reflected in the current stock price (MSV). This notion, which even Jack Welch has called “the dumbest idea in the world,” got going in the 1980s, particularly in the U.S., and is now regarded in much of the business world, the stock market and government as an almost-immutable truth of the universe. As The Economist even declared in March 2016, MSV is now “the biggest idea in business.”

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

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Les actionnaires ne sont pas les propriétaires de l’entreprise !

L’Afrique du Sud l’affirme et l’assume : la primauté actionnariale doit être remise en cause et la gouvernance d’entreprise doit s’ouvrir aux parties prenantes. Dans son dernier rapport de novembre 2016 (King IV Report on Corporate Governance), l’institut des administrateurs de sociétés sud-africaines ne dit pas autre chose !

Vous pourrez lire l’intéressante synthèse suivante : « King: Shareholders not owners of companies » (10 novembre 2016, Fin24 city press).

 

Shareholders are not the owners of a company – they are just one of the stakeholders, Prof Mervyn King said on Thursday at the 15th BEN-Africa Conference, which took place in Stellenbosch.

« I realised long ago that the primacy of shareholders could not be the basis in the rainbow nation, » said King. The corporate governance theory of shareholder primacy holds that shareholder interests should have first priority relative to all other corporate stakeholders.

He said when he started with his report on corporate governance the issue was that the majority of SA’s citizens were not in the mainstream of the economy. His guidelines on corporate governance, therefore, had to be for people who had never been in that mainstream of society.

The King Reports on Corporate Governance are regarded as ground-breaking guidelines for the governance structures and operation of companies in SA. The first was issued in 1994, the second in 2002, the third in 2009 and the fourth revision was released last week.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

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Retour sur le devoir fiduciaire : une excuse pour maximiser le retour des actionnaires ?

Intéressant ce que relaie le Time. Il y a un des candidats à l’élection présidentielle américaine a invoqué le devoir fiduciaire pour justifier les politiques d’évitement fiscales qu’il a mises en œuvre pendant de nombreuses années : « Donald Trump’s ‘Fiduciary Duty’ Excuse on Taxes Is Just Plain Wrong ». Qu’en penser ? Pour la journaliste Rana Foroohar, la réponse est claire : « The Donald and his surrogates say he has a legal responsibility to minimize tax payments for his shareholders. It’s not a good excuse ».

 

It’s hard to know what to say to the New York Times’ revelation that Donald Trump lost so much money running various casino and hotel businesses into the ground in the mid-1990s ($916 million to be exact) that he could have avoided paying taxes for a full 18 years as a result (which may account for why he hasn’t voluntarily released his returns—they would make him look like a failure).

But predictably, Trump did have a response – fiduciary duty made me do it. So, how does the excuse stack up? Does Donald Trump, or any taxpayer, have a “fiduciary duty,” or legal responsibility, to maximize his income or minimize his payments on his personal taxes? In a word, no. “His argument is legal nonsense,” says Cornell University corporate and business law professor Lynn Stout,

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

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Primauté de la valeur actionnariale : l’ambivalence du droit britannique

Marc T. Moore offre un beau papier sur la place de la valeur actionnariale en Grande-Bretagne dans une perspective historique : « Shareholder Primacy, Labour and the Historic Ambivalence of UK Company Law » (Oxford University, 20 septembre 2016).

 

Most directors and senior managers of British companies would likely regard it as trite law that, in undertaking their functions, they are accountable first and foremost to their employer firm’s general body of shareholders. It follows that the interests of other corporate constituencies – and, in particular, those of employees – must ultimately cede to those of shareholders in the event of conflict. Although frequently taken for granted today, the lexical priority that the British company law framework affords to the interests of shareholders is remarkable, not least when viewed alongside the correspondingly disempowered corporate governance status of labour in the UK.

On first reflection, it is somewhat curious that the interests of employees have not figured more prominently within British company law, especially when one considers the general political disposition of the country in modern times. Throughout the course of the last century, the UK has witnessed 37 years of Labour government (or 42 years if one includes Labour’s participation in the wartime coalition government). And although the UK is acknowledged on the whole as having a more neo-liberal (ie right-wing) political orientation than many of its northern European counterparts, it nonetheless has a comparatively strong social-democratic (ie left-wing) political tradition in relation to other English-speaking and former-Commonwealth countries, at least since the Second World War. It is thus not unreasonable to expect that, at some point during the post-war era, democratic public policy measures might have been taken to effect the direct integration of worker interests into the heart of the British corporate legal structure.

 

Une de ses conclusion est intéressante :

 

However, whilst the centrality of shareholders’ interests to the doctrinal and normative fabric of contemporary UK company law is both manifest and incontrovertible, this has curiously not always been the case. With respect to the fundamental question of the proper corporate objective (that is, as to whose interest British company directors are expected to serve while carrying out their functions), UK company law up until 2006 adopted a highly ambiguous position. Moreover, British company law has in the fairly recent past come precariously close to adopting a radically different board representation model, in which worker interests would formally have shared centre-stage with those of shareholders in a similar vein to the traditional German corporate governance model.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian