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L’intérêt social dans la loi PACTE, vers un nouveau rapport de force entre associés et sociétés ?

Abstract. La réécriture de l’article 1833 du Code Civil par la promulgation de la loi PACTE ancre pour la première fois dans le marbre législatif la notion d’intérêt social jusqu’alors jurisprudentielle. L’intérêt social est maintenant conçu comme l’intérêt de la structure sociétaire propre et celui-ci amènera à une gestion des sociétés en adéquation avec les enjeux environnementaux et sociaux de leur activité. Si l’étude d’impact du projet de loi faisait état de conséquences juridiques nulles pour cette modification, il est légitime de concevoir qu’une violation de l’article 1833 du Code civil dans son alinéa second pourra être considérée par les prétoires comme la violation d’une norme de conduite légale, justifiant une action en responsabilité pour faute au visa de l’article 1240 du même Code. En quelque sorte, la liberté entrepreneuriale des associés de structures sociétaires pourra peut-être s’estomper devant la nécessaire prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux qui participent du mieux-être commun et d’une certaine manière, de l’intérêt général.

Parcours législatif. Les mesures composant le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises ont été adoptées en lecture définitive par l’Assemblée Nationale le 11 avril 2019 à la suite d’une procédure accélérée lancée par le Gouvernement le 25 septembre 2018. La loi PACTE a ensuite été validée par le Conseil Constitutionnel dans une décision du 16 mai 2019[1]. Le Conseil des Sages n’a censuré que 15 articles sur les 271 qui lui étaient soumis. C’est l’article 169 de ladite loi[2] qui retiendra notre attention au sein de cette étude puisque dans la section 2 intitulée repenser la place des entreprises dans la société, la loi modifie notamment les articles 1833 et 1835 du Code Civil, restés inchangés depuis 1978[3]. Le nouvel article 1833 du Code Civil sera rédigé en ces termes :

« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

Disposition d’ordre public. D’emblée, se pose la question de l’impérativité de cette nouvelle norme. Est-elle une disposition d’ordre public ou constitue-t-elle une règle supplétive de volonté qui pourrait être écartée par une stipulation contraire au sein des statuts d’une société ? L’article 1844-10 du Code civil indiquait déjà en son deuxième alinéa que toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du Titre IX serait réputée non écrite lorsque ladite violation ne serait pas sanctionnée par la nullité. Or, le premier alinéa de cet article sanctionne par la nullité de la société elle-même la violation de l’article 1833. Cependant, afin de ne pas permettre la nullité d’une société sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 1833 nouveau du Code Civil, l’article 1844-10 nouveau prévoit qu’exception sera faite des dispositions violant le dernier alinéa de l’article 1833[4]. Dès lors, les délibérations et actes pris par la société en contrariété avec le nouvel article 1833 alinéa 2 ne feront pas encourir la nullité de la société. En revanche, de tels actes pourront éventuellement faire l’objet d’une action en responsabilité pour faute contre les dirigeants ou associés d’une société.  

Intérêt social et libre entreprise. La liberté entrepreneuriale, garantie par la Constitution depuis la fameuse décision relative à la loi de nationalisation de 1982[5], devient semble-t-il limitée par un impératif que la loi PACTE considère comme lui étant supérieur, à savoir l’intérêt social de la société, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Bien que les députés et sénateurs ayant saisi le Conseil Constitutionnel n’aient pas juger bon de l’interpeler sur cette question, le nouvel article 1833 du Code Civil, amène à repenser le rôle des associés et de la personne morale elle-même. Alors que ce qui permettait à la société d’avoir une existence juridique, indépendamment des formalités d’immatriculation justifiant la création de la personne morale, n’était finalement que l’intérêt commun des associés selon la loi, voilà qu’aujourd’hui le Code Civil impose à ces associés de voir leur intérêt commun s’estomper devant celui de la société même. La loi impose en effet à la société de concevoir son intérêt social en adéquation avec les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. La structure sociétaire devient alors en droit français une personne morale dont l’existence et la survie ne sont pas seulement conditionnées à la liberté d’entreprendre des associés mais aussi à la condition que cette volonté des associés de collaborer ensemble dans le cadre d’un marché, respecte les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. Cependant, les conséquences juridiques de cette loi nouvelle ne font pas l’unanimité. En effet, l’on sait que l’intérêt social était déjà une notion sur laquelle s’appuyaient nombre de décisions pour venir annuler un acte contraire aux intérêts de la société personne morale. L’étude d’impact de la loi indique même que les conséquences juridiques du second alinéa de l’article 1833 seront nulles dans la mesure où il sera demandé aux organes de direction de seulement prendre en considération les enjeux environnementaux et sociaux de l’activité sociétaire sans que cette disposition ne revête un caractère contraignant. Est-ce à dire que la formule usitée par le législateur n’aura qu’une forme incantatoire ? Seuls les prétoires le diront lorsque ceux-ci seront saisis de futurs litiges fondés sur une violation présumée de cette nouvelle disposition.

Problématique. Si l’on postule que la réécriture de l’article 1833 du Code civil ancre dans le marbre de la loi une vision nouvelle de la notion d’intérêt social, se pose alors inéluctablement la question de savoir, à la lumière du second alinéa de cet article, de la société ou des associés, qui oblige qui ? Pour répondre à cette problématique, il sera nécessaire de comprendre que jadis l’intérêt social protégeait les intérêts des associés et des créanciers (I) alors qu’il semble vouloir aujourd’hui protéger par l’entremise du nouvel alinéa de l’article 1833, la société humaine dans son ensemble (II).


I. L’intérêt social protégeant les intérêts des associés et des créanciers

Définition intérêt social. Une définition de l’intérêt social peut être tirée du rapport Viennot :  « l’intérêt social peut ainsi se définir comme l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de celles de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt commun, qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise.[6] » Pour certains, l’intérêt social représente la communauté d’intérêt des associés, pour d’autres, l’intérêt social se situe à mi-chemin entre l’intérêt des associés et de l’entreprise. La réécriture de l’article 1833 du Code Civil innove en ce sens qu’elle semble apporter une raison d’être commune à toutes les sociétés, celle de participer du mieux-être commun en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux dans tous les actes qui les engagent. C’est en effet ce qu’indiquait en substance le rapport Notat-Sénard[7] remis le 9 mars 2018 : chaque entreprise a donc une raison d’être non réductible au profit. C’est d’ailleurs souvent lorsqu’elle la perd que les soucis financiers surviennent. A ce titre, la loi PACTE a également modifié l’article L.225-35 du Code de Commerce qui imposera aux conseils d’administration de déterminer les orientations de l’activité sociétaire en conformité avec son intérêt social le tout en considérant ses enjeux sociaux et environnementaux. La notion d’intérêt social peut être mieux appréhendée à la lumière d’une définition de l’entreprise. En effet, l’exercice des activités économiques crée une entité économique et sociale que l’on nomme entreprise. L’intérêt social représente alors en somme l’intérêt de la société personne morale propre dans le développement du projet entrepreneurial qu’elle initie. L’entreprise se définirait alors, selon l’Union européenne[8], comme toute entité, indépendamment de sa forme juridique, exerçant une activité économique. Dès lors, le nouvel article 1833 impose que le développement de cette entreprise par une structure sociétaire se réalise en conformité avec l’intérêt social de la société elle-même et indique en outre que les organes de direction de la société devront agir en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité développée. Autrement dit, toute société devra réaliser son objet social par la réalisation d’une activité économique que l’on nomme entreprise, en respectant l’intérêt social de la structure propre et en veillant à ce que l’activité développée respecte les enjeux sociaux et environnementaux de notre temps.

Actes contraires à l’intérêt social. Il est évident que la liberté d’entreprendre des associés a par le passé déjà été limitée par la loi en considération d’intérêts multiples. En effet, un associé ne peut pas confondre son patrimoine propre et celui de la société en demandant à son dirigeant de lui verser des dividendes fictifs sous peine de voir ce dernier condamné pénalement pour abus de bien sociaux au visa de l’article L.241-3 du Code de Commerce. Certains[9] estiment d’ailleurs que la création de ce délit en 1935[10] est en réalité la première apparition en creux de la notion d’intérêt social. Celle-ci, bien que non présente dans la loi ainsi formulée par le passé, a déjà servi de fondement aux prétoires pour faire condamner un dirigeant qui prélevait abusivement des biens de l’entreprise[11]. La décision des juges du quai de l’Horloge était assez explicite puisqu’elle indiquait que la loi (protégeait) le patrimoine de la société et les intérêts des tiers au même titre que les intérêts des associés. La sanction pénale du dirigeant qui réaliserait un acte contraire à l’intérêt social se comprend de tout acte portant atteinte au patrimoine social[12] mais aussi de tout acte qui ferait courir un risque anormal au patrimoine social[13].

Prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Dès lors, bien que l’article 1833 du Code Civil ne soit évidemment pas une disposition pénale, il ajoute aux interdictions de porter atteinte au patrimoine social celle de porter atteinte à l’intérêt social compris comme devant participer aux enjeux sociaux et environnementaux, en somme de l’intérêt général. En effet, la définition restrictive de l’intérêt social comprise comme équipollente à celle de la communauté d’intérêts des associés ou actionnaires est rendue désuète par l’entremise du nouvel alinéa de l’article 1833. Celui-ci fait porter une dimension environnementale et sociale à l’intérêt social que même une définition extensive prenant en compte l’intérêt de l’entreprise n’aurait pas osé aborder. Cette nouvelle rédaction de l’article 1833 du Code Civil n’est pas sans rappeler le sixième considérant de la charte de l’environnement qui dispose que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation. En effet, le Conseil Constitutionnel avait déjà interprété cette disposition le 8 avril 2011 en considérant que chacun était tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité[14]. Un auteur[15] s’était d’ailleurs récemment demandé quelle était la raison d’inscrire dans le marbre de la loi une incitation déjà entérinée par le Conseil des sages alors même que l’étude d’impact du gouvernement présentée au parlement prévoyait un impact juridique nul autour du nouvel alinéa de l’article 1833. Au-delà de la formule incantatoire ci-présentée, peut-être se dessine-t-il, à la lumière de la réécriture de ce texte, une nouvelle vision de l’intérêt social.

D’une vision économique. A notre connaissance, l’intégralité des décisions qui ont eu recours à l’intérêt social pour juger un acte illicite ont toujours été prises à ce jour en prenant appui sur une vision économique de l’intérêt social. En effet, lorsque les juges du droit indiquent que pour être valable, la sûreté apportée par une société, doit être conforme à son intérêt social[16], on comprend qu’une telle sûreté, lorsqu’elle constitue le seul actif de la société et que l’opération ne lui apporte aucune rémunération, constitue un risque anormal porté au patrimoine social, obérant alors la survie économique de ladite entité. De même dans une affaire célèbre[17] mettant en cause le groupe ELF au sein de circonvolutions politico-financières, bien que le mandat exclusif délivré par le président de la société nationale à une compagnie de courtage d’assurances ait permis au groupe de réaliser des économies substantielles, c’est encore sur le critère de l’intérêt économique que s’est matérialisé l’intérêt social du groupe ELF selon les juges du droit. Les rétrocommissions occultes versées dans le cadre de ce dossier constituaient un manque à gagner pour la société ELF, ce qui a pu justifier la qualification d’abus de bien social en jugeant une telle opération contraire à l’intérêt social de ladite société. Ainsi, comme l’écrivait Alain Courret, la finalité de la société à la lecture de l’article 1833 ancien du Code Civil était l’intérêt des pécuniaire associés exclusivement[18]. La prise en compte de l’intérêt social dans le nouvel article 1833 du Code Civil n’est pas non plus sans rappeler l’amendement 1555[19] du projet de Loi Macron sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques[20] qui prévoyait que Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés et que celle-ci doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental. Une telle évolution législative laisse à penser que la nouvelle formulation de l’article 1833 demeure une avancée symbolique dans la volonté générale de réformer le capitalisme et ses affres tel que l’imaginait déjà, en 2012, David Hurstel[21] en évoquant l’idée d’organiser la société commerciale à partir du projet d’entreprise plutôt qu’à partir du profit et souhaitant une modification de l’article 1833 du Code Civil pour y inclure l’idée de poursuivre un projet d’entreprise qui respecte l’intérêt général, financé au moyen du profit. Le risque évident dégagé par cette doctrine analysée par une interprétation stricte du nouvel article 1833 est évidemment de voir des organes de direction privilégier une action fondée sur des critères environnementaux et sociaux flous en contradiction avec la communauté d’intérêts des actionnaires sans que ceux-ci ne puissent agir. Si dans les sociétés commerciales cotées le Code AFEP MEDEF prévoyait déjà que les conseils d’administration devaient se conformer à l’intérêt social de l’entreprise en son article 5-1, pourra-t-on envisager une telle application de l’article 1833 du Code Civil aux sociétés civiles immobilières, aux sociétés civiles de gestion patrimoniale ou encore aux holdings non animatrices qui par essence ne disposent pas d’un véritable projet entrepreneurial ? Les associés de telles sociétés demeureront-ils encore maître de leurs projets ou auront-il à subir le poids de l’alinéa second de l’article 1833 nouveau dans leurs prises de décision ?


II.  L’intérêt social obligeant les associés pour protéger la Société humaine

A une vision sociétale. En somme, si le départ entre intérêt personnel des associés ou actionnaires et intérêt social de la société était marqué par l’intérêt économique de la structure sociétaire elle-même, aujourd’hui, l’intérêt social adopte une dimension sociétale et véritablement sociale par l’entremise du nouvel article 1833 du Code Civil. Comme énoncé précédemment, le critère économique n’étant plus le seul à prendre en compte, on peut considérer que les structures sociétaires, impulsées par la dynamique RSE de notre temps[22], se doivent dans leur activité, de se conformer à des principes se rapprochant de l’intérêt général. L’étude d’impact de la loi PACTE a indiqué qu’un dirigeant de société ne pouvait se fonder sur des enjeux sociaux et environnementaux pour prendre une décision contraire à l’intérêt social. On imagine bien par exemple qu’un changement de tous les véhicules d’une société pour des véhicules électriques qui obérerait la survie de l’entreprise pourrait être constitutif d’une faute de gestion parce qu’une telle décision, si elle amenait à la cessation de paiement, serait certes en accord avec les enjeux environnementaux de notre temps mais contraire à l’intérêt social de l’entreprise compris comme sa propre survivance. Une définition de l’acte anormal de gestion conçue comme celui par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt a d’ailleurs récemment été rappelée par le Conseil d’Etat[23]. L’étude d’impact indique alors que les enjeux environnementaux et sociaux doivent seulement être pris en considération par le chef d’entreprise sans plus de définition du véritable impact d’une telle norme sur les dirigeants. Au-delà de l’effet d’annonce de ce nouvel article 1833 du Code Civil, il semble que la part d’interprétation souveraine des juges du fonds sera extrêmement importante. En effet, l’étude d’impact n’envisage pas les cas où une décision du chef d’entreprise ou des associés serait en adéquation avec l’intérêt social et en contrariété avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. En effet, si une entreprise française décide d’exporter la manufacture de ses produits pour les vendre sur le territoire hexagonal, une telle décision peut être rentable sur le plan économique et même conditionner la survie de l’entreprise. Elle semble donc en adéquation avec son intérêt social. Pour autant, un tel dumping social amène inéluctablement une empreinte carbone supplémentaire de par la nécessité du transport de marchandises ce qui rend l’opération contraire aux enjeux environnementaux de notre temps. Les juges pourront-ils aller jusqu’à considérer qu’une telle décision en adéquation avec l’intérêt social de l’entreprise et qui ne prendrait pas en compte les enjeux environnementaux et sociaux de son activité est constitutive d’une faute tirée de la violation de l’article 1833 du Code Civil ? Cela semble peu probable mais la réflexion autour des actions possibles sur la base de ce nouvel article et en imaginant une interprétation stricte de la loi par les prétoires semble infinie. Une telle position serait certes drastique, voire interventionniste mais elle permettrait semble-t-il d’endiguer les comportements court-termistes de maximisation du profit en obligeant les entreprises à contribuer à la recherche d’une croissance raisonnée et génératrice de bien-être et de progrès[24]. En effet, il semble que se dégage en creux de l’analyse du libellé de l’article 1833 du Code Civil une volonté de faire participer les sociétés personne morale de l’intérêt général bien que cette notion n’ait pas de véritable consistance juridique déterminée.

Le droit solidaire des sociétés ? Si la création d’une société et sa gestion obéissaient  au concept d’autonomie de la volonté en permettant à des associés de collaborer ensemble en vue de la réalisation d’économies ou de bénéfices par l’entremise d’une structure sociétaire personnifiée moralement grâce à une prérogative déléguée par la loi sous forme d’un droit fondamental qu’est la liberté contractuelle, évidemment limitée dans sa substance par des impératifs catégoriques pour certains kantiens que l’on nomme ordre public, il semble qu’aujourd’hui, la vie sociétaire soit également impactée par le mouvement de solidarisme contractuel qui amène à prendre en considération d’autres éléments que le simple échange des consentements. Si, comme l’écrivait Duguit[25] et Bourgeois[26], l’homme est par nature un être social, débiteur de l’association humaine, il a envers ces membres d’une société préconstituée une dette de solidarité. En somme, cette créance de solidarité que la société humaine contracterait à l’encontre de ses membres se matérialise dans ce nouvel article 1833 du Code Civil comme l’obligation pour ceux-ci, lorsqu’ils s’associent sous forme sociétaire, de se conformer à un intérêt social prenant en considération les enjeux environnementaux et sociaux actuels. Autrement dit, les personnes morales, elles aussi, deviendraient en quelque sorte, débitrices d’une dette sociale et environnementale à l’endroit de cette société humaine préconstituée, obligeant alors à considérer que l’autonomie de la volonté de ses associés ou actionnaires devraient s’estomper devant le mouvement de solidarisme contractuel que l’on peut lire dans cette réécriture de l’article 1833 du Code Civil. Ce droit solidaire des sociétés amènerait à assigner aux structures sociétaires la satisfaction de l’intérêt général commun[27] en séparant nettement l’intérêt des associés de celui de la société personne-morale[28].

Possibles actions. Cet équilibrage forcé des relations économiques et sociales par l’effet de la loi, se traduira peut-être par la possibilité offerte aux associés d’une structure d’intenter une action en responsabilité contre des dirigeants ou associés majoritaires qui contreviendraient à l’intérêt social pris en considération de critères sociaux et environnementaux. Concrètement, peut-être que ce nouvel article 1833 du Code Civil permettra à des associés d’engager la responsabilité d’un dirigeant qui viendrait accorder un cautionnement, un bail, un marché à une société dont la déclaration de performance extra-financière insérée dans le rapport de gestion touchant les sociétés cotées depuis la loi sur la transition énergétique[29], ferait état d’un bilan carbone extrêmement néfaste pour l’environnement au visa de l’article L.225-102-1 du Code de commerce. Aussi, peut-être que cette nouvelle vision de l’intérêt social permettra d’empêcher certaines opérations de spéculation financières telles que des LBO qui conduisent parfois certaines entreprises à la liquidation judiciaire. En somme, peut-être que la réécriture de l’article 1833 du Code Civil amènera à terme, à une moralisation de la finance en empêchant les associés d’une structure de phagocyter une entreprise. Là encore, une telle interprétation stricte de la loi semble en contradiction avec l’étude d’impact qui indiquait que selon le gouvernement, le nouvel article 1833 aurait un impact juridique nul dans la mesure où, selon lui, le texte ne faisait que reprendre une notion déjà utilisé en jurisprudence, ce qui rendrait la codification à droit constant. Or, comme nous avons tenté de le démontrer, la notion jurisprudentielle d’intérêt social ayant été longuement discutée et ne faisant pas l’objet d’un consensus scientifique n’a, à notre connaissance, jamais intégré de dimension environnementale. Ainsi, face aux lacunes de définition et d’interprétation que soulève l’analyse de cette réécriture, il peut être imaginé que la violation de l’article 1833 par un dirigeant, une communauté d’associés ou un conseil d’administration, pourra être constitutive d’une faute qui permettrait d’engager la responsabilité des parties prenantes et partant peut-être de dissuader ceux-ci d’adopter certains actes et délibérations.


Conclusion

En conclusion, la réécriture de l’article 1833 du Code Civil fait entrer dans la loi la notion d’intérêt social de l’entreprise avec une définition extrêmement extensive voire interventionniste qui vise à faire peser sur les associés et dirigeants des sociétés une obligation de gestion de l’entreprise en adéquation avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. En effet, la violation de l’alinéa second de l’article susvisé laisse peser un risque d’engagement de responsabilité pour faute à l’égard des associés et dirigeants. L’autonomie de la volonté qui permettait aux associés de conduire la marche de leur entreprise en accord avec leur communauté d’intérêts semble laisser place à une forme de solidarisme contractuel qui impose aux dits associés de se conformer aux exigences tirées de l’intérêt social redéfini par la loi pour que la structure sociétaire participe du mieux-être commun. La personnification de la société n’est pas celle du groupement des associés[30] et le groupement des associés ne transcende pas l’intérêt social de la personne fictive créée par les seconds. Ainsi, pour répondre concrètement à la problématique initiale, si l’on a considéré que des associés ou de la société, les premiers étaient les maîtres de la seconde, la consécration de l’intérêt social propre des structures sociétaires amène à considérer que celles-ci soient d’une part reconnues par les associés comme disposant d’un intérêt propre et la dépendance financière des associés sur la société corrélée à l’exigence de conformité avec le nouvel intérêt social promu par l’alinéa 2 de l’article 1833 du Code civil permet de concevoir que l’esclave sociétaire devient en quelque sorte le nouveau maître des associés d’autre part. En effet, Aristote définissait l’esclave comme un « outil animé » : l’esclave étant alors une matière dont seul le maître est la forme[31]. Si l’esclave et le maître diffèrent par ce qu’Hegel appelait « chose », l’esclave travaillant la chose pour que le maître en jouisse, la métaphore de la Phénoménologie de l’esprit[32] appliquée à la relation associés-société permet de concevoir l’idée que l’ancien maître, l’associé, faisant travailler pour son profit ou son économie la société, l’esclave, devient à son tour l’esclave de l’esclave, la société devenant le véritable maître de l’économie ou du profit réalisé par l’associé car disposant d’un intérêt social qui oblige le premier. Si les personnes morales n’ont jamais déjeuner avec les associés qui l’ont constituée pour reprendre le trait d’esprit de Duguit ce à quoi lui répondait Soyer en indiquant qu’il les avait déjà vu payer l’addition, peut-être que si les personnes morales pouvaient s’exprimer à ce jour, elles reprendraient les mots de Dostoïevski : « Mais sache que les hommes sont convaincus maintenant, plus que jamais, qu’ils sont complètement libres. Et cependant ils nous ont apporté eux-mêmes leur liberté et l’ont humblement déposée à nos pieds[33]. »


[1] Cons. Const., 16 mai 2019, n° 2019-781

[2] LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, Journal Officiel n°0119 du 23 mai 2019

[3] Loi 78-9 1978-01-04 modifiant le titre IX du livre III du code civil, Journal officiel, 15 janvier 1978

[4] LIEHNARD, Alain, « Loi PACTE : consécration de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux », Dalloz Actualité [en ligne], avril 2019 [consulté le 20 mai 2019]

[5] Cons. Const. , 16 janvier 1982, n°81-132

[6] VIENNOT Marc, « Rapport Viennot sur le conseil d’administration des sociétés cotées », RIDC, 1996, pp. 647-655

[7] NOTAT Nicole, SENARD Jean-Dominique, « L’entreprise objet d’intérêt collectif » [Rapport en ligne], publié le 9 mars 2018 [consulté le 20 juin 2019], www.economie.gouv.fr

[8] Commission européenne, Recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) [notifiée sous le numéro C(2003) 1422], Journal officiel n° L 124 du 20/05/2003 p. 0036 – 0041, article premier, titre I, [en ligne], eur-lex.europa.eu

[9] SEGRESTIN Blanche « Intérêt social et objet social, ou comment renouveler une convention d’entreprise », in P. Batifoulier et al. (éds.), Dictionnaire des conventions. Autour des travaux d’Olivier Favereau, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, pp. 174‑178, disponible sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01288342 (Consulté le 12 juin 2019).

[10] Décret-loi du 8 août 1935 portant application aux gérants et administrateurs de sociétés de la législation de la faillite et de la banqueroute et instituant l’interdiction et la déchéance du droit de gérer et d’administrer une société, Journal officiel du 9 août 1935 page 8682

[11 Cass. crim, 8 mars 1967, n° 65-93.757, Publié au bulletin

[12] Cass. crim., 20 mai 2015, n° 13-87.388

[13] Cass. crim, 10 Avril 2002 – n° 01-84.192

[14] Cons. const, 8 avril 2011, n° 2011-116, QPC

[15] SCHMIDT Dominique, « La loi Pacte et l’intérêt social », D. 2019. 4 avril 2019, p.633

[16] Com. 8 nov. 2011, n° 10-24.438, D. 2012. 415, obs. A. Lienhard

[17] Crim. 31 janv. 2007, n°02-85.089 05-82.671, publié au bulletin

[18] COURET Alain, « Faut-il réécrire les articles 1832 et 1833 du code civil ? », D. 2017, 2 février 2017, p.222 

[19] Cet amendement a été rejeté lors de la séance du 13 févr. 2015 sur avis conforme du ministre de l’économie.

[20] LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, 2015-990, 6 août 2015, journal officiel n°0181 du 7 août 2015 page 13537

[21] GIRAUD Gaël, RENOUARD Céline, « Vingt propositions pour réformer le capitalisme », Paris, Flammarion, 23 mars 2009, p.376

[22] On pourrait notamment citer l’article 174 in limine de la loi PACTE : Au plus tard un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en place d’une structure de revue et d’évaluation des labels de responsabilité sociale des entreprises permettant de valoriser des produits, des comportements ou des stratégies. Cette structure associe, notamment, des experts et des membres du Parlement et propose des pistes de rationalisation et d’harmonisation des conditions de validité, de fiabilité et d’accessibilité de ces labels pour les petites sociétés.

[23] CE. plén. 21 décembre 2018, n° 402006

[24] SCHMIDT Dominique, La société et l’entreprise, D. 2017, p.2380

[25] DUGUIT Léon, « Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon », Félix Alcan, 1920, p. 18.

[26]BOURGEOIS Léon, « Solidarité », Paris, Armand Colin, 1896, p. 116.

[27] SCHMIDT Dominique, « La société et l’entreprise », D. 2017. p 2380

[28] PAILLUSSEAU Jean, « Entreprise et société. Quels rapports ? Quelle réforme ? »,  D. 2018, p.1395

[29] LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, 2015-992, Journal offciel n°0189 du 18 août 2015 page 14263

[30] V. PAILLUSSEAU Jean, « Le droit moderne de la personnalité morale », RTD civ. 1993, p.705 ; « Comment les activités économiques révolutionnent le droit et les théories juridiques », D. 2017, p. 1004

[31] BADIOU Alain, « Maîtres et esclaves chez Hegel », Sud/Nord, octobre 2017, n° 1, pp. 35‑47. Aristote parle plus précisément d’ « objet animé (κτῆμά τι ἔμψυχον), un instrument destiné à l’action (ὄργανον πρακτικόν), qui commande aux autres instruments, un bien appartenant en propriété exclusive à son maître. » Aristote, « La Politique » avec le texte intégral du livre III, chapitres I à XI, Rosny, France, Bréal, 2016.

[32] HEGEL, Phénoménologie de l’esprit, Paris, France, Librairie philosophique J. Vrin, 2018.

[33] DOSTOIEVSKI, Les frères Karamazov, 1879

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Nos étudiants publient. Jérémy Gabin parle beauté et élections au CA avec Renneboog, Geiler et Zhao

Le mot du Professeur Tchotourian.

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par M. Jérémy Gabin. À cette occasion, Jérémy fait une lecture critique de l’article de Renneboog, Geiler et Zhao intitulé « Beauty and Appearance in Corporate Director Elections » (European Corporate Governance Institute (ECGI) – Finance Working Paper Series, No. 537/2017). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.).


Beauté et apparences dans les élections au CA (par Renneboog, Geiler et Zhao)

Si le sujet peut prêter à sourire, l’étude « Beauty and Appearance in Corporate Director Elections » réalisée par Philipp Geiler, Luc Renneboog et Yang Zhao (European Corporate Governance Institute (ECGI) – Finance Working Paper Series, No. 537/2017), apporte de nombreuses pistes de réflexion, révélant autant l’influence de composantes superficielles telles que la beauté dans les élections des administrateurs, que les traits des différents profils d’actionnaires. Le postulat de cette recherche est simple :

« Notre hypothèse de base est que la beauté faciale ne jouerait pas de rôle [dans les élections] parce que les actionnaires qui [(ré-)élisent] les administrateurs peuvent s’appuyer sur des informations concernant leur éducation et leur expérience, ainsi que sur la performance passée de la société, tout ceci étant présenté dans le rapport annuel disponible avant les (ré-)élections ».

Cadre

Cette étude empirique, présentée comme la première en son genre, se base sur un échantillon de 621 élections et réélections survenues au Royaume-Uni entre 1996 et 2007.  Pour chaque administrateur, la photographie fournie dans le rapport annuel a été collectée et soumise à un échantillon d’utilisateurs certifiés du Turc-mécanique d’Amazon[1]. Pour chacune de ces photographies, les répondants ont dû évaluer ce que représentait la personne à leurs yeux, selon 5 critères définis par les analystes : beauté, compétence, capital confiance, sympathie inspirée, et intelligence. Chacun de ces critères, évalués sur une échelle de 1 à 5, propose un profil général de l’individu. Ce résultat est alors mis en relation avec le « dissent vote » de chaque candidat, c’est-à-dire, la somme des votes exprimés contre l’élection et les abstentions. Leur analyse porte sur plusieurs points dans le but d’analyser l’influence de la beauté dans différentes circonstances :

  • Beauté (attractivité) ou compétences ?;
  • Élection d’un homme ou d’une femme;
  • Élection d’un membre exécutif ou d’un membre non exécutif;
  • Élection ou réélection du membre;
  • Composition de l’actionnariat.

Résultats

« Nous trouvons que les administrateurs avec une meilleure apparence (mieux notés), s’en sortent mieux dans les élections des administrateurs, [ainsi] une augmentation de note d’apparence d’un point est associée à une réduction du vote négatif d’environ 6,5% ». Alors, aussi étonnant que cela puisse paraître, la beauté générale influe sur les élections des administrateurs.

Toutefois, il faut noter que la beauté physique, c’est-à-dire l’attractivité pure, n’a aucune influence sur le vote des actionnaires. Ceux-ci se basent essentiellement sur les traits de personnalité qui se dégagent des photographies et notamment le capital. Mais ce qui est d’autant plus intéressant c’est la manière dont l’influence de la beauté varie selon les caractéristiques de l’élection et de l’actionnariat.

Typologie des actionnaires

L’un des paramètres révélateurs est celui de la composition de l’actionnariat. Autrement dit, l’influence de l’apparence dans des sociétés présentant plus ou moins d’investisseurs institutionnels. Les chercheurs remarquent ici que l’apparence est plus déterminante dans les (ré-)élections des sociétés ayant peu d’investisseurs institutionnels. Ainsi l’on pourrait avancer que les « petits porteur » sont moins enclin à effectuer des recherches sur les compétences et les diplômes des administrateurs et se base davantage sur les traits de caractère dégagés par la photographie contenue dans la convocation. Contrairement aux investisseurs institutionnels qui disposent de moyens et de temps pour analyser ces données — car les enjeux ne sont pas les mêmes.

Personnalité des candidats

La beauté n’influe pas en pratique sur l’élection des femmes au conseil d’administration. Une des raisons évoquées à cet égard est que la place des femmes à ce niveau de la direction est un enjeu en lui-même, mais trop peu de candidatures parviennent. Dans certains pays, comme la France, la composition des conseils de sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché est soumise au respect de quotas/ratios[2]. En cas de non-respect des niveaux imposés (40 % en l’occurrence), cela peut même entrainer une suspension du versement de la rémunération.

Paramètres de l’élection

Simultanément, les résultats montrent que l’élection des « executive directors » est plus influencée par l’apparence que celle des administrateurs n’ayant pas de responsabilité (« non-executive directors »). Cette disparité provient probablement du souhait des actionnaires que leur entreprise soit bien représentée dans les relations publiques, avec notamment des administrateurs charismatiques. Par ailleurs, on observe que l’influence de la beauté diffère selon qu’il s’agisse d’une élection ou d’une réélection d’un membre.  L’apparence importe plus dans les cas de réélection, les chercheurs avancent ici que lors des premières élections les actionnaires sont plus favorables à suivre l’avis du comité de nomination. Mais cela pourrait aussi s’expliquer qu’il est plus opportun d’analyser dans sa globalité un candidat lors de sa première élection, que lors de sa réélection qui sera davantage influencée par les résultats passés de l’entreprise.

Parallèle politique

Un parallèle intéressant est celui que l’on peut faire avec le monde politique, où le rôle de la beauté dans les élections est bien plus documenté. Une étude finlandaise de 2010[3], utilisant le même modèle d’analyse, démontre que pour une augmentation d’un point du ratio de beauté les votes pour les parlementaires finlandais peuvent augmenter de 20 %, et de 17 % pour les élections municipales.

Jérémy Gabin

Ancien étudiant du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Amazon Mechanical Turc : plate-forme de crowdsourcing faisant appel à un large panel d’individus pour répondre à certaines questions, ou réaliser des micro-tâches. Dans le cadre de cette enquête seuls les utilisateurs « certifiés » par la plate-forme étaient habilités à répondre : gage de qualité et l’un des nombreux « robustness-test » mis en place.

[2] Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, transposée aux articles L. 225-17 et s. du Code de commerce.

[3] N. Berggren, H. Jordahl et M. Poutvaara (chercheur ayant fourni les questionnaires de cette étude), « The Looks of a Winner: Beauty and Electoral Success », Journal of Public Economics, 2010, vol. 94, no 1-2, p. 8.

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Nos étudiants publient. Mélissa Guillo et Gaëtan Yjjou résument Lisa Rodriguez : Golden Share, bon pour l’État actionnaire ?

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Mélissa Guillo et M. Gaëtan Yjjou. À cette occasion, nos étudiants discutent de l’article de Mme Lisa Rodriguez dans la revue banque.fr sur la stratégie de l’État actionnaire et l’impact des golden shares. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

En décembre 2017, Mme Lisa Rodriguez (étudiante à l’ESCP Europe) publie dans la revue banque.fr un article qui analyse de manière économique la stratégie de l’État actionnaire et l’impact des golden shares sur le portefeuille d’actions de l’État tout en donnant une certaine interprétation aux données chiffrées. Cet article est d’autant plus d’actualité que le 10 décembre 2018, l’Assemblée nationale française a adopté la loi dite « Pacte » qui étend l’application des golden share aux cessions privées et l’adapte à la jurisprudence européenne.[1]

La naissance de l’État actionnaire français

La notion d’État actionnaire est assez récente et date des années 2000… et montre un changement de paradigme de l’État. Historiquement, il était question d’État tuteur possédant des entreprises publiques et fournissant peu de rapports sur leur gestion[2]. Progressivement, l’État s’est modernisé pour s’adapter à la mondialisation, à la pression de la Cour de justice Européenne et à l’essor de la concurrence. L’État actionnaire est aujourd’hui « né » et il dispose d’un mécanisme de gouvernance spécifique pour asseoir ses prérogatives : l’action golden share.

Qu’est-ce qu’une action golden shares ?

« Une action Golden shares signifie littéralement “participation en or”. Le mécanisme consiste à attribuer à l’Etat des prérogatives exorbitantes telles que s’opposer à la prise de contrôle d’investisseurs étrangers, à certaines décisions stratégiques, à la nomination de membre du conseil d’administration ou encore la possibilité d’avoir un droit de véto »[3]. Ainsi, l’État – tout en demeurant un actionnaire minoritaire dans une entreprise – peut bloquer la volonté des actionnaires majoritaires.

Cet outil demeure strictement encadré par les autorités de l’Union européenne, limité à certains secteurs stratégiques, dont la création est justifiée par l’intérêt général et proportionné à l’objectif recherché[4]. Longtemps négligé, ce mécanisme revient dans l’actualité notamment avec l’augmentation croissante des participations de l’État dans les entreprises cotées et la baisse de rentabilité des portefeuilles de l’État. Dans son article, Mme Rodriguez se pose une question simple : quel est l’impact des golden shares sur la gestion de portefeuille de l’État actionnaire ?

Une réponse au déclin de la rentabilité des portefeuilles de l’État

Il est nécessaire pour un investisseur d’avoir un portefeuille d’action rentable. Or, l’État français (avec son portefeuille valorisé à 90 milliards d’euros) ne déroge pas à cette règle. « La rentabilité économique et financière du portefeuille d’action diminue autant que l’endettement augmente ». Ce constat édifiant reflète la mauvaise gouvernance par l’État de son portefeuille. Rentabilité et endettement prennent en compte l’aptitude d’une entreprise à générer des bénéfices. Or, en 2015 (et pour la première fois !), ils se sont révélés négatifs… d’autant plus que l’endettement de l’État a augmenté de 64 % entre 2006 et 2016. La capacité de l’État français à rembourser ses dettes s’est vue fortement affectée. Ces chiffres confortent la nécessité pour l’État de changer sa stratégie.

Dans son article, Mme Rodriguez explore deux hypothèses :

  • Hypothèse 1 : mise en place des goldens share dans les entreprises déjà privés comme par exemple l’entreprise Airbus.
  • Hypothèse 2 : privatisation des entreprises.

Dans les deux cas le prix des cessions d’actions est réinvesti.

Dans l’hypothèse de l’utilisation d’une action golden share, on constate une amélioration partielle de la performance financière. En terme de profitabilité, les golden shares ont un effet bénéfique, mais leur utilisation entraine une certaine dégradation du rendement et de la rentabilité. Les goldens share n’ont pas d’impact sur la performance boursière. Les résultats de Mme Rodriguez démontre une amélioration manifeste de la performance stratégique. En revanche, l’État reçoit moins de dividendes avec la constitution de golden share. Effectivement ils diminuent avec la cession de part dans des entreprises qui fournissent beaucoup de dividendes dans le secteur de la défense.

Au-delà des golden share

L’article de Mme Rodriguez peut être critiqué par le fait que l’État dispose de plus de 1700 participations, un nombre qui devrait augmenter à l’avenir. Il est donc difficile pour l’État de maîtriser l’information et de contrôler les entreprises. De plus, l’État doit faire attention à ne pas se comporter en spéculateur pour conserver une bonne réputation.

Mélissa Guillo et Gaëtan Yjjou

Anciens étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] ASSEMBLE NATIONALE, Projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises.

[2] André DELION « De l’État tuteur à l’État actionnaire », Revue française d’administration publique, 2007, p. 11.

[3] CHALLENGES, Lexique économique, V. Golden share.

[4] Pascal BINE, François PIQUET et Julien BRACQ, « La protection des secteurs stratégiques ou sensibles par l’État français, Fusion et acquisition », Fusoins & Acquisitions, 29 juin 2017.

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L’importance de se conformer à la LPLE

Dans le numéro de mai 2018 de TÉLÉMARQUE (volume 23, numéro 5), Me Marc Guénette publie un intéressant article rappelant l’importance de tenir à jour ses livres : « La Loi sur la publicité légale des entreprises (LPLE) ou l’importance de se conformer à la Loi sur les sociétés par actions (LSAQ)… ».

 

Il est important de maintenir ses registres à jour et il est tout aussi important d’adopter en bonne et due forme les résolutions des administrateurs et des actionnaires.

Il ne se passe pas un mois sans qu’un client ou une cliente nous demande de lui donner des arguments pour convaincre son ou sa cliente de l’importante nécessité d’adopter les résolutions… toutes les résolutions ! Parce que c’est la loi.

Cette obligation statutaire se vérifie encore une fois dans la décision Mouhad c. Registraire des entreprises, 3 février 2017, Tribunal administratif du Québec, EYB 2017-281765.

Ce litige s’inscrit dans le contexte où une partie a retiré l’autre du REQ en déposant la déclaration de mise à jour courante, sans autres formalités. Cela aurait tout aussi bien pu être l’ajout d’une partie au REQ dans le cadre de réclamations pour dettes fiscales et salaires dus (voir Letendre c. Registraire des entreprises, 12 octobre 2016, Tribunal administratif du Québec – Section des affaires économiques, EYB 2016-276047. Voir Télémarque de mai 2017).

Nous notons que les requêtes basées sur les articles 132 et 133 de la LPLE se font de moins en moins rares…on le comprendra. Comme le REQ fait preuve de son contenu, la fiabilité des informations qu’il contient est primordiale, de même que l’importance d’adopter en bonne et due forme les résolutions et de tenir les registres de la société à jour. Prétendre qu’une personne était ou non administratrice d’une société à une date donnée devra être appuyé par une résolution des actionnaires à cet effet.

(…) Nous rappelons qu’à cet égard, le rôle du Registraire par rapport au contrôle des déclarations est limité et vise essentiellement à vérifier la légalité des informations contenues au REQ. Pour garantir cette fiabilité, il est donc essentiel que celui qui produit une déclaration puisse démontrer que les exigences de la LSAQ et de ses règlements ont été respectées par la production de documents légaux.Les tribunaux rappellent régulièrement qu’une personne morale parle par ses écrits et que la rigueur et le formalisme sont le fondement de la LSAQ.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Base documentaire doctrine finance sociale et investissement responsable normes de droit Structures juridiques

Les compagnies à contribution communautaire : une synthèse par Me Guénette

Dans le numéro d’avril 2018 de TÉLÉMARQUE (volume 23, numéro 4), Me Marc Guénette propose une synthèse fort utile de la compagnie à contribution communautaire de la Colombie-Britannique (ici).

 

Ces entreprises existent depuis peu et ont vu le jour en Colombie-Britannique. Elles sont inexistantes au Québec.

Les compagnies à contribution communautaire ont en commun l’adoption d’un modèle d’entreprise commerciale favorisant le changement social et non l’atteinte du profit à tout prix. Pour compenser ce rendement pécuniaire « moindre » pour les investisseurs et pour maintenir leur intérêt, les autorités gouvernementales ont adopté des mesures réglementaires pour appuyer ces sociétés dans l’atteinte de leurs buts visant la collectivité.

Voici un très court aperçu des dispositions pertinentes de la loi de la Colombie-Britannique sur les CCC :

  • Une contribution communautaire est définie comme une contribution qui est bénéfique à la société en général ou à un groupe de personnes qui est supérieur au nombre de personnes liées à la CCC tel que défini dans la loi et inclut des fins liées à la santé, la société, l’environnement, la culture, l’éducation et autres services semblables.
  • Une société est une CCC si dans ses statuts, elle inscrit le libellé suivant
    • « Cette société est une compagnie à contribution communautaire et à cet effet a des fins bénéfiques pour la société. Cette société est restreinte par la loi dans sa capacité à payer des dividendes et à partager le reliquat de ses biens lors de sa dissolution. »

Le montant du dividende qu’elle peut verser ne peut dépasser 40 % des profits réalisés durant son année financière. Elle ne peut vendre ses actifs ou transférer des sommes d’argent sauf si cela se fait à la juste valeur marchande, à une entité qualifiée telle que définie dans la loi et celle-ci doit poursuivre les fins de la CCC qui a procédé audit transfert. Elle est également assujettie à certaines restrictions quant aux rachats d’actions.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Base documentaire doctrine Gouvernance mission et composition du conseil d'administration

PME : comité consultatif ou conseil d’administration, quelle est la différence ?

Dans Journal Action PME, Mme Sophie-Emmanuelle Chebin revient sur la structure de gouvernance des PME en s’intéressant notamment à l’existence ou non de CA : « PME : comité consultatif ou conseil d’administration, quelle est la différence ? » (

 

Conseil d’administration traditionnel ou comité consultatif ? La question revient souvent de la part des entrepreneurs. En fait, les deux formules présentent des avantages. Il faut choisir celle qui convient le mieux à la réalité de sa PME. Malgré cela, les PME québécoises continuent de les bouder. Seulement 6 % des PME canadiennes se sont dotées d’un comité consultatif, selon une étude de la BDC menée en 2014[i].

Une chose est certaine, peu importe la structure retenue, la gouvernance d’une PME ne devrait jamais représenter une lourdeur administrative pour l’entreprise.

D’ailleurs, la pratique démontre que les entreprises ont tendance à se doter de structures de gouvernance de façon graduelle, selon la maturité de leur organisation. D’abord, entourées de leur comptable, de leur conseiller juridique ou d’un mentor, elles évoluent peu à peu vers un comité consultatif ou un conseil d’administration traditionnel, selon celui qui répond le plus adéquatement à leurs besoins.

Regard sur deux structures que les entreprises gagneraient à adopter.

 

Je vous laisse découvrir la suite…

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Base documentaire doctrine Nouvelles diverses

Fractionnement d’actions : un rappel utile

Bonjour à toutes et à tous, le Journal de Montréal revient sur le fractionnement d’actions : « Avantageux, le fractionnement d’actions? » (18 février 2017). Un billet synthétique intéressant pour les étudiants du cours de Droit des sociétés par actions (DRT-2006).

S’il y a des dangers, il y a aussi des avantages bien résumés par l’auteur en ces termes :

 

Mais, parfois, le fractionnement est réellement payant, car la magie d’un titre moins cher attire réellement les investisseurs, faisant mousser rapidement sa valeur. Ce fut souvent le cas avec les banques canadiennes et quelques titres technos, comme Google et Apple… Je me souviens aussi d’avoir acheté des actions du Canadien Pacifique en 2001, juste avant qu’il soit scindé en quatre sociétés cotées, PanCanadian Energy, CP Ships, Fairmount Hotels, Fording Coal et CP Rail. Chacun de ces titres a rapidement dégagé un rendement plus important que si le CP était demeuré un conglomérat.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian