Nouvelles diverses | Page 7

devoirs des administrateurs Gouvernance Nouvelles diverses objectifs de l'entreprise Valeur actionnariale vs. sociétale

Nos étudiants publient : la thèse de Dodd encore plus juste aujourd’hui ? (par Léna-Lydia Djemili, Alexis Langenfeld et Bèlè Rose de Lima Tchamdja)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Léna-Lydia Djemili et Bèlè Rose de Lima Tchamdja et M. Alexis Langenfeld. Ces derniers présentent le fameux texte de 1932 de Merrick Dodd « For Whom are Corporate Managers Trustees? » et le mettent en perspective. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Dans son article « For Whom are Corporate Managers Trustees? »[1], Merrick Dodd Jr (professeur à la Harvard Law School) défend la thèse selon laquelle les administrateurs sont les mandataires de l’entreprise et non des actionnaires[2] leur permettant de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes. Le professeur Merrick Dodd contestait la vision d’Adolph A. Berle qui faisait des administrateurs les mandataires des actionnaires[3] pour chercher un profit maximum pour ces derniers. L’opposition entre les deux auteurs est connue comme le « Berle/Dodd debate » et a beaucoup influencée le droit des sociétés par actions.

Le professeur Merrick Dodd démontre qu’il est bénéfique pour une entreprise de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes (le public et les salariés) et avance que les dirigeants s’engageant dans cette direction ne font rien d’illégal.

 

Trois idées fortes

Le professeur Merrick Dodd forme son argumentation autour de trois idées principales : le changement des opinions du public et des praticiens; la limitation du profit dans les entreprises d’intérêt public; et le fait que l’entreprise doit être vue comme une personne à part entière.

Le professeur Merrick Dodd avance que l’opinion publique soutient ses idées en réclamant que les entreprises prennent en compte d’autres intérêts que ceux des seuls actionnaires, notamment ceux des salariés pour leur éviter de vivre le chômage[4]. Or, l’opinion publique faisant la Loi, le législateur devrait apporter son appui à sa thèse. Le professeur Merrick Dodd constate également que l’opinion de certains professionnels de la gestion d’entreprise est conforme à sa thèse[5]. Ces derniers préconisent la prise en compte des intérêts de l’ensemble des personnes participant à la vie de l’entreprise : actionnaires, salariés, public, État…

Le professeur Merrick Dodd fait aussi état de dispositions particulières touchant les entreprises exerçant dans des domaines d’intérêt public[6]. En règlementant la concurrence entre ces entreprises, leurs tarifs (au bénéfice des consommateurs) et les salaires (au bénéfice des salariés), le législateur américain a limité la propriété privée des actionnaires. Ces derniers ne disposent plus en effet de la liberté de prendre certaines mesures dans leur intérêt ! Cette limitation s’explique par le souci de protéger les tiers. Le professeur Merrick Dodd établit que dans certains domaines l’intérêt des parties prenantes conduit à limiter le profit des actionnaires. Aussi, les dirigeants prenant en compte d’autres intérêts que ceux des actionnaires ne font que suivre la Loi. Le professeur Merrick Dodd souhaiterait que ce système soit étendu à l’ensemble des sociétés. De plus, pour lui, une telle orientation législative serait positive pour les actionnaires tant les salariés satisfaits seraient plus productifs.

Enfin Le professeur Merrick Dodd plaide pour une évolution de la vision de l’entreprise[7]. Pour lui, celle-ci doit être considérée comme une personne à part entière et non comme un simple agrégat d’actionnaires. Dès lors, en tant que personne, celle-ci se doit d’être bonne citoyenne. Aussi doit-elle prendre en considération l’ensemble des parties prenantes pour adopter un comportement responsable.

 

Des limites

Néanmoins, le professeur Merrick Dodd lui-même limite la portée de son texte et doute que ses idées soient accueillies à court terme. Il considère que, même si le droit change, les administrateurs pourront toujours chercher à privilégier l’intérêt des actionnaires. Il pense aussi que l’état actuel du droit ne permet pas l’application de ses thèses. De plus, le professeur Merrick Dodd craint que l’entreprise demeure encore longtemps à la merci de la volonté des actionnaires[8].

 

Un texte toujours porteur

Aujourd’hui encore, certaines entreprises recherchent de manière illimitée et déraisonnée un profit maximum[9], n’hésitant pas à recourir à la fraude[10]. Malgré l’âge de cet article qui explique que des considérations actuelles (environnement, féminisation du conseil d’administration ou rémunération des hauts-dirigeants), l’article conserve encore aujourd’hui une grande pertinence. L’article est le fruit d’un raisonnement sans précèdent qui lui a permis de remporter le débat doctrinal contre son homologue Adolph Berle, lequel a lui-même fini par l’admettre[11]. De plus, la conception de l’entreprise change aujourd’hui. En effet, l’État n’hésite plus à intervenir pour sauver des entreprises en difficulté, non pour secourir les seuls actionnaires, mais pour venir en aide à l’ensemble de parties prenantes et notamment les salariés[12]. Enfin, certaines entreprises continuent de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes via des chartes éthiques[13] ou des engagements en terme de responsabilité sociale[14].

Léna-Lydia Djemili

Alexis Langenfeld

Bèlè Rose de Lima Tchamdja

Étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145.

[2] Le Code civil du Québec reprend cette thèse : Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64, art. 321.

[3] Adolph A. Berle, « Corporate Powers as Powers in Trust », Harvard Law Review, 1931, 44, 1049.

[4] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1151.

[5] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, aux p. 1154 et s.

[6] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1150.

[7] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1160.

[8] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1161.

[9] Frank DOBBIN et Jiwook JUNG, « The Misapplication of Mr. Michael Jensen. How Agency Theory Brought Down the Economy and Why it Might Again », 2010.

[10] Raymonde CRÊTE, « The Volkswagen Scandal from the Viewpoint of Corporate Governance », 2016; Jeanne DESJARDINS, « Erreurs stratégiques: Mitsubishi, Volkswagen, Suzuki », 2016; L’express.fr, actualité économique, « Un rapport accable la Société Générale et ses 2,2 milliards de « cadeau fiscal » », 2016.

[11] Adolph A. BERLE, The 20th Century Capitalist Revolution, Harcourt Brace & Co., 1954, à la p. 169.

[12] Les affaires.com, bourse, nouvelles économies, « Bombardier: une perte de 4,9G$ et une participation de 1G$ de Québec », 2016; Pascal ORDONNEAU, « Société de Prise de Participation de l’Etat (SPPE) », Les Échos.fr, 2016.

[13] AccorHotel, Charte éthique et responsabilité sociétale d’entreprise.

[14] Coca-Cola European Partners, Nos engagements RSE.

Gouvernance mission et composition du conseil d'administration Nouvelles diverses

La RSE au programme des CA

Le quotidien Les Échos du 6 juin 2017 confirme ce que nous véhiculons comme message depuis quelque temps maintenant : la RSE doit être un sujet de préoccupation des CA ! Dans un article intitulé « RSE : les 3 questions clefs du board », il est affirmé que :

 

La responsabilité sociétale et environnementale devient un catalyseur de compétitivité, et un sujet d’administrateurs.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Nouvelles diverses

Nos étudiants publient : Culture et modèles de gouvernance de l’entreprise… une proximité sous-estimée ? Une lecture d’Amir Licht (par Camille Lafourcade et Emma Guichard)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Camille Lafourcade et Emma Guichard. Ces dernières reviennent sur les liens entre droit, culture et gouvernance d’entreprise au travers d’une lecture de l’article d’Amir Licht « Culture and Law in Corporate Governance » (European Corporate Governance Institute (ECGI) – Law Working Paper No. 247/2014, 6 mars 2014). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Si de prime abord la culture semble ne présenter aucun lien évident avec le monde des affaires et particulièrement avec la gouvernance d’entreprise, Amir Licht, professeur de droit à la Radzyner Law School en Israël, parvient à nous prouver le contraire dans son article « Culture and Law in Corporate Governance » publié par l’European corporate governance institute (2014).

Aucune analyse des systèmes de gouvernance d’entreprise ne serait pleinement achevée sans prendre en considération le rôle potentiel de l’environnement culturel ! En effet, les orientations culturelles dominantes d’un pays influencent les dirigeants dans le choix des valeurs qu’ils souhaitent promouvoir au sein de leurs entreprises.

Cet article fournit un aperçu des zones d’interactions entre la culture et le droit des sociétés ce qui nous permet d’expliquer l’origine de la diversité des modes de gouvernance d’entreprise. Dans un premier temps, Amir Licht présente les concepts de base de la notion de culture, pour tenter d’en retirer un cadre d’analyse comparatif. Dans un second temps, il cherche à comprendre les effets de la culture sur les modes de gouvernance, par l’entremise de résultats des recherches sur la transpositions des règles légales entre deux pays, les effets de la culture sur les objectifs de l’entreprise, les relations avec les investisseurs et les parties prenantes, la rémunération des dirigeants, ou encore de la composition du conseil d’administration.

 

Concepts de base et théories sur la notion de « culture »

L’auteur revient d’abord sur la notion de « gouvernance d’entreprise » en tant que cadre institutionnel qui régule la division et l’exercice du pouvoir au sein de l’entreprise. Cette notion concerne les relations, souvent contractuelles, entre les parties prenantes de l’entreprise, d’où la métaphore du « réseau de contrats ». Mais d’après Licht, cette vision contractuelle ne tient pas puisque « la gouvernance d’entreprise commence justement là où le contrat finit », c’est-à-dire quand il devient insuffisant, quand l’information est incomplète ou quand son exécution devient impossible. L’asymétrie informationnelle conduit à placer le pouvoir dans les mains d’une seule partie prenante qui peut alors adopter un comportement opportuniste, défini par Oliver Williamson comme « la recherche de l’intérêt personnel par la tromperie »[1]. Pour Ronald Coase au contraire, l’entreprise ressemble plutôt a un « réseau de relations de pouvoir »[2]. Le résultat est que la régulation sociétale de ces relations de pouvoir ne peut être basée uniquement sur des arrangements contractuels et qu’une régulation institutionnelle est absolument cruciale. Par conséquent, pour pouvoir contracter dans un contexte d’asymétrie informationnelle, la société doit mettre en œuvre des moyens de régulation extracontractuels, tels que la loi ou la culture. Selon la définition conceptuelle de l’anthropologiste Clifford Geertz, la « culture » est perçue comme « un système de conceptions héritées exprimées en formes symboliques au moyen desquelles les hommes communiquent, perpétuent et développent leur connaissances et leurs attitudes face à la vie. ». Ces formes symboliques sont les valeurs, les croyances et les normes qui constituent nos cultures. C’est véritablement dans les années 1970, par l’avènement du courant de la « Nouvelle économie institutionnelle » prônant l’utilisation des méthodes économétriques pour analyser les institutions, que la culture est devenue un sujet d’intérêt. Pour Douglass North par exemple, les institutions sociales sont « les règles du jeu » de la société.

 

Amir Licht décrit ensuite le modèle d’Oliver Williamson qui divise les institutions sociales en quatre niveaux, chacun imposant des contraintes sur le développement du niveau inférieur : le niveau 1 représente les institutions informelles c’est-à-dire la culture (normes, habitudes, mœurs, traditions et religion); le niveau 2 comprend les règles légales formelles (constitutions, lois, droits de propriété); le niveau 3 représente la structure de la gouvernance (firmes, réseaux sociaux); et le niveau 4 se concentre sur l’analyse différentielle (allocation des ressources et emplois). L’effet contraignant de la culture résulte de la conviction commune qu’il est dans l’intérêt de chaque partie prenante d’adhérer à des valeurs et croyances partagées jusqu’à ce qu’un choc exogène ne renverse l’équilibre.

 

Mais la culture étant protéiforme, l’inclure dans un cadre d’analyse institutionnelle requiert d’abord que l’on identifie des facteurs de comparaison. Pour cela, la psychologie interculturelle a utilement permis d’établir les profils culturels des sociétés suivant l’importance qu’elles donnent à certaines valeurs. Amir Licht va donc s’appuyer sur les recherches qui comparent les comportements managériaux selon des différences culturelles nationales. L’enquête d’Hofstede (1980) demeure notamment la référence, il y décline la culture en quatre « dimensions » ou « valeurs collectives » : la distance hiérarchique, le contrôle de l’incertitude, l’individualisme et la masculinité. En fonction des indices de chaque dimension, il est possible de dessiner une carte culturelle du monde.

 

Pour finir, Amir Licht porte son regard sur une autre théorie mettant en lien culture et gouvernance, celle du capital social de Coleman et Putnam[3] qui place en son cœur la valeur de la confiance généralisée pour réduire les incertitudes et augmenter la performance économique des entreprises.

 

Conséquences de la culture sur la gouvernance de l’entreprise

Il ressort des propos de l’auteur que la culture en tant qu’institution informelle peut être un élément de réponse aux problèmes de gouvernance d’entreprise. Le cadre d’analyse des dimensions culturelles permet d’ouvrir la « boîte noire » de la culture et de formuler des hypothèses sur les liens entre une certaine orientation culturelle et une problématique ciblée de gouvernance d’entreprise. Par exemple, les entreprises familiales qui respectent la culture du mariage arrangée ont en général un faible niveau de développement économique, ce qui suggère que l’inertie culturelle peut les freiner dans l’adoption d’une organisation économique plus efficace.

 

Selon la théorie managériale de Williamson, culture et loi peuvent interagir dans la mesure où la culture définit des contraintes informelles et fournit les motivations au développement de lois culturellement compatibles. Ainsi, la norme sociale de légalité permet d’assurer que les lois formelles sont suivies, puisqu’elle tire sa force injonctive de sa compatibilité avec certaines valeurs culturelles, notamment celles qui reconnaissent l’égalité morale des individus. De la même façon, la survenance d’un choc exogène peut affecter les orientations culturelles. L’histoire des conquêtes britanniques a par exemple laissé un impact notable sur la culture et le cadre légal des pays concernés, ce qui a rendu ces nations plus réceptives aux mécanismes entrepreneuriaux incertains et ouverts.

 

Il reste que, prisent isolément, ni les classifications légales ni les classifications culturelles ne permettent d’expliquer la diversité des modèles de gouvernance d’entreprise, c’est pourquoi il convient de les combiner. Le mélange des modèles après un choc exogène implique parfois une transposition des règles légales, laquelle peut être soit involontaire en conséquence d’une occupation coloniale par exemple, soit volontaire par la mise en œuvre de mécanismes légaux. L’environnement culturel du pays receveur joue toujours un rôle significatif dans la prise de cette « greffe » et dans la façon dont elle va s’intégrer dans le système juridique de réception.

 

Amir Licht s’interroge par la suite sur les objectifs de l’entreprise, et il semblerait que les juridictions de common law et de droit civil soient souvent caractérisées par une orientation tournée, respectivement, vers les actionnaires et vers les parties prenantes. La culture joue aussi un rôle fondamental dans la façon de mener des relations avec les investisseurs et les actionnaires, car suivant leurs perceptions de l’incertitude, le degré de transparence dans la communication des informations financières va varier d’une entreprise à l’autre.

 

Amir Licht déploie encore de nombreuses autres implications de la culture que nous vous laisserons découvrir. Celle liée à la détermination de la rémunération des dirigeants, qui nous fait nous questionner sur l’existence d’un consensus autour de la notion de paye « juste », ainsi que celle liée à l’influence des institutions informelles (comme la culture), qui contraignent et motivent la formation d’un conseil d’administration en adéquation avec les valeurs et croyances de chaque société, seront particulièrement instructives.

 

Camille Lafourcade

Emma Guichard

Étudiantes du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Oliver E. Williamson, The Economic Institutions of Capitalism: Firms, Markets, Relational Contracting, New York University Press, 1986.

[2]  Ronald Coase, « The Nature of the Firm », Economica, Vol. 4 (16), 386-405 (1937).

[3]  James S. Coleman, « Social Capital in the Creation of Human Capital », 94 AM. J. SOC . S95 (1988); Robert D. Putnam, Making democracy work : civis traditions in modern Italy (1993).

engagement et activisme actionnarial Gouvernance Nouvelles diverses

Retour sur le capital-actions à classe multiple

Le MÉDAC relaie une intéressante information sous le titre : « Entreprises à droits de vote multiples ostracisées ». Cette synthèse revient sur la pertinence des actions à droit de vote double…

 

Dans un texte publié en août, Yvan Allaire démontre le manque de vision de la coentreprise Dow Jones et des groupes d’intérêts qui s’opposent aux structures d’actions à deux catégories de droits de vote, qui permettent à des familles de garder un contrôle sur leur vision de création de valeur pour l’entreprise qu’elles ont fondée.

Le président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) affirme que les principaux opposants aux actions à droits de vote multiples sont des fonds spéculatifs prédateurs et des actionnaires à court terme, et que ce sont eux qui bénéficient le plus de la décision de Dow Jones d’exclure de ses indices les entreprises ayant deux catégories d’actions.

À son avis, certains investisseurs activistes dans cette « clique » se perçoivent comme étant des « propriétaires » des entreprises dans lesquelles ils viennent tout juste d’investir, au même titre que la famille fondatrice, plutôt que comme étant de simples investisseurs.

Principes à deux vitesses

Ainsi, selon Allaire, la décision de Dow Jones en juillet d’exclure les entreprises à deux catégories de droits de vote de ses indices boursiers, dont le S&P 500, empêche des entreprises familiales émergentes d’avoir accès au financement indiciel qui provient de l’investissement indiciel, une forme d’investissement passif devenue plus populaire depuis 10 ans.

Selon Yvan Allaire, la décision de Dow Jones viserait à inciter les entrepreneurs à abandonner leurs droits de vote multiples avant de se lancer dans un premier appel public à l’épargne, ce qui aurait comme effet d’accroître le pouvoir des investisseurs qui ne sont que de passage.

Par contre, tel que souligné par l’auteur, Dow Jones aurait pris soin de protéger par clause de droits acquis les plus influentes des entreprises à deux catégories de droits de vote, telles que Facebook, Alphabet (Google), ainsi que Berkshire Hathaway (Warren Buffet).

De plus, Allaire réitère que le rendement des entreprises à deux catégories de droits de vote n’est pas inférieur pour les investisseurs externes à celui des entreprises qui ont une seule catégorie.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

normes de droit Nouvelles diverses

The Separation of Corporate Law and Social Welfare

William W. Bratton publie un bel article intitulé « The Separation of Corporate Law and Social Welfare » (4 avril 2017). Dans cet hommage aux travaux notamment de David Million, l’auteur y démontre que le droit des sociétés par actions  a adopté une approche de marché rejetant en marge l’idée qu’il avait pour fonction de protéger la société dans son ensemble des ravages du marché libre.

 

It is often said today that, as a matter of economics, shareholder value enhancement proxies as social welfare enhancement.  But the essay shows the association to be false.  It is also said that shareholding has been democratized, aligning the shareholder interest with that of society as a whole.  But this proposition also is false.  Although more people have interests in shares, the shareholder interest retains substantially the same upper bracket profile that characterized it at the end of World War II.

Corporate law, thus separated from social welfare, today provides a framework well-suited to attainment of shareholder objectives, which in fact have been realized for the most part. If the practice continues to evolve in this mode, the field of corporate law can be expected to fall away from public policy margin and evolve as a narrow private law domain.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Gouvernance Normes d'encadrement normes de droit normes de marché Nouvelles diverses

Nos étudiants publient : des liens entre RSE et gouvernance d’entreprise par Cynthia Williams (billet de Karine Morin)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Karine Morin à l’automne 2016. Cette dernière analyse les liens entre RSE et gouvernance d’entreprise et revient sur l’étude « Corporate Social Responsibility and Corporate Governance » de la professeure Cynthia A. Williams. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Signalant d’emblée l’intérêt grandissant que suscite la responsabilité sociétale des entreprises (ci-après « RSE »), Cynthia A. Williams s’est penchée dans son texte « Corporate Social Responsibility and Corporate Governance »[1] sur son importance en matière de gouvernance d’entreprise.

 

Une position discrète des États-Unis

De premier abord, la professeure Williams relève la contemporanéité de certaines pratiques auxquelles les entreprises se soumettent volontairement. L’une d’entre elles (la divulgation extra-financière) est présentée comme le signe indéniable d’une mutation dans les pratiques de bonne gouvernance. Le foisonnement de cette divulgation a permis de développer une conceptualisation de standards transnationaux de ce que doit constituer une démarche de RSE, et ce, pour chaque type d’industries. En ce sens, la firme KPMG argue que, pour de nombreuses entreprises, cette RSE ne relève pas d’une obligation morale mais d’une gestion efficiente des opportunités et des risques[2]. Cette conclusion rejoint d’ailleurs la conception prônée par plusieurs auteurs[3]. Des instruments multilatéraux ont aussi été développés et renforces par les organisations internationales afin d’encourager les États à promouvoir l’adoption de comportements responsables de la part des entreprises établies sur leur territoire[4].

Certaines législations contraignent les administrateurs et les dirigeants d’entreprises à un minimum d’effort en matière de RSE en matière de droit du travail, de droit environnemental, de droit de la consommation, ou encore dans le cadre de la lutte contre les discrimination ou la corruption. L’obligation de divulgation a été la principale mesure avancée par les autorités étatiques qui ont tranché pour une action législative orientée vers une plus grande prise en compte de la RSE[5]. Sept marchés boursiers ont emboîté le pas en exigeant des entreprises désirant transiger sur leur marché une divulgation extra-financière[6]. Soulignant l’inaction des États-Unis à ce chapitre, la professeure Williams recense tout de même certaines interventions législatives qui tendent vers un encadrement plus marqué des entreprises.

 

Des critiques à relativiser

Malgré le consensus mondial qui semble se dessiner sur le rôle que doivent exercer les entreprises quant aux impératifs sociétaux, la professeure Williams n’omet pas de signaler les critiques qui sont formulées à la RSE. Premièrement, la question de la rentabilité des investissements liés à la RSE demeure une question à laquelle il est encore difficile de répondre. L’auteure soutient que ses résultats contradictoires sont principalement liés à trois facteurs : des objets de recherche divergents; des variables intermédiaires qui, jusqu’à tout récemment, n’étaient pas suffisamment décomposées; et des données dont la qualité n’est pas satisfaisante. La professeure Williams conclut sur ce point que les études sont maintenant beaucoup plus fiables et mieux ciblées. L’idée d’une rentabilisation des investissements en matière de RSE commence à être établie[7]. La professeure Williams démontre à l’aide de plusieurs études empiriques que les deux variables intermédiaires à considérer sont l’innovation et la confiance[8]. Deuxièmement, si la mise sur pied d’un comité du CA dont le mandat serait spécifiquement lié aux questions touchant à la RSE est une avenue possible, la professeur Williams précise que les données empiriques recueillies jusqu’à présent ne permettent pas d’arriver à une unanimité sur sa pertinence[9]. Évoquant le fait que certains actionnaires institutionnels accordent de plus en plus d’attention à l’orientation organisationnelle que prend le CA à l’égard de la RSE, la professeure Williams décèle un lien entre composition de l’actionnariat et orientations stratégiques des entreprises au niveau social[10]. Elle souligne enfin le lien existant entre l’origine des traditions juridiques de différents pays avec leurs stratégies juridiques en matière de RSE[11].

 

Une solution ?

La dernière partie du texte de Cynthia Williams ramène le débat au fameux dilemme entre la maximisation de la valeur actionnariale et la prise en compte des intérêts des parties prenantes. Énumérant les différents arguments avancés par de nombreux auteurs sur chacune de ces positions, elle dénoue l’impasse tout en réconciliant ces deux approches : le système le plus efficient devrait encourager les administrateurs et les dirigeants à agir de façon éthique dans une perspective long-termiste qui sera profitable tant aux actionnaires actuels que futurs, tout en prônant une gestion positive du personnel, de la recherche et du développement, des relations avec les fournisseurs et du capital naturel. N’est-ce donc pas ainsi que devrait se décrire le management de demain ?

 

Karine Morin

Étudiante du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022

Titulaire du baccalauréat en droit, Faculté de droit, Université Laval


[1] Cynthia A. Williams, « Corporate Social Responsibility and Corporate Governance », Osgoode Legal Studies Researdch Paper No. 32/2015.

[2] KPMG, The KPMG Survey of CR reporting, 2013, à la p. 11.

[3] Abagail McWilliams et Donald S. Siegel, Creating and Capturing Value: Strategic Corporate Social Responsibility, Resource-Based Theory, and Sustainable Competitive Advantage, 37 J. OF MANGMT. 1480 (2011); Michael E. Porter et Mark R. Kramer, Strategy and Society: The Link between Competitive Advantage and Corporate Social Responsibility, HARV. BUS. REV. 78 (DEC. 2006).

[4] OCDE, Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, 2011; ISO, ISO 26000 :2010 Ligne directrices relatives à la responsabilité sociétale, 2010; ONU, Global Compact; ONU, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, 2011.

[5] Initiative for Responsible Investment, Corporate Social Responsibility Disclosure Efforts by National Governments and Stock Exchanges (March, 12, 2015).

[6] Initiative for Responsible Investment, Corporate Social Responsibility Disclosure Efforts by National Governments and Stock Exchanges (March, 12, 2015).

[7] Marc Orlitzky, Frank L. Schmidt et Sara L. Rynes, Corporate Social and Financial Performance: A Meta-Analysis, 24 ORG. STUD. 403 (2003); Hao Liang et Luc Renneboog, Law and Finance: The Foundations of Corporate Social Responsibility, Tilburg University Center for Economic Research, European Corporate Governance Institute (ECGI) Finance Working Paper No. 394/2013 (Jan. 2014); Robert G. Eccles, Ioannis Ioannou et George Serafeim, The Impact of Corporate Sustainability on Organizational Processes and Performance, 60:11 MNGMT. SCIENCE 2835 (2014).

[8] Gordon L. Clark, Andreas Feiner et Michael Viehs, From the Stockholder to the Stakeholder: How Sustainability Can Drive Financial Outperformance (2015); Caroline Flammer et Pratima Bansal, Does Long-Term Orientation Create Value? Evidence from a Regression Discontinuity (2014); Caroline Flammer et Aleksandra Kacperczk, The Impact of Stakeholder Orientation on Innovation: Evidence from a Natural Experiment (2014); Jordi Surroca, Josep A. Tribó et Sandra Waddock, Corporate Responsibility and Financial Performance: The Role of Intangible Resources, 31 STRAT.MNGMT. J. 463 (2010); Timothy M. Devinney, Is the Socially Responsible Corporation a Myth? The Good, the Bad and the Ugly of Corporate Social Responsibility, ACAD.MNGMT. PERSP. 44 (MAY 2009); American Bar Association, Other Constituency Statutes: Potential for Confusion, 45:4 BUS. LAW. 2253 (1990).

[9] Christine A. Mallin, Giovanna Michelon et Davide Raggi, Monitoring Intensity and Stakeholders’ Orientation: How Does Governance Affect Social and Environmental Disclosure?, 114(1) J. OF BUS. ETHICS 29 (2013); Judith A. Walls, Pascual Berrone et Philip H. Phan, Corporate Governance and Environmental Performance: Is there Really a Link?, 33 STRAT.MNGMT. J. 885 (2012); Jordi Surroca et Josep A. Tribó, Managerial Entrenchment and Corporate Social Performance, 35 (5-6) J. OF BUS. FIN. & ACCTNG. 748 (2008).

[10] William W. Bratton et Michael L. Wachter, Shareholders and Social Welfare, 36 SEATTLE L. REV. 489 (2013); Robert M. Daines, Ian D. Gow et David F. Larcker, Rating the Ratings: How Good are Corporate Governance Ratings, 98 J. FINAN. ECON. 439 (2010); Donald O. Neubaum et Shaker A. Zahra, Institutional Ownership and Corporate Social Performance: the Moderating Effects of Investment Horizon, Activism, and Coordination, 32:1 J. MNGMT. 108 (2006); Richard A. Johnson et Daniel W. Greening, The Effects of Corporate Governance and Institutional Investor Types on Corporate Social Performance, 42:5 ACAD.MNGMT. J. 564 (1999).

[11] Hao Liang et Luc Renneboog, Law and Finance: The Foundations of Corporate Social Responsibility, Tilburg University Center for Economic Research, European Corporate Governance Institute (ECGI) Finance Working Paper No. 394/2013 (Jan. 2014); Céline Gainet, Exploring the Impact of legal Systems and Financial Structures on CSR, 95 J. BUS. ETHICS 195, 197 (2010); Rafael la Porta, Florencio Lopez-de-Silanes et Andrei Shleifer, The Economic Consequences of Legal Origins, 46 J. ECON. LIT. 285 (2008).

Nouvelles diverses

Cours DRT-7022 : se verra-t-on cet automne ?

Bonjour à toutes et à tous, le séminaire DRT-7022 Gouvernance de l’entreprise va être offert cet automne à la Faculté de droit de l’Université Laval. Pourquoi ne pas vous y inscrire si vous avez de prolonger les discussions du blogue ?
Lors des séances de cours, les sujets abordés seront les suivants :
  • Le cadre conceptuel de la gouvernance d’entreprise
  • La place des outils juridiques et les choix législatifs effectués (hard law et soft law)
  • Les principaux acteurs de la gouvernance, avec un regard particulier sur l’État et les salariés
  • La composition du conseil d’administration (indépendance, féminisation…) et la place des comités
  • La mission du conseil d’administration
  • Les devoirs imposés aux administrateurs et aux dirigeants (normes de prudence et diligence, devoir de loyauté) et le contenu du contrôle judiciaire (la rémunération des dirigeants fera l’objet d’une attention particulière)
  • Le rôle tenu par les actionnaires et les interrogations entourant la démocratie corporative (instauration du say on pay…)
  • L’information à travers son rôle dans les mécanismes de gouvernance et de marché, ses acteurs (vérificateurs, analystes financiers, agences de notation…) et son contenu (information extrafinancière…)
  • Les enjeux juridiques soulevés par la responsabilité sociale des entreprises, le développement durable et la théorie des parties prenantes
  • La responsabilisation des sociétés au plan international et ses enjeux en termes de gouvernance
  • Les effets anticipés des réformes récentes en matière de gouvernance

 

Le séminaire est structuré en 5 parties :

  • Une introduction
  • Une présentation des principaux acteurs de la gouvernance
  • Un exposé des différents mécanismes de responsabilisation
  • La notion et la place de l’information
  • Une présentation des travaux de recherche

 

Les thèmes du séminaire sont les suivants :

 

Thème 1 Nature de la société par actions, normes d’encadrement et enjeux contemporains de gouvernance
Thème 2 Enjeux en termes de responsabilité sociétale, d’éthique et de parties prenantes
Thème 3 Présentation des acteurs de la gouvernance d’entreprise
Thème 4 Mission et composition du conseil d’administration
Thème 5 Visage des actionnaires, activisme et démocratie actionnariale
Thème 6 Normes de compétence, de prudence et de diligence
Thème 7 Contrôle judiciaire des devoirs des administrateurs (règle de l’appréciation commerciale)
Thème 8 Devoir d’agir dans l’intérêt de la société et devoirs à l’égard des actionnaires et des autres parties prenantes
Thème 9 Responsabilisation des sociétés à l’échelle internationale
Thème 10 Rôle et acteurs de l’information
Thème 11 Contenu de l’information

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian