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Divulgation finance sociale et investissement responsable Gouvernance Normes d'encadrement normes de droit Responsabilité sociale des entreprises

Finance durable et gestion collective : l’AMF publie une mise à jour

A la suite de la publication le 11 mars 2020 de la position-recommandation DOC-2020-03 visant à assurer une proportionnalité entre la réalité de la prise en compte des facteurs extra-financiers dans la gestion et la place qui leur est réservée dans la communication aux investisseurs, l’AMF publie une première mise à jour de cette doctrine. Je vous laisse découvrir le tableau offert par l’AMF sur l’avant et l’après modification…

Extrait :

Adéquation de la communication et de l’importance de la prise en compte de critères extra-financiers dans la gestion

Jusqu’alors, la position-recommandation DOC-2020-03 prévoyait une distinction binaire : soit le placement collectif disposait d’une prise en compte significativement engageante sur la prise en compte de critères extra-financiers et il pouvait alors communiquer de façon centrale sur ces aspects, soit l’approche n’atteignait pas ces standards minimaux et il devait se contenter d’une communication « très brève et très proportionnée » dans sa documentation commerciale sur la prise en compte de ces critères.

La position-recommandation prévoit désormais, aux côtés de la possibilité de communiquer de façon centrale sur les aspects extra-financiers, la possibilité d’une communication dite ‘réduite’ pour les fonds qui prennent en compte dans leur gestion les critères extra-financiers sans en faire un engagement significatif. L’introduction de cette communication « réduite » sur la prise en compte de critères extra-financiers poursuit deux objectifs principaux :

  • Augmentation de la granularité: elle permettra de mieux distinguer entre elles des approches qui n’étaient jusqu’alors autorisées qu’à avoir une communication « très brève et très proportionnée » alors qu’elles mettent en œuvre des approches d’ambitions très variables, reflétant de manière plus adaptée la diversité des approches mises en œuvre par les sociétés de gestion dans ce domaine ;
  • Renforcement des exigences pour les approches n’atteignant pas les standards minimaux pour prétendre à une communication « réduite » : ces approches ne pourront plus communiquer sur la prise en compte de critères extra-financiers, en dehors de mentions dans leurs prospectus, là où une communication très brève et très proportionnée était possible jusqu’alors dans les documents commerciaux.

Les standards minimaux associés à la possibilité de se prévaloir d’une communication ‘réduite’ et devant figurer dans la documentation légale du placement collectif portent sur le fait de disposer d’une couverture significative d’analyse extra-financière (dont la portée est différenciée en fonction de la classe d’actifs) et d’assurer que la note ou l’indicateur moyen du placement collectif soit supérieure à la note ou l’indicateur moyen de l’univers d’investissement.

(…)

Communication centrale sur la prise en compte de critères extra-financiers pour certaines approches basées sur des indicateurs extra-financiers

La position-recommandation DOC-2020-03 mentionnait jusqu’alors deux approches présumées significativement engageantes et pouvant donc communiquer de façon centrale sur la prise en compte de critères extra-financiers. Ces approches, également reconnues par le label ISR Français, portent sur une exclusion significative de l’univers investissable et une amélioration significative de la note extra-financière du placement collectif (par exemple : moyenne pondérée de plusieurs critères portant sur des indicateurs sur les piliers environnementaux, sociaux et de gouvernance). Dans les autres cas, les SGP doivent être en mesure de démontrer à l’AMF en quoi leur approche est significative.

Cette mise à jour de la doctrine vise à expliciter la présomption du caractère significativement engageant à d’autres approches basées sur des indicateurs extra-financiers (émissions de gaz à effet de serre, équité femme-homme…) et non uniquement sur des notes extra-financières. Les standards minimaux associés sont comparables à ceux actuellement requis pour les approches significativement engageantes basées sur des notes extra-financières.

Cette extension est une nouvelle étape dans la reconnaissance d’approches pouvant communiquer de façon centrale sur la prise en compte de critères extra-financiers et pourrait être complétée à l’avenir.

Recommandations relatives aux politiques de gestion de controverses et d’engagement actionnarial

Enfin, la position-recommandation DOC-2020-03 est enrichie de deux recommandations relatives à la formalisation de politique de gestion de controverses et le contenu des politiques d’engagement actionnarial. Ces recommandations constituent des premières avancées de la doctrine de l’AMF sur ces thématiques d’importance pour la finance durable et pourront être complétées à l’avenir.

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devoir de vigilance Gouvernance normes de droit parties prenantes Responsabilité sociale des entreprises

UE et devoir de vigilance

Où s’en va l’UE avec le devoir de vigilance ? M. Farid Baddache propose une synthèse avec des pistes de réflexions : « L’UE veut un devoir de vigilance sur les droits humains obligatoire en 2021 » (Ksapas, 4 juin 2020).

Résumé :

Depuis plus de 10 ans, les entreprises appliquent les Principes Directeurs des Nations Unies sur les Entreprises et les Droits de l’Homme. Faisant écho à de multiples réglementations nationales – notamment en Californie, en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Allemagne – la Commission Européenne a annoncé la mise en œuvre d’une directive sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de Droits Humains en 2021. Quels sont les retours des entreprises à date ? Une directive européenne peut-elle imposer le respect des Droits Humains sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement, au-delà de ce qui existe déjà ? Quel impact la pandémie Covid-19 pourrait-elle avoir sur son éventuelle application ?

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devoirs des administrateurs Gouvernance normes de droit Responsabilité sociale des entreprises Valeur actionnariale vs. sociétale

Corporations, Directors’ Duties and the Public/Private Divide

La professeur australienne Jennifer Hill (toujours intéressante à lire, je vous la conseille vivement !) vient de publier ce nouvel article « Corporations, Directors’ Duties and the Public/Private Divide » dans l’ECGI Law Series 539/2020 (25 septembre 2020). Par rapport à nos thématiques du site, cette étude est un incontournable !

Extrait :

Business history and theory reflect a tension between public and private conceptions of the corporation. This tension and conceptual ambiguity lay close to the surface of The Modern Corporation and Private Property, in which Berle and Means portrayed the modern public corporation as straddling the public/private divide. It is also embodied in the famous Berle-Dodd debate, which provides the basis for contemporary clashes between “different visions of corporatism,” such as the conflict between shareholder primacy and stakeholder-centered versions of the corporation.

This chapter examines a number of recent developments suggesting that the pendulum, which swung so clearly in favour of a private conception of the corporation from the 1980s onwards, is in the process of changing direction.

The chapter provides two central insights. The first is that there is not one problem, but multiple problems in corporate law, and that different problems may come to the forefront at different times. Although financial performance is a legitimate concern in corporate law, it is also important to recognize, and address, the danger that corporate conduct may result in negative externalities and harm to society. The chapter argues that it is therefore, a mistake to view the two sides of the Berle-Dodd debate as binary and irreconcilable. The second insight is that corporate governance techniques (such as performance-based pay), which are designed to ameliorate one problem in corporate law, such as corporate performance, can at the same time exacerbate other problems involving the social impact of corporations.

As the chapter shows, a number of recent developments in corporate law have highlighted the negative externalities and social harm that corporate actions can cause. These developments suggest the emergence of a more cohesive vision of the corporation that encompasses both private and public aspects. The developments also potentially affect the role and duties of company directors, who are no longer seen merely as monitors of corporate performance, but also as monitors of corporate integrity and the risk of social harm.

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Gouvernance Normes d'encadrement normes de droit normes de marché Responsabilité sociale des entreprises

RSE : où en est-on ?

Mme Hoyé propose une tribune intéressante sur la RSE dans son article « Responsabilité sociale des entreprises: où en sommes-nous ? » publié sur Ligere.fr le 17 septembre 2020. Elle fait le point et soulève le chemin encore à parcourir…

Extrait :

Au cours de ces dix dernières année, une évolution a été observée dans le sens de la nécessité croissante de « redéfinir le droit des sociétés » pour mieux prendre en compte l’évolution de l’analyse du droit et de l’économie. L’objectif sociétaire traditionnel porté par la « doctrine juridique de la personnalité d’entreprise », tient à la protection des intérêts des membres et des créanciers de la société. Les profits générés sont ensuite partagés entre les actionnaires considérés comme propriétaires de l’entreprise. Ainsi, l’approche de la théorie contractuelle prévaut et la promesse tacite des dirigeants de maximiser la richesse des actionnaires s’opère. En effet, selon la théorie de la Corporate Governance, il existe une nette distinction entre le rôle des propriétaires d’une société (les actionnaires) et des dirigeants (le conseil d’administration) lorsqu’il s’agit de prendre des décisions stratégiques efficaces. L’actuelle « coutume de la retenue » en matière d’éthique, complète l’accent mis sur une analyse économique de la fonction d’entreprise où les concepts d’efficience et de rentabilité semblent persister. Caractérisés par ses propres règles de position, les bénéfices sont considérés comme la « ligne de fond » de l’entreprise, et par conséquent, selon l’argument, il n’y a aucune possibilité d’évaluer moralement les activités menées dans ce cadre d’activité.

Pourtant, face aux nouveaux enjeux auxquels se confrontent les sociétés au XXIème siècle, la thèse de « l’entreprise- profit » soutenue par Friedman ne semble plus être à l’ordre du jour. Dès lors, les entreprises peuvent-elles entreprendre une activité économique dite « durable », où la recherche exclusive de bénéfices s’estompe au profit d’une meilleure éthique entrepreneuriale? L’éthique s’érige désormais comme élément incontournable de l’ensemble des concepts que nous pourrions utiliser pour tenir compte de la fonction organisationnelle que détiennent les entreprises. Non pas que les actions des sociétés peuvent avoir des effets puissants, à la fois bénéfiques et/ou préjudiciables, mais parce qu’une prise en compte éthique des actions des sociétés est presque impérative pour atteindre une croissance durable. Il s’agit d’optimiser les performances en évoluant vers une responsabilité sociale et environnementale (RSE) où les sociétés sont responsables de l’impact de leurs actions sur la société civile. L’entreprise doit alors intégrer à sa stratégie l’ensemble de sa chaîne de valeur, dont les parties prenantes (« stakeholders »), de manière à minimiser et à compenser les effets négatifs de son activité. L’objectif étant d’atteindre une qualité de vie au moins aussi bonne que celle dont nous bénéficions aujourd’hui, comme le soutien le « rapport Brutland » (1987). Pour cela, il est primordial que les structures de gouvernance d’entreprise agissent tant en termes de bien-être des employés, qu’en termes d’efficacité et de productivité. Cela implique l’utilisation de critères éthiques, sociaux et environnementaux (les 3 piliers de la théorie de « corporate governance ») dans la sélection et la gestion des portefeuilles de placements. De ce point de vue, l’idée d’équilibrer les responsabilités de l’entreprise se développe, acceptant le fait que les entreprises peuvent créer de la valeur en gérant mieux le capital naturel, humain et social.

(…) Dans le cadre transnational, divers outils d’orientation souvent à caractère facultatif visent à promouvoir le développement durable et le civisme social. En tant que préoccupation mondiale, une croissance durable ne peut être atteinte que si tous les pays agissent de concert mettant en oeuvre des actions coordonnées. C’était notamment l’objectif de l’accord de Paris en « faisant en sorte que les flux financiers soient cohérents avec une voie vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre et un développement résilient au climat ». Le pacte Mondial lancé officiellement en 2000 invite les entreprises à adhérer, appliquer et promouvoir 10 principes en matière de droits fondamentaux. Cette adhésion a été assortie à l’obligation pour les entreprises de publier chaque année une communication sur les progrès réalisés dans l’application des principes. L’entreprise qui ne réalise pas cette obligation est considérée comme « non communicante » et peut être à terme radiée. Aussi, les Nations Unies ont présenté un projet de normes sur les responsabilités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales en matière de droits de l’homme. Les principes de Rugie font peser sur les entreprises des contrôles et vérifications périodiques par des organes nationaux ou multinationaux, permettant ainsi de prescrire un grand nombre d’actions concrètes à mener par les entreprises pour respecter les droits de l’homme . Ces travaux ont abouti à l’adoption d’une résolution du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU s’articulant autour de trois axes: « protéger, respecter et remédier » contribuant à faire progresser le débat juridique sur le rôle des Etats et des entreprises dans le domaine des droits de l’homme.

Pour autant, malgré la construction d’une voie de responsabilité internationale des entreprises, de nombreuses divergences peuvent encore être mises en évidence. C’est surtout l’absence de réglementation uniforme qui a attiré l’attention de la Commission européenne poussée à établir une certaine crédibilité et une harmonisation des pratiques avec une transparence des critères afin de combler le vide existant. Ainsi, dans sa stratégie RSE du 25 octobre 2011, la Commission fournit un cadre normatif de protection, via des sections comprenant la Direction Générale des Entreprises et la Société de l’Information qui guident le comportement des entreprises afin d’étendre l’influence de la RSE pour les responsabiliser vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société. Par ailleurs, le levier du droit fiscal a été adopté par l’Union européenne dans un contexte juridique de financement durable, mettant en place une taxation corrective qui promeut les projets les plus respectueux et taxe ceux qui sont dommageables dans le but d’orienter les comportements vers une situation économique jugée optimale. Ces initiatives ont été prises par les institutions européennes afin d’encourager les entreprises à « aller au-delà de la conformité », soulignant qu’il existe une relation entre les actions proactives et l’amélioration de la compétitivité. Au moins, la politique de l’UE indique clairement que les actions volontaires des entreprises ne doivent pas être considérées comme un substitut à la réglementation légale. C’est pourquoi l’UE doit continuer à soutenir de manière proactive les activités qui peuvent faciliter le progrès de la conduite responsable des entreprises en encourageant les acteurs des secteurs clés à s’appuyer sur des projets responsables et à définir des exigences de diligence raisonnable.

(…)

Ainsi, il apparaît essentiel de définir un équilibre stable entre les impératifs moraux et économiques. Les entreprises, comme l’ensemble des agents ont des devoirs moraux, des responsabilités sociales et devraient être de « bonnes entreprises citoyennes ». C’est ce que met en exergue le nouveau « duty of care » ( devoir de diligence) désormais attendu des sociétés, qui encourage une voie de réorientation de la logique du système productif vers de nouveaux objectifs plus responsables. Ce devoir conduirait à l’acceptation d’une rentabilité financière moindre à court terme, en renonçant aux bénéfices immédiats, afin d’encourager un développement éthique, social et durable sur une activité économique à plus long terme. Un tel principe doit être appuyé par toutes les parties prenantes afin que le mouvement soit étendu à l’ensemble des agents économiques. Néanmoins, il est encore tôt pour prédire les effets de ces changements, qui soulèvent la question des méthodes de régulation, leur introduction étant encore récente et sans changement réel, notamment du fait du peu de mesures actuelles permettant d’imposer des sanctions. Par ailleurs, il convient également de noter la spécificité des questions environnementales, qui ne sont pas seulement dépendantes de la gouvernance des entreprises mais font appel à d’autres acteurs (dépendance à la science, prospective, etc.) et suggèrent des investissements importants afin de se libérer des ressources naturelles et éviter une complète destruction de la valeur. Le problème ne dépend plus de l’ignorance, mais de la vitesse des changements ainsi que de la propagation des déséquilibres. Par conséquent, le droit des sociétés peut être une réponse, mais la réflexion interdisciplinaire semble hautement nécessaire pour parvenir à la possibilité d’un équilibre entre le développement durable et la primauté des actionnaires.

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Raison d’être ou entreprise à mission, le faux débat

C’est sous ce titre (« Raison d’être ou entreprise à mission, le faux débat », La Tribune, 2 septembre 2020) que M. Patrick d’Humières propose une lecture de la raison d’être et du statut d’entreprise à mission qui, selon lui, vont se rejoindre dans une trajectoire commune.

Extrait :

En apparence, le statut d’entreprise à mission rencontre un succès d’estime avec une cinquantaine d’entreprises très différentes, d’agences conseils à des sociétés mutuelles, qui l’ont adopté. Ce n’est pas le cas du statut de raison d’être, au bilan beaucoup plus mitigé, car les démarches que l’on connaît expriment des positionnements déclaratifs dans la veine de « la RSE de bonne volonté » qui ne s’accompagnent pas de mécanisme de mesure, de pression et de transparence garantissant de vrais changements d’orientation des modèles.

À la décharge des entreprises qui ont fait preuve d’initiative en la matière, il faut dire que le dispositif légal proposé comporte de considérables faiblesses. L’essentiel du changement juridique porté par la loi réside dans la modification de l’article 1833 du Code civil qui enjoint à toutes les entreprises de « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux » au côté de l’intérêt social de l’entreprise, dont on n’a pas tiré les implications fondamentales. Les organisations professionnelles concernées ont fait preuve d’un souci défensif, pour limiter la mise en cause conséquente de cette assertion fondamentale, qui acte la nouvelle mission de l’entreprise, à savoir créer de la valeur dans le respect des enjeux sociétaux ; mais ni les juges, ni la puissance publique n’ont eu encore le souci d’accompagner ce cadre, cherchant plutôt à le minimiser, alors même que c’est une innovation majeure : il articule l’économie de marché avec la stratégie nationale de développement durable (ODD) et il crée le socle de ce qu’on appelle désormais « l’économie responsable », consacrée par la nomination pertinente d’une ministre en charge du sujet, qu’on aurait pu ou du appeler aussi « l’économie durable » dans un souci de cohérence politique.

Le texte de loi appelle des transformations de fond dans la gouvernance des entreprises qui devrait se poser des questions à cet effet, sans attendre qu’une jurisprudence fasse le travail pour dire qu’un Conseil d’administration ou une direction générale a mesestimé les enjeux sociaux et environnementaux, définis désormais de façon claire et objective (cf. indicateurs des ODD, incluant l’alignement sur l’Accord de Paris etc.).

L’entreprise dispose de tous les éléments pour établir son niveau de durabilité qui reconnaît cette prise de considération attendue des enjeux communs ; le travail de fond engagé parallèlement en Europe afin de standardiser l’information extra-financière ne pourra qu’encourager les Conseils à débattre et à décider de l’état de leur trajectoire économique au regard de leurs impacts acceptables qui sera la règle en 2025, à n’en pas douter.

Certaines entreprises ont tenu à disposer d’un cadre formel beaucoup plus structuré pour assumer cette responsabilité élargie à la Société, celui de « l’entreprise à mission » ; il constitue une facilité juridique et une aide technique qui a le plus grand intérêt pour accélérer la mutation d’un « capitalisme a-moral » vers « un capitalisme « parties prenantes ». Ce choix implique le vote par les actionnaires, le comité de suivi, l’audit de contrôle etc.. Les actionnaires n’ont pas à craindre pour autant une démission de l’engagement fiduciaire, à leur détriment, car le contrat est explicite, même s’il gagnerait encore à ce que les objectifs de rendement financier soient précisés au regard des objectifs d’amélioration de la création et de la répartition de la valeur globale et de leurs ROI. Ceci afin de ne pas glisser vers « le non profit » : une attention déséquilibrée en faveur de la dimension sociétale de la mission marginaliserait le dispositif, alors que les statuts coopératif, mutualiste ou solidaire sont là pour ça.

Coincé entre le droit général et le cadre précis de « la mission », « la raison d’être » aura du mal à trouver sa place, d’autant que la loi Pacte ne dit rien sur le comment, laissant l’entreprise libre de son engagement, de son inclusion ou non dans les statuts, ce qui en fait un process au mieux pédagogique et au pire de communication ; les parties prenantes ne voient pas les conclusions qu’on en tire sur les conditions nouvelles de production et de répartition de la valeur – objectifs et indicateurs à l’appui-  pour exclure ce qui n’est pas « durable » dans l’offre et équilibrer l’allocation des résultats, voire la négocier, s’il existe un mécanisme ad hoc en amont de « l’arbitraire » des conseils. On voit bien qu’une Raison d’Etre bien posée conduit à terme au mécanisme de l’entreprise à mission et que dans le cas contraire l’entreprise ne fait que s’exposer à des critiques et frustrations qui mettent sa stratégie au défi de la cohérence et de la constance d’une gouvernance qui voudrait avancer sans oser le demander à ses actionnaires…

Cette décantation se fera inévitablement dans le temps, au détriment des entreprises « superficielles » et à l’avantage des entreprises authentiques. Le dispositif de Raison d’Etre va devenir un statut intermédiaire, de transition vers « l’entreprise à mission » ; il pousse à la construction d’un droit des sociétés qui recherche le changement profond de la gouvernance actionnariale, comme vient de le proposer la Commission Européenne dans un rapport très critique sur l’engagement insuffisant des gouvernances qui s’abritent derrière des intentions pour répondre aux pressions, rendant leur projet illisible ! Mais rien n’empêche les gouvernances d’accélérer par elles-mêmes sans attendre un règlement européen et éviter les malentendus autour d’une « raison d’être incantatoire » qui mine  la crédibilité des initiatives sociétales des entreprises ; dans un monde périlleux, les gouvernances doivent « choisir leur camp » !

À la prochaine…

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50 years later, Milton Friedman’s shareholder doctrine is dead

Belle tribune dans Fortune de MM. Colin Mayer, Leo Strine Jr et Jaap Winter au titre clair : « 50 years later, Milton Friedman’s shareholder doctrine is dead » (13 septembre 2020).

Extrait :

Fifty years ago, Milton Friedman in the New York Times magazine proclaimed that the social responsibility of business is to increase its profits. Directors have the duty to do what is in the interests of their masters, the shareholders, to make as much profit as possible. Friedman was hostile to the New Deal and European models of social democracy and urged business to use its muscle to reduce the effectiveness of unions, blunt environmental and consumer protection measures, and defang antitrust law. He sought to reduce consideration of human concerns within the corporate boardroom and legal requirements on business to treat workers, consumers, and society fairly. 

Over the last 50 years, Friedman’s views became increasingly influential in the U.S. As a result, the power of the stock market and wealthy elites soared and consideration of the interests of workers, the environment, and consumers declined. Profound economic insecurity and inequality, a slow response to climate change, and undermined public institutions resulted. Using their wealth and power in the pursuit of profits, corporations led the way in loosening the external constraints that protected workers and other stakeholders against overreaching.

Under the dominant Friedman paradigm, corporations were constantly harried by all the mechanisms that shareholders had available—shareholder resolutions, takeovers, and hedge fund activism—to keep them narrowly focused on stockholder returns. And pushed by institutional investors, executive remuneration systems were increasingly focused on total stock returns. By making corporations the playthings of the stock market, it became steadily harder for corporations to operate in an enlightened way that reflected the real interests of their human investors in sustainable growth, fair treatment of workers, and protection of the environment.

Half a century later, it is clear that this narrow, stockholder-centered view of corporations has cost society severely. Well before the COVID-19 pandemic, the single-minded focus of business on profits was criticized for causing the degradation of nature and biodiversity, contributing to global warming, stagnating wages, and exacerbating economic inequality. The result is best exemplified by the drastic shift in gain sharing away from workers toward corporate elites, with stockholders and top management eating more of the economic pie.

Corporate America understood the threat that this way of thinking was having on the social compact and reacted through the 2019 corporate purpose statement of the Business Roundtable, emphasizing responsibility to stakeholders as well as shareholders. But the failure of many of the signatories to protect their stakeholders during the coronavirus pandemic has prompted cynicism about the original intentions of those signing the document, as well as their subsequent actions.

Stockholder advocates are right when then they claim that purpose statements on their own achieve little: Calling for corporate executives who answer to only one powerful constituency—stockholders in the form of highly assertive institutional investors—and have no legal duty to other stakeholders to run their corporations in a way that is fair to all stakeholders is not only ineffectual, it is naive and intellectually incoherent.

What is required is to match commitment to broader responsibility of corporations to society with a power structure that backs it up. That is what has been missing. Corporate law in the U.S. leaves it to directors and managers subject to potent stockholder power to give weight to other stakeholders. In principle, corporations can commit to purposes beyond profit and their stakeholders, but only if their powerful investors allow them to do so. Ultimately, because the law is permissive, it is in fact highly restrictive of corporations acting fairly for all their stakeholders because it hands authority to investors and financial markets for corporate control.

Absent any effective mechanism for encouraging adherence to the Roundtable statement, the system is stacked against those who attempt to do so. There is no requirement on corporations to look after their stakeholders and for the most part they do not, because if they did, they would incur the wrath of their shareholders. That was illustrated all too clearly by the immediate knee-jerk response of the Council of Institutional Investors to the Roundtable declaration last year, which expressed its disapproval by stating that the Roundtable had failed to recognize shareholders as owners as well as providers of capital, and that “accountability to everyone means accountability to no one.” 

If the Roundtable is serious about shifting from shareholder primacy to purposeful business, two things need to happen. One is that the promise of the New Deal needs to be renewed, and protections for workers, the environment, and consumers in the U.S. need to be brought closer to the standards set in places like Germany and Scandinavia. 

But to do that first thing, a second thing is necessary. Changes within company law itself must occur, so that corporations are better positioned to support the restoration of that framework and govern themselves internally in a manner that respects their workers and society. Changing the power structure within corporate law itself—to require companies to give fair consideration to stakeholders and temper their need to put profit above all other values—will also limit the ability and incentives for companies to weaken regulations that protect workers, consumers, and society more generally.

To make this change, corporate purpose has to be enshrined in the heart of corporate law as an expression of the broader responsibility of corporations to society and the duty of directors to ensure this. Laws already on the books of many states in the U.S. do exactly that by authorizing the public benefit corporation (PBC). A PBC has an obligation to state a public purpose beyond profit, to fulfill that purpose as part of the responsibilities of its directors, and to be accountable for so doing. This model is meaningfully distinct from the constituency statutes in some states that seek to strengthen stakeholder interests, but that stakeholder advocates condemn as ineffectual. PBCs have an affirmative duty to be good corporate citizens and to treat all stakeholders with respect. Such requirements are mandatory and meaningful, while constituency statutes are mushy.

The PBC model is growing in importance and is embraced by many younger entrepreneurs committed to the idea that making money in a way that is fair to everyone is the responsible path forward. But the model’s ultimate success depends on longstanding corporations moving to adopt it. 

Even in the wake of the Roundtable’s high-minded statement, that has not yet happened, and for good reason. Although corporations can opt in to become a PBC, there is no obligation on them to do so and they need the support of their shareholders. It is relatively easy for founder-owned companies or companies with a relatively low number of stockholders to adopt PBC forms if their owners are so inclined. It is much tougher to obtain the approval of a dispersed group of institutional investors who are accountable to an even more dispersed group of individual investors. There is a serious coordination problem of achieving reform in existing corporations.

That is why the law needs to change. Instead of being an opt-in alternative to shareholder primacy, the PBC should be the universal standard for societally important corporations, which should be defined as ones with over $1 billion of revenues, as suggested by Sen. Elizabeth Warren. In the U.S., this would be done most effectively by corporations becoming PBCs under state law. The magic of the U.S. system has rested in large part on cooperation between the federal government and states, which provides society with the best blend of national standards and nimble implementation. This approach would build on that.

Corporate shareholders and directors enjoy substantial advantages and protections through U.S. law that are not extended to those who run their own businesses. In return for offering these privileges, society can reasonably expect to benefit, not suffer, from what corporations do. Making responsibility in society a duty in corporate law will reestablish the legitimacy of incorporation.

There are three pillars to this. The first is that corporations must be responsible corporate citizens, treating their workers and other stakeholders fairly, and avoiding externalities, such as carbon emissions, that cause unreasonable or disproportionate harm to others. The second is that corporations should seek to make profit by benefiting others. The third is that they should be able to demonstrate that they fulfill both criteria by measuring and reporting their performances against them.

The PBC model embraces all three elements and puts legal, and thus market, force behind them. Corporate managers, like most of us, take obligatory duties seriously. If they don’t, the PBC model allows for courts to issue orders, such as injunctions, holding corporations to their stakeholder and societal obligations. In addition, the PBC model requires fairness to all stakeholders at all stages of a corporation’s life, even when it is sold. The PBC model shifts power to socially responsible investment and index funds that focus on the long term and cannot gain from unsustainable approaches to growth that harm society. 

Our proposal to amend corporate law to ensure responsible corporate citizenship will prompt a predictable outcry from vested interests and traditional academic quarters, claiming that it will be unworkable, devastating for entrepreneurship and innovation, undermine a capitalist system that has been an engine for growth and prosperity, and threaten jobs, pensions, and investment around the world. If putting the purpose of a business at the heart of corporate law does all of that, one might well wonder why we invented the corporation in the first place. 

Of course, it will do exactly the opposite. Putting purpose into law will simplify, not complicate, the running of businesses by aligning what the law wants them to do with the reason why they are created. It will be a source of entrepreneurship, innovation, and inspiration to find solutions to problems that individuals, societies, and the natural world face. It will make markets and the capitalist system function better by rewarding positive contributions to well-being and prosperity, not wealth transfers at the expense of others. It will create meaningful, fulfilling jobs, support employees in employment and retirement, and encourage investment in activities that generate wealth for all. 

We are calling for the universal adoption of the PBC for large corporations. We do so to save our capitalist system and corporations from the devastating consequences of their current approaches, and for the sake of our children, our societies, and the natural world. 

À la prochaine…

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Taxer les GAFA : un sujet toujours difficile

La taxation des géants du numérique est toujours un sujet d’actualité : « La taxation du numérique dans l’impasse » (Le Devoir, 19 juin 2020).

Extrait :

Les négociations internationales sur la taxation du numérique, pomme de discorde récurrente entre Washington et Paris, se retrouvent dans l’impasse après la « pause » annoncée par les États-Unis, au risque de déclencher une guerre commerciale comme le craint l’OCDE.

Pour rappel, dans le cadre de ses recherches, TaxCOOP a analysé les documents constitutifs de plus de 190 pays à la recherche de dispositions fiscales créant l’obligation pour toute personne de payer sa « juste part » d’impôt. Il appert que les constitutions de trente-huit pays contiennent des dispositions à cet effet. Cet important constat soulève la question suivante : l’évitement fiscal est-il vraiment légal ou pourrait-il plutôt être inconstitutionnel? Ces dispositions fiscales inscrites au sein des documents considérés comme première source du droit pourraient-elles limiter l’utilisation de stratagèmes fiscaux et ainsi assurer que l’ensemble des contribuables paient leur « juste part »?

À la prochaine…