RSE : où en est-on ?

Mme Hoyé propose une tribune intéressante sur la RSE dans son article « Responsabilité sociale des entreprises: où en sommes-nous ? » publié sur Ligere.fr le 17 septembre 2020. Elle fait le point et soulève le chemin encore à parcourir…

Extrait :

Au cours de ces dix dernières année, une évolution a été observée dans le sens de la nécessité croissante de « redéfinir le droit des sociétés » pour mieux prendre en compte l’évolution de l’analyse du droit et de l’économie. L’objectif sociétaire traditionnel porté par la « doctrine juridique de la personnalité d’entreprise », tient à la protection des intérêts des membres et des créanciers de la société. Les profits générés sont ensuite partagés entre les actionnaires considérés comme propriétaires de l’entreprise. Ainsi, l’approche de la théorie contractuelle prévaut et la promesse tacite des dirigeants de maximiser la richesse des actionnaires s’opère. En effet, selon la théorie de la Corporate Governance, il existe une nette distinction entre le rôle des propriétaires d’une société (les actionnaires) et des dirigeants (le conseil d’administration) lorsqu’il s’agit de prendre des décisions stratégiques efficaces. L’actuelle « coutume de la retenue » en matière d’éthique, complète l’accent mis sur une analyse économique de la fonction d’entreprise où les concepts d’efficience et de rentabilité semblent persister. Caractérisés par ses propres règles de position, les bénéfices sont considérés comme la « ligne de fond » de l’entreprise, et par conséquent, selon l’argument, il n’y a aucune possibilité d’évaluer moralement les activités menées dans ce cadre d’activité.

Pourtant, face aux nouveaux enjeux auxquels se confrontent les sociétés au XXIème siècle, la thèse de « l’entreprise- profit » soutenue par Friedman ne semble plus être à l’ordre du jour. Dès lors, les entreprises peuvent-elles entreprendre une activité économique dite « durable », où la recherche exclusive de bénéfices s’estompe au profit d’une meilleure éthique entrepreneuriale? L’éthique s’érige désormais comme élément incontournable de l’ensemble des concepts que nous pourrions utiliser pour tenir compte de la fonction organisationnelle que détiennent les entreprises. Non pas que les actions des sociétés peuvent avoir des effets puissants, à la fois bénéfiques et/ou préjudiciables, mais parce qu’une prise en compte éthique des actions des sociétés est presque impérative pour atteindre une croissance durable. Il s’agit d’optimiser les performances en évoluant vers une responsabilité sociale et environnementale (RSE) où les sociétés sont responsables de l’impact de leurs actions sur la société civile. L’entreprise doit alors intégrer à sa stratégie l’ensemble de sa chaîne de valeur, dont les parties prenantes (« stakeholders »), de manière à minimiser et à compenser les effets négatifs de son activité. L’objectif étant d’atteindre une qualité de vie au moins aussi bonne que celle dont nous bénéficions aujourd’hui, comme le soutien le « rapport Brutland » (1987). Pour cela, il est primordial que les structures de gouvernance d’entreprise agissent tant en termes de bien-être des employés, qu’en termes d’efficacité et de productivité. Cela implique l’utilisation de critères éthiques, sociaux et environnementaux (les 3 piliers de la théorie de « corporate governance ») dans la sélection et la gestion des portefeuilles de placements. De ce point de vue, l’idée d’équilibrer les responsabilités de l’entreprise se développe, acceptant le fait que les entreprises peuvent créer de la valeur en gérant mieux le capital naturel, humain et social.

(…) Dans le cadre transnational, divers outils d’orientation souvent à caractère facultatif visent à promouvoir le développement durable et le civisme social. En tant que préoccupation mondiale, une croissance durable ne peut être atteinte que si tous les pays agissent de concert mettant en oeuvre des actions coordonnées. C’était notamment l’objectif de l’accord de Paris en « faisant en sorte que les flux financiers soient cohérents avec une voie vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre et un développement résilient au climat ». Le pacte Mondial lancé officiellement en 2000 invite les entreprises à adhérer, appliquer et promouvoir 10 principes en matière de droits fondamentaux. Cette adhésion a été assortie à l’obligation pour les entreprises de publier chaque année une communication sur les progrès réalisés dans l’application des principes. L’entreprise qui ne réalise pas cette obligation est considérée comme « non communicante » et peut être à terme radiée. Aussi, les Nations Unies ont présenté un projet de normes sur les responsabilités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales en matière de droits de l’homme. Les principes de Rugie font peser sur les entreprises des contrôles et vérifications périodiques par des organes nationaux ou multinationaux, permettant ainsi de prescrire un grand nombre d’actions concrètes à mener par les entreprises pour respecter les droits de l’homme . Ces travaux ont abouti à l’adoption d’une résolution du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU s’articulant autour de trois axes: « protéger, respecter et remédier » contribuant à faire progresser le débat juridique sur le rôle des Etats et des entreprises dans le domaine des droits de l’homme.

Pour autant, malgré la construction d’une voie de responsabilité internationale des entreprises, de nombreuses divergences peuvent encore être mises en évidence. C’est surtout l’absence de réglementation uniforme qui a attiré l’attention de la Commission européenne poussée à établir une certaine crédibilité et une harmonisation des pratiques avec une transparence des critères afin de combler le vide existant. Ainsi, dans sa stratégie RSE du 25 octobre 2011, la Commission fournit un cadre normatif de protection, via des sections comprenant la Direction Générale des Entreprises et la Société de l’Information qui guident le comportement des entreprises afin d’étendre l’influence de la RSE pour les responsabiliser vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société. Par ailleurs, le levier du droit fiscal a été adopté par l’Union européenne dans un contexte juridique de financement durable, mettant en place une taxation corrective qui promeut les projets les plus respectueux et taxe ceux qui sont dommageables dans le but d’orienter les comportements vers une situation économique jugée optimale. Ces initiatives ont été prises par les institutions européennes afin d’encourager les entreprises à « aller au-delà de la conformité », soulignant qu’il existe une relation entre les actions proactives et l’amélioration de la compétitivité. Au moins, la politique de l’UE indique clairement que les actions volontaires des entreprises ne doivent pas être considérées comme un substitut à la réglementation légale. C’est pourquoi l’UE doit continuer à soutenir de manière proactive les activités qui peuvent faciliter le progrès de la conduite responsable des entreprises en encourageant les acteurs des secteurs clés à s’appuyer sur des projets responsables et à définir des exigences de diligence raisonnable.

(…)

Ainsi, il apparaît essentiel de définir un équilibre stable entre les impératifs moraux et économiques. Les entreprises, comme l’ensemble des agents ont des devoirs moraux, des responsabilités sociales et devraient être de « bonnes entreprises citoyennes ». C’est ce que met en exergue le nouveau « duty of care » ( devoir de diligence) désormais attendu des sociétés, qui encourage une voie de réorientation de la logique du système productif vers de nouveaux objectifs plus responsables. Ce devoir conduirait à l’acceptation d’une rentabilité financière moindre à court terme, en renonçant aux bénéfices immédiats, afin d’encourager un développement éthique, social et durable sur une activité économique à plus long terme. Un tel principe doit être appuyé par toutes les parties prenantes afin que le mouvement soit étendu à l’ensemble des agents économiques. Néanmoins, il est encore tôt pour prédire les effets de ces changements, qui soulèvent la question des méthodes de régulation, leur introduction étant encore récente et sans changement réel, notamment du fait du peu de mesures actuelles permettant d’imposer des sanctions. Par ailleurs, il convient également de noter la spécificité des questions environnementales, qui ne sont pas seulement dépendantes de la gouvernance des entreprises mais font appel à d’autres acteurs (dépendance à la science, prospective, etc.) et suggèrent des investissements importants afin de se libérer des ressources naturelles et éviter une complète destruction de la valeur. Le problème ne dépend plus de l’ignorance, mais de la vitesse des changements ainsi que de la propagation des déséquilibres. Par conséquent, le droit des sociétés peut être une réponse, mais la réflexion interdisciplinaire semble hautement nécessaire pour parvenir à la possibilité d’un équilibre entre le développement durable et la primauté des actionnaires.

Ce contenu a été mis à jour le 30 mars 2022 à 5 h 48 min.

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