objectifs de l’entreprise

Gouvernance Normes d'encadrement objectifs de l'entreprise Responsabilité sociale des entreprises

Une réflexion sur les entreprises du secteur alimentaire

Belle question que se pose M. Olivier Bourque dans un article de Radio-Canada : « Les entreprises font-elles de l’« avarice-flation »? » (2 décembre 2022). Cette question est toujours d’actualité à l’heure où le gouvernement fédéral a discuté avec les entreprises du secteur alimentaire pour leur demander de baisser les prix et a annoncé un accord… accord pour lequel les épiciers ont fait des déclaration étonnante (ici).

Extrait :

Les marges bénéficiaires des entreprises ne cessent d’augmenter, si bien que plusieurs se demandent si certaines profitent du contexte d’inflation pour hausser leurs prix plus que nécessaire.

À la prochaine…

Gouvernance mission et composition du conseil d'administration objectifs de l'entreprise Responsabilité sociale des entreprises

Mission du CA : réforme française

Une loi du 22 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France est venue modifier les missions du conseil d’administration.

1- L’article L225-35 du code de commerce définissant les missions du conseil d’administration a été modifié par la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022, à la suite d’un amendement introduit par le Sénateur Didier Rambaud lors de l’examen de la proposition de loi.

La nouvelle rédaction de l’article L225-35 prévoit désormais en son alinéa 1er que « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre, conformément à son intérêt social, en considérant les enjeux sociaux, environnementaux, culturels et sportifs de son activité ».

L’article L225-64 du code de commerce relatif au directoire a également été modifié en ce sens.

Il est donc désormais demandé au conseil d’administration (art. L225-35) et au directoire (art. L225-64) de prendre en compte les enjeux culturels et sportifs de l’activité de la société.

2- Une référence aux activités sportives est également insérée à l’article L225-102-1 du code de commerce relatif à la déclaration de performance extra-financière (DPEF) insérée dans le rapport de gestion.

Cette déclaration devra désormais comporter des informations relatives « aux actions visant à promouvoir la pratique d’activités physiques et sportives dans le cadre de la société » (art. L225-102-1, modifié à la suite d’un amendement adopté par le Sénat).

3- Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 4 mars 2022.

Gouvernance objectifs de l'entreprise Responsabilité sociale des entreprises Valeur actionnariale vs. sociétale

Des droits à de la responsabilité : la perspective de la société change

Beau papier de la professeure Jennifer Hill de l’Université Monash : « The journey from corporate rights to corporate responsibilities » (blog ECGI, 8 février 2022). Ce billet souligne une chose : la société ne doit pas être pensée qu’en termes de droits, mais aussi de responsabilité !

Extrait

A burgeoning understanding of the meaning of ‘responsible capitalism’, however, considers that it involves something more than the mere avoidance of deception or fraud in the pursuit of profit-making. Just over 30 years ago, Professor Phillip I. Blumberg noted that much of the historical debate surrounding corporate personality in the United States had centred on the issue of the rights accorded to corporations, particularly constitutional rights. Questions of this kind have by no means disappeared—one only needs to think of the well-known 2014 Hobby Lobby decision, in which the U.S. Supreme Court determined that business corporations constitute ‘persons’ with a right to claim a statutory religious exemption. Nonetheless, according to Professor Blumberg, the new frontier of modern corporate law and governance would not be about rights, but rather about corporate responsibilities and about how to ensure accountability for corporate actions.

(…) This is by no means the first time in legal history that corporations have been perceived as playing a significant public role. After all, from at least the 17th century, U.K. royal chartered corporations, which provided the foundation for U.S. corporate law, had quasi-public roots and were seen as bodies approved by the State to act in the national interest.  By the time that Berle and Means published their classic corporate law treatise in 1932, the authors regarded the corporation as a profoundly ambiguous body, which could be interpreted as falling under public or private law. And during the early 1970s, a period of great political upheaval and environmental concern, members of the Rockefeller Foundation’s board of trustees considered that American corporations ‘must assert an unprecedented order of leadership in helping to solve the social problems of our time’.

Growing calls for ‘responsible capitalism’ serve as a reminder that corporate governance is not static; nor is it exclusively a private law problem about misalignment of interests between shareholders and managers. A second problem is the danger that corporate conduct may result in negative externalities that harm society. As a number of recent scandals, including those examined by a high profile 2019 Royal Commission in my own country, Australia, have demonstrated, incentives designed to address problems of corporate performance can exacerbate harm to stakeholders or society as a whole, by creating perverse incentives for corporate misconduct or unethical behaviour.

‘Responsible capitalism’ represents a significant shift in the direction of modern corporate governance. It will involve an increased focus on society’s expectations of corporations, particularly in an era marked by a cascading series of global financial, environment and health crises. It will also entail recalibration of incentives and regulatory techniques to ensure corporate accountability. There may be broad agreement that capitalism needs to become more ‘responsible’. However, the devil will be in the detail and the feasibility of establishing credible incentives and credible metrics. The dangers of ‘greenwashing’ and malleable environmental metrics in executive pay represent significant hurdles to achieving the goals of ‘responsible capitalism’.

À la prochaine…

Gouvernance objectifs de l'entreprise Responsabilité sociale des entreprises

Intégrer la RSE : comment bien faire ?

Article de la Harvard Business Review que je relaie « Transformation sociétale des entreprises : la révolution douce » (16 mars 2021). Didier Sensey et Valérie Baschet livre une réflexion pleine de bon sens…

Extrait :

Poussées par la génération Z qui, dans une grande majorité, souhaite s’investir dans des organisations qui mettent le sens au centre de leur action, par des consommateurs qui orientent massivement leurs achats vers des marques responsables et par des investisseurs qui ont compris que la responsabilité sociétale tire la performance économique, les entreprises sont chaque jour plus nombreuses à vouloir s’engager dans cette voie. Beaucoup d’entre elles ont, en effet, compris que la RSE constitue aujourd’hui un enjeu de performance globale et un avantage compétitif, avant que cela ne se transforme, à moyen terme, en condition de survie. La crise du Covid-19 le démontre : les entreprises engagées dans la RSE font preuve d’une plus grande résilience et délivrent une performance supérieure à celles qui ne le sont pas. Selon Accenture, elles délivrent une marge opérationnelle plus élevée de 3,2% et un rendement supérieur de 9,3% en moyenne. Une course de vitesse a donc commencé : les premières en feront un véritable avantage concurrentiel. Celles qui tarderont éprouveront rapidement davantage de difficultés à attirer de nouveaux talents, à fidéliser les équipes en place, à convaincre les clients d’acheter leurs produits et leurs services, à se financer et, à terme, disparaîtront. Sur ce dernier point, les banques et les fonds d’investissement sont de plus en plus nombreux à conditionner leur engagement à des critères de performance extra-financiers. Ainsi, deux tiers des nouveaux fonds d’investissement créés en 2020 bénéficient du label ISR (pour « investissement socialement responsable ») ; 83% des investisseurs reconnaissent que les programmes ESG rentrent désormais dans la valorisation de l’entreprise et une banque comme Arkéa a décidé de franchir le pas en devenant la première banque à mission de France.

Le fait est assez rare pour être souligné : les intérêts de toutes les parties prenantes convergent, la dynamique est là.

Devant ces attentes de plus en plus fortes, tout doit être mis en œuvre pour aider les entreprises à s’approprier ces sujets, tout en s’assurant qu’elles continuent de délivrer un bon niveau de performance, gage indispensable de leur pérennité. Il s’agit donc bien de concilier sens, impact et performance.

Mais comment faire, par où commencer et à quel rythme ?

Des écueils à contourner

Force est de constater que l’apparition ces dernières années de multiples normes (ISO 26000, SD 21000) et référentiels (RSE 26001, B-Corp, ODD), voire de modèles d’entreprises en rupture (holacratie, entreprise opale), crée une confusion pouvant freiner l’engagement et donne à penser que le changement ne peut être envisagé sans une remise en cause globale et immédiate, ce qui n’est évidemment pas réaliste. Autre effet repoussoir à l’engagement, certaines obligations récentes, comme la déclaration de performance extra-financière ou l’article 173 (qui définit les obligations d’information des investisseurs institutionnels concernant la prise en compte des paramètres environnementaux et sociaux) de la loi sur la transition énergétique, imposent des reporting lourds aux entreprises et aux investisseurs, sans aucune contrepartie. Elles peuvent conduire à penser que l’engagement sociétal est synonyme de nouvelles contraintes venant s’ajouter à celles déjà existantes dans un contexte rendu exceptionnellement complexe avec la crise du Covid-19.

Enfin, des prises de position culpabilisantes de la part de certains politiques, think tanks ou conseils en transition environnementale pointent la responsabilité des dirigeants, dont on oublie trop souvent la complexité de la tâche : diriger une entreprise en temps normal n’est pas simple, la diriger dans la période actuelle est très difficile. Exiger d’eux, dans ce contexte, de se mobiliser sans délai pour sauver la planète, ne peut que les démobiliser.

Cela est d’autant plus regrettable qu’ils ont, la plupart du temps, les moyens de lancer, grâce à des actions simples, une dynamique positive et irréversible pouvant déboucher sur une transformation réellement systémique de leur entreprise, et donc de contribuer activement à changer positivement le monde.

Il ne s’agit donc pas de répondre à une liste de critères, à des injonctions contradictoires et culpabilisantes, ou de rajouter des contraintes et de la charge de travail à des collaborateurs en perte de sens. Ce qui se joue ici relève avant toute chose d’une prise de conscience par le dirigeant de la nécessité d’engager son entreprise dans cette voie. Il s’agit d’un processus de transformation personnelle, le conduisant à se forger une conviction intime et sincère du bien-fondé d’initier une transformation sociétale.

Si rien n’est possible sans cette prise de conscience initiale, il ne s’agit pas pour autant d’une garantie de succès. La tentation est forte pour le dirigeant de se lancer dans des initiatives pouvant s’avérer contre-productives : un changement de posture soudaine et une communication inhabituelle, quand bien même seraient-elles sincères, peuvent soulever des doutes. Or si le message n’est pas relayé par des actions concrètes visibles par l’ensemble de l’organisation, c’est l’authenticité de la démarche, et donc la crédibilité du dirigeant, qui peuvent être remises en cause.

Autre écueil à éviter : la mise en place d’un département RSE qui va permettre de relayer la communication par des initiatives concrètes, certes, mais qui se limitent souvent à des actions simples, dont le but est de faire évoluer favorablement tel ou tel indicateur environnemental ou social, et qui sont, là encore, trop souvent éloignées du quotidien des salariés. On voit ainsi des entreprises prendre l’initiative de planter des arbres pour compenser leur bilan carbone ou d’autres qui abondent des associations à l’objet lointain du métier de l’entreprise. Le risque de voir ces belles intentions taxées de « purpose washing » est réel et c’est bien dommage.

Comme une étoile polaire

Au-delà de la prise de conscience sincère du dirigeant, le point de départ de toute transition réussie consiste en un alignement fort de l’équipe de direction, de sa gouvernance et d’une volonté d’intégration d’initiatives à impact plus positif au sein des opérations de l’entreprise. Le deuxième élément fondateur est l’alignement des équipes autour de la raison d’être. Là encore, le risque est que celle-ci soit prise à tort comme un élément de communication externe et qu’elle soit ainsi dénaturée de son intention : retrouver les racines, l’héritage des fondateurs, l’idée première qui répond à un besoin de la société. Bien formulée, bien ancrée, en associant le plus largement possible les collaborateurs dans sa définition, la raison d’être devient un élément fédérateur et l’étoile polaire discrète de l’entreprise qui va guider les équipes dans toutes leurs initiatives. La transformation sociétale devient ainsi l’affaire de tous.

Ces fondations posées, il devient possible d’engager les équipes vers des objectifs simples et concrets. N’oublions pas que l’entreprise doit continuer de produire, de vendre et d’assurer son développement. La démarche vers l’impact positif ne doit pas donner lieu à une surenchère de plans d’actions venant s’ajouter à un quotidien déjà très chargé, mais à quelques initiatives discrètes qui créeront une dynamique irréversible : une raison d’être bien choisie et des actions pour favoriser la diversité développeront la marque employeur et créeront les conditions d’une meilleure attractivité et d’une meilleure fidélisation des talents ; une intégration des clients dans la définition de la proposition de valeur en lien avec la raison d’être assurera leur fidélité et en attirera de nouveaux ; une implication des fournisseurs locaux dans la définition des produits aura une incidence sur le bilan carbone et bénéficiera à la communauté en termes d’emploi.

Les résultats seront rapidement visibles : davantage d’engagement de la part des équipes, une meilleure attractivité des talents, des clients fidèles et plus nombreux, des fournisseurs plus impliqués et soucieux d’une meilleure qualité. L’entreprise sera prête pour s’engager dans l’obtention de labels ou adopter des normes plus exigeantes, voire prétendre au statut d’entreprise à mission. Mais, au même titre que les meilleures performances financières qui ne tarderont pas à suivre, elles deviendront la conséquence naturelle de l’engagement positif, et non plus une fin en soi. Et cela va tout changer.

À la prochaine…

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État : le grand retour dans l’économie ?

Un peu ancienne, cette tribune de Jean Peyrelevade mérite à coup sûr dêtre lu : « L’inéluctable retour de l’Etat dans nos économies » (Les Échos.fr, 29 octobre 2019).

Extrait :

Une thèse se répand avec de plus en plus de force : les grandes entreprises capitalistes joueraient un rôle sans cesse accru dans le fonctionnement global de nos sociétés, au point de dépouiller les Etats d’une partie significative de leurs prérogatives.

Les Gafa américaines (Google, Amazon, Facebook, Apple) fournissent la contribution la plus sérieuse au caractère convaincant de cette théorie. Elles élaborent leurs propres lois de fonctionnement et donc, pour partie, leur propre droit, accumulent les données personnelles concernant chacun d’entre nous et en tirent profit en les vendant, échappent à la fiscalité en optimisant à l’échelle mondiale leurs implantations et leurs flux de facturations internes. Grâce au rendement croissant de leurs activités, elles exercent un effet de domination sur leurs marchés, rachètent systématiquement leurs concurrents potentiels ou, à défaut, s’efforcent de les faire disparaître. Enfin l’arrivée éventuelle du libra, la monnaie privée inventée par Mark Zuckerberg, constituerait, si elle voyait le jour, une atteinte directe à la souveraineté des Etats.

Cette menace est à coup sûr bien présente. Je ne crois pas, cependant, qu’elle puisse vraiment se concrétiser. Les Gafa chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), sans avoir encore la puissance de leurs rivales américaines, s’en rapprochent de plus en plus. Or, loin de faire de l’ombre à l’Etat chinois, elles sont devenues un élément clef de sa stratégie. Rappelons au passage que la Chine représente environ 20 % de la population de la planète et 15 % des richesses produites chaque année dans le monde. L’Etat-parti y exerce un pouvoir total pour ne pas dire totalitaire et toutes les entreprises, quel que soit leur statut public ou privé, y sont au service d’une politique clairement nationaliste.

(…)

Evolution du capitalisme

Un mouvement plus doux est à l’oeuvre au sein du capitalisme traditionnel des pays occidentaux. Les entreprises, jusqu’ici soumises aux marchés financiers et aux désirs de rendement de leurs actionnaires, se détachent soudain, au moins en paroles, du modèle qui les gouvernait. Milton Friedman n’est plus à la mode, et l’entreprise doit désormais se préoccuper de l’intérêt général, sinon l’incarner. La loi Pacte, en France, les oblige depuis mai dernier à intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dans leur objet social et les encourage à définir leur raison d’être, voire même leur mission, ce qui donne un parfum de transcendance à leur activité.

Ces belles prises de position seraient-elles le signe d’un recul des Etats, voire de leur impuissance ? Je n’y crois pas une seconde. Elles marquent plutôt la prise de conscience par les chefs des grandes entreprises que le capitalisme traditionnel, dont ils ont tiré grand profit, est critiqué de maintes parts. Toutes ces bonnes intentions sont en fait la marque d’une faiblesse reconnue, et non d’une prise de pouvoir sur la société. Leur lobby, pour demeurer efficace, doit devenir plus vertueux.

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The Corporate Governance Machine ou la nécessaire alliance de la RSE et des actionnaires

Les professeurs Dorothy S. Lund et Elizabeth Pollman publient un article « The Corporate Governance Machine » (ECGI Law Series 564/2021) qui montre que la RSE implique de faire avancer l’intérêt des actionnaires pour espérer un vrai changement des entreprises. Intéressant…

Résumé

The conventional view of corporate governance is that it is a neutral set of processes and practices that govern how a company is managed.

We demonstrate that this view is profoundly mistaken: in the United States, corporate governance has become a “system” composed of an array of institutional players, with a powerful shareholderist orientation. Our original account of this “corporate governance machine” generates insights about the past, present, and future of corporate governance. As for the past, we show how the concept of corporate governance developed alongside the shareholder primacy movement. This relationship is reflected in the common refrain of “good governance” that pervades contemporary discourse and the maturation of corporate governance as an industry oriented toward serving shareholders and their interests.

As for the present, our analysis explains why the corporate social responsibility movement transformed into shareholder value-oriented ESG, stakeholder capitalism became relegated to a new separate form of entity known as the benefit corporation, and public company boards of directors became homogenized across industries. As for the future, our analysis suggests that absent a major paradigm shift, advocacy pushing corporations to consider the interests of employees, communities, and the environment will likely fail if such effort is not framed as advancing shareholder interests.

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Gouvernance Normes d'encadrement objectifs de l'entreprise parties prenantes Responsabilité sociale des entreprises Valeur actionnariale vs. sociétale

Actionnaires et parties prenantes : quelle gouvernance à venir ? : un beau texte de l’IGOPP

À l’été 2020, Yvan Allaire et François Dauphin ont publié une belle tribune dans Le Devoir intitulé : « Actionnaires et parties prenantes : quelle gouvernance à venir ? ». Ils démontrent tout leur scepticisme en mettant en lumière les zones d’ombre du modèle des parties prenantes.

En raison surtout d’une véritable révolution des modes et quanta de rémunération des hauts dirigeants, les sociétés cotées en bourse en sont venues graduellement depuis les années ’80s à œuvrer presqu’exclusivement pour maximiser la création de valeur pour leurs actionnaires.

Tout au cours de ces 40 ans, ce modèle de société fut critiqué, décrié, tenu responsable pour les inégalités de revenus et de richesse et pour les dommages environnementaux. Toutefois, tant que cette critique provenait d’organisations de gauche, de groupuscules sans appui populaire, les sociétés pouvaient faire fi de ces critiques, les contrant par des campagnes de relations publiques et des ajustements mineurs à leur comportement.

Soudainement, pour des raisons multiples, un peu mystérieuses, cette critique des entreprises et du « capitalisme » a surgi du cœur même du système, soit, de grands actionnaires institutionnels récemment convertis à l’écologie. Selon cette nouvelle perspective, les sociétés cotées en bourse devraient désormais non seulement être responsables de leurs performances financières, mais tout autant de l’atteinte d’objectifs précis en matière d’environnement (E), d’enjeux sociaux (S) et de gouvernance (G). Pour les grandes entreprises tout particulièrement, le triplé ESG, de facto le modèle des parties prenantes, est devenu une caractéristique essentielle de leur gouvernance.

Puis, signe des temps, quelque 181 PDG des grandes sociétés américaines ont pris l’engagement, il y a un an à peine, de donner à leurs entreprises une nouvelle «raison d’être » (Purpose en anglais) comportant un « engagement fondamental » envers clients, employés, fournisseurs, communautés et leur environnement et, ultimement, les actionnaires.

De toute évidence, le vent tourne. Les questions environnementales et sociales ainsi que les attentes des parties prenantes autres que les actionnaires sont devenues des enjeux incontournables inscrits aux agendas politiques de presque tous les pays.

Les fonds d’investissement de toute nature bifurquèrent vers l’exigence de plans d’action spécifiques, de cibles mesurables en matière d’ESG ainsi qu’un arrimage entre la rémunération des dirigeants et ces cibles.

Bien que louable à bien des égards, le modèle de « parties prenantes » soulève des difficultés pratiques non négligeables.

1. Depuis un bon moment la Cour suprême du Canada a interprété la loi canadienne de façon favorable à une conception « parties prenantes » de la société. Ainsi, un conseil d’administration doit agir exclusivement dans l’intérêt de la société dont ils sont les administrateurs et n’accorder de traitement préférentiel ni aux actionnaires ni à toute autre partie prenante. Toutefois la Cour suprême n’offre pas de guide sur des sujets épineux conséquents à leur conception de la société : lorsque les intérêts des différentes parties prenantes sont contradictoires, comment doit-on interpréter l’intérêt de la société? Comment le conseil d’administration devrait-il arbitrer entre les intérêts divergents des diverses parties prenantes? Quelles d’entre elles devraient être prises en compte?

2. Comment les entreprises peuvent-elles composer avec des demandes onéreuses en matière d’ESG lorsque des concurrents, domestiques ou internationaux, ne sont pas soumis à ces mêmes pressions?

3. À un niveau plus fondamental, plus idéologique, les objectifs ESG devraient-ils aller au-delà de ce que la réglementation gouvernementale exige? Dans une société démocratique, n’est-ce pas plutôt le rôle des gouvernements, élus pour protéger le bien commun et incarner la volonté générale des populations, de réglementer les entreprises afin d’atteindre les objectifs sociaux et environnementaux de la société? Mais se peut-il que cette conversion des fonds d’investissement aux normes ESG et la redécouverte d’une « raison d’être » et des parties prenantes par les grandes sociétés ne soient en fait que d’habiles manœuvres visant à composer avec les pressions populaires et atténuer le risque d’interventions « intempestives » des gouvernements?

4. Quoi qu’il en soit, le changement des modes de gestion des entreprises, présumant que cette volonté est authentique, exigera des modifications importantes en matière d’incitatifs financiers pour les gestionnaires. La rémunération des dirigeants dans sa forme actuelle est en grande partie liée à la performance financière de l’entreprise et fluctue fortement selon le cours de l’action. Relier de façon significative la rémunération des dirigeants à certains objectifs ESG suppose des changements complexes qui susciteront de fortes résistances. En 2019, 67,2% des firmes du S&P/TSX 60 ont intégré au moins une mesure ESG dans leur programme de rémunération incitative. Toutefois, seulement 39,7% ont intégré au moins une mesure liée à l’environnement. Quelque 90% des firmes qui utilisent des mesures ESG le font dans le cadre de leur programme annuel de rémunération incitative mais pas dans les programmes de rémunération incitative à long terme. Ce fait est également observé aux États-Unis, alors qu’une étude récente de Willis Towers Watson démontrait que seulement 4% des firmes du S&P 500 utilisaient des mesures ESG dans des programmes à long terme.

5. N’est-il pas pertinent de soulever la question suivante : si l’entreprise doit être gérée selon le modèle des « parties prenantes », pourquoi seuls les actionnaires élisent-ils les membres du conseil d’administration? Cette question lancinante risque de hanter certains des promoteurs de ce modèle, car il ouvre la porte à l’entrée éventuelle d’autres parties prenantes au conseil d’administration, telles que les employés. Ce n’est peut-être pas ce que les fonds institutionnels avaient en tête lors de leur plaidoyer en faveur d’une conversion ESG.

Un vif débat fait rage (du moins dans les cercles académiques) sur les avantages et les inconvénients du modèle des parties prenantes. Dans le milieu des entreprises toutefois, la pression incessante des grands investisseurs a converti la plupart des directions d’entreprises à cette nouvelle religion ESG et parties prenantes même si plusieurs questions difficiles restent en suspens.

À la prochaine…