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Activisme : quel bilan en 2018 ?

Bonjour à toutes et à tous, MM. Lipton et Podolsky publient un bel article sur le blogue Harvard Law School Forum on Corporate Governance and Financial Regulation intitulé : « Activism: The State of Play at Year-End 2018 ».

 

As we noted [in 2018], the threat of activism continues to be high, and has become a global phenomenon. The conclusion of a volatile and dynamic 2018 prompts a brief update of the state of play.

  • Activist assets under management remain at elevated levels, encouraging continued attacks on large successful companies in the U.S. and abroad. In many cases, activists have been taking advantage of recent stock market declines to achieve attractive entry points for new positions. These trends have been highlighted in several recent media reports, including in The Wall Street Journal and Bloomberg.
  • While the robust M&A environment of much of 2018 has recently subsided, deal-related activism remains prevalent, with activists instigating deal activity, challenging announced transactions (e.g., the “bumpitrage” strategy of pressing for a price increase) and/or pressuring the target into a merger or a private equity deal with the activist itself.
  • “Short” activists, who seek to profit from a decline in the target’s market value, remain highly aggressive in both the equity and corporate debt markets. In debt markets, we have also recently seen a rise in “default activism,” where investors purchase debt on the theory that a borrower is already in default and then actively seek to enforce that default in a manner by which they stand to profit.
  • Elliott Management was the most active and in many cases aggressive activist of 2018. The Wall Street Journal noted that Elliott has publicly targeted 24 companies in 2018, with Icahn and Starboard runners-up with nine public targets each. The New Yorker published a lengthy profile of Paul Singer and Elliott in August, “Paul Singer, Doomsday Investor”. “Singer has excelled in this field in part because of a canny ability to discern his opponents’ weaknesses and a seeming imperviousness to public disapproval.”
  • Enhanced ESG disclosure remains a topic of great interest to institutional investors and the corporate governance community. In October, two prominent business law professors, supported by investors and other entities with over $5 trillion in assets under management, filed a petition for rulemaking calling for the SEC to “develop a comprehensive framework requiring issuers to disclose identified environmental, social, and governance (ESG) aspects of each public-reporting company’s operations.” In November, the Embankment Project of the Coalition for Inclusive Capitalism issued its report outlining proposed ways to measure long-term sustainable value creation beyond financial results. And earlier this month, ESG disclosure was the subject of a lively discussion at a meeting of the SEC’s Investor Advisory Committee, with various views expressed regarding the merits of regulatory efforts versus private ordering in this area.

 

Merci à Jacques Grisé de cette information relayée sur son blogue (ici). Je lui ai emprunté le tableau que vous avez ci-dessus !

 

À la prochaine…

Ivan

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Engagement actionnarial : b.a.-ba

M. Jean-François Rérolle offre un billet intéressant sur l’engagement actionnarial intitulé : « Engagement actionnarial : Vers une gouvernance intégrée » (LinkedIn, 12 juin 2018). Une occasion de revenir sur une notion en pleine expansion…

 

L’engagement actionnarial constitue l’une des évolutions récentes les plus significatives dans le domaine de la gouvernance d’entreprise. Il recouvre le dialogue qui s’établit plus en plus fréquemment entre les émetteurs et leurs investisseurs sur des sujets liés à la façon dont l’entreprise est dirigée (la composition et le rôle du conseil, la répartition des pouvoirs, la rémunération des dirigeants…), notamment à l’occasion de la préparation des assemblées générales.

Encouragé par la réglementation européenne (directive sur le droit des actionnaires) et par sa (sur)transposition en droit français, ce dialogue s’inscrit dans la logique économique de grands investisseurs institutionnels dont la stratégie indicielle ou l’importance de l’investissement ne leur permettent pas de vendre facilement leurs actions. Privilégiant « the voice over exit », leur objectif est d’inciter les émetteurs à mettre en place une gouvernance efficace et protectrice de l’intérêt à long terme des actionnaires. (…)

Dès lors, l’analyse des investisseurs les plus sophistiqués recouvre un champ beaucoup plus large que celui de l’organisation du conseil d’administration et de ses rapports avec l’exécutif ou celui des considérations techniques liées aux résolutions de la prochaine assemblée générale. L’intérêt se concentre sur trois aspects de la gouvernance intimement connectés : la structure, les processus et les politiques. (…)

Ces trois composantes de la gouvernance sont naturellement intrinsèquement et logiquement liées. Ainsi, on attend de l’entreprise dont le projet s’inscrit dans une logique de croissance externe qu’elle puisse expliquer la façon dont le conseil est impliqué dans les opérations d’acquisition : quel a été le processus décisionnel retenu pour les opérations importantes ? Quelles sont les précautions prises pour éviter les erreurs stratégiques ? Comment s’assure-t-on de la compatibilité des projets avec les politiques de risque et d’allocation du capital définies par le conseil ? Dans quelles conditions et avec quelles précautions peut-on déroger à ces politiques ? Quels sont les critères de succès de l’opération et comment ceux-ci seront-ils suivis dans le temps ? Comment la structure de gouvernance est-elle impliquée dans ce processus de revue et de validation ? Quels sont les rôles respectifs des différents comités qui sont tous potentiellement intéressés par ce type d’opération et comment s’effectue leur coordination ?  Quelles sont les conséquences de ces opérations sur l’évaluation des dirigeants et la structure de leur rémunération ?

 

A la prochaine…

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Nos étudiants publient : « Maximisation de la valeur actionnariale : une nouvelle idéologie ? » Retour sur un texte de Lazonick et O’Sullivan (billet de Guillaume Giguère et Pierre-Luc Godin)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée pares derniers sur le primat de la valeur actionnariale et relisent l’étude de William Lazonick et Mary O’Sullivan « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance ». Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Le texte « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance »[1], écrit par les auteurs William Lazonick et Mary O’Sullivan, a pour but de mettre en perspective l’évolution et l’impact de l’idéologie entourant la maximisation de la valeur des actionnaires en tant que principe ancré de gouvernance corporative aux États-Unis depuis les années 80. Plus précisément, les auteurs tracent une analyse historique de la transformation d’une stratégie corporative s’orientant davantage vers la rétention des bénéfices de l’entreprise et de leur réinvestissement dans la croissance corporative (ci-après « retain and reinvest »), en une stratégie corporative beaucoup plus axée sur la réduction des effectifs de l’entreprise et la distribution des bénéfices des sociétés par actions aux actionnaires (ci-après « downsize and distribute »). Ultimement, les auteurs en viennent à se demander si cette nouvelle stratégie est appropriée pour diriger la gouvernance des entreprises.

Une nouvelle stratégie ?

Dans les années 60 et 70, deux problématiques principales ont poussé les entreprises à réfléchir à une nouvelle stratégie corporative à adopter au détriment de celle du retain and reinvest : l’amplification de la croissance de la société et la progression de nouveaux concurrents. Relativement à la première problématique, l’envergure que prenaient les entreprises, ainsi que leur subdivision, engendra des difficultés au niveau de la prise de décisions, laquelle s’est effectuée de plus en plus de manière centralisée. Relativement à la seconde problématique, l’environnement macroéconomique instable et l’ascension d’une compétition internationale innovante occasionnée notamment par la production de masse des industries automobiles et électroniques ont amené les entreprises américaines à faire une prise de conscience sur la nécessité d’améliorer leurs procédés.

Dans la foulée des conséquences du retain and reinvest, des économistes financiers américains ont développé dans les années 70 une nouvelle approche dans le domaine de la gouvernance d’entreprise connue sous le nom de « théorie de l’agence » (« agency theory »). Ces économistes considéraient qu’il était préférable pour les organisations qu’elles laissent le marché faire son œuvre en s’abstenant d’intervenir excessivement dans l’allocation des ressources. Selon cette nouvelle théorie, les actionnaires sont les principaux intéressés tandis que les dirigeants sont leurs agents, qui doivent agir dans leur intérêt. La limitation du contrôle des dirigeants sur l’allocation des ressources et le renforcement de l’influence du marché forcerait ainsi les dirigeants à agir dans l’intérêt des actionnaires en visant davantage la maximisation de la valeur des actions. En addition, dans cette même période, la poursuite d’un objectif de création de valeur pour les actionnaires dans l’économie américaine a trouvé du support auprès de nouveaux acteurs : les investisseurs institutionnels. Ces investisseurs institutionnels, incarnés par les fonds mutuels, les fonds de pension et les compagnies d’assurance-vie, ont rendu possibles les prises de contrôle préconisées par les théoriciens de l’agence et ont donné aux actionnaires un pouvoir collectif important pour influencer les rendements et la valeur des actions qu’ils détenaient. L’accroissement des possibilités de financement, notamment avec le recours aux obligations pourries (« junk bonds »), un instrument spéculatif à haut taux de risque, a permis aux investisseurs institutionnels et aux institutions d’épargne et de crédit de devenir rapidement des participants centraux dans cette prise de contrôle hostile. Le résultat a été l’émergence d’un puissant marché pour le contrôle d’entreprise.

 

Au nom de la création de la valeur actionnariale

Dans une tentative d’accroître le rendement sur les capitaux propres, les années 80 et 90 ont été marquées par une réduction significative de la main-d’œuvre, par une augmentation considérable des dividendes distribués (même s’ils n’étaient pas toujours précédés par une augmentation de profits) et par des rachats d’actions importants et récurrents. L’implantation de cette stratégie de type downsize and distribute a d’ailleurs été soutenue par le fait que les dirigeants recevaient de plus en plus d’actions ou d’autres types de bonus en guise de rémunération depuis les années 50. En effet, cette stratégie a mené à l’explosion de la rémunération des hauts dirigeants.

Cependant, les rendements élevés des actions de sociétés, en plus de la réduction de la main-d’œuvre sous la stratégie du downsize and distribute, n’ont fait qu’exacerber l’inégalité des revenus aux États-Unis[2]. Pour réduire l’inégalité dans la distribution des richesses, il faut que les sociétés qui préconisent la stratégie downsize and distribute s’engagent à adopter certaines stratégies requérant qu’elles fassent aussi du retain and reinvest, particulièrement en faveur des cols bleus. Sans l’adoption de telles stratégies, il faudra alors aussi se demander si les États-Unis possèderont l’infrastructure technologique requise pour être prospères au 21e siècle. Par ailleurs, bien que l’adoption par les entreprises américaines d’une politique de downsize and distribute a fourni l’élan sous-jacent au boom boursier des années 90, il n’en demeure pas moins que le taux soutenu et rapide de la hausse des cours est principalement le résultat d’un afflux massif par les fonds mutuels en équité au sein du marché boursier.

Conclusion

Les auteurs clôturent leur texte en affirmant que le boom du marché boursier n’a pas mis plus de capitaux à la disposition de l’industrie, l’émission d’actions ayant demeurée faible, mais plutôt causé une hausse de la consommation par l’abondante distribution des revenus corporatifs. Se référant à des exemples de compagnies américaines dominantes dans leur secteur[3], lesquelles employaient les principes du retain and reinvest, ils retiennent de l’expérience américaine que la poursuite de la maximisation de la valeur des actionnaires est une stratégie appropriée si l’on souhaite ruiner une entreprise, voire même une économie. Il serait donc intéressant de voir si, aujourd’hui en 2017, la maximisation de la valeur des actionnaires est une stratégie de gouvernance qui a fait ses preuves et qui bénéficie d’une validation auprès des experts dans les milieux concernés[4].

 

Guillaume Giguère et Pierre-Luc Godin

Étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] William Lazonick et Mary O’Sullivan, « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance » (2000) 29:1 Economy and Society 13.

[2] Les ménages de classe moyenne détenant rarement des actions de sociétés.

[3] Causé notamment par l’investissement, dans ces fonds mutuels, des générations âgées ayant accumulés du capital durant les périodes marquées par le retain and reinvest.

[4] Il semblerait qu’au contraire, le principe de la maximisation de la valeur des actionnaires connaît aujourd’hui encore de vives critiques quant à son efficacité et ses effets. Voir à cet effet les articles suivants : Steve Denning, « Making Sense Of Shareholder Value: ‘The World’s Dumbest Idea’ », Forbes (17 juillet 2017); Steve Denning, « The ‘Pernicious Nonsense’ Of Maximizing Shareholder Value  », Forbes (27 avril 2017); Peter Atwater, « Maximizing Shareholder Value May Have Gone Too Far », Time (3 juin 2016). D’autres articles vont, quant à eux, à la défense du principe et misent sur la création de la valeur des actionnaires sur le long terme et non au court terme : Michael J. Mauboussin et Alfred Rappaport, « Reclaiming The Idea of Shareholder Value » (2016) Harvard Business Review; Alfred Rappaport, « Ten Ways to Create Shareholder Value » (2006) Harvard Business Review.

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Nos étudiants publient : « Devoir des actionnaires et RSE… mythe ou réalité ? » Retour sur un texte de François-Guy Trébulle (billet de Épiphanie Houssou et Grâce Kengoum)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Épiphanie Houssou et Grâce Kengoum. Ces dernières se demandent si les actionnaires ont un devoir en matière de RSE et reviennent sur l’étude « La responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises » du Doyen et professeur de l’Université Paris 1 François-Guy Trébulle. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

La désacralisation de la place des actionnaires au sein de l’entreprise n’est pas sans conséquences sur les devoirs de ceux-ci envers la société. Auparavant considérés comme les propriétaires de l’entreprise dont les principales activités avaient pour finalité la préservation de leurs intérêts personnels[1], les actionnaires ont de nos jours une multitude de devoirs qui doivent s’accommoder aussi bien aux divers acteurs de l’entreprise qu’aux nouveaux enjeux qui définissent dorénavant l’entreprise, à savoir la prise en compte des RSE dans leur mécanisme de gouvernance. C’est bien ce que nous démontre le professeur François-Guy Trébulle dans son texte intitulé « La Responsabilité sociale et environnementales (RSE) des entreprises »[2].

 

Le professeur Trébulle soutient qu’il est impossible de parler de la RSE sans reconnaître aux actionnaires des devoirs en ce domaine, car la RSE tend à responsabiliser tous les acteurs de l’entreprise en vue de promouvoir un objectif à long terme. De son point de vue, les devoirs des actionnaires et la RSE tirent conjointement leurs origines de la soft law et des règles d’éthique. Cette opinion est soutenue par Jean Marc Gollier qui affirme que la RSE tient son origine au sein des règles non contraignantes[3]. Toutefois, il existe aussi une corégualtion entre soft law et hard law[4], ces deux règles s’harmonisant dans certains États afin de garantir la parfaite mise en œuvre de la RSE au sein des entreprises. Par ailleurs, le côté coercitif du droit oblige les divers acteurs en présence à le respecter ; c’est pourquoi, de nos jours, la RSE et les devoirs des actionnaires deviennent de plus en plus obligatoires à l’instar du droit belge[5].

 

Différents devoirs

Rompant avec la conception de l’actionnaire-propriétaire[6], l’auteur met en évidence la déconstruction du mythe de la primauté des intérêts des actionnaires au sein de l’entreprise et énumère des devoirs qui incombent à l’actionnaire. Le premier devoir impose aux actionnaires d’agir dans l’intérêt social et non pas dans leur seul intérêt ; cette idée s’oppose alors à cette jurisprudence qui affirmait que c’est l’intérêt des actionnaires qui doit être pris en compte[7]. Le deuxième devoir, celui d’agir, permet à l’actionnaire de s’impliquer davantage dans l’entreprise. Ce devoir se rapproche de l’idée de l’activisme actionnariale. Les actionnaires sont clairement plus proactifs qu’avant[8] ! S’agissant du troisième devoir (celui de partir), il répond au besoin de préserver l’image de l’actionnaire en investissant dans une société dont les activités prennent en compte les exigences de la RSE. L’actionnaire doit alors faire preuve de vigilance. Enfin, pour ce qui est du quatrième devoir (celui d’exiger plus de RSE), cela revient à demander aux actionnaires de faire preuve de loyauté. Ils peuvent demander davantage de RSE s’ils constatent que ceux-ci ne sont pas suffisamment pris en compte.

 

Tous les actionnaires concernés… même les court-termistes

Pour les actionnaires concernés par les devoirs en matière de RSE, le professeur Trébulle affirme que cette responsabilité incombe à toutes les catégories d’actionnaires, même minoritaires. Ceux-ci peuvent ainsi être tenus responsables s’ils se rendent coupables d’une violation. Les actionnaires minoritaires ne sont donc plus des acteurs effacés de la vie de l’entreprise car on assiste de nos jours au renforcement de leurs droits au sein de la société[9]. Toutefois, si l’auteur intègre une responsabilité en matière de RSE pour les actionnaires minoritaires, il ne fait pas réellement état des actionnaires court-termistes, portés sur une réalisation rapide de bénéfices. En réalité, si la responsabilité de prendre des mesures en faveur de la RSE incombe aux actionnaires visant le court-terme, ils peuvent aisément se servir de ce pouvoir pour servir leurs intérêts personnels. Comme l’illustre Paul Martel, « le droit de vote de l’actionnaire est total et personnel, et il peut être exercé sans tenir compte de l’intérêt général de la société, voire même directement à l’encontre de cet intérêt général »[10]. Étendre le champ de la RSE aux actionnaires court-termiste peut donc faire manquer l’objectif ciblé, c’est-à-dire, celui d’assurer une gouvernance répondant aux besoins interne et externe de l’entreprise.

 

Si attribuer la responsabilité aux actionnaires de mettre en place des mesures favorisant la RSE apparaît de prime à bord comme un devoir, il faut savoir qu’en le faisant l’on contribue à accroître leurs pouvoirs au sein de l’entreprise. Or, comme le souligne le professeur Trébulle dans son article, « la RSE qui s’intéresse au pouvoir va nécessairement concerner celui qui, in fine, en est détenteur dans les sociétés par actions »[11]. Est-ce à dire que le pouvoir appartient réellement aux actionnaires ? Cela reviendrait à appuyer la thèse de l’actionnaire-propriétaire que réfute l’auteur ! Si on accorde ce pouvoir aux actionnaires, il faut nécessairement le retirer à la haute direction et au CA. Sera-t-il pertinent d’agir ainsi lorsqu’on sait que les administrateurs doivent essentiellement servir les intérêts de la société[12] tandis que les actionnaires sont généralement portés à servir leur propre intérêt  ? Le pouvoir au sein de l’entreprise peut être détenu soit par les actionnaires qui pourront faire pencher les décisions en leur faveur, soit par des administrateurs qui interviennent ente les dirigeants et les actionnaires en toute neutralité.

 

Conclusion

Le professeur Trébulle est favorable à donner plus de responsabilités et de devoirs aux actionnaires en matière de RSE. Toutefois, il est important de se pencher sur la volonté réelle des actionnaires d’appliquer ces devoirs. S’il peut paraître probable que les actionnaires visant le long terme peuvent être plus concernés par de tels devoirs, tel n’est pas nécessairement le cas des actionnaires court termistes. De plus, le retour en investissement que visent ceux-ci ne sera réellement atteint que si on se déploie pour le long terme ce qui risque de ne pas satisfaire les actionnaires court termistes. Par ailleurs, est-ce réellement le rôle des actionnaires de porter la RSE quand l’on sait qu’initialement, il s’agit pour eux d’apporter des capitaux au sein de l’entreprise et, par conséquent, de rechercher un résultat financier à la hauteur de leur investissement ? Par ailleurs si l’on leur attribue un tel rôle, quid du rôle de la haute direction et du CA ?

Épiphanie Houssou et Grâce Kengoum

Étudiantes du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Ivan tchotourian, Jean-Christophe Bernier et Charles Tremblay-Poitvin, « Les cinq mythes de la gouvernance d’entreprise. Perspectives économico juridique et nord-américaine », (2017) 2 Revue internationale de droit économique, p. 5-39.

[2] François-Guy trébulle,  « La responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises », dans Devoir des actionnaires, (2016)  n° hors-série 2 Gaz. Pal., p. 55-60.

[3] Jean-Marc GOLLIER, « Le dirigeant et la responsabilité sociétale de l’entreprise », dans Yves DE CORDT (dir.), Le statut du dirigeant d’entreprise, Larcier, Bruxelles, 2009, p. 323.

[4] Jean-Marc GOLLIER, « Le dirigeant et la responsabilité sociétale de l’entreprise », dans Yves DE CORDT (dir.), Le statut du dirigeant d’entreprise, Larcier, Bruxelles, 2009, p. 323.

[5] C. des sociétés, art. 96.

[6] Ivan tchotourian, Jean-Christophe Bernier et Charles Tremblay-Poitvin, « Les cinq mythes de la gouvernance d’entreprise. Perspectives économico juridique et nord-américaine », (2017) 2 Revue internationale de droit économique, p. 5-39.

[7] Comm. Brux. (Réf.), 18 Novembre 2008, R.K, 212/2008, n°124.80.

[8] Raymonde CRÊTE et Stéphane ROUSSEAU, « De la passivité à l’activisme  des investisseurs institutionnels au sein des corporations. Le reflet de la diversité des facteurs d’influence », (1997) 42 Revue de droit McGill p. 863-880; et aussi : DELOITTE, Avis du Centre de gouvernance d’entreprise, « Participation des actionnaires. Une nouvelle aire de gouvernance d’entreprise », octobre 2013.

[9] Gérard HIRIGOYEN, « Droit et finance », dans Bruno Arman (dir.), Gestion et droit, Dalloz, Paris, 2000, p. 55-73.

[10] Paul MARTEL, La société par actions au Québec, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2011, p. 19.13.

[11] François-Guy trébulle,  « La responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises », dans Devoir des actionnaires, (2016)  n° hors-série 2 Gaz. Pal. p. 55-60.

[12] Paul MARTEL, La société par actions au Québec, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2011, p. 19.13.