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engagement et activisme actionnarial normes de droit

Propriétaires véritables opposés et non opposés : une distinction à éliminer ? (billet de Catherine Ménard)

Dans le cadre d’un projet que je dirige depuis l’automne 2014 intitulé « Le droit de vote des actionnaires en question » (avec le soutien financier de l’AMF Québec dans le cadre de son programme FESG), je vous propose de commencer à partager le fruit des résultats obtenus, Depuis quelques années, la gouvernance d’entreprise fait l’objet de débats intenses suscités par l’apparition de pratiques et de phénomènes nouveaux de certains acteurs de la gouvernance. En se concentrant sur les actionnaires, ce projet entend s’intéresser à trois phénomènes contemporains qui affectent leur droit de voter en assemblée : l’importance du vote par procuration et le développement du vote vide et de la propriété occulte. C’est aujourd’hui Mme Catherine Ménard qui vous offre une synthèse de ses travaux.

 

L’une des caractéristiques de l’infrastructure du vote par procuration au Canada est la distinction entre les propriétaires véritables opposés (OBO ou Objecting Beneficial Owner) et les propriétaires véritables non opposés (NOBO ou Non-Objecting Beneficial Owner). Tous deux sont les propriétaires véritables d’actions, lesquelles sont toutefois détenues par un intermédiaire, maillon d’une chaîne plus ou moins complexe. Alors que le premier s’oppose à ce que son identité et les titres qu’il possède soient dévoilés, le second le permet.

Au Canada, un peu plus de la moitié des comptes de propriétaires véritables sont des comptes de propriétaires véritables opposés[1]. Les raisons motivant les investisseurs à choisir ce statut semble tourner majoritairement autour de la possibilité de préserver non seulement leur anonymat, mais aussi la confidentialité de leurs stratégies de placement.

La notion de propriétaire véritable opposé/non opposé est aussi présente aux États-Unis, mais comporte certaines différences, dont deux principales quant à la possibilité pour l’émetteur d’envoyer directement certains documents au propriétaires véritables[2].

La question de cette distinction est intéressante sous plusieurs aspects et fait l’objet de nombreuses discussions, notamment rattachées aux problèmes potentiels d’une structure de vote par procuration[3].

Ce texte présente certaines réflexions sur cette question et les modifications proposées.

Une communication complexe et onéreuse

Premièrement, il est reconnu que cette distinction rend plus complexes et onéreuses les communications entre les différents acteurs, lesquelles sont pourtant essentielles à la bonne marche des sociétés. En effet, cette distinction – ou du moins le statut de propriétaire véritable opposé – empêche une communication directe entre la société et certains propriétaires véritables. Or, plusieurs sociétés sont d’avis que si les propriétaires véritables peuvent avoir une influence importante sur leur sort, à travers leur droit de vote, celles-ci devraient pouvoir communiquer avec eux directement. Ce désir de communication est aussi partagé par certains actionnaires, qui souhaiteraient pouvoir facilement communiquer entre eux. Car si ceux-ci ont généralement accès à la liste des NOBOs, ils ne peuvent connaître l’identité des OBOs. Par ailleurs, les frais encourus pour obtenir les informations désirées ne seront pas toujours remboursées par la société, ce qui place les actionnaires en situation de désavantage face aux gestionnaires.

Un non-choix

Deuxièmement, il semble ressortir des sondages que bien qu’une majorité des propriétaires aient le statut de propriétaires véritables opposés, la plupart changerait d’avis si les impacts que cela entraîne leur étaient exposés. Une étude auprès d’investisseurs concluait, en 2006, que si ceux-ci était au courant des conséquences liées au fait de choisir le statut de propriétaire véritable opposé, notamment les coûts liés, 64 % des investisseurs choisiraient plutôt le statut de propriétaire véritable non opposé. L’écart augmente lorsqu’on ajoute des frais : on passe à 86% pour des frais annuels de 25$ et 95% pour des frais de 50$.[4] [5] L’étude note par ailleurs que parmi les investisseurs à qui il a été demandé de fournir leurs informations personnelles aux sociétés dont ils possèdent des actions, 79% ont accepté, les deux raisons principales étant de pouvoir ainsi recevoir les informations sur la société et parce qu’il s’agissait d’une « bonne idée »[6].

Conclusion

Finalement, il est soutenu que l’élimination de la distinction permettrait un système plus efficient avec des votes plus fiables. Cette opinion semble toutefois grandement contestée, alors que plusieurs acteurs défendent le système actuel et les nombreux efforts et modifications faits au cours des dernières années afin d’en faire un système fiable et efficace[7]. Ceci dit, des pas intermédiaires ont été proposés, notamment dans le cadre américain[8] : (i) faire du statut de propriétaire véritable non-opposé le statut par défaut et du statut de propriétaire opposé un choix explicite ; (ii) imposer un frais supplémentaire aux propriétaires véritables opposés de manière à couvrir les coûts supplémentaires des communications.

Les lectures faites sur le sujet m’ont par ailleurs rappelé une étude consultée récemment et portant sur l’impact de l’introduction de mécanisme de votes confidentiels/secret[9]. Bien que le sujet soit somme toute différent, cette étude venait elle aussi s’intéresser à l’anonymat des investisseurs. Cette étude évaluait l’hypothèse selon laquelle la possibilité pour les actionnaires de voter de manière confidentielle, en procédant par vote secret, modifierait leur façon de voter, notamment en fonction de l’origine des propositions. En effet, il serait ainsi plus aisé de voter à l’encontre des propositions des gestionnaires ou de se laisser influencer par des intérêts autres que ceux de la société en question. Or, l’étude tend à démontrer que la présence d’une telle structure de vote n’aurait pas d’influence sur le résultat des votes sur les propositions d’actionnaires, ni ne diminuerait l’appui aux propositions provenant des gestionnaires.

Catherine Ménard

Professionnelle de recherche

Faculté de droit, Université Laval.


[1] CSA-ACVM (2013). Document de consultation 54-401 des ACVM, « Examen de l’infrastructure du vote par procuration », p.15, disponible en ligne au https://www.lautorite.qc.ca/files/pdf/consultations/valeurs-mobilieres/54-401/ACVM-54-401-Examen-infrastructure-vote-procuration.pdf.

[2] CSA-ACVM (2013). Document de consultation 54-401 des ACVM, « Examen de l’infrastructure du vote par procuration », p.14, disponible en ligne au https://www.lautorite.qc.ca/files/pdf/consultations/valeurs-mobilieres/54-401/ACVM-54-401-Examen-infrastructure-vote-procuration.pdf :

Aux États-Unis, l’émetteur ne peut envoyer de documents relatifs à une assemblée (à l’exception des rapports annuels) à un propriétaire véritable non opposé ni solliciter d’instructions de vote directement auprès de celui-ci, alors qu’il peut le faire au Canada ; Aux États-Unis, l’émetteur doit envoyer les documents relatifs à une assemblée par l’entremise d’intermédiaires à l’ensemble des propriétaires véritables, qu’ils soient opposés ou non, et rémunérer les intermédiaires en conséquence alors qu’au Canada il peut choisir de ne pas payer les frais qu’exigent les intermédiaires pour l’envoi des documents relatifs à l’assemblée aux propriétaires véritables opposés.

[3] À ce sujet, voir les études réalisées par l’ACVM entre 2013 et 2016 sur l’infrastructure du vote par procuration, notamment au https://www.lautorite.qc.ca/files/pdf/consultations/valeurs-mobilieres/54-401/ACVM-54-401-Examen-infrastructure-vote-procuration.pdf

[4] Report and Recommendations of the Proxy Working Group to the New York Stock Exchange 11 (2006), disponible en ligne au http://www.nyse.com/pdfs/PWG_REPORT.pdf (PWG Report), aux pp. 3-4.

[5] Ces chiffres sont toutefois à prendre avec précaution dans le contexte canadien, considérant les différences énumérées précédemment quant aux conséquences de chacun des statuts.

[6] Report and Recommendations of the Proxy Working Group to the New York Stock Exchange 11 (2006), disponible en ligne au http://www.nyse.com/pdfs/PWG_REPORT.pdf (PWG Report), à la p.10.

[7] Sur une analyse de la fiabilité du système actuel, voir notamment : R. Franklin Balotti et al., Meetings of Stockholders (3d. ed. 1996 & Supp. 2002) at § 13.15.4; Marcel Kahan & Edward Rock, The Hanging Chads of Corporate Governance, 96 Geo.L.J. 1227, 1237 (2008), at 1254.

[8] BELLER, Alan L., J. L. FISHER (2010). The OBO/NOBO Distinction in Beneficial Ownership : Implications for Shareowner Communications and Voting, Council of Institutional Investors, p.18.

[9] Une étude très intéressante, abordant de nombreuses questions : ROMANO, Roberta (2002). Does confidential proxy voting matter, NBER Working Paper Series, No 9126, disponible en ligne au <http://www.nber.org/papers/w9126>

engagement et activisme actionnarial Gouvernance objectifs de l'entreprise

Retour sur l’expérience de Ackman au CP

Yvan Allaire et François Dauphin publient un article dans Le Devoir : « L’activisme actionnarial est-il un sport payant? ». Les auteurs reviennent sur l’intervention de l’activiste Bill Ackman au Canadian Pacific. Qu’en déduisent-ils ?

  1. Aucune entreprise n’est à l’abri de l’assaut d’un activiste. Peu importe la taille de l’entreprise ou la composition du conseil, toute société est une cible potentielle. D’ailleurs, la réglementation canadienne est très favorable aux actionnaires activistes.
  2. Pour éviter d’apparaître sur le radar de ces activistes, les conseils d’administration et la direction des grandes sociétés peuvent être tentés de tout mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs trimestriels, les « attentes » des analystes de façon à ce que la valeur de l’action croisse sans cesse ou, à tout le moins, ne chute pas. Bref, la menace de l’activisme actionnarial, que le passage d’Ackman au CP aura rendue bien réelle, pourrait bien avoir comme conséquence d’ajouter aux autres sources de pression exercées sur la direction pour l’inciter à prendre des décisions qui auront un effet positif à court terme.

 

Voici l’introduction de leur article :

 

La saga Bill Ackman au Canadien Pacifique (CP) est terminée. Le milliardaire américain à la tête du fonds de couverture activiste Pershing Square a liquidé ce qui restait de ses actions dans le CP après un passage pour le moins remarqué au sein du chemin de fer canadien. Un « succès » qui laissera peut-être un goût amer aux administrateurs et dirigeants des sociétés canadiennes inscrites en bourse.

Selon différentes sources, les gains réalisés par son placement dans le CP atteindraient 2,6 milliards de dollars américains pour Pershing Square. Au total, c’est entre 6 000 et 7 000 emplois qui auront été supprimés au CP pour réaliser ce beau profit.

 

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Ivan Tchotourian

engagement et activisme actionnarial mission et composition du conseil d'administration Normes d'encadrement rémunération

Rémunération : la grogne continue

Sous la plume de Gérard Bérubé, Le Devoir offre une belle photographie du débat que soulève en Grande-Bretagne la rémunération des hauts-dirigeants : « Vers un vote britannique contraignant sur la rémunération des grands patrons ». Les choses vont-elles changer ? Rien n’est moins sûr…

 

La progression de la rémunération des hauts dirigeants s’est accélérée au Royaume-Uni en 2015. Le gouvernement britannique pourrait récupérer la balle au bond pour modifier le paysage du « say on pay », avec l’imposition d’un vote contraignant pouvant servir de référence dans l’univers boursier.

L’agence Reuters indiquait lundi que la rémunération moyenne des hauts dirigeants britanniques avait augmenté de plus de 10 % en 2015, à 5,5 millions de livres. Selon l’étude du High Pay Centre, elle a atteint 5,48 millions de livres (9,4 millions $CAN) en 2015, contre 4,96 millions l’année précédente, pour les patrons des entreprises composant le FTSE 100, indice de référence de la Bourse de Londres. Ces émoluments équivalent à 140 fois le salaire moyen de leurs employés, ajoute l’étude, qui parle d’un bond de 33 % de la rémunération de ces grands patrons depuis 2010.

Reuters rappelle que la nouvelle première ministre britannique, Theresa May, s’est élevée contre le phénomène pour critiquer publiquement ces écarts croissants de salaires qui s’éloignent des intérêts à long terme des entreprises. « Avant de prendre la tête du gouvernement en juillet, Theresa May a proposé de rendre contraignant le vote des actionnaires sur la rémunération des dirigeants [qui est purement consultatif et sans effet direct]. Elle a aussi prôné davantage de transparence dans la définition des objectifs qui déclenchent le versement de primes et souhaité rendre public dans chacune de ces grandes entreprises le ratio entre le salaire du patron et celui du salarié moyen », peut-on lire.

 

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Ivan Tchotourian

devoirs des administrateurs engagement et activisme actionnarial Gouvernance mission et composition du conseil d'administration

Contestation de Hecla : position des organismes de réglementation

Bonjour à toutes et à tous, merci au cabinet Osler de cette intéressante nouvelle portant sur les placements privés et leur rôle tactique comme moyen de défense dans le cadre du nouveau régime canadien d’offres publiques d’achat (« Les organismes de réglementation des valeurs mobilières rejettent la contestation de Hecla à l’encontre du placement privé de Dolly Varden »).

 

Dans une décision très attendue qui suit l’entrée en vigueur d’un nouveau régime canadien d’offres publiques d’achat plus tôt cette année, les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières ont refusé de prononcer une interdiction d’opérations sur valeurs à l’encontre d’un placement privé d’actions par une société cible mis en œuvre à la suite de l’annonce d’une offre publique d’achat non sollicitée. Comme le sujet des tactiques de défense n’avait pas encore été abordé dans le nouveau régime d’offres publiques d’achat, cette décision (et, plus important encore, les motifs détaillés qui suivront) revêt un très grand intérêt pour les participants au marché qui lorgnent le paysage canadien des offres publiques d’achat.

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Ivan Tchotourian

autres publications engagement et activisme actionnarial Nouvelles diverses

Exit, Voice and Loyalty from the Perspective of Hedge Funds Activism in Corporate Governance

Bonjour à toutes et à tous, en voilà un bel article ! « Exit, Voice and Loyalty from the Perspective of Hedge Funds Activism in Corporate Governance » d’Alessio Pacces (Law Working Paper No. 320/2016) revient sur les thématiques de l’activisme des hedge funds, du court-termisme et des multiples classes d’actions.

 

This article discusses the policy response to hedge funds activism in corporate governance based on Hirschman’s classic: Exit, Voice and Loyalty. From that perspective, the article argues that hedge funds do not create the loyalty concerns underlying the usual short-termism critique of hedge funds activism, because the arbiters of such activism are typically indexed funds, which cannot choose short-term exit. Nevertheless, the voice activated by hedge funds can be excessive for a particular company.

Furthermore, this article claims that the short-termism debate cannot shed light on the desirability of hedge funds activism. Neither theory nor empirical evidence can tell whether hedge funds activism systematically leads to short-termism or whether its absence lead management to the opposite bias, namely long-termism. The real issue with activism is a conflict of entrepreneurship, namely a conflict between the opposing views of the activists and the incumbent management regarding in how long an individual company should be profitable. Leaving the choice between these views to institutional investors is not efficient for every company at every point in time.

Consequently, this article argues that regulation should enable individual companies to choose whether to encourage or to curb hedge funds activism depending on the efficient time-horizon given the firm’s lifecycle. The recent European experience reveals that loyalty shares enable such choice, even in the midstream, operating as dual-class shares in disguise. However, loyalty shares can often be introduced without institutional investors’ consent. This outcome could be improved by allowing dual-class recapitalizations, instead of loyalty shares, but only with a majority of minority vote. This solution would screen for the companies for which temporarily curbing activism is efficient, and induce these companies to negotiate sunset clauses with institutional investors.

 

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Ivan Tchotourian

engagement et activisme actionnarial normes de droit objectifs de l'entreprise

Actionnaires-investisseurs et dirigeants : des tensions (exemple du droit)

« La tension entre fonds et dirigeants devrait persister » (Les Échos.fr, 12 juillet 2016)… voilèa un article illustrant l’activisme croissant de certains actionnaires et ses conséquences négatives (quoique…).

 

La Cour de cassation a donné raison à Eurazeo qui avait licencié pour faute lourde, donc sans droit à indemnités de rupture, Philippe Guillemot, ancien patron d’Europcar… Depuis la crise financière de 2008, les fonds se posent en investisseurs « actifs ».

Les conflits entre les fonds d’investissement actionnaires des entreprises et leurs dirigeants sont courants dans les LBO (rachats d’entreprise par la dette) et, depuis la crise financière de 2008, les premiers n’hésitent plus à évincer les seconds quand les résultats ne sont pas au rendez-vous.

 

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Ivan Tchotourian

engagement et activisme actionnarial mission et composition du conseil d'administration rémunération

Renault plie mais ne casse pas !

Bonjour à toutes et à tous, selon le quotidien Le Monde.fr, Renault va réduire de 20 % la part variable du salaire de Carlos Ghosn (ici). Petite précision : la part variable est réduite… mais la rémunération ne baisse pas !

 

Le groupe automobile français Renault a annoncé, mercredi 27 juillet, que la part variable du salaire de son PDG allait être réduite de 20 % au titre de l’année 2016, trois mois après un vote négatif des actionnaires sur la rémunération de Carlos Ghosn. Ce vote avait conduit le gouvernement à légiférer.

Remerciant les actionnaires de « leur apport constructif », le conseil d’administration de Renault a décidé que la part variable de la rémunération du PDG, conditionnée à la performance de l’entreprise, serait ramenée « de 150 % à 120 % du salaire fixe », qui en revanche ne baisse pas

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Ivan Tchotourian