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L’intérêt social dans la loi PACTE, vers un nouveau rapport de force entre associés et sociétés ?

Abstract. La réécriture de l’article 1833 du Code Civil par la promulgation de la loi PACTE ancre pour la première fois dans le marbre législatif la notion d’intérêt social jusqu’alors jurisprudentielle. L’intérêt social est maintenant conçu comme l’intérêt de la structure sociétaire propre et celui-ci amènera à une gestion des sociétés en adéquation avec les enjeux environnementaux et sociaux de leur activité. Si l’étude d’impact du projet de loi faisait état de conséquences juridiques nulles pour cette modification, il est légitime de concevoir qu’une violation de l’article 1833 du Code civil dans son alinéa second pourra être considérée par les prétoires comme la violation d’une norme de conduite légale, justifiant une action en responsabilité pour faute au visa de l’article 1240 du même Code. En quelque sorte, la liberté entrepreneuriale des associés de structures sociétaires pourra peut-être s’estomper devant la nécessaire prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux qui participent du mieux-être commun et d’une certaine manière, de l’intérêt général.

Parcours législatif. Les mesures composant le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises ont été adoptées en lecture définitive par l’Assemblée Nationale le 11 avril 2019 à la suite d’une procédure accélérée lancée par le Gouvernement le 25 septembre 2018. La loi PACTE a ensuite été validée par le Conseil Constitutionnel dans une décision du 16 mai 2019[1]. Le Conseil des Sages n’a censuré que 15 articles sur les 271 qui lui étaient soumis. C’est l’article 169 de ladite loi[2] qui retiendra notre attention au sein de cette étude puisque dans la section 2 intitulée repenser la place des entreprises dans la société, la loi modifie notamment les articles 1833 et 1835 du Code Civil, restés inchangés depuis 1978[3]. Le nouvel article 1833 du Code Civil sera rédigé en ces termes :

« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

Disposition d’ordre public. D’emblée, se pose la question de l’impérativité de cette nouvelle norme. Est-elle une disposition d’ordre public ou constitue-t-elle une règle supplétive de volonté qui pourrait être écartée par une stipulation contraire au sein des statuts d’une société ? L’article 1844-10 du Code civil indiquait déjà en son deuxième alinéa que toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du Titre IX serait réputée non écrite lorsque ladite violation ne serait pas sanctionnée par la nullité. Or, le premier alinéa de cet article sanctionne par la nullité de la société elle-même la violation de l’article 1833. Cependant, afin de ne pas permettre la nullité d’une société sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 1833 nouveau du Code Civil, l’article 1844-10 nouveau prévoit qu’exception sera faite des dispositions violant le dernier alinéa de l’article 1833[4]. Dès lors, les délibérations et actes pris par la société en contrariété avec le nouvel article 1833 alinéa 2 ne feront pas encourir la nullité de la société. En revanche, de tels actes pourront éventuellement faire l’objet d’une action en responsabilité pour faute contre les dirigeants ou associés d’une société.  

Intérêt social et libre entreprise. La liberté entrepreneuriale, garantie par la Constitution depuis la fameuse décision relative à la loi de nationalisation de 1982[5], devient semble-t-il limitée par un impératif que la loi PACTE considère comme lui étant supérieur, à savoir l’intérêt social de la société, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Bien que les députés et sénateurs ayant saisi le Conseil Constitutionnel n’aient pas juger bon de l’interpeler sur cette question, le nouvel article 1833 du Code Civil, amène à repenser le rôle des associés et de la personne morale elle-même. Alors que ce qui permettait à la société d’avoir une existence juridique, indépendamment des formalités d’immatriculation justifiant la création de la personne morale, n’était finalement que l’intérêt commun des associés selon la loi, voilà qu’aujourd’hui le Code Civil impose à ces associés de voir leur intérêt commun s’estomper devant celui de la société même. La loi impose en effet à la société de concevoir son intérêt social en adéquation avec les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. La structure sociétaire devient alors en droit français une personne morale dont l’existence et la survie ne sont pas seulement conditionnées à la liberté d’entreprendre des associés mais aussi à la condition que cette volonté des associés de collaborer ensemble dans le cadre d’un marché, respecte les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. Cependant, les conséquences juridiques de cette loi nouvelle ne font pas l’unanimité. En effet, l’on sait que l’intérêt social était déjà une notion sur laquelle s’appuyaient nombre de décisions pour venir annuler un acte contraire aux intérêts de la société personne morale. L’étude d’impact de la loi indique même que les conséquences juridiques du second alinéa de l’article 1833 seront nulles dans la mesure où il sera demandé aux organes de direction de seulement prendre en considération les enjeux environnementaux et sociaux de l’activité sociétaire sans que cette disposition ne revête un caractère contraignant. Est-ce à dire que la formule usitée par le législateur n’aura qu’une forme incantatoire ? Seuls les prétoires le diront lorsque ceux-ci seront saisis de futurs litiges fondés sur une violation présumée de cette nouvelle disposition.

Problématique. Si l’on postule que la réécriture de l’article 1833 du Code civil ancre dans le marbre de la loi une vision nouvelle de la notion d’intérêt social, se pose alors inéluctablement la question de savoir, à la lumière du second alinéa de cet article, de la société ou des associés, qui oblige qui ? Pour répondre à cette problématique, il sera nécessaire de comprendre que jadis l’intérêt social protégeait les intérêts des associés et des créanciers (I) alors qu’il semble vouloir aujourd’hui protéger par l’entremise du nouvel alinéa de l’article 1833, la société humaine dans son ensemble (II).


I. L’intérêt social protégeant les intérêts des associés et des créanciers

Définition intérêt social. Une définition de l’intérêt social peut être tirée du rapport Viennot :  « l’intérêt social peut ainsi se définir comme l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de celles de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt commun, qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise.[6] » Pour certains, l’intérêt social représente la communauté d’intérêt des associés, pour d’autres, l’intérêt social se situe à mi-chemin entre l’intérêt des associés et de l’entreprise. La réécriture de l’article 1833 du Code Civil innove en ce sens qu’elle semble apporter une raison d’être commune à toutes les sociétés, celle de participer du mieux-être commun en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux dans tous les actes qui les engagent. C’est en effet ce qu’indiquait en substance le rapport Notat-Sénard[7] remis le 9 mars 2018 : chaque entreprise a donc une raison d’être non réductible au profit. C’est d’ailleurs souvent lorsqu’elle la perd que les soucis financiers surviennent. A ce titre, la loi PACTE a également modifié l’article L.225-35 du Code de Commerce qui imposera aux conseils d’administration de déterminer les orientations de l’activité sociétaire en conformité avec son intérêt social le tout en considérant ses enjeux sociaux et environnementaux. La notion d’intérêt social peut être mieux appréhendée à la lumière d’une définition de l’entreprise. En effet, l’exercice des activités économiques crée une entité économique et sociale que l’on nomme entreprise. L’intérêt social représente alors en somme l’intérêt de la société personne morale propre dans le développement du projet entrepreneurial qu’elle initie. L’entreprise se définirait alors, selon l’Union européenne[8], comme toute entité, indépendamment de sa forme juridique, exerçant une activité économique. Dès lors, le nouvel article 1833 impose que le développement de cette entreprise par une structure sociétaire se réalise en conformité avec l’intérêt social de la société elle-même et indique en outre que les organes de direction de la société devront agir en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité développée. Autrement dit, toute société devra réaliser son objet social par la réalisation d’une activité économique que l’on nomme entreprise, en respectant l’intérêt social de la structure propre et en veillant à ce que l’activité développée respecte les enjeux sociaux et environnementaux de notre temps.

Actes contraires à l’intérêt social. Il est évident que la liberté d’entreprendre des associés a par le passé déjà été limitée par la loi en considération d’intérêts multiples. En effet, un associé ne peut pas confondre son patrimoine propre et celui de la société en demandant à son dirigeant de lui verser des dividendes fictifs sous peine de voir ce dernier condamné pénalement pour abus de bien sociaux au visa de l’article L.241-3 du Code de Commerce. Certains[9] estiment d’ailleurs que la création de ce délit en 1935[10] est en réalité la première apparition en creux de la notion d’intérêt social. Celle-ci, bien que non présente dans la loi ainsi formulée par le passé, a déjà servi de fondement aux prétoires pour faire condamner un dirigeant qui prélevait abusivement des biens de l’entreprise[11]. La décision des juges du quai de l’Horloge était assez explicite puisqu’elle indiquait que la loi (protégeait) le patrimoine de la société et les intérêts des tiers au même titre que les intérêts des associés. La sanction pénale du dirigeant qui réaliserait un acte contraire à l’intérêt social se comprend de tout acte portant atteinte au patrimoine social[12] mais aussi de tout acte qui ferait courir un risque anormal au patrimoine social[13].

Prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Dès lors, bien que l’article 1833 du Code Civil ne soit évidemment pas une disposition pénale, il ajoute aux interdictions de porter atteinte au patrimoine social celle de porter atteinte à l’intérêt social compris comme devant participer aux enjeux sociaux et environnementaux, en somme de l’intérêt général. En effet, la définition restrictive de l’intérêt social comprise comme équipollente à celle de la communauté d’intérêts des associés ou actionnaires est rendue désuète par l’entremise du nouvel alinéa de l’article 1833. Celui-ci fait porter une dimension environnementale et sociale à l’intérêt social que même une définition extensive prenant en compte l’intérêt de l’entreprise n’aurait pas osé aborder. Cette nouvelle rédaction de l’article 1833 du Code Civil n’est pas sans rappeler le sixième considérant de la charte de l’environnement qui dispose que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation. En effet, le Conseil Constitutionnel avait déjà interprété cette disposition le 8 avril 2011 en considérant que chacun était tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité[14]. Un auteur[15] s’était d’ailleurs récemment demandé quelle était la raison d’inscrire dans le marbre de la loi une incitation déjà entérinée par le Conseil des sages alors même que l’étude d’impact du gouvernement présentée au parlement prévoyait un impact juridique nul autour du nouvel alinéa de l’article 1833. Au-delà de la formule incantatoire ci-présentée, peut-être se dessine-t-il, à la lumière de la réécriture de ce texte, une nouvelle vision de l’intérêt social.

D’une vision économique. A notre connaissance, l’intégralité des décisions qui ont eu recours à l’intérêt social pour juger un acte illicite ont toujours été prises à ce jour en prenant appui sur une vision économique de l’intérêt social. En effet, lorsque les juges du droit indiquent que pour être valable, la sûreté apportée par une société, doit être conforme à son intérêt social[16], on comprend qu’une telle sûreté, lorsqu’elle constitue le seul actif de la société et que l’opération ne lui apporte aucune rémunération, constitue un risque anormal porté au patrimoine social, obérant alors la survie économique de ladite entité. De même dans une affaire célèbre[17] mettant en cause le groupe ELF au sein de circonvolutions politico-financières, bien que le mandat exclusif délivré par le président de la société nationale à une compagnie de courtage d’assurances ait permis au groupe de réaliser des économies substantielles, c’est encore sur le critère de l’intérêt économique que s’est matérialisé l’intérêt social du groupe ELF selon les juges du droit. Les rétrocommissions occultes versées dans le cadre de ce dossier constituaient un manque à gagner pour la société ELF, ce qui a pu justifier la qualification d’abus de bien social en jugeant une telle opération contraire à l’intérêt social de ladite société. Ainsi, comme l’écrivait Alain Courret, la finalité de la société à la lecture de l’article 1833 ancien du Code Civil était l’intérêt des pécuniaire associés exclusivement[18]. La prise en compte de l’intérêt social dans le nouvel article 1833 du Code Civil n’est pas non plus sans rappeler l’amendement 1555[19] du projet de Loi Macron sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques[20] qui prévoyait que Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés et que celle-ci doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental. Une telle évolution législative laisse à penser que la nouvelle formulation de l’article 1833 demeure une avancée symbolique dans la volonté générale de réformer le capitalisme et ses affres tel que l’imaginait déjà, en 2012, David Hurstel[21] en évoquant l’idée d’organiser la société commerciale à partir du projet d’entreprise plutôt qu’à partir du profit et souhaitant une modification de l’article 1833 du Code Civil pour y inclure l’idée de poursuivre un projet d’entreprise qui respecte l’intérêt général, financé au moyen du profit. Le risque évident dégagé par cette doctrine analysée par une interprétation stricte du nouvel article 1833 est évidemment de voir des organes de direction privilégier une action fondée sur des critères environnementaux et sociaux flous en contradiction avec la communauté d’intérêts des actionnaires sans que ceux-ci ne puissent agir. Si dans les sociétés commerciales cotées le Code AFEP MEDEF prévoyait déjà que les conseils d’administration devaient se conformer à l’intérêt social de l’entreprise en son article 5-1, pourra-t-on envisager une telle application de l’article 1833 du Code Civil aux sociétés civiles immobilières, aux sociétés civiles de gestion patrimoniale ou encore aux holdings non animatrices qui par essence ne disposent pas d’un véritable projet entrepreneurial ? Les associés de telles sociétés demeureront-ils encore maître de leurs projets ou auront-il à subir le poids de l’alinéa second de l’article 1833 nouveau dans leurs prises de décision ?


II.  L’intérêt social obligeant les associés pour protéger la Société humaine

A une vision sociétale. En somme, si le départ entre intérêt personnel des associés ou actionnaires et intérêt social de la société était marqué par l’intérêt économique de la structure sociétaire elle-même, aujourd’hui, l’intérêt social adopte une dimension sociétale et véritablement sociale par l’entremise du nouvel article 1833 du Code Civil. Comme énoncé précédemment, le critère économique n’étant plus le seul à prendre en compte, on peut considérer que les structures sociétaires, impulsées par la dynamique RSE de notre temps[22], se doivent dans leur activité, de se conformer à des principes se rapprochant de l’intérêt général. L’étude d’impact de la loi PACTE a indiqué qu’un dirigeant de société ne pouvait se fonder sur des enjeux sociaux et environnementaux pour prendre une décision contraire à l’intérêt social. On imagine bien par exemple qu’un changement de tous les véhicules d’une société pour des véhicules électriques qui obérerait la survie de l’entreprise pourrait être constitutif d’une faute de gestion parce qu’une telle décision, si elle amenait à la cessation de paiement, serait certes en accord avec les enjeux environnementaux de notre temps mais contraire à l’intérêt social de l’entreprise compris comme sa propre survivance. Une définition de l’acte anormal de gestion conçue comme celui par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt a d’ailleurs récemment été rappelée par le Conseil d’Etat[23]. L’étude d’impact indique alors que les enjeux environnementaux et sociaux doivent seulement être pris en considération par le chef d’entreprise sans plus de définition du véritable impact d’une telle norme sur les dirigeants. Au-delà de l’effet d’annonce de ce nouvel article 1833 du Code Civil, il semble que la part d’interprétation souveraine des juges du fonds sera extrêmement importante. En effet, l’étude d’impact n’envisage pas les cas où une décision du chef d’entreprise ou des associés serait en adéquation avec l’intérêt social et en contrariété avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. En effet, si une entreprise française décide d’exporter la manufacture de ses produits pour les vendre sur le territoire hexagonal, une telle décision peut être rentable sur le plan économique et même conditionner la survie de l’entreprise. Elle semble donc en adéquation avec son intérêt social. Pour autant, un tel dumping social amène inéluctablement une empreinte carbone supplémentaire de par la nécessité du transport de marchandises ce qui rend l’opération contraire aux enjeux environnementaux de notre temps. Les juges pourront-ils aller jusqu’à considérer qu’une telle décision en adéquation avec l’intérêt social de l’entreprise et qui ne prendrait pas en compte les enjeux environnementaux et sociaux de son activité est constitutive d’une faute tirée de la violation de l’article 1833 du Code Civil ? Cela semble peu probable mais la réflexion autour des actions possibles sur la base de ce nouvel article et en imaginant une interprétation stricte de la loi par les prétoires semble infinie. Une telle position serait certes drastique, voire interventionniste mais elle permettrait semble-t-il d’endiguer les comportements court-termistes de maximisation du profit en obligeant les entreprises à contribuer à la recherche d’une croissance raisonnée et génératrice de bien-être et de progrès[24]. En effet, il semble que se dégage en creux de l’analyse du libellé de l’article 1833 du Code Civil une volonté de faire participer les sociétés personne morale de l’intérêt général bien que cette notion n’ait pas de véritable consistance juridique déterminée.

Le droit solidaire des sociétés ? Si la création d’une société et sa gestion obéissaient  au concept d’autonomie de la volonté en permettant à des associés de collaborer ensemble en vue de la réalisation d’économies ou de bénéfices par l’entremise d’une structure sociétaire personnifiée moralement grâce à une prérogative déléguée par la loi sous forme d’un droit fondamental qu’est la liberté contractuelle, évidemment limitée dans sa substance par des impératifs catégoriques pour certains kantiens que l’on nomme ordre public, il semble qu’aujourd’hui, la vie sociétaire soit également impactée par le mouvement de solidarisme contractuel qui amène à prendre en considération d’autres éléments que le simple échange des consentements. Si, comme l’écrivait Duguit[25] et Bourgeois[26], l’homme est par nature un être social, débiteur de l’association humaine, il a envers ces membres d’une société préconstituée une dette de solidarité. En somme, cette créance de solidarité que la société humaine contracterait à l’encontre de ses membres se matérialise dans ce nouvel article 1833 du Code Civil comme l’obligation pour ceux-ci, lorsqu’ils s’associent sous forme sociétaire, de se conformer à un intérêt social prenant en considération les enjeux environnementaux et sociaux actuels. Autrement dit, les personnes morales, elles aussi, deviendraient en quelque sorte, débitrices d’une dette sociale et environnementale à l’endroit de cette société humaine préconstituée, obligeant alors à considérer que l’autonomie de la volonté de ses associés ou actionnaires devraient s’estomper devant le mouvement de solidarisme contractuel que l’on peut lire dans cette réécriture de l’article 1833 du Code Civil. Ce droit solidaire des sociétés amènerait à assigner aux structures sociétaires la satisfaction de l’intérêt général commun[27] en séparant nettement l’intérêt des associés de celui de la société personne-morale[28].

Possibles actions. Cet équilibrage forcé des relations économiques et sociales par l’effet de la loi, se traduira peut-être par la possibilité offerte aux associés d’une structure d’intenter une action en responsabilité contre des dirigeants ou associés majoritaires qui contreviendraient à l’intérêt social pris en considération de critères sociaux et environnementaux. Concrètement, peut-être que ce nouvel article 1833 du Code Civil permettra à des associés d’engager la responsabilité d’un dirigeant qui viendrait accorder un cautionnement, un bail, un marché à une société dont la déclaration de performance extra-financière insérée dans le rapport de gestion touchant les sociétés cotées depuis la loi sur la transition énergétique[29], ferait état d’un bilan carbone extrêmement néfaste pour l’environnement au visa de l’article L.225-102-1 du Code de commerce. Aussi, peut-être que cette nouvelle vision de l’intérêt social permettra d’empêcher certaines opérations de spéculation financières telles que des LBO qui conduisent parfois certaines entreprises à la liquidation judiciaire. En somme, peut-être que la réécriture de l’article 1833 du Code Civil amènera à terme, à une moralisation de la finance en empêchant les associés d’une structure de phagocyter une entreprise. Là encore, une telle interprétation stricte de la loi semble en contradiction avec l’étude d’impact qui indiquait que selon le gouvernement, le nouvel article 1833 aurait un impact juridique nul dans la mesure où, selon lui, le texte ne faisait que reprendre une notion déjà utilisé en jurisprudence, ce qui rendrait la codification à droit constant. Or, comme nous avons tenté de le démontrer, la notion jurisprudentielle d’intérêt social ayant été longuement discutée et ne faisant pas l’objet d’un consensus scientifique n’a, à notre connaissance, jamais intégré de dimension environnementale. Ainsi, face aux lacunes de définition et d’interprétation que soulève l’analyse de cette réécriture, il peut être imaginé que la violation de l’article 1833 par un dirigeant, une communauté d’associés ou un conseil d’administration, pourra être constitutive d’une faute qui permettrait d’engager la responsabilité des parties prenantes et partant peut-être de dissuader ceux-ci d’adopter certains actes et délibérations.


Conclusion

En conclusion, la réécriture de l’article 1833 du Code Civil fait entrer dans la loi la notion d’intérêt social de l’entreprise avec une définition extrêmement extensive voire interventionniste qui vise à faire peser sur les associés et dirigeants des sociétés une obligation de gestion de l’entreprise en adéquation avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. En effet, la violation de l’alinéa second de l’article susvisé laisse peser un risque d’engagement de responsabilité pour faute à l’égard des associés et dirigeants. L’autonomie de la volonté qui permettait aux associés de conduire la marche de leur entreprise en accord avec leur communauté d’intérêts semble laisser place à une forme de solidarisme contractuel qui impose aux dits associés de se conformer aux exigences tirées de l’intérêt social redéfini par la loi pour que la structure sociétaire participe du mieux-être commun. La personnification de la société n’est pas celle du groupement des associés[30] et le groupement des associés ne transcende pas l’intérêt social de la personne fictive créée par les seconds. Ainsi, pour répondre concrètement à la problématique initiale, si l’on a considéré que des associés ou de la société, les premiers étaient les maîtres de la seconde, la consécration de l’intérêt social propre des structures sociétaires amène à considérer que celles-ci soient d’une part reconnues par les associés comme disposant d’un intérêt propre et la dépendance financière des associés sur la société corrélée à l’exigence de conformité avec le nouvel intérêt social promu par l’alinéa 2 de l’article 1833 du Code civil permet de concevoir que l’esclave sociétaire devient en quelque sorte le nouveau maître des associés d’autre part. En effet, Aristote définissait l’esclave comme un « outil animé » : l’esclave étant alors une matière dont seul le maître est la forme[31]. Si l’esclave et le maître diffèrent par ce qu’Hegel appelait « chose », l’esclave travaillant la chose pour que le maître en jouisse, la métaphore de la Phénoménologie de l’esprit[32] appliquée à la relation associés-société permet de concevoir l’idée que l’ancien maître, l’associé, faisant travailler pour son profit ou son économie la société, l’esclave, devient à son tour l’esclave de l’esclave, la société devenant le véritable maître de l’économie ou du profit réalisé par l’associé car disposant d’un intérêt social qui oblige le premier. Si les personnes morales n’ont jamais déjeuner avec les associés qui l’ont constituée pour reprendre le trait d’esprit de Duguit ce à quoi lui répondait Soyer en indiquant qu’il les avait déjà vu payer l’addition, peut-être que si les personnes morales pouvaient s’exprimer à ce jour, elles reprendraient les mots de Dostoïevski : « Mais sache que les hommes sont convaincus maintenant, plus que jamais, qu’ils sont complètement libres. Et cependant ils nous ont apporté eux-mêmes leur liberté et l’ont humblement déposée à nos pieds[33]. »


[1] Cons. Const., 16 mai 2019, n° 2019-781

[2] LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, Journal Officiel n°0119 du 23 mai 2019

[3] Loi 78-9 1978-01-04 modifiant le titre IX du livre III du code civil, Journal officiel, 15 janvier 1978

[4] LIEHNARD, Alain, « Loi PACTE : consécration de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux », Dalloz Actualité [en ligne], avril 2019 [consulté le 20 mai 2019]

[5] Cons. Const. , 16 janvier 1982, n°81-132

[6] VIENNOT Marc, « Rapport Viennot sur le conseil d’administration des sociétés cotées », RIDC, 1996, pp. 647-655

[7] NOTAT Nicole, SENARD Jean-Dominique, « L’entreprise objet d’intérêt collectif » [Rapport en ligne], publié le 9 mars 2018 [consulté le 20 juin 2019], www.economie.gouv.fr

[8] Commission européenne, Recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) [notifiée sous le numéro C(2003) 1422], Journal officiel n° L 124 du 20/05/2003 p. 0036 – 0041, article premier, titre I, [en ligne], eur-lex.europa.eu

[9] SEGRESTIN Blanche « Intérêt social et objet social, ou comment renouveler une convention d’entreprise », in P. Batifoulier et al. (éds.), Dictionnaire des conventions. Autour des travaux d’Olivier Favereau, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, pp. 174‑178, disponible sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01288342 (Consulté le 12 juin 2019).

[10] Décret-loi du 8 août 1935 portant application aux gérants et administrateurs de sociétés de la législation de la faillite et de la banqueroute et instituant l’interdiction et la déchéance du droit de gérer et d’administrer une société, Journal officiel du 9 août 1935 page 8682

[11 Cass. crim, 8 mars 1967, n° 65-93.757, Publié au bulletin

[12] Cass. crim., 20 mai 2015, n° 13-87.388

[13] Cass. crim, 10 Avril 2002 – n° 01-84.192

[14] Cons. const, 8 avril 2011, n° 2011-116, QPC

[15] SCHMIDT Dominique, « La loi Pacte et l’intérêt social », D. 2019. 4 avril 2019, p.633

[16] Com. 8 nov. 2011, n° 10-24.438, D. 2012. 415, obs. A. Lienhard

[17] Crim. 31 janv. 2007, n°02-85.089 05-82.671, publié au bulletin

[18] COURET Alain, « Faut-il réécrire les articles 1832 et 1833 du code civil ? », D. 2017, 2 février 2017, p.222 

[19] Cet amendement a été rejeté lors de la séance du 13 févr. 2015 sur avis conforme du ministre de l’économie.

[20] LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, 2015-990, 6 août 2015, journal officiel n°0181 du 7 août 2015 page 13537

[21] GIRAUD Gaël, RENOUARD Céline, « Vingt propositions pour réformer le capitalisme », Paris, Flammarion, 23 mars 2009, p.376

[22] On pourrait notamment citer l’article 174 in limine de la loi PACTE : Au plus tard un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en place d’une structure de revue et d’évaluation des labels de responsabilité sociale des entreprises permettant de valoriser des produits, des comportements ou des stratégies. Cette structure associe, notamment, des experts et des membres du Parlement et propose des pistes de rationalisation et d’harmonisation des conditions de validité, de fiabilité et d’accessibilité de ces labels pour les petites sociétés.

[23] CE. plén. 21 décembre 2018, n° 402006

[24] SCHMIDT Dominique, La société et l’entreprise, D. 2017, p.2380

[25] DUGUIT Léon, « Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon », Félix Alcan, 1920, p. 18.

[26]BOURGEOIS Léon, « Solidarité », Paris, Armand Colin, 1896, p. 116.

[27] SCHMIDT Dominique, « La société et l’entreprise », D. 2017. p 2380

[28] PAILLUSSEAU Jean, « Entreprise et société. Quels rapports ? Quelle réforme ? »,  D. 2018, p.1395

[29] LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, 2015-992, Journal offciel n°0189 du 18 août 2015 page 14263

[30] V. PAILLUSSEAU Jean, « Le droit moderne de la personnalité morale », RTD civ. 1993, p.705 ; « Comment les activités économiques révolutionnent le droit et les théories juridiques », D. 2017, p. 1004

[31] BADIOU Alain, « Maîtres et esclaves chez Hegel », Sud/Nord, octobre 2017, n° 1, pp. 35‑47. Aristote parle plus précisément d’ « objet animé (κτῆμά τι ἔμψυχον), un instrument destiné à l’action (ὄργανον πρακτικόν), qui commande aux autres instruments, un bien appartenant en propriété exclusive à son maître. » Aristote, « La Politique » avec le texte intégral du livre III, chapitres I à XI, Rosny, France, Bréal, 2016.

[32] HEGEL, Phénoménologie de l’esprit, Paris, France, Librairie philosophique J. Vrin, 2018.

[33] DOSTOIEVSKI, Les frères Karamazov, 1879

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Raison d’être : les entreprises doivent la saisir

Pour celles et ceux qui se questionnent sur la raison d’être (introduite par la loi PACTE), je vous invite à lire cet article de Mathieu Menegaux publié dans Les Échos : « Les sept piliers de la raison d’être d’une entreprise » (20 septembre 2019).

Extrait :

Au-delà du seul slogan, les entreprises doivent engager une démarche structurante et mobilisatrice dont les fondamentaux sont les suivants.

Une approche participative : associer le corps social à la réflexion pour capturer l’essence de l’entreprise, et en faire un sujet partagé par tous les collaborateurs et non pas l’unique expression du leader.

Une grille de lecture stratégique : la raison d’être doit permettre de faire des choix. « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre » a conduit Danone à des restructurations stratégiques, l’abandon de la branche biscuits au profit de l’acquisition de Numico et de la montée en charge de la nutrition médicale.

Des engagements concrets : quand CVS aux Etats-Unis choisit « Helping people on their path to a better health », il devient le premier distributeur à cesser la vente de cigarettes, du jour au lendemain, et voit sa part de marché progresser. La perte de chiffre d’affaires a ainsi été compensée en moins d’un an.

Une modification de la gouvernance : sans changement de logique au sein du conseil d’administration, pas de changement de fond. La création d’un comité des parties prenantes est un début, qui associe les salariés, les fournisseurs, les ONG, l’écosystème, les territoires, les jeunes générations.

Une déclinaison dans les comportements : la raison d’être doit se refléter dans des principes, qui décrivent la façon dont l’entreprise conduit les affaires. Au premier écart de comportement d’un leader, c’est tout l’effort qui tombe à l’eau.

Un récit : Comme le dit Thirion Lannister dans « Game of Thrones » : « Il n’est rien au monde de plus puissant qu’une bonne histoire. Rien ne peut l’arrêter. Aucun ennemi ne peut l’abattre. » Le pouvoir des mots compte. La recherche de l’émotion doit inspirer la raison d’être, sans nuire à son authenticité. Un collaborateur inspiré est 2,25 fois plus productif qu’un collaborateur engagé.

Une aspiration : plus la raison d’être répond à des besoins humains ou sociétaux (par opposition à des attentes directes de marché ou de fonctionnalités), plus elle déclenchera la mise en mouvement de l’entreprise. La raison d’être n’est pas un objectif à atteindre. C’est une quête, une vocation, qui guide et inspire toutes les actions.

Une raison d’être donne le sens, la direction de l’entreprise. Elle fait sens, car elle s’incarne dans un récit propre à l’entreprise, que le collaborateur comprend et auquel il adhère. Et elle est accompagnée d’une série d’actions sensées. A défaut, la belle histoire sera vite cataloguée… en conte de fées.

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Commentaire critique sur la dernière position du Business Roundtable

Comme à son habitude, le professeur Michel Albouy livre une analyse fort intéressante. Cette fois, cette dernière porte sur le manifeste du Business Roundtable (association regroupant 181 dirigeants (CEO) de grandes entreprises américaines) publié le 20 août 2019 : « Les grands patrons américains veulent-ils vraiment mettre à égalité actionnaires et RSE ? » (Les Échos, 20 septembre 2019).

Extrait :

Position d’arbitre

Doit-on prendre pour argent comptant ces belles déclarations ? N’est-ce pas un nouveau «green washing» ? Beaucoup, et à commencer par les salariés de leurs entreprises, en doute. Certains spécialistes et chercheurs de gouvernance d’entreprise également. C’est notamment le cas du professeur Zingalès de l’université de Chicago qui pense que l’appel de ces dirigeants à redéfinir le rôle de l’entreprise n’est pas dénué d’arrières pensées

L’idée consistant à faire des dirigeants les arbitres des intérêts – éventuellement divergents – des différentes parties prenantes de l’entreprise revient à les exonérer de leurs obligations à l’égard de leurs mandants que sont les actionnaires. Ainsi, telle insuffisance de rentabilité et/ou de croissance pourra être expliquée par les enjeux sociétaux auxquels il faut répondre impérativement.

Il y aura toujours une bonne explication pour justifier des performances financières insuffisantes. En demandant aux dirigeants de rendre des comptes à tout le monde (actionnaires, créanciers, employés, fournisseurs, collectivités publiques, etc.) et de justifier leurs actions, on place ainsi les dirigeants en position d’arbitre entre des intérêts divergents et sans véritable contre-pouvoir, celui des actionnaires.

Pourtant ces derniers ne sont pas des parties prenantes comme les autres : elles sont les seules à ne pas avoir de relation contractuelle avec l’entreprise et ce sont des créanciers résiduels. A ce titre ils doivent avoir un œil sur l’ensemble des contrats que passe l’entreprise avec ses parties prenantes afin d’avoir en fin de compte des résultats satisfaisants. Cet œil est justement le conseil d’administration.

Les mains libres

En fait, rien n’empêche les entreprises de «délivrer de la valeur aux consommateurs», «investir dans leurs salariés», «négocier de manière juste et éthique avec leurs fournisseurs» ou encore «supporter les communautés dans lesquelles nous vivons». L’intérêt à long terme des actionnaires convergeant avec l’intérêt de l’entreprise, il convient avant tout, selon le professeur Zingales, d’éviter que les dirigeants profitent de la situation pour agir à leur guise sans le contre-pouvoir des actionnaires, générant ainsi d’importants coûts d’agence pour l’entreprise.

Contrairement à la vulgate véhiculée par les tenants d’une réforme de l’entreprise qui voudraient remiser les actionnaires au rang de simple partie prenante, l’intérêt à long terme des actionnaires passe par une prise en compte des attentes de leurs clients, mais également de leurs employés et de leurs fournisseurs. Car comment créer de la valeur pour les actionnaires sans de bons produits et clients satisfaits, sans salariés performants et motivés et sans fournisseurs fiables et de qualité ?

À la prochaine…

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Loi PACTE et droit des sociétés

Le quotidien Les Échos fait paraître un bel article portant sur la loi PACTE dans se version droit des sociétés intitulé : « Loi Pacte : les différences entre intérêt social, raison d’être et société à mission » (19 septembre 2019).

Résumé :

La loi Pacte entend repenser la place des entreprises dans la société. Cela passe par trois mesures « d’ouverture » : l’intérêt social élargi, la possibilité de doter la société d’une raison d’être ou de lui donner une mission. Découvrez les différences entre ces trois notions.

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Parité dans les organes de direction et Loi PACTE


Ces dernières années ont été riches en dispositions nouvelles visant à garantir l’égalité femme/homme au sein des entreprises françaises. En effet, alors que les données du Forum économique mondial plaçait la France 129ème sur 144 en termes d’égalité salariale[1], il était nécessaire qu’enfin l’article 3 du préambule de la Constitution de 1946, consacré par la Constitution de 1958, soit respecté. Il prévoit en ces termes que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Pour ce faire, la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel[2] (dite loi « Pénicaud 2 ») complétée par le décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019[3], est venue notamment imposer aux entreprises de plus de 1000 salariés de publier des indicateurs qui permettent de calculer l’index de l’égalité salariale femme/homme à compter du 1er mars 2019. Cette note devra être publiée à compter du 1er septembre pour les entreprises d’au moins 250 salariés et du 1er mars 2020 pour les entreprises d’au moins 50 salariés[4]. En cas de mauvais résultats consécutifs sur trois ans, une pénalité financière pourra être appliquée à l’entreprise dont les indicateurs visés à l’article L.1142-8 du Code du travail ne respecteraient pas les niveaux fixés par un décret à paraître. Celle-ci pourra être d’un montant équivalent à 1% des cotisations sociales versées par l’entreprise au visa de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime[5].

Au 1er janvier 2017, entrait en vigueur l’article L225-18-1 du Code de commerce, modifié par la Copé-Zimmerman[1] en son article 1er, qui prévoit que « La proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé et, à l’issue de la plus prochaine assemblée générale ayant à statuer sur des nominations, dans les sociétés qui, pour le troisième exercice consécutif, emploient un nombre moyen d’au moins deux cent cinquante salariés permanents et présentent un montant net de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros ». Après l’égalité salariale, il était question, par l’effet de la loi, de rétablir une parité dans la représentation des deux sexes au sein des conseils d’administration des sociétés cotées d’abord puis des grandes entreprises ensuite[2]. Si les effets de cette loi semblent concluants selon le selon le cabinet Ethics & Boards qui indiquait en 2018 que dans les sociétés du CAC 40 l’on comptait 42,7 % d’administratrices, le bât blessait encore quant à la parité homme/femme au sein des comités exécutifs et de direction où l’on comptait seulement 15.6% de femme[3].

Afin de limiter cet écart et ainsi de favoriser la présence de femmes au sein des instances dirigeantes des entreprises, l’article 188 de la loi PACTE[1], est venu modifier l’article L.225-53 du Code de commerce relatif au comité exécutif et qui prévoit à présent pour les SA monistes que le Conseil d’administration « détermine (…) un processus de sélection qui garantit jusqu’à son terme la présence d’au moins une personne de chaque sexe parmi les candidats. » L’on se doute qu’une société qui ne respecterait pas ledit processus paritaire pourrait voir la responsabilité de ses administrateurs engagés sur le fondement d’une faute civile tirée de la violation de cette disposition. Concernant les SA dualistes, une modification est apportée à l’article L.225-58 du Code de commerce[2] : « Le directoire exerce ses fonctions sous le contrôle d’un conseil de surveillance. Il détermine à cette fin un processus de sélection qui garantit jusqu’à son terme la présence d’au moins une personne de chaque sexe parmi les candidats. » Si ces processus d’égalité des chances sont à saluer, il semble que le législateur ait commis une approximation rédactionnelle qui se concilie mal avec l’article R.225-38 du Code de commerce. En effet, ce dernier prévoit que « Les personnes désignées pour être membres du conseil de surveillance sont habilitées, dès leur nomination, à désigner les membres du directoire ou le directeur général unique » alors que le nouvel article L.225-58 prévoit que le processus de sélection sera organisé par le directoire. Une telle incohérence sur le rôle de l’organisation du processus de désignation équitable devra être clarifiée rapidement car en l’état du droit positif, une SA bicéphale qui organiserait une sélection des candidats par l’intermédiaire du Conseil de Surveillance violerait l’article L.225-58 et celle qui l’organiserait par son directoire agirait en violation de l’article R.225-38 du Code de Commerce.

La mesure la plus importante en matière d’égalité homme/femme de la loi PACTE se situe sans doute dans son article 189 qui vient renforcer le dispositif établi par la loi Copé-Zimmerman au sein de l’article L.225-18-1 du Code de commerce. Si par le passé, le quota de 40% n’était pas respecté, alors la nomination des administrateurs en question était considérée comme nulle au contraire des délibérations auxquelles ils avaient participées. Aujourd’hui, toutes les délibérations du Conseil irrégulièrement formées seront nulles. A ce jour, le dispositif concerne les entreprises d’au moins 500 salariés permanents qui présentent un montant net de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros et s’étendra aux sociétés d’au moins 250 salariés permanents et qui présentent un montant net de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros au 1er janvier 2020. On comprend bien qu’une telle sanction de nullité de l’intégralité des délibérations du Conseil mal formé amèneront inéluctablement des nullités en cascade qui feront supporter aux tiers avec lesquels le Conseil aurait contracté, les conséquences d’une situation qui relève des rapports internes à la société. L’on imagine bien que les sociétés cotées rentreront rapidement dans le rang mais il serait dommage de fragiliser celles qui ne le sont pas et à qui le dispositif mentionné pourrait s’appliquer dès le début de l’année 2020.

A n’en point douter, les dispositifs présentés sont en faveur de l’égalité professionnelle sur la forme mais force est de constater que dans le fond, leur mise en pratique amènera sans doute une insécurité juridique qu’il faudra rapidement pallier au risque de voir une telle réforme engendrer des conséquences non souhaitées par le législateur.


[1] Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, 1er juin 2018, Rapport n° 1019, par C. Fabre, A. Taché, N. Élimas, t. 2, commentaires d’article, p. 442, sous art. 61.

[2] Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (dite loi « Pénicaud 2»), Journal officiel, n°0205, 6 septembre 2018

[3] Décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019 portant application des dispositions visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’entreprise et relatives à la lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail, Journal officiel, n°0007, 8 janvier 2019.

[4] Décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019 portant application des dispositions visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’entreprise et relatives à la lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail – Article 4, Journal officiel, n°0007, 8 janvier 2019.

[5] C. trav. Art. L.1142-10

[6] Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, Journal officiel, n°0023, 28 janvier 2011

[7] C. com., art. L. 225-18-1, al. 1er ; V. pour la SA à directoire, art. L. 225-69-1, al. 1er, et, pour la société en commandite par actions, art. L. 226-4-1, al. 1er.

[8] A.-M. Rocco, La mesure annuelle de la féminisation du Top 100 des grandes entreprises va devenir obligatoire, Challenges, 23 juill. 2018 in FRANÇOIS Bénédicte, « Indemnisation des instances dirigeantes : vers une représentation plus équilibrée ? ; Note sous Loi numéro 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, Journal officiel numéro 0205 du 6 septembre 2018 », Revue des sociétés, 10, octobre 2018, p. 612‑614.

[9] LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, Journal Officiel n°0119 du 23 mai 2019

[10] « Loi Pacte : Un meilleur équilibre hommes-femmes au sein des organes de gestion des SA », La Quotidienne [en ligne] mai 2019, [consulté le 21 août 2019] , www.efl.fr

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SEC et agences de conseil en vote : ça bouge !

Intéressante information de The Advisor-s Edge concernant les agences de conseil en vote : « Updated: SEC addresses proxy voting concerns » (21 août 2019).

Extrait :

The U.S. Securities and Exchange Commission (SEC) set out its views on investment advisors fulfilling their proxy voting responsibilities. The guidance states that proxy voting advice constitutes a “solicitation” under federal rules and provides instructions on applying anti-fraud rules to proxy voting advice.

“Advisers who vote proxies must do so in a manner consistent with their fiduciary obligations and, to the extent they rely on voting advice from proxy advisory firms they must take reasonable steps to ensure the use of that advice is consistent with their fiduciary duties,” said SEC commissioner Elad Roisman, who led development of the new guidance.

“In addition, proxy advisory firms, to the extent they engage in solicitations, must comply with applicable law,” he noted.

Pour accéder au texte de la SEC : « Commission Guidance Regarding Proxy Voting Responsibilities of Investment Advisers » (17 CFR Parts 271 and 276)

Résumé :

The Securities and Exchange Commission (the “SEC” or the “Commission”) is publishing guidance regarding the proxy voting responsibilities of investment advisers under Rule 206(4)-6 under the Investment Advisers Act of 1940 (the “Advisers Act”), and Form N-1A, Form N-2, Form N-3, and Form N-CSR under the Investment Company Act of 1940 (the “Investment Company Act”).

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Une « raison d’être » pour les entreprises publiques

Bonjour à toutes et à tous, article de Les Échos.fr qui vous intéressera : « Le Maire pousse les entreprises publiques à se doter d’une « raison d’être » » (Les Échos.fr, 13 septembre 2019).

Extrait :

Les entreprises dont l’Etat est actionnaire vont devoir se trouver une raison d’être. Il ne s’agit pas d’une raison d’exister à proprement parler mais plus prosaïquement de définir un objet social. Le Code civil et le Code de commerce ont en effet été changés par la loi Pacte, promulguée au printemps dernier, afin de permettre aux entreprises qui le veulent de définir quelle est leur responsabilité dans la société, au-delà de la recherche de bénéfices.

C’est Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, qui l’a annoncé jeudi à Bercy. « Je demande à Martin Vial [le directeur de l’Agence des participations de l’Etat, NDLR] que toutes les entreprises dont l’Etat est actionnaire se dotent d’une raison d’être en 2020 », a-t-il déclaré. L’APE gère aujourd’hui les participations de l’Etat dans 88 entreprises. Bruno Le Maire souhaite aussi que « la Banque publique d’investissement (BPI) entame la même démarche en 2020 auprès des entreprises dans lesquelles elle investit », ce qui concerne environ 90 entreprises.

À la prochaine…