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Attaques spéculatives : un autre exemple

Bonjour à toutes et à tous, les attaques spéculatives reviennent dans la manchette depuis peu. Le groupe français Casino illustre nos propos : « Des « attaques spéculatives » font chuter en Bourse l’action de Casino » (Les Échos.fr, 5 septembre 2018).

 

Extrait :

En matière d’agitation boursière, le groupe Casino a été au cœur de l’actualité ces derniers jours. Vendredi 31 août, son action a chuté de plus de 10 % en Bourse à la suite de la publication sur Twitter d’un message du fonds spéculatif Muddy Waters affirmant que le groupe n’avait pas déposé les comptes 2017 de l’une de ses filiales. Depuis, l’agence S&P a abaissé sa note, et le titre n’a toujours pas retrouvé son niveau initial.

Un porte-parole de Casino avait alors déclaré qu’il s’agissait d’un « simple retard technique » et que ces comptes, « déjà intégrés » dans les comptes consolidés du groupe, seraient « déposés » dès le lendemain, soit le samedi 1er septembre. Ce qui a bien été fait.

En difficulté face à la gestion de son volume de dette, le groupe Casino est en effet devenu l’une des cibles favorites de tradeurs spécialisés dans la vente à découvert, une pratique boursière très risquée, qui consiste à parier sur la baisse d’une action, là ou d’habitude les investisseurs tablent généralement sur la réussite d’une entreprise — et donc sur la hausse de son cours en Bourse. De source proche de l’entreprise, citée par l’Agence France-Presse, l’action Casino est la plus vendue à découvert sur le marché de Paris

 

Pour rappel, Naomi Koffi et moi avons publié un ouvrage aux éditions Yvon Blais l’année dernière revenant sur cette problématique et les questionnements juridiques qu’elle soulève : « Gouvernance d’entreprise et fonds d’investissement (hedge funds) : Réflexions juridiques sur un activisme d’un nouveau genre ».

 

À la prochaine…

Ivan

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Nos étudiants publient : « L’inscription statutaire de la RSE : quelle utilité ? » Retour sur un texte de Laure Nurit-Pontier (Billet de Valentin Schabelman et Loïc Geelhand De Merxem Ecuyer)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par MM. Loïc Geelhand De Merxem Ecuyer et Valentin Schabelman. Ces dernières font une lecture critique de l’article de la professeure Laure Nurit-Pontier intitulé « L’inscription statutaire, vecteur juridique de RSE ? » (Revue des Sociétés, 2013, à la p. 323). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

« L’économie positive vise à réorienter le capitalisme vers la prise en compte des enjeux du long terme »[1] (1). Cette phrase du rapport Attali illustre la prise en compte grandissante de la responsabilité sociale des entreprises (« RSE ») et pose la question de la pertinence d’intégrer ces enjeux contemporains dans les objectifs de la société.

L’article de la professeure Laure Nurit-Pontier se penche sur l’inscription de la RSE dans les statuts de la société en posant la question de l’utilité d’une telle mesure.

 

Lefficacité mitigée de l’inscription statutaire

L’objet et l’intérêt social, contenus dans les statuts, semblent être une option séduisante pour donner une force particulière à la RSE. Une telle mesure donne plus de liberté au dirigeant. En effet, la gestion de l’entreprise intègrerait de nouveaux objectifs environnementaux et sociaux, en plus du seul objectif économique[2].

Cependant, la RSE passe par de multiples canaux. Le régime de responsabilité permet d’ores et déjà de prendre en compte le non-respect, par la société, d’engagements statutaires. Avant toute action judiciaire, un consommateur ou tout autre tiers peut même « sanctionner » une entreprise par le boycott[3] ou le refus de contracter avec elle par exemple. Des moyens judiciaires existent aussi qui prennent la forme de régimes de responsabilités ouverts à divers acteurs. En effet, les tiers peuvent agir judiciairement[4] pour sanctionner les comportements des entreprises s’ils subissent un préjudice : par un recours contre une pratique commerciale trompeuse, un recours pour une faute de gestion ou un manquement contractuel… Autant de possibilités qui permettent déjà de sanctionner une entreprise, notamment lorsque celle-ci va à l’encontre de valeurs environnementales ou sociales.

L’inscription statutaire de la RSE fournit-elle une protection supplémentaire ? Pas sûr… La RSE passe-t-elle alors par d’autres canaux ?

 

Les engagements volontaires comme outil alternatif

Les outils alternatifs de promotion de la RSE sont nombreux : lignes directrices, principes, labels, chartes, codes d’éthique, recommandations, déclarations… Ces mesures permettent une implantation de la RSE dans le paysage juridique.

Cependant, en ce qui concerne le droit dit « mou » (soft law), un engagement pris unilatéralement par une entreprise peut-il réellement avoir un effet contraignant ? L’absence de sanction peut laisser penser que ces engagements ne soient pas toujours respectés. Ces politiques ne seraient alors que marketing et greenwashing.

Cet argument traditionnel opposé à la densité normative et à la multiplication des normes doit être atténué pour plusieurs raisons. La plupart de ces engagements découlent en réalité de dispositions légales existantes. Ainsi, la société, en adoptant un code, démontre qu’elle fait preuve de diligence en adoptant certains comportements. Au-delà des codes et des engagements volontaires, les entreprises restent dépendantes de leurs images. En effet, le « comportement des investisseurs et des parties prenantes crée une véritable pression sur les sociétés »[5], en raison d’une plus grande sensibilité du public à la RSE. L’autorégulation joue donc pleinement son rôle. Il permet souplesse et flexibilité, à condition qu’une forme de contrainte s’exerce. Le droit dur peut alors aboutir à un rôle catalyseur et impératif de la RSE dans la sphère économique, choix que certains pays ont adopté[6] (6). Mais une refondation plus profonde du droit des sociétés n’est-elle pas également envisageable ?

 

La révolution de l’entreprise capitaliste : un nouveau modèle d’affaires ?

Face au manque d’impact de l’inscription statutaire et à la trop grande souplesse d’un engagement volontaire, ne faut-il tout simplement pas renverser la table ?

Pour certains auteurs[7], le modèle d’affaires doit être repensé dans son intégralité en intégrant dans ses objectifs des notions de RSE. L’entreprise sociale constitue une alternative à l’entreprise capitaliste dans le développement de l’économie sociale, en facilitant le « développement de la RSE en tant que responsabilité effective »[8]. L’objectif premier de ces entreprises n’est donc pas la maximisation des profits, mais la « satisfaction de certains objectifs économiques et sociaux ». Il en va ainsi d’autant plus que le marché ne laisse que peu de place à ces entreprises sociales, le droit doit jouer son rôle en les protégeant face aux entreprises traditionnelles. Cela implique alors une « juridicisation de l’écosystème » [9]. Une entreprise sociale doit pouvoir s’épanouir sur le marché, sa dimension sociale doit être un atout, elle doit pouvoir concurrencer une entreprise capitaliste, accéder aux mêmes sources de financements[10]… Ainsi, l’inscription statutaire retrouverait un intérêt majeur. Mais celle-ci doit être accompagnée d’un cadre juridique global et plus clair afin d’exploiter au maximum tout le potentiel de l’intégration de ces valeurs. Toutefois, en supposant que le droit remplisse effectivement ce rôle protecteur, des interrogations subsistent quant à l’appréhension du juge de cette nouvelle notion.

 

Loïc Geelhand De Merxem Ecuyer et Valentin Schabelman

Étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Rapport Jacques Attali, Pour une économie positive, Synthèse, La Documentation française, 2013, à la p. 15.

[2] Laure Nurit-Pontier, « L’inscription statutaire, vecteur juridique de RSE ? », (2013) 6 Revue des Sociétés 323.

[3] Laure Nurit-Pontier, « L’inscription statutaire, vecteur juridique de RSE ? », (2013) 6 Revue des Sociétés 323.

[4] Laure Nurit-Pontier, « L’inscription statutaire, vecteur juridique de RSE ? », (2013) 6 Revue des Sociétés 323.

[5] Julie Biron et Géraldine Goffaux Callebaut, « La juridicité des engagements socialement responsables des sociétés : regards croisés Québec-France », (2016) 57-3 Les cahiers de droit 457.

[6] Yvonne Muller, « RSE et intérêt social », dans Kathia Martin-Chenut et René de Quenaudon (dir.), La RSE saisie par le droit : perspectives interne et internationale, Paris, A. Pedone, 2016, p. 223.

[7] Luc Brès, Conférence dans le cadre du cours « Gouvernance de l’Entreprise » Les modèles d’affaire responsables – Enjeux et perspectives de recherche, octobre 2017.

[8] Frédérique Berrod, Fleur Laronze et Émilie Schwaller, « L’entreprise sociale comme modèle d’entreprise RSE », dans Kathia Martin-Chenut et René De Quenaudon (dir.), La RSE saisie par le droit : perspectives interne et internationale, Paris, Pedone, 2016, p. 209.

[9] Frédérique Berrod, Fleur Laronze et Émilie Schwaller, « L’entreprise sociale comme modèle d’entreprise RSE », dans Kathia Martin-Chenut et René De Quenaudon (dir.), La RSE saisie par le droit : perspectives interne et internationale, Paris, Pedone, 2016, p. 209.

[10] Frédérique Berrod, Fleur Laronze et Émilie Schwaller, « L’entreprise sociale comme modèle d’entreprise RSE », dans Kathia Martin-Chenut et René De Quenaudon (dir.), La RSE saisie par le droit : perspectives interne et internationale, Paris, Pedone, 2016, p. 209.

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Nos étudiants publient : « Maximisation de la valeur actionnariale : une nouvelle idéologie ? » Retour sur un texte de Lazonick et O’Sullivan (billet de Guillaume Giguère et Pierre-Luc Godin)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée pares derniers sur le primat de la valeur actionnariale et relisent l’étude de William Lazonick et Mary O’Sullivan « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance ». Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Le texte « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance »[1], écrit par les auteurs William Lazonick et Mary O’Sullivan, a pour but de mettre en perspective l’évolution et l’impact de l’idéologie entourant la maximisation de la valeur des actionnaires en tant que principe ancré de gouvernance corporative aux États-Unis depuis les années 80. Plus précisément, les auteurs tracent une analyse historique de la transformation d’une stratégie corporative s’orientant davantage vers la rétention des bénéfices de l’entreprise et de leur réinvestissement dans la croissance corporative (ci-après « retain and reinvest »), en une stratégie corporative beaucoup plus axée sur la réduction des effectifs de l’entreprise et la distribution des bénéfices des sociétés par actions aux actionnaires (ci-après « downsize and distribute »). Ultimement, les auteurs en viennent à se demander si cette nouvelle stratégie est appropriée pour diriger la gouvernance des entreprises.

Une nouvelle stratégie ?

Dans les années 60 et 70, deux problématiques principales ont poussé les entreprises à réfléchir à une nouvelle stratégie corporative à adopter au détriment de celle du retain and reinvest : l’amplification de la croissance de la société et la progression de nouveaux concurrents. Relativement à la première problématique, l’envergure que prenaient les entreprises, ainsi que leur subdivision, engendra des difficultés au niveau de la prise de décisions, laquelle s’est effectuée de plus en plus de manière centralisée. Relativement à la seconde problématique, l’environnement macroéconomique instable et l’ascension d’une compétition internationale innovante occasionnée notamment par la production de masse des industries automobiles et électroniques ont amené les entreprises américaines à faire une prise de conscience sur la nécessité d’améliorer leurs procédés.

Dans la foulée des conséquences du retain and reinvest, des économistes financiers américains ont développé dans les années 70 une nouvelle approche dans le domaine de la gouvernance d’entreprise connue sous le nom de « théorie de l’agence » (« agency theory »). Ces économistes considéraient qu’il était préférable pour les organisations qu’elles laissent le marché faire son œuvre en s’abstenant d’intervenir excessivement dans l’allocation des ressources. Selon cette nouvelle théorie, les actionnaires sont les principaux intéressés tandis que les dirigeants sont leurs agents, qui doivent agir dans leur intérêt. La limitation du contrôle des dirigeants sur l’allocation des ressources et le renforcement de l’influence du marché forcerait ainsi les dirigeants à agir dans l’intérêt des actionnaires en visant davantage la maximisation de la valeur des actions. En addition, dans cette même période, la poursuite d’un objectif de création de valeur pour les actionnaires dans l’économie américaine a trouvé du support auprès de nouveaux acteurs : les investisseurs institutionnels. Ces investisseurs institutionnels, incarnés par les fonds mutuels, les fonds de pension et les compagnies d’assurance-vie, ont rendu possibles les prises de contrôle préconisées par les théoriciens de l’agence et ont donné aux actionnaires un pouvoir collectif important pour influencer les rendements et la valeur des actions qu’ils détenaient. L’accroissement des possibilités de financement, notamment avec le recours aux obligations pourries (« junk bonds »), un instrument spéculatif à haut taux de risque, a permis aux investisseurs institutionnels et aux institutions d’épargne et de crédit de devenir rapidement des participants centraux dans cette prise de contrôle hostile. Le résultat a été l’émergence d’un puissant marché pour le contrôle d’entreprise.

 

Au nom de la création de la valeur actionnariale

Dans une tentative d’accroître le rendement sur les capitaux propres, les années 80 et 90 ont été marquées par une réduction significative de la main-d’œuvre, par une augmentation considérable des dividendes distribués (même s’ils n’étaient pas toujours précédés par une augmentation de profits) et par des rachats d’actions importants et récurrents. L’implantation de cette stratégie de type downsize and distribute a d’ailleurs été soutenue par le fait que les dirigeants recevaient de plus en plus d’actions ou d’autres types de bonus en guise de rémunération depuis les années 50. En effet, cette stratégie a mené à l’explosion de la rémunération des hauts dirigeants.

Cependant, les rendements élevés des actions de sociétés, en plus de la réduction de la main-d’œuvre sous la stratégie du downsize and distribute, n’ont fait qu’exacerber l’inégalité des revenus aux États-Unis[2]. Pour réduire l’inégalité dans la distribution des richesses, il faut que les sociétés qui préconisent la stratégie downsize and distribute s’engagent à adopter certaines stratégies requérant qu’elles fassent aussi du retain and reinvest, particulièrement en faveur des cols bleus. Sans l’adoption de telles stratégies, il faudra alors aussi se demander si les États-Unis possèderont l’infrastructure technologique requise pour être prospères au 21e siècle. Par ailleurs, bien que l’adoption par les entreprises américaines d’une politique de downsize and distribute a fourni l’élan sous-jacent au boom boursier des années 90, il n’en demeure pas moins que le taux soutenu et rapide de la hausse des cours est principalement le résultat d’un afflux massif par les fonds mutuels en équité au sein du marché boursier.

Conclusion

Les auteurs clôturent leur texte en affirmant que le boom du marché boursier n’a pas mis plus de capitaux à la disposition de l’industrie, l’émission d’actions ayant demeurée faible, mais plutôt causé une hausse de la consommation par l’abondante distribution des revenus corporatifs. Se référant à des exemples de compagnies américaines dominantes dans leur secteur[3], lesquelles employaient les principes du retain and reinvest, ils retiennent de l’expérience américaine que la poursuite de la maximisation de la valeur des actionnaires est une stratégie appropriée si l’on souhaite ruiner une entreprise, voire même une économie. Il serait donc intéressant de voir si, aujourd’hui en 2017, la maximisation de la valeur des actionnaires est une stratégie de gouvernance qui a fait ses preuves et qui bénéficie d’une validation auprès des experts dans les milieux concernés[4].

 

Guillaume Giguère et Pierre-Luc Godin

Étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] William Lazonick et Mary O’Sullivan, « Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance » (2000) 29:1 Economy and Society 13.

[2] Les ménages de classe moyenne détenant rarement des actions de sociétés.

[3] Causé notamment par l’investissement, dans ces fonds mutuels, des générations âgées ayant accumulés du capital durant les périodes marquées par le retain and reinvest.

[4] Il semblerait qu’au contraire, le principe de la maximisation de la valeur des actionnaires connaît aujourd’hui encore de vives critiques quant à son efficacité et ses effets. Voir à cet effet les articles suivants : Steve Denning, « Making Sense Of Shareholder Value: ‘The World’s Dumbest Idea’ », Forbes (17 juillet 2017); Steve Denning, « The ‘Pernicious Nonsense’ Of Maximizing Shareholder Value  », Forbes (27 avril 2017); Peter Atwater, « Maximizing Shareholder Value May Have Gone Too Far », Time (3 juin 2016). D’autres articles vont, quant à eux, à la défense du principe et misent sur la création de la valeur des actionnaires sur le long terme et non au court terme : Michael J. Mauboussin et Alfred Rappaport, « Reclaiming The Idea of Shareholder Value » (2016) Harvard Business Review; Alfred Rappaport, « Ten Ways to Create Shareholder Value » (2006) Harvard Business Review.

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La mission de l’entreprise en question : on consulte en France

La France réfléchit sur l’objet social de l’entreprise : « Le gouvernement lance le chantier du statut de l’entreprise ». La création d’un statut d’« entreprises de mission », sur le modèle des « benefit corporations » américaines, qui intègrent dans leur objet social des références à l’intérêt général, est aussi sur la table. Une façon d’élargir le rôle dévolu aux entreprises, sans s’aliéner le patronat, hostile à la modification de leur statut au sein du Code civil. Une démarche qui s’inscrit dans le cadre de la future loi Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), dont une première mouture doit être présentée au printemps en conseil des ministres.

 

Le chantier est vaste, le calendrier serré. Missionnés par le gouvernement pour repenser la place de l’entreprise dans la société, Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT, désormais présidente de Vigeo Eiris, et Jean-Dominique Senard, patron de Michelin, ont moins de deux mois pour rendre leur copie. Des conclusions attendues en haut lieu : pas moins de quatre ministres étaient présents, vendredi 5 janvier, aux côtés des partenaires sociaux, pour le lancement des travaux.
À suivre…

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

devoirs des administrateurs Gouvernance Nouvelles diverses objectifs de l'entreprise Valeur actionnariale vs. sociétale

Nos étudiants publient : la thèse de Dodd encore plus juste aujourd’hui ? (par Léna-Lydia Djemili, Alexis Langenfeld et Bèlè Rose de Lima Tchamdja)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mmes Léna-Lydia Djemili et Bèlè Rose de Lima Tchamdja et M. Alexis Langenfeld. Ces derniers présentent le fameux texte de 1932 de Merrick Dodd « For Whom are Corporate Managers Trustees? » et le mettent en perspective. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Dans son article « For Whom are Corporate Managers Trustees? »[1], Merrick Dodd Jr (professeur à la Harvard Law School) défend la thèse selon laquelle les administrateurs sont les mandataires de l’entreprise et non des actionnaires[2] leur permettant de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes. Le professeur Merrick Dodd contestait la vision d’Adolph A. Berle qui faisait des administrateurs les mandataires des actionnaires[3] pour chercher un profit maximum pour ces derniers. L’opposition entre les deux auteurs est connue comme le « Berle/Dodd debate » et a beaucoup influencée le droit des sociétés par actions.

Le professeur Merrick Dodd démontre qu’il est bénéfique pour une entreprise de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes (le public et les salariés) et avance que les dirigeants s’engageant dans cette direction ne font rien d’illégal.

 

Trois idées fortes

Le professeur Merrick Dodd forme son argumentation autour de trois idées principales : le changement des opinions du public et des praticiens; la limitation du profit dans les entreprises d’intérêt public; et le fait que l’entreprise doit être vue comme une personne à part entière.

Le professeur Merrick Dodd avance que l’opinion publique soutient ses idées en réclamant que les entreprises prennent en compte d’autres intérêts que ceux des seuls actionnaires, notamment ceux des salariés pour leur éviter de vivre le chômage[4]. Or, l’opinion publique faisant la Loi, le législateur devrait apporter son appui à sa thèse. Le professeur Merrick Dodd constate également que l’opinion de certains professionnels de la gestion d’entreprise est conforme à sa thèse[5]. Ces derniers préconisent la prise en compte des intérêts de l’ensemble des personnes participant à la vie de l’entreprise : actionnaires, salariés, public, État…

Le professeur Merrick Dodd fait aussi état de dispositions particulières touchant les entreprises exerçant dans des domaines d’intérêt public[6]. En règlementant la concurrence entre ces entreprises, leurs tarifs (au bénéfice des consommateurs) et les salaires (au bénéfice des salariés), le législateur américain a limité la propriété privée des actionnaires. Ces derniers ne disposent plus en effet de la liberté de prendre certaines mesures dans leur intérêt ! Cette limitation s’explique par le souci de protéger les tiers. Le professeur Merrick Dodd établit que dans certains domaines l’intérêt des parties prenantes conduit à limiter le profit des actionnaires. Aussi, les dirigeants prenant en compte d’autres intérêts que ceux des actionnaires ne font que suivre la Loi. Le professeur Merrick Dodd souhaiterait que ce système soit étendu à l’ensemble des sociétés. De plus, pour lui, une telle orientation législative serait positive pour les actionnaires tant les salariés satisfaits seraient plus productifs.

Enfin Le professeur Merrick Dodd plaide pour une évolution de la vision de l’entreprise[7]. Pour lui, celle-ci doit être considérée comme une personne à part entière et non comme un simple agrégat d’actionnaires. Dès lors, en tant que personne, celle-ci se doit d’être bonne citoyenne. Aussi doit-elle prendre en considération l’ensemble des parties prenantes pour adopter un comportement responsable.

 

Des limites

Néanmoins, le professeur Merrick Dodd lui-même limite la portée de son texte et doute que ses idées soient accueillies à court terme. Il considère que, même si le droit change, les administrateurs pourront toujours chercher à privilégier l’intérêt des actionnaires. Il pense aussi que l’état actuel du droit ne permet pas l’application de ses thèses. De plus, le professeur Merrick Dodd craint que l’entreprise demeure encore longtemps à la merci de la volonté des actionnaires[8].

 

Un texte toujours porteur

Aujourd’hui encore, certaines entreprises recherchent de manière illimitée et déraisonnée un profit maximum[9], n’hésitant pas à recourir à la fraude[10]. Malgré l’âge de cet article qui explique que des considérations actuelles (environnement, féminisation du conseil d’administration ou rémunération des hauts-dirigeants), l’article conserve encore aujourd’hui une grande pertinence. L’article est le fruit d’un raisonnement sans précèdent qui lui a permis de remporter le débat doctrinal contre son homologue Adolph Berle, lequel a lui-même fini par l’admettre[11]. De plus, la conception de l’entreprise change aujourd’hui. En effet, l’État n’hésite plus à intervenir pour sauver des entreprises en difficulté, non pour secourir les seuls actionnaires, mais pour venir en aide à l’ensemble de parties prenantes et notamment les salariés[12]. Enfin, certaines entreprises continuent de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes via des chartes éthiques[13] ou des engagements en terme de responsabilité sociale[14].

Léna-Lydia Djemili

Alexis Langenfeld

Bèlè Rose de Lima Tchamdja

Étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145.

[2] Le Code civil du Québec reprend cette thèse : Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64, art. 321.

[3] Adolph A. Berle, « Corporate Powers as Powers in Trust », Harvard Law Review, 1931, 44, 1049.

[4] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1151.

[5] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, aux p. 1154 et s.

[6] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1150.

[7] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1160.

[8] Merrick DODD, Jr., « Whom Are Corporate Managers Trustees », Harvard Law Review, 1932, 45, 1145, à la p. 1161.

[9] Frank DOBBIN et Jiwook JUNG, « The Misapplication of Mr. Michael Jensen. How Agency Theory Brought Down the Economy and Why it Might Again », 2010.

[10] Raymonde CRÊTE, « The Volkswagen Scandal from the Viewpoint of Corporate Governance », 2016; Jeanne DESJARDINS, « Erreurs stratégiques: Mitsubishi, Volkswagen, Suzuki », 2016; L’express.fr, actualité économique, « Un rapport accable la Société Générale et ses 2,2 milliards de « cadeau fiscal » », 2016.

[11] Adolph A. BERLE, The 20th Century Capitalist Revolution, Harcourt Brace & Co., 1954, à la p. 169.

[12] Les affaires.com, bourse, nouvelles économies, « Bombardier: une perte de 4,9G$ et une participation de 1G$ de Québec », 2016; Pascal ORDONNEAU, « Société de Prise de Participation de l’Etat (SPPE) », Les Échos.fr, 2016.

[13] AccorHotel, Charte éthique et responsabilité sociétale d’entreprise.

[14] Coca-Cola European Partners, Nos engagements RSE.

normes de droit Nouvelles diverses objectifs de l'entreprise Valeur actionnariale vs. sociétale

Primauté actionnariale et Benefit corporation

Le Harvard Law School Forum on Corporate Governance and Financial Regulation propose un bel article sous la plume de Frederick Alexander : « Moving Beyond Shareholder Primacy: Can Mammoth Corporations Like ExxonMobil Benefit Everyone? ». Une belle occasion de revenir sur le thème de la Benefit Corporation et de la remise en cause de la primauté actionnariale dont elle peut être la cause…

 

The New York Times recently took issue with Rex Tillerson, the President-elect’s nominee for Secretary of State, and the current CEO of ExxonMobil. Why? “Tillerson Put Company’s Needs Over U.S. Interests,” accused the front page headline. The article details how the company puts shareholders’ interests before the interests of the United States and of impoverished citizens of countries around the world.

In response, a company spokesman insisted that all laws were followed, and that “‘[a]bsent a law prohibiting something, we evaluate it on a business case basis.’” As one oil business journalist puts it in the article: “‘They are really all about business and doing what is best for shareholders.’” Thus, as long as a decision improves return to shareholders, its effect on citizens, workers, communities or the environment just doesn’t rank.

Unfortunately, this idea—evaluate the “business” case, without regard to collateral damage, permeates the global capital system. Corporations are fueled by financial capital, which ultimately comes from our bank accounts, pension plans, insurance premiums and mutual funds, and from foundations and endowments created for public benefit—in other words, our money. And yet when that capital is invested in companies that ignore societal and environmental costs, we all suffer: Corporations use our savings to drive climate change, increase political instability, and risk our future in myriad ways.

The good news is that structures like “benefit corporations” can help us repair our broken system of capital allocation—but the clock is ticking.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

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Plus de dividendes et moins d’investissement

Article inquiétant d’Olivier Pinaud ans L’Agefi.fr intitulé « Les dividendes prennent le dessus sur les investissements ». Il semblerait que face au ralentissement économique mondial, les entreprises aient décidé de conserver un versement de dividendes toujours aussi importants… et cela au détriment de l’investissement, nécessaire pourtant à la croissance économique et à la survie des entreprises elles-mêmes !

 

Malgré des perspectives de résultats en baisse, les groupes cotés versent des dividendes dans des proportions toujours plus grandes.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian