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Fraudes financières et dirigeants : quelles leçons ?

Bien que cet article date de 2010, je le relaie sur le blogue tant il touche en plein coeur notre problématique : D. Cormier et M. Magnan, « Fraudes financières et dirigeants d’entreprise : les leçons à tirer » (Gestion, 7 juin 2010).

Extrait :

Les leçons à tirer

Quelles leçons peut-on tirer des cas de dirigeants accusés d’une fraude financière ou comptable et, de manière plus générale, du fait que cette fraude comporte des motifs irrationnels?

S’il ne faut pas dénigrer le succès, il faut aussi être conscient que celui-ci n’est pas éternel et qu’il peut contenir en germe l’échec. Nous insistons ici sur les leçons à tirer pour les principaux responsables du maintien de l’intégrité des marchés financiers, soit les conseils d’administration, les organismes de réglementation et les auditeurs, de même que pour les analystes financiers, les journalistes et les autres vigies de marché (…).

Le conseil d’administration

Le cas de Cinar, ainsi que plusieurs autres cas de fraude émanant de la direction de l’entreprise, illustre le bien-fondé de plusieurs pratiques de bonne gouvernance qui ont émergé ces dernières années afin de mieux équilibrer le pouvoir au sein des conseils d’administration. Ainsi, il importe de séparer les rôles de président du conseil et de P.D.G. (Micheline Charest cumulait les deux fonctions). En outre, il faut réduire le nombre d’administrateurs qui sont aussi dirigeants ou employés, le seul administrateur ultimement accepté étant le P.D.G. (outre le couple Charest-Weinberg, le conseil de Cinar comptait deux vice-présidents qui relevaient d’eux directement). De même, on doit s’assurer que le conseil compte sur l’expertise nécessaire afin de bien suivre les actions et les décisions de la direction.

Par ailleurs, il est important que le conseil d’administration rencontre régulièrement les membres de l’équipe de direction sans la présence du P.D.G. afin de prendre le pouls du climat organisationnel et de l’attitude du P.D.G., de mettre à jour régulièrement le plan de relève, d’établir des liens de confiance avec les membres de l’équipe et de vérifier que l’équipe de direction est au fait de la stratégie de l’entreprise et de sa mise en œuvre. Un P.D.G. fort, compétent et honnête ne devrait pas craindre cette pratique.

Le conseil d’administration doit également prêter attention à la manière dont les stratégies, les projets ou les plans d’action sont présentés, documentés et défendus. Poser des questions devient impératif lorsqu’on constate des incohérences dans les états financiers ou entre le discours et la réalité projetée par les indicateurs financiers et non financiers. Il doit également s’assurer que l’organisation se dote d’une politique en matière d’intégrité et d’éthique, que des mécanismes de communication sont mis en place pour que le personnel puisse faire part de ses préoccupations et que l’audit interne soit dévolu à des personnes compétentes et en lien direct avec le conseil. Il serait douteux que tous les faits rapportés dans la saga de Cinar soient passés inaperçus.

Enfin, le conseil d’administration doit se méfier des P.D.G. -vedettes. Les résultats de recherche à leur égard indiquent clairement que leur performance réelle est souvent médiocre, ce qui rend d’autant plus forte la tentation de frauder (pensons à Al Dunlap, ancien P.D.G. de Sunbeam, qui est arrivé auréolé de gloire à la direction de cette entreprise pour la quitter avec de nombreuses accusations de fraude pesant sur lui)18.

Les auditeurs

Les auditeurs ou les vérificateurs de Cinar, un cabinet international, ne semblent pas avoir vu venir les coups. Un autre cabinet a rapidement été engagé pour enquêter sur les diverses allégations de fraude et de nouveaux auditeurs ont été retenus par le conseil d’administration à la suite de la démission du couple Charest-Weinberg. La saga de Cinar confirme le diagnostic de Jamal (2008) que la fraude est le talon d’Achille de la profession comptable, car les attentes des investisseurs et du public dépassent nettement les responsabilités des auditeurs à l’égard de la détection de la fraude19.

De fait, selon un sondage réalisé par KPMG en 2002, moins de 3 % des fraudes sont découvertes par les auditeurs. Dans ces conditions, Salterio (2008) insiste sur l’importance d’adopter une approche beaucoup plus dynamique de détection de la fraude (et peut-être de la prévention, quoique cela aille au-delà des responsabilités actuelles des auditeurs).

Outre cette limite, la nature même de plusieurs fraudes remet en question la «rationalité» des dirigeants qui y sont impliqués. En effet, l’approche traditionnelle de détection des fraudes repose sur la rationalité des dirigeants. Or, les risques assumés par la plupart des dirigeants impliqués dans des fraudes comptables ou financières dépassaient largement les gains qu’ils ont pu réaliser, ce qui traduit probablement leur sentiment d’invulnérabilité. Les cas de Drabinsky (Livent), de Black (Hollinger) et de Charest en sont de bons exemples.

Par conséquent, les auditeurs doivent également s’attarder au processus de prise de décision stratégique d’une entreprise, une trop grande centralisation sans documentation valide ou indépendante devenant un facteur de risque. Ils doivent aussi élargir leur grille d’analyse de la fraude pour y intégrer des aspects comportementaux de la direction, lesquels incluront des entrevues avec les principaux intéressés et leurs collaborateurs, ainsi que certaines dimensions de la culture organisationnelle reflétant un mépris de l’éthique.

Enfin, les déclarations publiques de dirigeants ainsi que la couverture médiatique les entourant sont extrêmement importantes pour mieux dresser leur profil de même que le contexte de gestion. Il s’agit ici d’examiner l’adéquation entre l’image projetée à l’extérieur et la réalité organisationnelle : plus l’écart entre les deux est grand, plus le risque est grand.

Les autorités de réglementation

Le rôle des autorités de réglementation est très exigeant. En effet, la surveillance de milliers d’individus (initiés, personnes autorisées, etc.) et de sociétés cotées en Bourse n’est pas une mince tâche. D’une part, elles jouent un rôle réactif et se doivent d’agir avec célérité si des plaintes ou des doutes leur parviennent. Elles doivent pour cela pouvoir compter sur un service d’analyse et d’enquête compétent et efficace. D’autre part, elles doivent être proactives afin de s’assurer que les instances de gouvernance des sociétés cotées jouent leur rôle et qu’une information financière fiable est communiquée au public à temps.

Compte tenu du fait que les états financiers, même manipulés, peuvent receler certains indices de fraude, une analyse continue des informations financières communiquées par les entreprises s’avère nécessaire. En ce sens, l’évolution vers une plate-forme unique d’informations où les données financières sont comparables entre entreprises et secteurs d’activités (XBRL) peut faciliter la vigie20.

Les analystes financiers, les journalistes et les autres vigies du marché

Dans le cas de Cinar, alors que le bénéfice grimpait de 3,4 millions à 21,8 millions de dollars entre 1994 et 1998, son flux de trésorerie généré par l’exploitation (cash flow, ou les sommes reçues des clients moins les sommes versées aux fournisseurs, aux employés et aux gouvernements) chutait de +6,6 millions à -27 millions durant la même période (voir le tableau 1).

En d’autres termes, alors que Cinar affichait des bénéfices cumulatifs de 51 millions en 1994-1998, son exploitation faisait subir à l’entreprise une saignée de 44 millions, laquelle devait être financée par des prêts bancaires ou de nouvelles émissions d’actions. Les fraudes découvertes chez Enron, Worldcom, Mount Real ou Nortel montrent qu’un tel écart entre bénéfices et flux de trésorerie est souvent le signe annonciateur de manipulations comptables.

Le conseil à donner aux analystes financiers et aux journalistes vaut donc tout autant pour les membres du conseil d’administration, les auditeurs et les organismes de réglementation. Il s’agit de ne pas se laisser éblouir par le discours, l’arrogance ou les gestes d’éclat, mais de s’en tenir aux faits.

Sachant que la plupart des fraudes commises par des directions d’entreprise sont comptables ou financières, il s’agit de bien analyser les états financiers. Notons aussi que la surveillance des conflits d’intérêts et des opérations entre parties apparentées est une source sûre d’indices quant à des manipulations ou à des irrégularités possibles.

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Green Investing Is a Sham

Bel article critique envers l’investissement d’impact ou le mouvement ISR offert par Nicole Aschoff dans Jacobin (« Green Investing Is a Sham »).

Extrait :

So is tackling climate change simply about getting the incentives right? Is a more robust, standardized market in ESG metrics the key to reaching global emissions targets? Unfortunately not, for at least two reasons.

The first reason is that, just as companies are not compelled to honor shareholder resolutions, large investors and fund managers are not our allies. According to FundVotes, a project that tracks proxy voting, BlackRock, Invesco, BNY Mellon, and Vanguard have all voted against shareholder resolutions raised at ExxonMobil’s and Chevron’s annual meetings aimed at increasing corporate disclosures on climate change. The Guardian’s recent investigation confirms this finding: “BlackRock and Vanguard opposed or abstained on more than 80 percent of climate-related motions at FTSE 100 and S&P 500 fossil fuel companies between 2015 and 2019.”

The explanation for money managers’ unwillingness to use their clout to spur the transition from fossil fuels is simple: they have huge investments in dirty energy companies. BlackRock, Vanguard, and State Street, the three biggest fund managers, boast “a combined $300 billion fossil fuel investment portfolio” — a portfolio that has grown nearly 35 percent since 2016.

A second reason why we can’t rely on market mechanisms to solve climate change is that, right now, a “green” label on funds and bonds has no legal basis — and companies and their political allies are working hard to keep it that way. If green funds and bonds invest in companies and projects that are not actually green, there are no legal repercussions, only reputational repercussions. In just one example of how investors are routinely misled, a $500 million Vanguard exchange-traded green fund was recently found to have investments in oil and gas companies despite promises to the contrary. And, because there are so many ESG metrics, just about any company can market itself as green — hence “green” fracking companies.

Even insiders recognize the limits of green capitalism. As Hans Hoogervorst, the chairman of the International Accounting Standards Board, put it recently: “We should not expect sustainability reporting to be very effective in inducing companies to prioritize planet over profit . . . Greenwashing is rampant.”

Self-reports, ratings systems, and the supposed green intentions of the world’s largest money managers won’t curb the voracious appetites of the world’s biggest corporations. ESG metrics and impact investing are mostly hype — an opportunity for “woke” capitalists to cash in on our desire to preserve the planet for future generations. Corporations are trying to hijack the climate justice movement. Only a bold, large-scale, people-centered movement can stop them.

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CA et risque climatique

Selon un article du quotidien L’Agefi, les conseils d’administration peinent à intégrer concrètement le risque climatique (ici). À l’ère de la RSE, voici un constat plutôt inquiétant…

Extrait :

Si les administrateurs ont conscience de l’urgence, près de la moitié estimant le risque immédiat, les actions sont rares, note un sondage IFA-Carbone 4.

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Comptabilité et RSE : le temps de changer

Que serait la RSE sans la comptabilité ? Pas grand chose à vrai dire… Aussi, je vous indique cette tribune parue dans Le Monde dans laquelle M. Hervé Gbego propose d’utiliser le concept de conservation du capital, que celui-ci soit financier, naturel ou humain : « Il faut intégrer les enjeux écologiques dans la comptabilité des entreprises » (4 octobre 2019)

Extrait :

Mais comment faire en sorte que les entreprises intègrent, dans leur fonctionnement même, ces enjeux écologiques et sociaux ? L’une des solutions que je défends est de les intégrer dans la comptabilité des entreprises, c’est-à-dire au cœur de l’économie.

(…) Jusqu’à présent, les outils proposés pour essayer de quantifier les actions des entreprises en faveur des enjeux environnementaux et sociaux sont les reportingscomme la déclaration de performance extrafinancière (DPEF).

(…) Pour remédier à ce défaut, l’Integrated Reporting Initiative propose de réunir dans un même ensemble les informations les plus importantes présentées actuellement dans différents rapports. Certes, elle prend en compte, en plus du capital financier, le capital humain, intellectuel, manufacturier, social, sociétal et environnemental. Mais elle utilise une conception particulière du capital : celle présentée par les économistes à l’origine des normes dites IFRS (International Financial Reporting Standards), utilisées par la plupart des groupes internationaux.

Selon ces normes, la valorisation des capitaux est faite à la valeur de marché, la fameuse « fair value ».

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Intérêt social et loi PACTE : numéro spécial chez Dalloz

Les célèbres éditions Dalloz viennent de publier l’ouvrage Grand Angle consacré à la loi PACTE : « L’intérêt social dans la loi PACTE » (4 septembre 2019. Devinez qui a l’honneur de voir un de ses articles repris ?

Cet ouvrage est dédié à l’objet social des entreprises, une des mesures emblématiques de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) et sûrement la plus discutée au sein du Parlement. Cette mesure consiste à repenser la place de l’entreprise dans la société en redéfinissant leur raison d’être. La loi propose ainsi de modifier le code civil et le code de commerce afin de « renforcer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie et l’activité des entreprises ». Le texte de loi s’inspire pour cela des propositions du rapport « Entreprise, objet d’intérêt collectif », remis le 9 mars 2018, par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénart aux ministres de la transition écologique et solidaire, de la justice, de l’économie et des finances, et du travail. L’ouvrage propose d’analyser ainsi les enjeux de ce changement non seulement en droit des sociétés, mais également au regard du droit social.
L’approche retenue est pluridisciplinaire et transversale.

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ESG : de plus en plus à la mode pour les entreprises du S&P 500

Selon le Wall Street Journal : « More Companies Are Making Noise About ESG » (4 octobre 2019). Voilà une bonne nouvelle pour la RSE !

Extrait :

Big U.S. companies are increasingly talking up environmental, social and governance factors on earnings calls—and betting that investors increasingly concerned with social responsibility will reward them for it.

Twenty-four companies in S&P 500 mentioned the acronym “ESG” on earnings conference calls between June 15 and Sept. 14, double the number that cited the term in the first quarter, according to FactSet.

That marks a huge increase from just two years earlier, when only two companies referred to ESG in the second quarter of 2017. But it still represents only 5% of the companies in the index.

The financial sector had the highest number of companies mentioning ESG, followed by the real-estate and utilities sectors.

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Business Roundtable : la révolution en marche

Le Business Roundtable (association regroupant les plus grands chef d’entreprise américains) a pris une position audacieuse le 19 août 2019 : celle de redéfinir l’objectif des grandes entreprises (« Statement on the Purpose of a Corporation »).

While each of our individual companies serves its own corporate purpose, we share a fundamental commitment to all of our stakeholders. We commit to:

  • Delivering value to our customers. We will further the tradition of American companies leading the way in meeting or exceeding customer expectations.
  • Investing in our employees. This starts with compensating them fairly and providing important benefits. It also includes supporting them through training and education that help develop new skills for a rapidly changing world. We foster diversity and inclusion, dignity and respect.
  • Dealing fairly and ethically with our suppliers. We are dedicated to serving as good partners to the other companies, large and small, that help us meet our missions.
  • Supporting the communities in which we work. We respect the people in our communities and protect the environment by embracing sustainable practices across our businesses.
  • Generating long-term value for shareholders, who provide the capital that allows companies to invest, grow and innovate. We are committed to transparency and effective engagement with shareholders.

Each of our stakeholders is essential.

Voir le communiqué de presse ici

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