finance sociale et investissement responsable | Page 4

finance sociale et investissement responsable normes de droit

Rôle sociétal de l’entreprise : le Club des juristes donne son avis

La Commission « contrat de société », présidée par Antoine Frérot et Daniel Hurstel, vient de publier son rapport intitulé : « Le rôle sociétal de l’entreprise – Eléments de réflexion pour une réforme ».

La défiance accrue comme les attentes nouvelles de la société civile et des pouvoirs publics à l’égard de l’entreprise ont replacé au centre des débats les réflexions sur le rôle de l’entreprise et l’objet social de la société.

Face à ce constat, la Commission « contrat de société » s’est interrogée sur la pertinence et l’opportunité d’une évolution de la définition de la société et de sa gouvernance pour permettre une meilleure prise en considération du rôle et des intérêts des parties prenantes dans l’entreprise.

Elle a en conséquence réuni des acteurs du monde de l’entreprise et des spécialistes de différents domaines (droit bien sûr, mais aussi économie, sociologie, etc.). Fruit d’une année de travaux, durant laquelle la commission a tenu de nombreuses réunions et entendu de multiples experts, le présent rapport vise davantage à nourrir la réflexion sur le rôle sociétal de l’entreprise et les moyens de mieux répondre aux attentes exprimées qu’à imposer une voie unique de réforme.

 

A ce titre, le présent rapport s’articule autour de trois grands axes : l’appréciation du cadre normatif des sociétés au regard de l’essor de l’entreprise, la description de la place accordée au projet d’entreprise et aux attentes sociales dans les pays voisins et enfin, la proposition de pistes d’évolution possibles du cadre normatif.

Les évolutions proposées, qui tiennent compte des différentes sensibilités qui se sont exprimées au sein de la commission, tendent à favoriser la prise en compte des considérations sociales et environnementales (au moyen d’une modification du Code civil et/ou du Code de commerce, ou par le recours au droit souple), à la création d’un statut d’ « entreprise à mission » ou encore à l’amélioration de l’information fournie par les entreprises.

 

Alors que le sujet est désormais au cœur de l’actualité à l’aube de la présentation de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation de l’entreprise) qui devrait s’en saisir, la Commission entend par ces réflexions apporter sa contribution au débat public.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

finance sociale et investissement responsable Gouvernance normes de droit

Projet de loi en France : réinventer l’entreprise, vraiment ?

« Réinventons l’entreprise. Vite! »… C’est sous ce titre que M. Olivier Schmouker commente le projet de loi français qui vise à modifier plusieurs règles touchant les grandes entreprises notamment pour ouvrir leur objet social à la prise en compte des parties prenantes.

 

Saviez-vous que la France est en train de connaître une véritable révolution? J’imagine que non, et pourtant c’est bel et bien le cas. Une révolution susceptible d’avoir des répercussions majeures pour les entrepreneurs français, mais aussi – tenez- vous bien! – du monde entier. Explication.

Lors de sa toute première entrevue télévisée après son arrivée à l’Élysée, le président Emmanuel Macron a lancé une phrase marquante : « Je veux qu’on réforme profondément la philosophie de ce qu’est l’entreprise. » Il s’agissait là d’un de ses principaux chevaux de bataille, lui qui avait concocté un projet de loi à ce sujet en 2015, en tant que ministre, dans lequel il proposait de modifier un article du Code civil qui stipule que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Son idée ? Faire suivre cette définition par : « Elle doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental. »

 

L’auteur se montre enthousiasme à la réforme à venir… Force est de constater que ce ne sont pas tous les juristes qui partagent son enthousiasme !

 

J’ai eu l’occasion moi-même de faire part de mon scepticisme sur ce projet dans un article qui va paraître sous peu à la prestigieuse Revue des sociétés : « Légiférer sur l’article 1832 du code civil : une avenue pertinente pour la RSE ? Expérience canadienne ». Extraits :

 

Une réécriture du code civil a été récemment proposée. Elle vise à imposer une prise en compte des préoccupations environnementales et sociétales dans l’objet social des sociétés. Cette discussion aborde la délicate question de l’introduction dans le droit d’une nouvelle forme de structure sociétaire (dite « hybride ») offrant aux entreprises à but lucratif la possibilité de réaliser des profits au bénéfice de leurs actionnaires tout en poursuivant parallèlement des objectifs d’ordre sociétal. Redéfinissant la mission des entreprises et renforçant l’intégration de la RSE, le projet envisagé actuellement en France soulève de délicates interrogations sur les plans de sa pertinence, de son contenu, de sa nécessité et des risques dont il est porteur. De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada et ses provinces font face à des questionnements identiques, même si la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse ont déjà fait évoluer leur droit des sociétés pour faire place à une entreprise hybride (à l’instar d’autres pays). Cet article détaille la position canadienne et analyse le potentiel que représente une réforme législative intégrant la RSE dans l’objet social.

Si le législateur français devait légiférer sur l’objet social, modifier certains articles fondamentaux du droit des sociétés contenus dans le code civil et faire ainsi à la RSE une place plus importante, le Canada démontre qu’une telle évolution a ses zones d’ombre et qu’elle n’entraine pas nécessairement un changement dans la représentation de l’entreprise. De plus, elle est complexe à mettre en oeuvre et recèle des écueils. In fine, une telle évolution doit être pensée dans une perspective large dépassant le  seul droit des sociétés. Une réforme réglementaire ouvrant l’objet social à la RSE (et introduisant parallèlement l’entreprise hybride) doit être bien construite, sans que le succès de ladite réforme soit pour autant garanti.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

finance sociale et investissement responsable Normes d'encadrement normes de droit normes de marché objectifs de l'entreprise Structures juridiques

Publication du rapport « L’entreprise et l’intérêt général »

Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, et Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris, ont remis le 9 mars leur rapport faisant part des résultats de la mission « Entreprise et intérêt général », lancée le 5 janvier dernier, à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire, Muriel Pénicaud, ministre du Travail et Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

 

Pour télécharger le rapport : cliquez ici.

Pour la nouvelle de presse : cliquez ici.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

finance sociale et investissement responsable normes de droit Nouvelles diverses

Le contrat à impact social : une innovation financière qui gagne du terrain au Canada

Après la Saskatchewan et l’Ontario, le Manitoba est la troisième province canadienne à recourir au contrat à impact social (ci-après « CIS »). Les CIS, ou social impact bonds, n’ont cessé de trouver preneur auprès des acteurs économiques depuis leur création en 2010.

Le contrat à impact social est défini comme un contrat spécifique entre un investisseur privé (funders), le secteur public (payer) et un prestataire de service (subcontractor) par lequel les pouvoirs publics mobilisent des capitaux pour financer un projet social particulier en déléguant certaines prérogatives à un intermédiaire chargé de trouver des investisseurs [1]. Si les résultats initialement prévus au contrat sont atteints, l’institution publique rembourse l’investisseur privé [2]. Ce contrat « pay-for-sucess » permet ainsi au secteur public d’attirer des fonds privés dans des domaines spécifiques, encourageant ainsi la réalisation de résultats concrets. C’est un incitatif pour les investisseurs financiers en quête de rendement social. Pour la collectivité, cela se traduit par une réduction des coûts. C’est elle qui apporte du rendement à l’investisseur [3].  Le schéma de l’image attaché à ce billet résume le contrat à impact social.

 

Le Manitoba, troisième province séduite par le mécanisme

 

En 2014, le gouvernement de la Saskatchewan lance son premier CIS afin de créer une maison de soutien aux mères célibataires à risque [4]. Pour réaliser ce programme, la somme d’un million de dollars a été mobilisée de la part des investisseurs. Si les résultats sont atteints, le mécanisme permettra au gouvernement d’économiser entre 540 000 dollars et 1,5 million de dollars sur cinq ans. La même année, l’Ontario élabore un projet pilote dont les conclusions sont diffusées dans un rapport de 2016. Parmi celles-ci, le gouvernement ontarien retient pour l’avenir que les CIS sont un outil complexe, mal connu de nombreux organismes et que les répercussions potentielles du projet nécessitent de recueillir une grande quantité de données dont l’accès et la disponibilité sont limités [5]. Pourtant, ces difficultés n’ont pas découragé le gouvernement du Manitoba qui a lancé le premier appel à candidature en vue au début de l’année 2018 [6]. Une stratégie sera rédigée avec la collaboration du MaRS Centre for Impact Investing avec pour ambition de l’élaborer d’autres projets financés par CIS.

 

Quel avenir pour les CIS ?

 

Comme le démontrent les statistiques actuelles, les CIS sont de plus en plus nombreux dans le monde. Le rapport 2018 de Social Finance rapporte que 108 projets de CIS ont été lancés dans 24 pays et ont permis de mobiliser une somme avoisinant les 400 millions de dollars [7]. Il a été révélé que les procédures entourant les CIS sont lourdes, et peuvent ainsi freiner les candidatures aux appels à projet de certains acteurs. Des fonds dédiés spécifiquement aux résultats pourraient être crées, avec des tableaux de résultats permettant aux bailleurs de fonds de fixer des prix en fonction des niveaux atteints par le prestataire de service [8]. L’obstacle majeur des CIS reste donc l’évaluation des résultats à laquelle le paiement est soumis. Malgré les quelques incertitudes qui planent encore autour du mécanisme, les CIS semblent avoir de beaux jours devant eux.


[1] Schinckus C., 2017. « Financial innovation as a potential force for a positive social change : The challenging future of social impact bonds », Research in International Business and Finance, Vol. 39, p. 727-736, à la p. 729.

[2] Marty F., 2016. Les obligations à impact social : une nouvelle génération de PPP pour les politiques sociales ?, Chaire Economie de partenariat public-privé, Discussion Paper Series n° 3, aux p. 7 à 9.

[3] Chiapello E., 2017. La financiarisation des politiques publiques, Mondes en développement, n° 178, p. 23-40, au para. 33.

[4] Saskatchewan, 2014. New home for single mothers opens in Saskatoon; Funding first of its kind in Canada, https://www.saskatchewan.ca/government/news-and-media/2014/may/12/social-impact-bond.

[5] Ontario, 2016. Projet pilote d’obligations à impact social en Ontario : démarche d’élaboration et leçons tirées, https://www.ontario.ca/fr/page/projet-pilote-dobligations-impact-social-en-ontario-demarche-delaboration-et-lecons-tirees#fn1.

[6] Manitoba, 2018. Social Impact Bonds — A New Way of Investing in Manitobians, https://www.gov.mb.ca/sib/index.html.

[7] Social Finance, 2018. Social Impact Bonds reach global mass, http://www.socialfinance.org.uk/sites/default/files/news/sf_gn_100_sibs_press_release_final_30_jan_18_1.pdf.

[8] Gustafsson-Wright E., Boggild-Jones I., 2018. Paying for social outcomes : A review of the global impact bond market in 2017, Brookings, https://www.brookings.edu/blog/education-plus-development/2018/01/17/paying-for-social-outcomes-a-review-of-the-global-impact-bond-market-in-2017/.

finance sociale et investissement responsable normes de droit objectifs de l'entreprise

Suite de la publication sur Contact : l’objet social comme véhicule de la RSE… une bonne idée ?

Bonjour à toutes et à tous, la 2e partie de mon nouveau billet de Contact est maintenant en ligne : « Des lois pour des entreprises plus responsables? – 2e partie » (7 février 2018). Le sujet est hautement brûlant puisqu’il aborde la pertinence de modifier la loi pour imposer la prise en compte de la RSE dans l’objet social des entreprises. Dans cette 2e partie, je me montre plus critique :

 

(…) Malgré cela, Laure Nurit-Pontier, professeure à l’Université de Nantes, affirmait en 2012 que traduire la RSE dans l’objet social des entreprises serait une solution «inopportune»… Son point de vue pousse à la réflexion. En voici mon analyse. (…)

 

Modifier la loi pour intensifier l’orientation RSE des entreprises est une avenue séduisante: peut-on aller contre l’idée d’inciter les entreprises à tenir compte des retombées sociales ou environnementales de leurs rendements financiers? De même, pourquoi ne pas créer un statut spécifique aux entreprises hybrides au Canada? Modifier le Code civil du Québec, la Loi sur les sociétés par actions du Québec ou la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour faire y une place à la RSE et aux parties prenantes dans l’objet social: ce simple geste aurait une charge symbolique considérable à l’endroit des économies canadienne et québécoise. Une partie du monde de la finance réclame cette prise de position, et un mouvement est en marche à cet effet.

Malgré tous les éléments mis ici en lumière, les interrogations demeurent: nonobstant l’intérêt du message envoyé, le droit canadien devrait-il être changé avec tout ce qu’une telle modification comporte comme zones d’ombre? Sur le plan juridique, la tâche est complexe à mener et risquée. Les valeurs dont le droit canadien se veut le porteur sont-elles à ce point absentes qu’une réforme réglementaire est nécessaire? Quelle devrait être la portée de la modification législative? Une telle réforme fera-t-elle changer l’idéologie économique et la financiarisation du capitalisme?

En conclusion, pour que la RSE soit prise au sérieux, le droit doit être construit avec sérieux.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

finance sociale et investissement responsable normes de droit objectifs de l'entreprise

Nouvelle publication sur Contact : discussion sur l’objet social comme véhicule de la RSE

Bonjour à toutes et à tous, mon nouveau billet de Contact est maintenant en ligne : « Des lois pour des entreprises plus responsables? – 1re partie » (1er février 2018). Le sujet est hautement brûlant puisqu’il aborde la pertinence de modifier la loi pour imposer la prise en compte de la RSE dans l’objet social des entreprises.

 

La France réfléchit à une modification de l’objet social de l’entreprise (la définition de ses activités) pour l’ouvrir aux préoccupations de responsabilité sociétale (ci-après « RSE »). Dans le cadre de son « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (loi PACTE) dévoilé le 22 octobre 2017, le gouvernement français souhaite en effet mettre en place d’un statut d’« entreprises de mission » sur le modèle des Benefit corporations américaines (voir ici ). Une mission sur la question de l’objet social des entreprises a été lancée le 5 janvier 2018 afin de faire converger les positions. Ce plan d’action s’inscrit dans plusieurs initiatives (…).

Ces propositions françaises s’orientent autour de 2 idées : modifier le Code civil pour proposer un nouvel objet social ou aller jusqu’à créer une nouvelle forme de société par actions imposant la poursuite d’une mission sociétale (une entreprise hybride).

Pour les juristes canadiens qui se penchent sur les interactions entre les sphères économiques et sociales dans une perspective entrepreneuriale, une interrogation se pose : faudrait-il légiférer pour définir un nouvel objet social et repenser la mission des entreprises pour y intégrer la RSE? Faudrait-il faire place à une société par actions à vocation sociale? En d’autres termes, le Canada devrait-il s’inspirer des initiatives françaises et modifier ses lois (Code civil du Québec ou lois sur les sociétés par actions)?

 

Je vous laisse découvrir la suite sur Contact !

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

finance sociale et investissement responsable normes de droit objectifs de l'entreprise Structures juridiques

Dossier législatif en France : Entreprises : entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances

Bonjour à toutes et à tous, dans le cadre de la Proposition de loi « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances » (n° 476 2e rectifié, déposée le 6 décembre 2017), le rapport n° 544 de M. Dominique Potier vient d’être déposé.

 

La conception de l’entreprise, telle qu’elle existe dans le droit des sociétés français, apparaît désuète et en décalage avec la réalité de ce début de XXIème siècle. On assiste, sous l’effet d’une concentration et d’une internationalisation croissante, au développement d’entreprises toujours plus puissantes, qui entrent en concurrence directe avec les États pour la production de normes et l’allocation des ressources. C’est à ce phénomène que répond la présente proposition de loi.

La rédaction de ce texte, puis son examen par l’Assemblée nationale, ont été précédés d’un important travail collectif avec la société civile. Ont été, par ailleurs, auditionnés par le rapporteur, et – comme c’est la règle – l’ensemble des membres de la commission des Lois qui le souhaitaient, pas moins de trente experts, syndicalistes ou responsables associatifs. Les organisations patronales, consultées avant le dépôt de la proposition de loi, ont été à nouveau invitées à s’exprimer et ont adressé des contributions écrites. Le rapporteur a également rencontré le cabinet du ministre de l’Économie et des Finances.

Il est ainsi proposé de reprendre et de poursuivre des travaux entamés sous la précédente législature, pour que l’entreprise serve le bien commun. Plusieurs textes majeurs avaient alors vu le jour : on mentionnera, entre autres, la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (5), la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 ») (6), ou encore la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (7), que votre rapporteur avait eu l’honneur, déjà, de rapporter.

C’est dans leur prolongement que le groupe Nouvelle Gauche a pris l’initiative d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de sa journée réservée du jeudi 18 janvier 2018.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian