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COVID-19 : des CA et des dirigeants à risque de recours judiciaires ?

The Canadien Underwriter propose dans un article paru le 22 avril 2020 un bel article dans le contexte du COVID-19 : « Liability claims that could arise from the pandemic ». Des recours judiciaires en perspective contre les CA et les directions ?

Extrait :

One result of the ongoing COVID-19 pandemic will be liability claims against company boards, property and casualty industry watchers predict.

“I think we will see litigation coming out of this,” Shara Roy, a partner with law firm Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP, which defends publicly traded companies in class action lawsuits.

Publicly-traded firms have been sued in the past after share prices dropped as a result of what Roy calls “external factors.”

With the pandemic, there could be allegations that boards of directors did not have proper governance or risk management practices, said Jim Auden, Chicago-based managing director of North American Insurance at Fitch Ratings, in an interview Tuesday.

Corporate clients – as well as their directors and officers – are exposed to misrepresentation lawsuits if the company’s share price drops. Usually what happens is shareholders allege a company, as well as individual directors and officers, had misrepresented the financial health of the firm.

In the case of COVID-19, clients could defend themselves by referring to statements they made in securities filings before the outbreak, Roy said in an interview about stock market fluctuations  during the first quarter of 2020. This depends on exactly what those firms said in those filings (such as management discussion and analysis) before the outbreak of the COVID-19 virus.

“If they do address it, it has to be specific,” said Roy. “It cannot be boilerplate and it needs to deal with the impact on their business directly.”

That said, publicly traded firms are not generally required to interpret the external, political, economic and social developments on their own finances, Roy said, quoting guidance from the Canadian Securities Administrators.

What could hurt the client’s directors and officers is if they told the financial markets they were well-prepared for this type of crisis.

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Proposition de réforme législative sur la transparence corporative au Québec

Le cabinet Langlois a publié le 9 avril 2020 un intéressant billet intitulé « Entreprises : nouvelles mesures importantes de divulgation publique des actionnaires » qui expose les mesures proposées dans le budget 2020-2021 déposé le 10 mars 2020 à l’Assemblée nationale concernant la lutte contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal, le blanchiment d’argent, le financement d’activités criminelles et la fraude.

Extrait :

Dans la foulée de la consultation lancée par le gouvernement du Québec à l’automne 2019 pour renforcer la transparence corporative, des mesures sont proposées dans le budget 2020-2021 déposé le 10 mars 2020 à l’Assemblée nationale. Comme nous l’avons rapporté dans notre article du 8 octobre 2019 intitulé Le gouvernement du Québec lance une consultation sur la transparence corporative, la consultation s’ancrait sur trois propositions principales : la divulgation obligatoire au registre des entreprises du Québec (« REQ ») d’informations concernant les bénéficiaires ultimes, la recherche au REQ par nom d’individu et la divulgation des propriétaires ultimes d’immeubles. 

Après avoir recueilli les commentaires du public et des acteurs du milieu corporatif et afin de poursuivre ses efforts d’accentuation de la transparence corporative, le gouvernement du Québec annonce, dans son budget, l’implantation de certains changements au REQ. Ces modifications prennent racine dans les propositions de l’automne dernier et s’articulent autour de deux axes : 

1. Divulgation des informations relatives aux bénéficiaires ultimes : le gouvernement du Québec met en place une obligation, équivalente à celle déjà imposée aux sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions, pour toutes les entreprises qui exercent des activités au Québec et qui sont immatriculées au REQ en conformité avec les dispositions de la Loi sur la publicité légale des entreprises (RLRQ, chapitre P‑44.1), de déclarer au REQ les informations relatives à leurs bénéficiaires ultimes. Ces informations seront donc publiques et accessibles à toute personne qui consultera le REQ. Le gouvernement définit largement la notion de bénéficiaires ultimes afin d’inclure toute forme de contrôle direct et indirect d’une personne morale. Les bénéficiaires ultimes sont les personnes physiques qui détiennent un « contrôle important » sur une société, entre autres lorsqu’ils détiennent, directement ou indirectement, 25 % des droits de vote ou de la juste valeur marchande des actions d’une société. 

Québec annonce cependant que cette obligation ne sera pas absolue, afin d’éviter certains débordements en matière de respect de la vie privée des bénéficiaires visés. Notons, par exemple, certaines limites en ce qui concerne la divulgation de l’année de naissance des bénéficiaires ultimes ainsi que de leur adresse résidentielle. De plus, le gouvernement souligne que cette nouvelle obligation n’entrera en vigueur qu’un an après la sanction des modifications législatives pertinentes, afin de fournir aux entreprises une période d’adaptation raisonnable.

2. Recherche par nom d’une personne physique au REQ : s’inscrivant dans la lignée d’un mouvement international et national, le gouvernement du Québec confirme que certaines modifications seront apportées au REQ afin de mettre en place un système de recherche par nom d’une personne physique.

Ce type de recherche devrait permettre d’identifier toutes les sociétés auxquelles une personne physique est liée, que ce soit à titre d’administrateur, de dirigeant, d’actionnaire ou de bénéficiaire ultime.

Encore une fois, le respect de la vie privée étant une préoccupation du gouvernement, certaines limites viendront baliser ce type de recherche au REQ. 

Par ailleurs, la recherche par nom ne sera offerte au public qu’un an après la sanction des modifications législatives pertinentes.

Ces changements ne prendront effet que lors de l’entrée en vigueur d’une éventuelle loi devant être adoptée par l’Assemblée nationale afin de mettre en œuvre ces nouvelles mesures. D’ici là, les règles actuelles demeurent applicables. Nous resterons à l’affût des initiatives en ce sens et surveillerons la venue d’un projet de loi qui devrait être déposé dans les prochains mois. Il sera intéressant de voir les éventuels changements qui pourraient être proposés à ces mesures.

Pour rappel, à l’automne 2019, le gouvernement a consulté la population au sujet de trois initiatives découlant de recommandations faites par différents organismes internationaux reconnus.

Ces trois initiatives étaient :

  • l’obligation de déclarer au Registraire des entreprises du Québec les informations relatives aux bénéficiaires ultimes;
  • de permettre la recherche par nom et par adresse d’une personne physique au registre des entreprises;
  • l’obligation pour l’ensemble des propriétaires fonciers de déclarer les informations relatives aux bénéficiaires ultimes.

Pour accéder au document de consultation : ici

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Assemblées annuelles : position récente des régulateurs canadiens

Les régulateurs canadiens viennent de prendre plusieurs positions entourant l’assemblée annuelle des grandes entreprises dans le but de faire face au COVID-19. Alors que les choses bougent vite, faisons le point :

Le 18 mars 2020, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont accordé une dispense temporaire de dépôt réglementaire touchant certains documents à déposer au plus tard le 1er juin 2020 (ici). La dispense générale accorde une prolongation de 45 jours aux dépôts périodiques que doivent normalement effectuer les émetteurs, les fonds d’investissement, les personnes inscrites, certaines entités réglementées et les agences de notation désignées au plus tard le 1er juin 2020. Les documents visés sont les états financiers, les rapports de gestion, les rapports de la direction sur le rendement des fonds, les notices annuelles, les rapports techniques et certains autres documents. Par ailleurs, les émetteurs qui choisissent de se prévaloir de la dispense et qui remplissent ses conditions n’auront pas à déposer de demandes d’interdiction d’opérations limitée aux dirigeants puisqu’elles ne se trouveront pas en défaut.

Le 20 mars 2020, les ACVM ont donné les indications qui suivent pour aider les émetteurs assujettis à réorganiser leur assemblée annuelle (AGA) tout en veillant à ce qu’ils respectent les obligations qui leur incombent en vertu de la législation en valeurs mobilières (ici). L’émetteur assujetti qui a décidé de modifier la date, l’heure ou le lieu de son AGA en personne en raison de difficultés attribuables à la COVID-19, mais qui a déjà envoyé et déposé ses documents reliés aux procurations peut en aviser les porteurs de titres sans devoir envoyer d’autres documents de sollicitation ou des documents reliés aux procurations mis à jour à un certain nombre de conditions (il publie un communiqué annonçant le changement de date, d’heure ou de lieu, il dépose ce communiqué au moyen de SEDAR, il prend toutes les mesures raisonnablement nécessaires pour informer tous les participants à l’infrastructure du vote par procuration du changement. L’émetteur assujetti n’ayant pas encore envoyé ni déposé ses documents reliés aux procurations devrait envisager d’y inclure une mention indiquant la possibilité de ce changement en raison de la COVID-19. L’émetteur assujetti qui compte tenir une AGA virtuelle (soit sur Internet ou par tout autre moyen électronique plutôt qu’en personne) ou hybride (soit une assemblée en personne qui permet également une participation par des moyens électroniques) devrait en aviser rapidement ses porteurs de titres, les participants à l’infrastructure du vote par procuration et les autres participants au marché, et communiquer des indications claires au sujet des détails logistiques de cette AGA, notamment la façon dont les porteurs de titres pourront y accéder à distance, y participer et y exercer leurs droits de vote. Dans le cas de l’émetteur assujetti n’ayant pas encore envoyé ni déposé ses documents reliés aux procurations, cette information devrait y figurer. Dans le cas contraire, et s’il a suivi les mesures susmentionnées concernant l’annonce d’un changement de date, d’heure ou de lieu, il n’est pas tenu d’envoyer d’autres documents de sollicitation ni de mettre à jour ses documents reliés aux procurations uniquement pour annoncer la tenue d’une AGA virtuelle ou hybride.

Le 23 mars 2020, les ACVM ont publié des dispenses générales temporaires de l’application de certaines obligations de dépôts réglementaires visant les participants au marché en raison de la COVID‑19 (ici). Les dispenses générales accordent une prolongation de 45 jours à l’égard des dépôts périodiques que doivent normalement effectuer les émetteurs, les fonds d’investissement, les personnes inscrites, certaines entités réglementées et les agences de notation désignées au plus tard le 1er juin 2020 et de certaines autres obligations indiquées dans les décisions. Les participants au marché doivent se conformer aux conditions des dispenses pour se prévaloir de la prolongation.

Le 23 mars 2020, les bourses TSX et TSX-V ont modifié leur réglementation des sociétés inscrites en prévoyant que : « TSX and TSXV issuer relief measures include timeframe extensions for holding annual shareholder meetings, and approvals of stock option plans. TSX has also made allowances for filing of financial statements and adjustments to share buybacks and delisting criteria » (ici).

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Publication au Bulletin Joly Sociétés !

« Une loi PACTE au Canada ? : le « meilleur intérêt de la société » bientôt précisé par le législateur » : telle est ma dernière publication dans le Bulletin Joly Bourse, nov. 2019, n° 120, p. 52

Résumé :

La France a adopté, le 22 mai 2019, la loi PACTE et souligne par ce biais le rôle sociétal des entreprises. Si la France a été audacieuse, elle n’est pas isolée. À ce titre, le Canada a récemment déposé un projet de loi modifiant le contenu du devoir de loyauté défini dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Au travers de cette proposition déposée le 8 avril 2019 devant la Chambre des communes, le législateur canadien offre une définition originale de l’intérêt de la société.

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LCSA : de récentes réformes adoptées notamment sur le contenu du devoir de loyauté

Dans un billet du blogue Contact (« À qui doit profiter l’entreprise? », 2 mai 2019), j’avais commenté un projet de loi qui s’en venait en vue de réformer le droit des sociétés par actions fédéral.

Le 21 juin 2019, le projet a reçu la sanction royale.

Extrait :

De plus, cette section modifie la Loi canadienne sur les sociétés par actions afin, notamment de :

a) prévoir les facteurs dont les administrateurs et les dirigeants d’une société peuvent tenir compte lorsqu’ils agissent au mieux des intérêts de la société;

b) prévoir que les administrateurs de certaines sociétés sont tenus de présenter aux actionnaires certains renseignements relatifs à la diversité, au bien-être et à la rémunération.

Pour accéder au dossier législatif : ici

Pour un commentaire récent et complet : Stikeman Elliott, « Corporate Governance Developments Set to Be Codified into the CBCA », 20 novembre 2019

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Société à mission et Loi PACTE

Contexte juridique. L’article 169 de la loi PACTE, publiée au journal officiel le 22 mai 2019[1] modifie l’article 1835 du Code Civil en prévoyant que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » Dans cette section légale intitulée « repenser la place des entreprises dans la société », le législateur a également pris soin de modifier l’article L.225-35 du Code de commerce relatif au conseil d’administration des sociétés anonymes pour indiquer que ce dernier devra prendre en considération, « s’il y a lieu, la raison d’être de la société définie en application de l’article 1835 du code civil. » La modification des articles du Code Civil et du Code de commerce fait suite à la réflexion menée au cours d’une mission gouvernementale « Entreprise et intérêt général », confiée à Nicole Notat et Jean-Dominique Senard. Ces derniers ont été chargés le 5 janvier 2018 de réfléchir à « une nouvelle vision de l’entreprise, en interrogeant pour cela son rôle et ses missions » et à formuler « un diagnostic et des propositions sur la manière dont les statuts des sociétés et leur environnement, notamment juridique, pourraient être adaptés et ainsi, permettre de renforcer le rôle de l’entreprise vis-à-vis de ses partie-prenantes[2] ».

A n’en point douter ces dispositifs légaux relève du domaine de la responsabilité sociétale des entreprises dite RSE, que la commission européenne avait défini comme la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société[3]. Pour Isabelle Cadet[4] « la notion de responsabilité sociétale (RS) est un rapprochement entre le concept initial RSE traduction de Corporate Social Responsibility, dans les années 50 aux Etats-Unis, responsabilité d’ordre éthique et philanthropique, où l’individu est au cœur des préoccupations, avec la théorie des parties prenantes, (responsabilité collective) dans les années 80, obligeant à prendre en considération l’impact des activités de l’entreprise sur un certain nombre d’acteurs, dont les attentes peuvent apparaître légitimes, et enfin, par extension, celles non exprimées des générations futures, issues du concept de développement durable (bien commun), thème cher à l’Europe depuis le début du XXIème siècle (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010) ».

Droit comparé. En permettant aux entreprises constituées sous forme sociétaire d’inclure dans leurs statuts une raison d’être, le législateur entend doter les entrepreneurs de la possibilité de constituer une entreprise à mission. De nombreux modèles à travers le monde ont récemment été recensés dans cette volonté d’attribuer aux entreprises un autre objectif que la seule recherche du profit. L’on pourrait citer outre atlantique la Benefit Corporation, introduite en avril 2010 au Maryland[5], la Public Benefit Corporation créée en 2015 au Delaware[6] ou de la Flexible Purpose Corporation[7]. Sur le continent européen, largement inspirées du modèle américain, on recense notamment les Società Benefit italiennes[8], les Community Interest Companies britanniques[9] ou encore les Sociétés à finalité sociale belges[10].

Définition société à mission. Une société à mission pourrait se définir simplement selon les travaux d’Emmanuel Rasset[11] comme une structure juridique de type commercial avec une finalité de nature sociale qui, au travers du contrat de société, conclue un engagement des associés, un choix collectif qui dépasse de simples obligations pesant sur les dirigeants de la personne morale. Si de multiples vocables existent semble-t-il pour définir le même concept (« société à objet élargi », « société à objet social étendu », « société à bénéfice étendu », « société à finalité sociale » ou encore « société d’intérêt sociétal »), l’usage du terme société à mission sera privilégié car semble-t-il assez général pour englober les subtiles différences des autres concepts.

Cadre juridique adopté. L’exposé des motifs de la loi PACTE reprenant in extenso les termes du rapport Notat-Sénard[12] définit la raison d’être comme « l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social ». La possibilité d’inclure dans les statuts une raison d’être n’est pas nouvelle, ce que n’a d’ailleurs pas manqué de faire remarquer le Conseil d’Etat[13]. Là où une véritable évolution est à noter c’est dans la création par l’article 176 de la loi PACTE de trois nouvelles dispositions au sein du Code de commerce qui viendront encadrer le contrôle de ce nouveau statut de société à mission. En effet, les articles L.210-10 à L.210-12 du Code de commerce prévoient qu’une société pourra faire publiquement état de sa qualité de société à mission si ses statuts prévoient une raison d’être, si ces derniers précisent un ou des objectifs environnementaux et/ou sociaux à atteindre et si un comité de suivi composé d’au moins un salarié de l’entreprise présente un document de suivi à joindre au rapport de gestion annuel. Les modalités du contrôle de suivi des objectifs seront assurées par un tiers indépendant dont la mission sera précisée par décret. En somme, les sociétés commerciales sont concernées par ce dispositif nouveau au même titre que les coopératives agricoles[14] ainsi que les sociétés d’assurance mutuelles[15].

Prospection. Il apparaît que la raison d’être sociétaire est un de ces concepts qui ont plus de valeur que de sens. Malgré les mises en garde du Conseil d’Etat, la loi PACTE a finalement modifié le Code Napoléon pour y inclure le concept de société à mission sans que l’on puisse être certain des conséquences de l’adoption d’un tel statut. S’il est certain que contrairement à la modification de l’article 1833 relatif à la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, l’article 1835 du Code civil n’accorde qu’un droit optionnel aux sociétés. Il n’en demeure pas moins que si ces dernières font le choix de devenir des sociétés à mission, la violation des statuts dans la gestion de la structure amènera inéluctablement de nouveaux cas de responsabilité des dirigeants. En outre, si de nombreux cas vertueux de sociétés à mission ont été recensés[16], il demeure un risque non négligeable de greenwashing et d’usage marketing d’un tel concept. En effet, l’une des plus grandes Public Benefit Corporation est la filiale d’une société française, DanoneWave, qui a adopté ce statut à la suite de son rachat par Danone et se donne pour mission de nourrir « les citoyens, les communautés et le monde » grâce à des produits alimentaires sains alors même que la société française était entendue par une commission d’enquête parlementaire sur les risques mis en lumière par une étude de NutriNet-Santé de corrélations qui existent « entre une conservation d’aliments ultra-transformés et le risque de développer un cancer ou d’autres maladies[17] » Enfin, au surplus de ce risque de greenwashing, la Chambre française de l’économie sociale et solidaire[18] met en garde contre le risque de confusion entre les régimes juridiques de l’ESS et le nouveau statut des sociétés à mission à tel point qu’un auteur a pu évoquer la possible « cannibalisation » des structures ESS[19].

Être ou ne pas être ? Tel sera sans doute la question que se poseront les sociétés à l’avenir. Peut-être qu’un cadre européen de référence avec des avantages fiscaux et un contrôle accru de la mise en œuvre de leur mission servira enfin à obliger les entreprises à mettre de côté la recherche effrénée du profit en questionnant leur raison d’avoir.


[1] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, Journal Officiel n°0119, 23 mai 2019.

[2] DUMOURIER Arnaud, Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard chargés d’une mission « Entreprise et intérêt général » – LE MONDE DU DROIT : le magazine des professions juridiques », [en ligne], 5 janvier 2018 (Consulté le 20 août 2019), www.lemondedudroit.fr.

[3] Commission européenne, Communication de la commission au parlement européenne, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie pour l’UE pour la période 2011-2014 [ en ligne ], Bruxelles, 25 octobre 2011, www.eur-lex.europa.eu.

[4] CADET Isabelle, Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), responsabilité éthiques et utopies, Les fondements normatifs de la RSE, Etude de la place du droit dans les organisations [en ligne], thesis, Paris, CNAM, 2014, [consulté le 3 septembre 2019]. http://www.theses.fr/2014CNAM0947, p.134.

[5] QUIRET Matthieu, « B Corp », le label qui séduit le capitalisme américain, Les Echos [en ligne], publié le 4 avril 2012, (Consulté le 20 août 2019), www.lesechos.fr.

[6] MARKEL Jack, ancien gouverneur du Delaware, « A New Kind of Corporation to Harness the Power of Private Enterprise for Public Benefit », HuffPost [en ligne], publié le 22 juillet 2013, (consulté le 22 août 2019), www.huffpost.com

[7] LEVILLAIN Kevin, La flexible purpose corporation : un petit pas pour le juriste, un grand pas pour l’entreprise ? [en ligne], 2012, pp. 7-16 p., [consulté le 3 septembre 2019]. https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-00796500.

[8] « Società Benefit » [en ligne], Lexique Novethic, (Consulté le 20 août 2019), www.novethic.fr.

[9] « What is a CIC? » [en ligne], CIC AssociationCIC, publié 11 octobre 2015, (Consulté le 20 août 2019), www.cicassociation.org.uk.

[10] Articles 661 à 664 du Code des sociétés belge.

[11] MASSET Emmanuel, « Vers la société à mission ? », Rev. sociétés, 11, novembre 2018, p. 635‑639.

[12] NOTAT Nicole, SENARD Jean-Dominique, « L’entreprise objet d’intérêt collectif » [Rapport en ligne], publié le 9 mars 2018 [consulté le 20 juin 2019], www.economie.gouv.fr.

[13] CE, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises [en ligne], publié le 14 juin 2018,  www.legifrance.gouv.fr. Le Conseil d’État observe, en premier lieu, que rien n’interdit aujourd’hui à une société d’inscrire dans ses statuts, dans le respect des règles d’ordre public, une « raison d’être » c’est à dire un dessein, une ambition, ou tout autre considération générale tenant à l’affirmation de ses valeurs ou de ses préoccupations de long terme. Il relève par ailleurs qu’au terme du projet de loi l’inscription d’« une raison d’être » dans les statuts constitue une simple faculté. Le Conseil d’État considère que cette disposition n’est toutefois pas dépourvue de portée normative dans la mesure où, pour les entreprises qui auront fait ce choix, l’inscription dans les statuts obligera à s’y conformer.

[14] Loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération – Article 7, Journal Officiel, n°0214, 11 septembre 1947, p.9088.

[15] Art. L.322-26-4-1 du Code des assurances.

[16] LEVILLAIN Kevin, Les entreprises à mission : Formes, modèle et implications d’un engagement collectif [en ligne], thesis, Paris, ENMP, 2015, [consulté le 20 août 2019]. http://www.theses.fr/2015ENMP0010,  p.103 : « Nutriset est une PME française basée dans la région de Rouen, fondée en 1986 par Michel Lescanne. Dès sa création, le fondateur lui attribue, selon ses termes, un « mandat », celui de « nourrir les enfants », et en particulier ceux qui, dans le monde, sont en situation de malnutrition. ».

[17] Assemblée nationale, Commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance [en ligne], 17 juillet 2018, (consulté le 20 août 2019),  www.assemblee-nationale.fr.

[18] ESS France,  Position d’ESS France sur la mission « Entreprises et intérêt général » confiée à Madame NOTAT et Monsieur SENARD [en ligne], publié le 5 mars 2018, (consulté le 21 août 2019).

[19] MASSET Emmanuel, « Vers la société à mission ? », Rev. sociétés, 11, novembre 2018, p. 635‑639.

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L’intérêt social dans la loi PACTE, vers un nouveau rapport de force entre associés et sociétés ?

Abstract. La réécriture de l’article 1833 du Code Civil par la promulgation de la loi PACTE ancre pour la première fois dans le marbre législatif la notion d’intérêt social jusqu’alors jurisprudentielle. L’intérêt social est maintenant conçu comme l’intérêt de la structure sociétaire propre et celui-ci amènera à une gestion des sociétés en adéquation avec les enjeux environnementaux et sociaux de leur activité. Si l’étude d’impact du projet de loi faisait état de conséquences juridiques nulles pour cette modification, il est légitime de concevoir qu’une violation de l’article 1833 du Code civil dans son alinéa second pourra être considérée par les prétoires comme la violation d’une norme de conduite légale, justifiant une action en responsabilité pour faute au visa de l’article 1240 du même Code. En quelque sorte, la liberté entrepreneuriale des associés de structures sociétaires pourra peut-être s’estomper devant la nécessaire prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux qui participent du mieux-être commun et d’une certaine manière, de l’intérêt général.

Parcours législatif. Les mesures composant le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises ont été adoptées en lecture définitive par l’Assemblée Nationale le 11 avril 2019 à la suite d’une procédure accélérée lancée par le Gouvernement le 25 septembre 2018. La loi PACTE a ensuite été validée par le Conseil Constitutionnel dans une décision du 16 mai 2019[1]. Le Conseil des Sages n’a censuré que 15 articles sur les 271 qui lui étaient soumis. C’est l’article 169 de ladite loi[2] qui retiendra notre attention au sein de cette étude puisque dans la section 2 intitulée repenser la place des entreprises dans la société, la loi modifie notamment les articles 1833 et 1835 du Code Civil, restés inchangés depuis 1978[3]. Le nouvel article 1833 du Code Civil sera rédigé en ces termes :

« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

Disposition d’ordre public. D’emblée, se pose la question de l’impérativité de cette nouvelle norme. Est-elle une disposition d’ordre public ou constitue-t-elle une règle supplétive de volonté qui pourrait être écartée par une stipulation contraire au sein des statuts d’une société ? L’article 1844-10 du Code civil indiquait déjà en son deuxième alinéa que toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du Titre IX serait réputée non écrite lorsque ladite violation ne serait pas sanctionnée par la nullité. Or, le premier alinéa de cet article sanctionne par la nullité de la société elle-même la violation de l’article 1833. Cependant, afin de ne pas permettre la nullité d’une société sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 1833 nouveau du Code Civil, l’article 1844-10 nouveau prévoit qu’exception sera faite des dispositions violant le dernier alinéa de l’article 1833[4]. Dès lors, les délibérations et actes pris par la société en contrariété avec le nouvel article 1833 alinéa 2 ne feront pas encourir la nullité de la société. En revanche, de tels actes pourront éventuellement faire l’objet d’une action en responsabilité pour faute contre les dirigeants ou associés d’une société.  

Intérêt social et libre entreprise. La liberté entrepreneuriale, garantie par la Constitution depuis la fameuse décision relative à la loi de nationalisation de 1982[5], devient semble-t-il limitée par un impératif que la loi PACTE considère comme lui étant supérieur, à savoir l’intérêt social de la société, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Bien que les députés et sénateurs ayant saisi le Conseil Constitutionnel n’aient pas juger bon de l’interpeler sur cette question, le nouvel article 1833 du Code Civil, amène à repenser le rôle des associés et de la personne morale elle-même. Alors que ce qui permettait à la société d’avoir une existence juridique, indépendamment des formalités d’immatriculation justifiant la création de la personne morale, n’était finalement que l’intérêt commun des associés selon la loi, voilà qu’aujourd’hui le Code Civil impose à ces associés de voir leur intérêt commun s’estomper devant celui de la société même. La loi impose en effet à la société de concevoir son intérêt social en adéquation avec les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. La structure sociétaire devient alors en droit français une personne morale dont l’existence et la survie ne sont pas seulement conditionnées à la liberté d’entreprendre des associés mais aussi à la condition que cette volonté des associés de collaborer ensemble dans le cadre d’un marché, respecte les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. Cependant, les conséquences juridiques de cette loi nouvelle ne font pas l’unanimité. En effet, l’on sait que l’intérêt social était déjà une notion sur laquelle s’appuyaient nombre de décisions pour venir annuler un acte contraire aux intérêts de la société personne morale. L’étude d’impact de la loi indique même que les conséquences juridiques du second alinéa de l’article 1833 seront nulles dans la mesure où il sera demandé aux organes de direction de seulement prendre en considération les enjeux environnementaux et sociaux de l’activité sociétaire sans que cette disposition ne revête un caractère contraignant. Est-ce à dire que la formule usitée par le législateur n’aura qu’une forme incantatoire ? Seuls les prétoires le diront lorsque ceux-ci seront saisis de futurs litiges fondés sur une violation présumée de cette nouvelle disposition.

Problématique. Si l’on postule que la réécriture de l’article 1833 du Code civil ancre dans le marbre de la loi une vision nouvelle de la notion d’intérêt social, se pose alors inéluctablement la question de savoir, à la lumière du second alinéa de cet article, de la société ou des associés, qui oblige qui ? Pour répondre à cette problématique, il sera nécessaire de comprendre que jadis l’intérêt social protégeait les intérêts des associés et des créanciers (I) alors qu’il semble vouloir aujourd’hui protéger par l’entremise du nouvel alinéa de l’article 1833, la société humaine dans son ensemble (II).


I. L’intérêt social protégeant les intérêts des associés et des créanciers

Définition intérêt social. Une définition de l’intérêt social peut être tirée du rapport Viennot :  « l’intérêt social peut ainsi se définir comme l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de celles de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt commun, qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise.[6] » Pour certains, l’intérêt social représente la communauté d’intérêt des associés, pour d’autres, l’intérêt social se situe à mi-chemin entre l’intérêt des associés et de l’entreprise. La réécriture de l’article 1833 du Code Civil innove en ce sens qu’elle semble apporter une raison d’être commune à toutes les sociétés, celle de participer du mieux-être commun en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux dans tous les actes qui les engagent. C’est en effet ce qu’indiquait en substance le rapport Notat-Sénard[7] remis le 9 mars 2018 : chaque entreprise a donc une raison d’être non réductible au profit. C’est d’ailleurs souvent lorsqu’elle la perd que les soucis financiers surviennent. A ce titre, la loi PACTE a également modifié l’article L.225-35 du Code de Commerce qui imposera aux conseils d’administration de déterminer les orientations de l’activité sociétaire en conformité avec son intérêt social le tout en considérant ses enjeux sociaux et environnementaux. La notion d’intérêt social peut être mieux appréhendée à la lumière d’une définition de l’entreprise. En effet, l’exercice des activités économiques crée une entité économique et sociale que l’on nomme entreprise. L’intérêt social représente alors en somme l’intérêt de la société personne morale propre dans le développement du projet entrepreneurial qu’elle initie. L’entreprise se définirait alors, selon l’Union européenne[8], comme toute entité, indépendamment de sa forme juridique, exerçant une activité économique. Dès lors, le nouvel article 1833 impose que le développement de cette entreprise par une structure sociétaire se réalise en conformité avec l’intérêt social de la société elle-même et indique en outre que les organes de direction de la société devront agir en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité développée. Autrement dit, toute société devra réaliser son objet social par la réalisation d’une activité économique que l’on nomme entreprise, en respectant l’intérêt social de la structure propre et en veillant à ce que l’activité développée respecte les enjeux sociaux et environnementaux de notre temps.

Actes contraires à l’intérêt social. Il est évident que la liberté d’entreprendre des associés a par le passé déjà été limitée par la loi en considération d’intérêts multiples. En effet, un associé ne peut pas confondre son patrimoine propre et celui de la société en demandant à son dirigeant de lui verser des dividendes fictifs sous peine de voir ce dernier condamné pénalement pour abus de bien sociaux au visa de l’article L.241-3 du Code de Commerce. Certains[9] estiment d’ailleurs que la création de ce délit en 1935[10] est en réalité la première apparition en creux de la notion d’intérêt social. Celle-ci, bien que non présente dans la loi ainsi formulée par le passé, a déjà servi de fondement aux prétoires pour faire condamner un dirigeant qui prélevait abusivement des biens de l’entreprise[11]. La décision des juges du quai de l’Horloge était assez explicite puisqu’elle indiquait que la loi (protégeait) le patrimoine de la société et les intérêts des tiers au même titre que les intérêts des associés. La sanction pénale du dirigeant qui réaliserait un acte contraire à l’intérêt social se comprend de tout acte portant atteinte au patrimoine social[12] mais aussi de tout acte qui ferait courir un risque anormal au patrimoine social[13].

Prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Dès lors, bien que l’article 1833 du Code Civil ne soit évidemment pas une disposition pénale, il ajoute aux interdictions de porter atteinte au patrimoine social celle de porter atteinte à l’intérêt social compris comme devant participer aux enjeux sociaux et environnementaux, en somme de l’intérêt général. En effet, la définition restrictive de l’intérêt social comprise comme équipollente à celle de la communauté d’intérêts des associés ou actionnaires est rendue désuète par l’entremise du nouvel alinéa de l’article 1833. Celui-ci fait porter une dimension environnementale et sociale à l’intérêt social que même une définition extensive prenant en compte l’intérêt de l’entreprise n’aurait pas osé aborder. Cette nouvelle rédaction de l’article 1833 du Code Civil n’est pas sans rappeler le sixième considérant de la charte de l’environnement qui dispose que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation. En effet, le Conseil Constitutionnel avait déjà interprété cette disposition le 8 avril 2011 en considérant que chacun était tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité[14]. Un auteur[15] s’était d’ailleurs récemment demandé quelle était la raison d’inscrire dans le marbre de la loi une incitation déjà entérinée par le Conseil des sages alors même que l’étude d’impact du gouvernement présentée au parlement prévoyait un impact juridique nul autour du nouvel alinéa de l’article 1833. Au-delà de la formule incantatoire ci-présentée, peut-être se dessine-t-il, à la lumière de la réécriture de ce texte, une nouvelle vision de l’intérêt social.

D’une vision économique. A notre connaissance, l’intégralité des décisions qui ont eu recours à l’intérêt social pour juger un acte illicite ont toujours été prises à ce jour en prenant appui sur une vision économique de l’intérêt social. En effet, lorsque les juges du droit indiquent que pour être valable, la sûreté apportée par une société, doit être conforme à son intérêt social[16], on comprend qu’une telle sûreté, lorsqu’elle constitue le seul actif de la société et que l’opération ne lui apporte aucune rémunération, constitue un risque anormal porté au patrimoine social, obérant alors la survie économique de ladite entité. De même dans une affaire célèbre[17] mettant en cause le groupe ELF au sein de circonvolutions politico-financières, bien que le mandat exclusif délivré par le président de la société nationale à une compagnie de courtage d’assurances ait permis au groupe de réaliser des économies substantielles, c’est encore sur le critère de l’intérêt économique que s’est matérialisé l’intérêt social du groupe ELF selon les juges du droit. Les rétrocommissions occultes versées dans le cadre de ce dossier constituaient un manque à gagner pour la société ELF, ce qui a pu justifier la qualification d’abus de bien social en jugeant une telle opération contraire à l’intérêt social de ladite société. Ainsi, comme l’écrivait Alain Courret, la finalité de la société à la lecture de l’article 1833 ancien du Code Civil était l’intérêt des pécuniaire associés exclusivement[18]. La prise en compte de l’intérêt social dans le nouvel article 1833 du Code Civil n’est pas non plus sans rappeler l’amendement 1555[19] du projet de Loi Macron sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques[20] qui prévoyait que Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés et que celle-ci doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental. Une telle évolution législative laisse à penser que la nouvelle formulation de l’article 1833 demeure une avancée symbolique dans la volonté générale de réformer le capitalisme et ses affres tel que l’imaginait déjà, en 2012, David Hurstel[21] en évoquant l’idée d’organiser la société commerciale à partir du projet d’entreprise plutôt qu’à partir du profit et souhaitant une modification de l’article 1833 du Code Civil pour y inclure l’idée de poursuivre un projet d’entreprise qui respecte l’intérêt général, financé au moyen du profit. Le risque évident dégagé par cette doctrine analysée par une interprétation stricte du nouvel article 1833 est évidemment de voir des organes de direction privilégier une action fondée sur des critères environnementaux et sociaux flous en contradiction avec la communauté d’intérêts des actionnaires sans que ceux-ci ne puissent agir. Si dans les sociétés commerciales cotées le Code AFEP MEDEF prévoyait déjà que les conseils d’administration devaient se conformer à l’intérêt social de l’entreprise en son article 5-1, pourra-t-on envisager une telle application de l’article 1833 du Code Civil aux sociétés civiles immobilières, aux sociétés civiles de gestion patrimoniale ou encore aux holdings non animatrices qui par essence ne disposent pas d’un véritable projet entrepreneurial ? Les associés de telles sociétés demeureront-ils encore maître de leurs projets ou auront-il à subir le poids de l’alinéa second de l’article 1833 nouveau dans leurs prises de décision ?


II.  L’intérêt social obligeant les associés pour protéger la Société humaine

A une vision sociétale. En somme, si le départ entre intérêt personnel des associés ou actionnaires et intérêt social de la société était marqué par l’intérêt économique de la structure sociétaire elle-même, aujourd’hui, l’intérêt social adopte une dimension sociétale et véritablement sociale par l’entremise du nouvel article 1833 du Code Civil. Comme énoncé précédemment, le critère économique n’étant plus le seul à prendre en compte, on peut considérer que les structures sociétaires, impulsées par la dynamique RSE de notre temps[22], se doivent dans leur activité, de se conformer à des principes se rapprochant de l’intérêt général. L’étude d’impact de la loi PACTE a indiqué qu’un dirigeant de société ne pouvait se fonder sur des enjeux sociaux et environnementaux pour prendre une décision contraire à l’intérêt social. On imagine bien par exemple qu’un changement de tous les véhicules d’une société pour des véhicules électriques qui obérerait la survie de l’entreprise pourrait être constitutif d’une faute de gestion parce qu’une telle décision, si elle amenait à la cessation de paiement, serait certes en accord avec les enjeux environnementaux de notre temps mais contraire à l’intérêt social de l’entreprise compris comme sa propre survivance. Une définition de l’acte anormal de gestion conçue comme celui par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt a d’ailleurs récemment été rappelée par le Conseil d’Etat[23]. L’étude d’impact indique alors que les enjeux environnementaux et sociaux doivent seulement être pris en considération par le chef d’entreprise sans plus de définition du véritable impact d’une telle norme sur les dirigeants. Au-delà de l’effet d’annonce de ce nouvel article 1833 du Code Civil, il semble que la part d’interprétation souveraine des juges du fonds sera extrêmement importante. En effet, l’étude d’impact n’envisage pas les cas où une décision du chef d’entreprise ou des associés serait en adéquation avec l’intérêt social et en contrariété avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. En effet, si une entreprise française décide d’exporter la manufacture de ses produits pour les vendre sur le territoire hexagonal, une telle décision peut être rentable sur le plan économique et même conditionner la survie de l’entreprise. Elle semble donc en adéquation avec son intérêt social. Pour autant, un tel dumping social amène inéluctablement une empreinte carbone supplémentaire de par la nécessité du transport de marchandises ce qui rend l’opération contraire aux enjeux environnementaux de notre temps. Les juges pourront-ils aller jusqu’à considérer qu’une telle décision en adéquation avec l’intérêt social de l’entreprise et qui ne prendrait pas en compte les enjeux environnementaux et sociaux de son activité est constitutive d’une faute tirée de la violation de l’article 1833 du Code Civil ? Cela semble peu probable mais la réflexion autour des actions possibles sur la base de ce nouvel article et en imaginant une interprétation stricte de la loi par les prétoires semble infinie. Une telle position serait certes drastique, voire interventionniste mais elle permettrait semble-t-il d’endiguer les comportements court-termistes de maximisation du profit en obligeant les entreprises à contribuer à la recherche d’une croissance raisonnée et génératrice de bien-être et de progrès[24]. En effet, il semble que se dégage en creux de l’analyse du libellé de l’article 1833 du Code Civil une volonté de faire participer les sociétés personne morale de l’intérêt général bien que cette notion n’ait pas de véritable consistance juridique déterminée.

Le droit solidaire des sociétés ? Si la création d’une société et sa gestion obéissaient  au concept d’autonomie de la volonté en permettant à des associés de collaborer ensemble en vue de la réalisation d’économies ou de bénéfices par l’entremise d’une structure sociétaire personnifiée moralement grâce à une prérogative déléguée par la loi sous forme d’un droit fondamental qu’est la liberté contractuelle, évidemment limitée dans sa substance par des impératifs catégoriques pour certains kantiens que l’on nomme ordre public, il semble qu’aujourd’hui, la vie sociétaire soit également impactée par le mouvement de solidarisme contractuel qui amène à prendre en considération d’autres éléments que le simple échange des consentements. Si, comme l’écrivait Duguit[25] et Bourgeois[26], l’homme est par nature un être social, débiteur de l’association humaine, il a envers ces membres d’une société préconstituée une dette de solidarité. En somme, cette créance de solidarité que la société humaine contracterait à l’encontre de ses membres se matérialise dans ce nouvel article 1833 du Code Civil comme l’obligation pour ceux-ci, lorsqu’ils s’associent sous forme sociétaire, de se conformer à un intérêt social prenant en considération les enjeux environnementaux et sociaux actuels. Autrement dit, les personnes morales, elles aussi, deviendraient en quelque sorte, débitrices d’une dette sociale et environnementale à l’endroit de cette société humaine préconstituée, obligeant alors à considérer que l’autonomie de la volonté de ses associés ou actionnaires devraient s’estomper devant le mouvement de solidarisme contractuel que l’on peut lire dans cette réécriture de l’article 1833 du Code Civil. Ce droit solidaire des sociétés amènerait à assigner aux structures sociétaires la satisfaction de l’intérêt général commun[27] en séparant nettement l’intérêt des associés de celui de la société personne-morale[28].

Possibles actions. Cet équilibrage forcé des relations économiques et sociales par l’effet de la loi, se traduira peut-être par la possibilité offerte aux associés d’une structure d’intenter une action en responsabilité contre des dirigeants ou associés majoritaires qui contreviendraient à l’intérêt social pris en considération de critères sociaux et environnementaux. Concrètement, peut-être que ce nouvel article 1833 du Code Civil permettra à des associés d’engager la responsabilité d’un dirigeant qui viendrait accorder un cautionnement, un bail, un marché à une société dont la déclaration de performance extra-financière insérée dans le rapport de gestion touchant les sociétés cotées depuis la loi sur la transition énergétique[29], ferait état d’un bilan carbone extrêmement néfaste pour l’environnement au visa de l’article L.225-102-1 du Code de commerce. Aussi, peut-être que cette nouvelle vision de l’intérêt social permettra d’empêcher certaines opérations de spéculation financières telles que des LBO qui conduisent parfois certaines entreprises à la liquidation judiciaire. En somme, peut-être que la réécriture de l’article 1833 du Code Civil amènera à terme, à une moralisation de la finance en empêchant les associés d’une structure de phagocyter une entreprise. Là encore, une telle interprétation stricte de la loi semble en contradiction avec l’étude d’impact qui indiquait que selon le gouvernement, le nouvel article 1833 aurait un impact juridique nul dans la mesure où, selon lui, le texte ne faisait que reprendre une notion déjà utilisé en jurisprudence, ce qui rendrait la codification à droit constant. Or, comme nous avons tenté de le démontrer, la notion jurisprudentielle d’intérêt social ayant été longuement discutée et ne faisant pas l’objet d’un consensus scientifique n’a, à notre connaissance, jamais intégré de dimension environnementale. Ainsi, face aux lacunes de définition et d’interprétation que soulève l’analyse de cette réécriture, il peut être imaginé que la violation de l’article 1833 par un dirigeant, une communauté d’associés ou un conseil d’administration, pourra être constitutive d’une faute qui permettrait d’engager la responsabilité des parties prenantes et partant peut-être de dissuader ceux-ci d’adopter certains actes et délibérations.


Conclusion

En conclusion, la réécriture de l’article 1833 du Code Civil fait entrer dans la loi la notion d’intérêt social de l’entreprise avec une définition extrêmement extensive voire interventionniste qui vise à faire peser sur les associés et dirigeants des sociétés une obligation de gestion de l’entreprise en adéquation avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. En effet, la violation de l’alinéa second de l’article susvisé laisse peser un risque d’engagement de responsabilité pour faute à l’égard des associés et dirigeants. L’autonomie de la volonté qui permettait aux associés de conduire la marche de leur entreprise en accord avec leur communauté d’intérêts semble laisser place à une forme de solidarisme contractuel qui impose aux dits associés de se conformer aux exigences tirées de l’intérêt social redéfini par la loi pour que la structure sociétaire participe du mieux-être commun. La personnification de la société n’est pas celle du groupement des associés[30] et le groupement des associés ne transcende pas l’intérêt social de la personne fictive créée par les seconds. Ainsi, pour répondre concrètement à la problématique initiale, si l’on a considéré que des associés ou de la société, les premiers étaient les maîtres de la seconde, la consécration de l’intérêt social propre des structures sociétaires amène à considérer que celles-ci soient d’une part reconnues par les associés comme disposant d’un intérêt propre et la dépendance financière des associés sur la société corrélée à l’exigence de conformité avec le nouvel intérêt social promu par l’alinéa 2 de l’article 1833 du Code civil permet de concevoir que l’esclave sociétaire devient en quelque sorte le nouveau maître des associés d’autre part. En effet, Aristote définissait l’esclave comme un « outil animé » : l’esclave étant alors une matière dont seul le maître est la forme[31]. Si l’esclave et le maître diffèrent par ce qu’Hegel appelait « chose », l’esclave travaillant la chose pour que le maître en jouisse, la métaphore de la Phénoménologie de l’esprit[32] appliquée à la relation associés-société permet de concevoir l’idée que l’ancien maître, l’associé, faisant travailler pour son profit ou son économie la société, l’esclave, devient à son tour l’esclave de l’esclave, la société devenant le véritable maître de l’économie ou du profit réalisé par l’associé car disposant d’un intérêt social qui oblige le premier. Si les personnes morales n’ont jamais déjeuner avec les associés qui l’ont constituée pour reprendre le trait d’esprit de Duguit ce à quoi lui répondait Soyer en indiquant qu’il les avait déjà vu payer l’addition, peut-être que si les personnes morales pouvaient s’exprimer à ce jour, elles reprendraient les mots de Dostoïevski : « Mais sache que les hommes sont convaincus maintenant, plus que jamais, qu’ils sont complètement libres. Et cependant ils nous ont apporté eux-mêmes leur liberté et l’ont humblement déposée à nos pieds[33]. »


[1] Cons. Const., 16 mai 2019, n° 2019-781

[2] LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, Journal Officiel n°0119 du 23 mai 2019

[3] Loi 78-9 1978-01-04 modifiant le titre IX du livre III du code civil, Journal officiel, 15 janvier 1978

[4] LIEHNARD, Alain, « Loi PACTE : consécration de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux », Dalloz Actualité [en ligne], avril 2019 [consulté le 20 mai 2019]

[5] Cons. Const. , 16 janvier 1982, n°81-132

[6] VIENNOT Marc, « Rapport Viennot sur le conseil d’administration des sociétés cotées », RIDC, 1996, pp. 647-655

[7] NOTAT Nicole, SENARD Jean-Dominique, « L’entreprise objet d’intérêt collectif » [Rapport en ligne], publié le 9 mars 2018 [consulté le 20 juin 2019], www.economie.gouv.fr

[8] Commission européenne, Recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) [notifiée sous le numéro C(2003) 1422], Journal officiel n° L 124 du 20/05/2003 p. 0036 – 0041, article premier, titre I, [en ligne], eur-lex.europa.eu

[9] SEGRESTIN Blanche « Intérêt social et objet social, ou comment renouveler une convention d’entreprise », in P. Batifoulier et al. (éds.), Dictionnaire des conventions. Autour des travaux d’Olivier Favereau, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, pp. 174‑178, disponible sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01288342 (Consulté le 12 juin 2019).

[10] Décret-loi du 8 août 1935 portant application aux gérants et administrateurs de sociétés de la législation de la faillite et de la banqueroute et instituant l’interdiction et la déchéance du droit de gérer et d’administrer une société, Journal officiel du 9 août 1935 page 8682

[11 Cass. crim, 8 mars 1967, n° 65-93.757, Publié au bulletin

[12] Cass. crim., 20 mai 2015, n° 13-87.388

[13] Cass. crim, 10 Avril 2002 – n° 01-84.192

[14] Cons. const, 8 avril 2011, n° 2011-116, QPC

[15] SCHMIDT Dominique, « La loi Pacte et l’intérêt social », D. 2019. 4 avril 2019, p.633

[16] Com. 8 nov. 2011, n° 10-24.438, D. 2012. 415, obs. A. Lienhard

[17] Crim. 31 janv. 2007, n°02-85.089 05-82.671, publié au bulletin

[18] COURET Alain, « Faut-il réécrire les articles 1832 et 1833 du code civil ? », D. 2017, 2 février 2017, p.222 

[19] Cet amendement a été rejeté lors de la séance du 13 févr. 2015 sur avis conforme du ministre de l’économie.

[20] LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, 2015-990, 6 août 2015, journal officiel n°0181 du 7 août 2015 page 13537

[21] GIRAUD Gaël, RENOUARD Céline, « Vingt propositions pour réformer le capitalisme », Paris, Flammarion, 23 mars 2009, p.376

[22] On pourrait notamment citer l’article 174 in limine de la loi PACTE : Au plus tard un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en place d’une structure de revue et d’évaluation des labels de responsabilité sociale des entreprises permettant de valoriser des produits, des comportements ou des stratégies. Cette structure associe, notamment, des experts et des membres du Parlement et propose des pistes de rationalisation et d’harmonisation des conditions de validité, de fiabilité et d’accessibilité de ces labels pour les petites sociétés.

[23] CE. plén. 21 décembre 2018, n° 402006

[24] SCHMIDT Dominique, La société et l’entreprise, D. 2017, p.2380

[25] DUGUIT Léon, « Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon », Félix Alcan, 1920, p. 18.

[26]BOURGEOIS Léon, « Solidarité », Paris, Armand Colin, 1896, p. 116.

[27] SCHMIDT Dominique, « La société et l’entreprise », D. 2017. p 2380

[28] PAILLUSSEAU Jean, « Entreprise et société. Quels rapports ? Quelle réforme ? »,  D. 2018, p.1395

[29] LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, 2015-992, Journal offciel n°0189 du 18 août 2015 page 14263

[30] V. PAILLUSSEAU Jean, « Le droit moderne de la personnalité morale », RTD civ. 1993, p.705 ; « Comment les activités économiques révolutionnent le droit et les théories juridiques », D. 2017, p. 1004

[31] BADIOU Alain, « Maîtres et esclaves chez Hegel », Sud/Nord, octobre 2017, n° 1, pp. 35‑47. Aristote parle plus précisément d’ « objet animé (κτῆμά τι ἔμψυχον), un instrument destiné à l’action (ὄργανον πρακτικόν), qui commande aux autres instruments, un bien appartenant en propriété exclusive à son maître. » Aristote, « La Politique » avec le texte intégral du livre III, chapitres I à XI, Rosny, France, Bréal, 2016.

[32] HEGEL, Phénoménologie de l’esprit, Paris, France, Librairie philosophique J. Vrin, 2018.

[33] DOSTOIEVSKI, Les frères Karamazov, 1879