Normes d’encadrement | Page 6

engagement et activisme actionnarial Gouvernance Normes d'encadrement Valeur actionnariale vs. sociétale

Nos étudiants publient : pourquoi un contrôle effectif de l’entreprise par l’actionnaire ? (par Éric Brault)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par M. Éric Brault. Ce dernier porte une réflexion sur la légitimité du contrôle des actionnaires et revient sur l’étude « The Essential Unity of Shareholders and the Myth of Investor Short-Termism » du professeur George W. Dent. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Le texte The Essential Unity of Shareholders and the Myth of Investor Short-Termism de George W Dent Jr. s’inscrit dans un débat éternel plaçant face-à-face actionnaires et administrateurs. L’auteur fait l’apologie du contrôle effectif de l’entreprise par les actionnaires[1].

 

Mise en perspective

L’argumentaire du professeur Dent découle d’abord d’une réflexion qu’il fait sur le système de gouvernance des entreprises américaines. Pour lui, le niveau de contrôle exercé par les conseils d’administration d’entreprises ouvertes américaines est trop important, en rapport au peu de contrôle effectif détenu par les actionnaires. Cette situation ouvre la porte à un conseil d’administration qui se permet de prendre des décisions qui ne cadrent pas avec les intérêts des actionnaires, engendrant ainsi une perte d’intérêt de la part des investisseurs envers les entreprises publiques américaines. La solution serait alors de permettre aux actionnaires (ceux ayant l’intérêt le plus marqué dans la réussite de l’entreprise) d’obtenir un plus grand contrôle de cette dernière. Cette solution est toutefois diamétralement opposée à ceux qui défendent le pouvoir détenu par les administrateurs et qui cherchent à limiter le pouvoir actionnarial et, conséquemment, l’influence des investisseurs institutionnels. L’article du professeur Dent s’inscrit comme réponse aux partisans d’un maintien du statu quo qui cherchent à limiter le contrôle détenu par les actionnaires.

 

Des actionnaires légitimés

L’auteur pose comme hypothèse de départ que les intérêts des actionnaires n’entrent pas en conflits, mais convergent plutôt vers un but unique : la maximisation de la valeur de l’action qu’ils détiennent. Afin de le démontrer, ce dernier isole d’abord les principales prémisses servant à la construction des arguments des disciples de la théorie voulant un contrôle actionnarial plus faible[2]. Il déconstruit ensuite chacune de ces prémisses afin de démontrer les failles dans l’argumentaire évoqué. Pour terminer, il dresse un portrait de la situation actuelle où la prise de décision effective est contrôlée par les administrateurs qui sont eux-mêmes souvent soumis à l’influence du P.-D.G. Le professeur Dent démontre que les différentes tentatives règlementaires voulant donner aux conseils d’administration une plus grande indépendance n’ont pas permis d’aligner correctement les intérêts des actionnaires et des administrateurs.

 

Déconstruire

La première des prémisses déconstruites par le professeur Dent concerne l’ignorance de l’actionnaire. D’après les adhérents du statu quo, l’actionnaire n’a pas assez de connaissances concernant l’entreprise et ses projets afin de faire un choix éclairé et conséquemment, ses choix risquent de faire diminuer la valeur des actions. Le professeur Dent démontre aisément les failles de l’argument.  Il explique, entre autres, que les votes des actionnaires touchent principalement les « Règles du jeu »[3] et non les enjeux opérationnels. Il n’est donc pas nécessaire de comprendre en profondeur l’élément opérationnel de l’entreprise afin de prendre une décision favorable à la maximisation de sa valeur.

La seconde des prémisses déconstruite par le professeur Dent est celle de la présence de conflits d’intérêts chez les actionnaires et entre actionnaires qui peuvent mener à une priorisation de certains projets ou secteurs d’activités nuisibles à la santé financière de l’entreprise. Un conflit d’intérêts au niveau de l’actionnariat peut s’exprimer de multiples façons et l’auteur s’attarde sur cinq situations[4]. L’auteur pose ensuite deux constats afin de démontrer la non-importance des conflits d’intérêts évoqués. D’abord, le conflit ne concerne souvent que quelques actionnaires qui sont loin d’être en mesure d’obtenir la majorité nécessaire à la poursuite de leurs agendas respectifs et, ces différents agendas sont souvent contradictoires. Deuxièmement, une étude sur litiges dans les conseils d’administration démontre que ceux-ci ne sont pas causés par des conflits entre actionnaires plutôt par des luttes pour le pouvoir entre administrateurs[5].

La troisième prémisse déconstruite par le professeur Dent est celle des investisseurs détenant des actions à court terme et cherchant un rendement rapide au détriment des gains et de la stabilité à long terme. Cette préoccupation cadre avec une présence accrue des fonds d’investissement alternatifs[6] qui ont tendance à détenir des actions moins longtemps que les investisseurs traditionnels. Pourtant, l’auteur explique qu’il n’y a pas de preuves empiriques qui démontrent que les pressions provenant des actionnaires détenteurs d’actions à court terme produisent des effets nocifs à long terme.

 

Conclusion

Par son texte, le professeur Dent parvient à démontrer que les intérêts des actionnaires convergents vers l’unique but de maximiser la valeur des actions de l’entreprise. Il exprime toutefois certaines retenues sachant qu’aucun système n’est parfait. Le contrôle effectif par les actionnaires peut laisser place à la prise de décisions allant à l’encontre du but établi ci-dessus. Mais, l’objectif est de permettre l’amélioration du système actuel qui laisse le contrôle effectif de l’entreprise entre les mains du conseil d’administration et des dirigeants ce qui permet une dissociation entre les intérêts de ces derniers et ceux des actionnaires. Toutefois, l’auteur ne démontre pas comment s’effectuerait ce contrôle plus effectif de l’actionnaire. Il existe par exemple déjà dans certains pays certaines mesures comme le Say-on-Pay qui augmentent ce contrôle. Est-ce « la » solution ?

 

Éric Brault

Étudiant du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] G. W. DENT Jr, « The Essential Unity of Shareholders and the Myth of Investor Short-Termism », Delaware Journal of Corporate Law, 2010, Vol. 35, p. 97.

[2] Dans le texte, l’auteur fait effectivement référence à une théorie : « Corporate managers as well as their operatives and camp followers constructed a theory that shareholder control would not serve the national interest in economic efficiency; indeed it would not serve the interests of shareholders themselves » (p. 99 de l’article du professeur Dent).

[3] Le professeur Dent utilise le terme « Rules-of-the-game » (p. 133 de l’article du professeur Dent).

[4] Ces cinq conflits d’intérêt sont : employé mais également actionnaire; actionnaire ayant un mandat politique externe; actionnaire ayant des intérêts financiers dans une autre entreprise partenaire (problématique de l’auto-négociation); actionnaire n’ayant plus d’intérêts dans l’entreprise lors du vote; et actionnaire ayant un intérêt financier dans un compétiteur.

[5] Anup AGRAWAL et Mark A. CHEN, « Boardroom Brawls: An Empirical Analysis of Disputes Involving Directors », EFA 2008 Athens Meetings Paper, 1er juillet 2008, 1.

[6] Yvan ALLAIRE, « La démocratie et le droit de vote des actionnaires », dans Propos de gouvernance…et autres. Montréal, Presse Forstrat International, 2007, p. 95 et s.

 

Normes d'encadrement rémunération Valeur actionnariale vs. sociétale

The role of executive pay in promoting responsible business

Dans Lexology, RPC propose une synthèse intéressante qui rappelle une évidence : la rémunération des hauts-dirigeants a un rôle à jouer dans la pérennité à long-terme des entrepris. Un article synthétique à lire qui revient sur le projet de réforme britannique de gouvernance d’entreprise : « The role of executive pay in promoting responsible business » (24 mars 2017).

 

Executive pay is a thorny issue. Well-structured remuneration packages can help to ensure that companies are run responsibly for the benefit of shareholders, employees, customers, and wider society. However, when improperly designed, executive pay packages can encourage short-term and risky behaviour which dents public confidence in business.

(…)

The ultimate aim for businesses is to attract and retain top talent whilst ensuring that those individuals are motivated to achieve sustainable, long-term value creation for the company. Where there is a perception that ever more generous remuneration packages are necessary in order to achieve those objectives, we are unlikely to see any reversal in current pay trends, with or without reform.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

devoirs des administrateurs engagement et activisme actionnarial Gouvernance mission et composition du conseil d'administration normes de droit objectifs de l'entreprise Valeur actionnariale vs. sociétale

Le rendement à court-terme, une menace pour nos entreprises

Bel article du Journal de Montréal : « Le rendement à court-terme, une menace pour nos entreprises » (22 novembre 2016). Une occasion de discuter gouvernance d’entreprise en se concentrant sur la situation actuelle caractérisée par une omniprésence des investisseurs institutionnels !

 

Auparavant, les petits investisseurs québécois conservaient leurs actions en bourse en moyenne 10 ans. Aujourd’hui, à peine quatre mois. Quelque chose a changé dans notre rapport aux entreprises. Et pas pour le mieux, dit Gaétan Morin, président et chef de la direction du Fonds de solidarité FTQ.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Gouvernance normes de droit Valeur actionnariale vs. sociétale

5 mythes sur la gouvernance d’entreprise – 1re partie

« 5 mythes sur la gouvernance d’entreprise (1re partie) » est mon dernier de blogue sur Contact. À cette occasion, je repense certains facteurs économiques fondamentaux de la gouvernance d’entreprise. Ces facteurs s’appuient sur une série de présupposés issus des sciences économiques, financières, de la gestion et juridiques. Ces présupposés sont ancrés dans une culture anglo-américaine, mais ils ont largement été véhiculés dans le monde. Ils relèvent à mon sens d’une mythologie qu’il est temps de dénoncer.

 

Voici les 5 présupposés autour desquels s’articule cette mythologie:

1. La société par actions est un simple contrat.

2. Les actionnaires sont les propriétaires de la société par actions.

3. Les actionnaires sont les seuls créanciers résiduels.

4. Les actionnaires dotés de nouveaux pouvoirs s’investissent activement et positivement dans la gouvernance.

5. L’objectif de la gouvernance d’entreprise est de satisfaire l’intérêt des actionnaires.

 

Je reviens sur chacun de ces présupposés pour démontrer qu’ils appartiennent à une mythologie qui ne saurait justifier une remise en question du mouvement grandissant de responsabilisation des entreprises.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

normes de droit Nouvelles diverses objectifs de l'entreprise Valeur actionnariale vs. sociétale

Primauté actionnariale et Benefit corporation

Le Harvard Law School Forum on Corporate Governance and Financial Regulation propose un bel article sous la plume de Frederick Alexander : « Moving Beyond Shareholder Primacy: Can Mammoth Corporations Like ExxonMobil Benefit Everyone? ». Une belle occasion de revenir sur le thème de la Benefit Corporation et de la remise en cause de la primauté actionnariale dont elle peut être la cause…

 

The New York Times recently took issue with Rex Tillerson, the President-elect’s nominee for Secretary of State, and the current CEO of ExxonMobil. Why? “Tillerson Put Company’s Needs Over U.S. Interests,” accused the front page headline. The article details how the company puts shareholders’ interests before the interests of the United States and of impoverished citizens of countries around the world.

In response, a company spokesman insisted that all laws were followed, and that “‘[a]bsent a law prohibiting something, we evaluate it on a business case basis.’” As one oil business journalist puts it in the article: “‘They are really all about business and doing what is best for shareholders.’” Thus, as long as a decision improves return to shareholders, its effect on citizens, workers, communities or the environment just doesn’t rank.

Unfortunately, this idea—evaluate the “business” case, without regard to collateral damage, permeates the global capital system. Corporations are fueled by financial capital, which ultimately comes from our bank accounts, pension plans, insurance premiums and mutual funds, and from foundations and endowments created for public benefit—in other words, our money. And yet when that capital is invested in companies that ignore societal and environmental costs, we all suffer: Corporations use our savings to drive climate change, increase political instability, and risk our future in myriad ways.

The good news is that structures like “benefit corporations” can help us repair our broken system of capital allocation—but the clock is ticking.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

Gouvernance normes de droit Nouvelles diverses Valeur actionnariale vs. sociétale

Enron : 15 ans déjà

Dans « Why Enron Remains Relevant » (Harvard Law School Forum on Corporate Governance and Financial Regulation, 2 décembre 2016), Michael W. Peregrine aborde les leçons de l’affaire Enron, 15 ans après. Un bel article !

 

The fifteenth anniversary of the Enron bankruptcy (December 2, 2001) provides an excellent opportunity for the general counsel to review with a new generation of corporate officers and directors the problematic board conduct that proved to have seismic and lasting implications for corporate governance. The self-identified failures of Enron director oversight not only led to what was at the time the largest bankruptcy in U.S. history, but also served as a leading prompt for the enactment of the Sarbanes-Oxley Act, and the corporate responsibility movement that followed. For those reasons, the Enron bankruptcy remains one of the most consequential governance developments in corporate history.

Enron evolved from a natural gas company to what was by 2001 a highly diversified energy trading enterprise that pursued various forms of particularly complex transactions. Among these were the soon-to-be notorious related party transactions in which Enron financial management executives held lucrative economic interests. (These were the so-called “Star Wars” joint ventures, with names such as “Jedi”, “Raptor” and “Chewco”). Not only was Enron’s management team experienced, both its board and its audit committee were composed of individuals with broad and diverse business, accounting and regulatory backgrounds.

In the late 1990s the company experienced rapid growth, such that by March 2001 its stock was trading at 55 times earnings. However, that rapid growth attracted substantial scrutiny, including reports in the financial press that seriously questioned whether such high value could be sustained. These reports focused in part on the complexity and opaqueness of the company’s financial statements, that made it difficult to accurately track its source of income.

By mid-summer 2001 its share price began to drop; CEO Jeff Skilling unexpectedly resigned in August; the now-famous Sherron Watkins whistleblower letter was sent (anonymously) to Board Chair Ken Lay on August 15. On October 16, the company announced its intention to restate its financial statements from 1997 to 2007. On October 21 the SEC announced that it had commenced an investigation of the related party transactions. Chief Financial Officer Andrew Fastow was fired on October 25 after disclosing to the board that he had earned $30 million from those transactions. On October 29, Enron’s credit rating was lowered. A possible purchaser of Enron terminated negotiations on November 28, and the company filed for Chapter 11 bankruptcy protection on December 2.

The rest became history: the collapse of the company; the individual criminal prosecutions and convictions; the obstruction of justice verdict against company and, for Arthur Andersen (subsequently but belatedly overturned); the loss of scores of jobs and the collateral damage to the city of Houston; Mr. Lay’s sudden death; and, ultimately the 2002 enactment of the Sarbanes Oxley Act, which was intended to prevent future accounting, financial and governance failings as had occurred in Enron and other similar corporate scandals. But a 2016 Enron board briefing would be much more than a financial history lesson. For the continuing relevance of Enron is at least two-fold

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian

devoirs des administrateurs Gouvernance normes de droit objectifs de l'entreprise Valeur actionnariale vs. sociétale

Primauté de la valeur actionnariale : l’ambivalence du droit britannique

Marc T. Moore offre un beau papier sur la place de la valeur actionnariale en Grande-Bretagne dans une perspective historique : « Shareholder Primacy, Labour and the Historic Ambivalence of UK Company Law » (Oxford University, 20 septembre 2016).

 

Most directors and senior managers of British companies would likely regard it as trite law that, in undertaking their functions, they are accountable first and foremost to their employer firm’s general body of shareholders. It follows that the interests of other corporate constituencies – and, in particular, those of employees – must ultimately cede to those of shareholders in the event of conflict. Although frequently taken for granted today, the lexical priority that the British company law framework affords to the interests of shareholders is remarkable, not least when viewed alongside the correspondingly disempowered corporate governance status of labour in the UK.

On first reflection, it is somewhat curious that the interests of employees have not figured more prominently within British company law, especially when one considers the general political disposition of the country in modern times. Throughout the course of the last century, the UK has witnessed 37 years of Labour government (or 42 years if one includes Labour’s participation in the wartime coalition government). And although the UK is acknowledged on the whole as having a more neo-liberal (ie right-wing) political orientation than many of its northern European counterparts, it nonetheless has a comparatively strong social-democratic (ie left-wing) political tradition in relation to other English-speaking and former-Commonwealth countries, at least since the Second World War. It is thus not unreasonable to expect that, at some point during the post-war era, democratic public policy measures might have been taken to effect the direct integration of worker interests into the heart of the British corporate legal structure.

 

Une de ses conclusion est intéressante :

 

However, whilst the centrality of shareholders’ interests to the doctrinal and normative fabric of contemporary UK company law is both manifest and incontrovertible, this has curiously not always been the case. With respect to the fundamental question of the proper corporate objective (that is, as to whose interest British company directors are expected to serve while carrying out their functions), UK company law up until 2006 adopted a highly ambiguous position. Moreover, British company law has in the fairly recent past come precariously close to adopting a radically different board representation model, in which worker interests would formally have shared centre-stage with those of shareholders in a similar vein to the traditional German corporate governance model.

 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian