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Réforme allemande à venir en gouvernance

Dans Le Monde, Mme Cécile Boutelet propose une belle synthèse de réformes à venir du côté allemand suite au scandale Wirecard : « Après le scandale Wirecard, la finance allemande à la veille d’une profonde réforme » (Le Monde, 26 octobre 2020).

Extrait :

Après les révélations sur l’entreprise, qui avait manipulé son bilan, un projet de loi en discussion souhaite notamment renforcer les pouvoirs du gendarme de la Bourse allemand.

La finance allemande a-t-elle des pratiques malsaines ? Depuis la faillite au mois de juin de l’ancienne star de la finance Wirecard, après qu’elle a reconnu avoir lourdement manipulé son bilan, les révélations sur l’affaire se sont accumulées, soulignant les graves insuffisances du système de contrôle des marchés financiers outre-Rhin. Des manquements qui sont devenus un enjeu politique majeur. Sous pression, le ministre des finances, Olaf Scholz, pousse en faveur d’une réforme rapide du système. Son projet de loi, en discussion depuis mercredi 21 octobre dans les ministères, doit être voté « avant l’été », a-t-il annoncé.

Le texte, porté également par la ministre de la justice, Christine Lambrecht, révèle en creux les limites de l’approche allemande en matière de surveillance des entreprises cotées, et le tournant culturel amorcé par le scandale Wirecard. Le système reposait jusqu’ici sur la responsabilisation et la participation consensuelle des sociétés au processus de contrôle des bilans. L’examen des comptes était confié non pas à la BaFin, le gendarme allemand de la Bourse, mais à une association privée, la DPR (« organisme de contrôle des bilans »), qui disposait de très peu de moyens réels. L’affaire Wirecard a montré l’impuissance de cette approche dans le cas d’une fraude délibérément orchestrée. La future loi doit renforcer considérablement les pouvoirs de la BaFin, qui disposera d’un droit d’investigation pour examiner elle-même les bilans des entreprise

(…) Les cabinets d’audit, dont le manque de zèle à alerter sur les irrégularités de bilan a été mis au jour par le scandale, devront aussi se soumettre à une réforme. Leur mandat au service d’une même entreprise ne pourra excéder dix ans. Le projet de loi exige qu’une séparation plus nette soit faite, au sein de ces cabinets, entre leur activité d’audit et leur activité de conseil, afin d’éviter les conflits d’intérêts.

À la prochaine…

Divulgation finance sociale et investissement responsable Gouvernance Normes d'encadrement normes de droit Responsabilité sociale des entreprises

Finance durable et gestion collective : l’AMF publie une mise à jour

A la suite de la publication le 11 mars 2020 de la position-recommandation DOC-2020-03 visant à assurer une proportionnalité entre la réalité de la prise en compte des facteurs extra-financiers dans la gestion et la place qui leur est réservée dans la communication aux investisseurs, l’AMF publie une première mise à jour de cette doctrine. Je vous laisse découvrir le tableau offert par l’AMF sur l’avant et l’après modification…

Extrait :

Adéquation de la communication et de l’importance de la prise en compte de critères extra-financiers dans la gestion

Jusqu’alors, la position-recommandation DOC-2020-03 prévoyait une distinction binaire : soit le placement collectif disposait d’une prise en compte significativement engageante sur la prise en compte de critères extra-financiers et il pouvait alors communiquer de façon centrale sur ces aspects, soit l’approche n’atteignait pas ces standards minimaux et il devait se contenter d’une communication « très brève et très proportionnée » dans sa documentation commerciale sur la prise en compte de ces critères.

La position-recommandation prévoit désormais, aux côtés de la possibilité de communiquer de façon centrale sur les aspects extra-financiers, la possibilité d’une communication dite ‘réduite’ pour les fonds qui prennent en compte dans leur gestion les critères extra-financiers sans en faire un engagement significatif. L’introduction de cette communication « réduite » sur la prise en compte de critères extra-financiers poursuit deux objectifs principaux :

  • Augmentation de la granularité: elle permettra de mieux distinguer entre elles des approches qui n’étaient jusqu’alors autorisées qu’à avoir une communication « très brève et très proportionnée » alors qu’elles mettent en œuvre des approches d’ambitions très variables, reflétant de manière plus adaptée la diversité des approches mises en œuvre par les sociétés de gestion dans ce domaine ;
  • Renforcement des exigences pour les approches n’atteignant pas les standards minimaux pour prétendre à une communication « réduite » : ces approches ne pourront plus communiquer sur la prise en compte de critères extra-financiers, en dehors de mentions dans leurs prospectus, là où une communication très brève et très proportionnée était possible jusqu’alors dans les documents commerciaux.

Les standards minimaux associés à la possibilité de se prévaloir d’une communication ‘réduite’ et devant figurer dans la documentation légale du placement collectif portent sur le fait de disposer d’une couverture significative d’analyse extra-financière (dont la portée est différenciée en fonction de la classe d’actifs) et d’assurer que la note ou l’indicateur moyen du placement collectif soit supérieure à la note ou l’indicateur moyen de l’univers d’investissement.

(…)

Communication centrale sur la prise en compte de critères extra-financiers pour certaines approches basées sur des indicateurs extra-financiers

La position-recommandation DOC-2020-03 mentionnait jusqu’alors deux approches présumées significativement engageantes et pouvant donc communiquer de façon centrale sur la prise en compte de critères extra-financiers. Ces approches, également reconnues par le label ISR Français, portent sur une exclusion significative de l’univers investissable et une amélioration significative de la note extra-financière du placement collectif (par exemple : moyenne pondérée de plusieurs critères portant sur des indicateurs sur les piliers environnementaux, sociaux et de gouvernance). Dans les autres cas, les SGP doivent être en mesure de démontrer à l’AMF en quoi leur approche est significative.

Cette mise à jour de la doctrine vise à expliciter la présomption du caractère significativement engageant à d’autres approches basées sur des indicateurs extra-financiers (émissions de gaz à effet de serre, équité femme-homme…) et non uniquement sur des notes extra-financières. Les standards minimaux associés sont comparables à ceux actuellement requis pour les approches significativement engageantes basées sur des notes extra-financières.

Cette extension est une nouvelle étape dans la reconnaissance d’approches pouvant communiquer de façon centrale sur la prise en compte de critères extra-financiers et pourrait être complétée à l’avenir.

Recommandations relatives aux politiques de gestion de controverses et d’engagement actionnarial

Enfin, la position-recommandation DOC-2020-03 est enrichie de deux recommandations relatives à la formalisation de politique de gestion de controverses et le contenu des politiques d’engagement actionnarial. Ces recommandations constituent des premières avancées de la doctrine de l’AMF sur ces thématiques d’importance pour la finance durable et pourront être complétées à l’avenir.

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devoir de vigilance Gouvernance normes de droit parties prenantes Responsabilité sociale des entreprises

UE et devoir de vigilance

Où s’en va l’UE avec le devoir de vigilance ? M. Farid Baddache propose une synthèse avec des pistes de réflexions : « L’UE veut un devoir de vigilance sur les droits humains obligatoire en 2021 » (Ksapas, 4 juin 2020).

Résumé :

Depuis plus de 10 ans, les entreprises appliquent les Principes Directeurs des Nations Unies sur les Entreprises et les Droits de l’Homme. Faisant écho à de multiples réglementations nationales – notamment en Californie, en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Allemagne – la Commission Européenne a annoncé la mise en œuvre d’une directive sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de Droits Humains en 2021. Quels sont les retours des entreprises à date ? Une directive européenne peut-elle imposer le respect des Droits Humains sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement, au-delà de ce qui existe déjà ? Quel impact la pandémie Covid-19 pourrait-elle avoir sur son éventuelle application ?

À la prochaine…

devoirs des administrateurs Gouvernance normes de droit Responsabilité sociale des entreprises Valeur actionnariale vs. sociétale

Corporations, Directors’ Duties and the Public/Private Divide

La professeur australienne Jennifer Hill (toujours intéressante à lire, je vous la conseille vivement !) vient de publier ce nouvel article « Corporations, Directors’ Duties and the Public/Private Divide » dans l’ECGI Law Series 539/2020 (25 septembre 2020). Par rapport à nos thématiques du site, cette étude est un incontournable !

Extrait :

Business history and theory reflect a tension between public and private conceptions of the corporation. This tension and conceptual ambiguity lay close to the surface of The Modern Corporation and Private Property, in which Berle and Means portrayed the modern public corporation as straddling the public/private divide. It is also embodied in the famous Berle-Dodd debate, which provides the basis for contemporary clashes between “different visions of corporatism,” such as the conflict between shareholder primacy and stakeholder-centered versions of the corporation.

This chapter examines a number of recent developments suggesting that the pendulum, which swung so clearly in favour of a private conception of the corporation from the 1980s onwards, is in the process of changing direction.

The chapter provides two central insights. The first is that there is not one problem, but multiple problems in corporate law, and that different problems may come to the forefront at different times. Although financial performance is a legitimate concern in corporate law, it is also important to recognize, and address, the danger that corporate conduct may result in negative externalities and harm to society. The chapter argues that it is therefore, a mistake to view the two sides of the Berle-Dodd debate as binary and irreconcilable. The second insight is that corporate governance techniques (such as performance-based pay), which are designed to ameliorate one problem in corporate law, such as corporate performance, can at the same time exacerbate other problems involving the social impact of corporations.

As the chapter shows, a number of recent developments in corporate law have highlighted the negative externalities and social harm that corporate actions can cause. These developments suggest the emergence of a more cohesive vision of the corporation that encompasses both private and public aspects. The developments also potentially affect the role and duties of company directors, who are no longer seen merely as monitors of corporate performance, but also as monitors of corporate integrity and the risk of social harm.

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autres publications Gouvernance normes de droit Publications

Nouvel ouvrage : Corporate Law and the Theory of the Firm: Reconstructing Corporations, Shareholders, Directors, Owners, and Investors

Bel ouvrage qui rejoindra sans doute ma bibliothèque publié par Dennis Huber : « Corporate Law and the Theory of the Firm: Reconstructing Corporations, Shareholders, Directors, Owners, and Investors » (Routledge, avril 2020).

Résumé :

Dozens of judicial opinions have held that shareholders own corporations, that directors are agents of shareholders, and even that directors are trustees of shareholders’ property. Yet, until now, it has never been proven. These doctrines rest on unsubstantiated assumptions.

In this book the author performs a rigorous, systematic analysis of common law, contract law, property law, agency law, partnership law, trust law, and corporate statutory law using judicial rulings that prove shareholders do not own corporations, that there is no separation of ownership and control, directors are not agents of shareholders, and shareholders are not investors in corporations. Furthermore, the author proves the theory of the firm, which is founded on the separation of ownership and control and directors as agents of shareholders, promotes an agenda that wilfully ignores fundamental property law and agency law. However, since shareholders do not own the corporation, and directors are not agents of shareholders, the theory of the firm collapses.

The book corrects decades of confusion and misguided research in corporate law and the economic theory of the firm and will allow readers to understand how property law, agency law, and economics contradict each other when applied to corporate law. It will appeal to researchers and upper-level and graduate students in economics, finance, accounting, law, and sociology, as well as attorneys and accountants.

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Gouvernance Normes d'encadrement normes de droit normes de marché Responsabilité sociale des entreprises

RSE : où en est-on ?

Mme Hoyé propose une tribune intéressante sur la RSE dans son article « Responsabilité sociale des entreprises: où en sommes-nous ? » publié sur Ligere.fr le 17 septembre 2020. Elle fait le point et soulève le chemin encore à parcourir…

Extrait :

Au cours de ces dix dernières année, une évolution a été observée dans le sens de la nécessité croissante de « redéfinir le droit des sociétés » pour mieux prendre en compte l’évolution de l’analyse du droit et de l’économie. L’objectif sociétaire traditionnel porté par la « doctrine juridique de la personnalité d’entreprise », tient à la protection des intérêts des membres et des créanciers de la société. Les profits générés sont ensuite partagés entre les actionnaires considérés comme propriétaires de l’entreprise. Ainsi, l’approche de la théorie contractuelle prévaut et la promesse tacite des dirigeants de maximiser la richesse des actionnaires s’opère. En effet, selon la théorie de la Corporate Governance, il existe une nette distinction entre le rôle des propriétaires d’une société (les actionnaires) et des dirigeants (le conseil d’administration) lorsqu’il s’agit de prendre des décisions stratégiques efficaces. L’actuelle « coutume de la retenue » en matière d’éthique, complète l’accent mis sur une analyse économique de la fonction d’entreprise où les concepts d’efficience et de rentabilité semblent persister. Caractérisés par ses propres règles de position, les bénéfices sont considérés comme la « ligne de fond » de l’entreprise, et par conséquent, selon l’argument, il n’y a aucune possibilité d’évaluer moralement les activités menées dans ce cadre d’activité.

Pourtant, face aux nouveaux enjeux auxquels se confrontent les sociétés au XXIème siècle, la thèse de « l’entreprise- profit » soutenue par Friedman ne semble plus être à l’ordre du jour. Dès lors, les entreprises peuvent-elles entreprendre une activité économique dite « durable », où la recherche exclusive de bénéfices s’estompe au profit d’une meilleure éthique entrepreneuriale? L’éthique s’érige désormais comme élément incontournable de l’ensemble des concepts que nous pourrions utiliser pour tenir compte de la fonction organisationnelle que détiennent les entreprises. Non pas que les actions des sociétés peuvent avoir des effets puissants, à la fois bénéfiques et/ou préjudiciables, mais parce qu’une prise en compte éthique des actions des sociétés est presque impérative pour atteindre une croissance durable. Il s’agit d’optimiser les performances en évoluant vers une responsabilité sociale et environnementale (RSE) où les sociétés sont responsables de l’impact de leurs actions sur la société civile. L’entreprise doit alors intégrer à sa stratégie l’ensemble de sa chaîne de valeur, dont les parties prenantes (« stakeholders »), de manière à minimiser et à compenser les effets négatifs de son activité. L’objectif étant d’atteindre une qualité de vie au moins aussi bonne que celle dont nous bénéficions aujourd’hui, comme le soutien le « rapport Brutland » (1987). Pour cela, il est primordial que les structures de gouvernance d’entreprise agissent tant en termes de bien-être des employés, qu’en termes d’efficacité et de productivité. Cela implique l’utilisation de critères éthiques, sociaux et environnementaux (les 3 piliers de la théorie de « corporate governance ») dans la sélection et la gestion des portefeuilles de placements. De ce point de vue, l’idée d’équilibrer les responsabilités de l’entreprise se développe, acceptant le fait que les entreprises peuvent créer de la valeur en gérant mieux le capital naturel, humain et social.

(…) Dans le cadre transnational, divers outils d’orientation souvent à caractère facultatif visent à promouvoir le développement durable et le civisme social. En tant que préoccupation mondiale, une croissance durable ne peut être atteinte que si tous les pays agissent de concert mettant en oeuvre des actions coordonnées. C’était notamment l’objectif de l’accord de Paris en « faisant en sorte que les flux financiers soient cohérents avec une voie vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre et un développement résilient au climat ». Le pacte Mondial lancé officiellement en 2000 invite les entreprises à adhérer, appliquer et promouvoir 10 principes en matière de droits fondamentaux. Cette adhésion a été assortie à l’obligation pour les entreprises de publier chaque année une communication sur les progrès réalisés dans l’application des principes. L’entreprise qui ne réalise pas cette obligation est considérée comme « non communicante » et peut être à terme radiée. Aussi, les Nations Unies ont présenté un projet de normes sur les responsabilités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales en matière de droits de l’homme. Les principes de Rugie font peser sur les entreprises des contrôles et vérifications périodiques par des organes nationaux ou multinationaux, permettant ainsi de prescrire un grand nombre d’actions concrètes à mener par les entreprises pour respecter les droits de l’homme . Ces travaux ont abouti à l’adoption d’une résolution du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU s’articulant autour de trois axes: « protéger, respecter et remédier » contribuant à faire progresser le débat juridique sur le rôle des Etats et des entreprises dans le domaine des droits de l’homme.

Pour autant, malgré la construction d’une voie de responsabilité internationale des entreprises, de nombreuses divergences peuvent encore être mises en évidence. C’est surtout l’absence de réglementation uniforme qui a attiré l’attention de la Commission européenne poussée à établir une certaine crédibilité et une harmonisation des pratiques avec une transparence des critères afin de combler le vide existant. Ainsi, dans sa stratégie RSE du 25 octobre 2011, la Commission fournit un cadre normatif de protection, via des sections comprenant la Direction Générale des Entreprises et la Société de l’Information qui guident le comportement des entreprises afin d’étendre l’influence de la RSE pour les responsabiliser vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société. Par ailleurs, le levier du droit fiscal a été adopté par l’Union européenne dans un contexte juridique de financement durable, mettant en place une taxation corrective qui promeut les projets les plus respectueux et taxe ceux qui sont dommageables dans le but d’orienter les comportements vers une situation économique jugée optimale. Ces initiatives ont été prises par les institutions européennes afin d’encourager les entreprises à « aller au-delà de la conformité », soulignant qu’il existe une relation entre les actions proactives et l’amélioration de la compétitivité. Au moins, la politique de l’UE indique clairement que les actions volontaires des entreprises ne doivent pas être considérées comme un substitut à la réglementation légale. C’est pourquoi l’UE doit continuer à soutenir de manière proactive les activités qui peuvent faciliter le progrès de la conduite responsable des entreprises en encourageant les acteurs des secteurs clés à s’appuyer sur des projets responsables et à définir des exigences de diligence raisonnable.

(…)

Ainsi, il apparaît essentiel de définir un équilibre stable entre les impératifs moraux et économiques. Les entreprises, comme l’ensemble des agents ont des devoirs moraux, des responsabilités sociales et devraient être de « bonnes entreprises citoyennes ». C’est ce que met en exergue le nouveau « duty of care » ( devoir de diligence) désormais attendu des sociétés, qui encourage une voie de réorientation de la logique du système productif vers de nouveaux objectifs plus responsables. Ce devoir conduirait à l’acceptation d’une rentabilité financière moindre à court terme, en renonçant aux bénéfices immédiats, afin d’encourager un développement éthique, social et durable sur une activité économique à plus long terme. Un tel principe doit être appuyé par toutes les parties prenantes afin que le mouvement soit étendu à l’ensemble des agents économiques. Néanmoins, il est encore tôt pour prédire les effets de ces changements, qui soulèvent la question des méthodes de régulation, leur introduction étant encore récente et sans changement réel, notamment du fait du peu de mesures actuelles permettant d’imposer des sanctions. Par ailleurs, il convient également de noter la spécificité des questions environnementales, qui ne sont pas seulement dépendantes de la gouvernance des entreprises mais font appel à d’autres acteurs (dépendance à la science, prospective, etc.) et suggèrent des investissements importants afin de se libérer des ressources naturelles et éviter une complète destruction de la valeur. Le problème ne dépend plus de l’ignorance, mais de la vitesse des changements ainsi que de la propagation des déséquilibres. Par conséquent, le droit des sociétés peut être une réponse, mais la réflexion interdisciplinaire semble hautement nécessaire pour parvenir à la possibilité d’un équilibre entre le développement durable et la primauté des actionnaires.

Gouvernance normes de droit Responsabilité sociale des entreprises

Raison d’être ou entreprise à mission, le faux débat

C’est sous ce titre (« Raison d’être ou entreprise à mission, le faux débat », La Tribune, 2 septembre 2020) que M. Patrick d’Humières propose une lecture de la raison d’être et du statut d’entreprise à mission qui, selon lui, vont se rejoindre dans une trajectoire commune.

Extrait :

En apparence, le statut d’entreprise à mission rencontre un succès d’estime avec une cinquantaine d’entreprises très différentes, d’agences conseils à des sociétés mutuelles, qui l’ont adopté. Ce n’est pas le cas du statut de raison d’être, au bilan beaucoup plus mitigé, car les démarches que l’on connaît expriment des positionnements déclaratifs dans la veine de « la RSE de bonne volonté » qui ne s’accompagnent pas de mécanisme de mesure, de pression et de transparence garantissant de vrais changements d’orientation des modèles.

À la décharge des entreprises qui ont fait preuve d’initiative en la matière, il faut dire que le dispositif légal proposé comporte de considérables faiblesses. L’essentiel du changement juridique porté par la loi réside dans la modification de l’article 1833 du Code civil qui enjoint à toutes les entreprises de « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux » au côté de l’intérêt social de l’entreprise, dont on n’a pas tiré les implications fondamentales. Les organisations professionnelles concernées ont fait preuve d’un souci défensif, pour limiter la mise en cause conséquente de cette assertion fondamentale, qui acte la nouvelle mission de l’entreprise, à savoir créer de la valeur dans le respect des enjeux sociétaux ; mais ni les juges, ni la puissance publique n’ont eu encore le souci d’accompagner ce cadre, cherchant plutôt à le minimiser, alors même que c’est une innovation majeure : il articule l’économie de marché avec la stratégie nationale de développement durable (ODD) et il crée le socle de ce qu’on appelle désormais « l’économie responsable », consacrée par la nomination pertinente d’une ministre en charge du sujet, qu’on aurait pu ou du appeler aussi « l’économie durable » dans un souci de cohérence politique.

Le texte de loi appelle des transformations de fond dans la gouvernance des entreprises qui devrait se poser des questions à cet effet, sans attendre qu’une jurisprudence fasse le travail pour dire qu’un Conseil d’administration ou une direction générale a mesestimé les enjeux sociaux et environnementaux, définis désormais de façon claire et objective (cf. indicateurs des ODD, incluant l’alignement sur l’Accord de Paris etc.).

L’entreprise dispose de tous les éléments pour établir son niveau de durabilité qui reconnaît cette prise de considération attendue des enjeux communs ; le travail de fond engagé parallèlement en Europe afin de standardiser l’information extra-financière ne pourra qu’encourager les Conseils à débattre et à décider de l’état de leur trajectoire économique au regard de leurs impacts acceptables qui sera la règle en 2025, à n’en pas douter.

Certaines entreprises ont tenu à disposer d’un cadre formel beaucoup plus structuré pour assumer cette responsabilité élargie à la Société, celui de « l’entreprise à mission » ; il constitue une facilité juridique et une aide technique qui a le plus grand intérêt pour accélérer la mutation d’un « capitalisme a-moral » vers « un capitalisme « parties prenantes ». Ce choix implique le vote par les actionnaires, le comité de suivi, l’audit de contrôle etc.. Les actionnaires n’ont pas à craindre pour autant une démission de l’engagement fiduciaire, à leur détriment, car le contrat est explicite, même s’il gagnerait encore à ce que les objectifs de rendement financier soient précisés au regard des objectifs d’amélioration de la création et de la répartition de la valeur globale et de leurs ROI. Ceci afin de ne pas glisser vers « le non profit » : une attention déséquilibrée en faveur de la dimension sociétale de la mission marginaliserait le dispositif, alors que les statuts coopératif, mutualiste ou solidaire sont là pour ça.

Coincé entre le droit général et le cadre précis de « la mission », « la raison d’être » aura du mal à trouver sa place, d’autant que la loi Pacte ne dit rien sur le comment, laissant l’entreprise libre de son engagement, de son inclusion ou non dans les statuts, ce qui en fait un process au mieux pédagogique et au pire de communication ; les parties prenantes ne voient pas les conclusions qu’on en tire sur les conditions nouvelles de production et de répartition de la valeur – objectifs et indicateurs à l’appui-  pour exclure ce qui n’est pas « durable » dans l’offre et équilibrer l’allocation des résultats, voire la négocier, s’il existe un mécanisme ad hoc en amont de « l’arbitraire » des conseils. On voit bien qu’une Raison d’Etre bien posée conduit à terme au mécanisme de l’entreprise à mission et que dans le cas contraire l’entreprise ne fait que s’exposer à des critiques et frustrations qui mettent sa stratégie au défi de la cohérence et de la constance d’une gouvernance qui voudrait avancer sans oser le demander à ses actionnaires…

Cette décantation se fera inévitablement dans le temps, au détriment des entreprises « superficielles » et à l’avantage des entreprises authentiques. Le dispositif de Raison d’Etre va devenir un statut intermédiaire, de transition vers « l’entreprise à mission » ; il pousse à la construction d’un droit des sociétés qui recherche le changement profond de la gouvernance actionnariale, comme vient de le proposer la Commission Européenne dans un rapport très critique sur l’engagement insuffisant des gouvernances qui s’abritent derrière des intentions pour répondre aux pressions, rendant leur projet illisible ! Mais rien n’empêche les gouvernances d’accélérer par elles-mêmes sans attendre un règlement européen et éviter les malentendus autour d’une « raison d’être incantatoire » qui mine  la crédibilité des initiatives sociétales des entreprises ; dans un monde périlleux, les gouvernances doivent « choisir leur camp » !

À la prochaine…