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La raison d’être des entreprises couronne l’actionnaire actif

Bonjour à toutes et à tous, Arnaud Marion et Valérie Ohannessian offrent une analyse intéressante faisant le lien entre actionnariat actif et raison d’être de l’entreprise : « La raison d’être des entreprises couronne l’actionnaire actif » (Les Échos.fr, 4 septembre 2019). Un prétexte de plus de revenir sur la loi PACTE.

Extrait :

Or, si la loi PACTE du 22 mai dernier comme la deuxième directive européenne SRD (Shareholders rights directive) du 10 juin musclent ses droits, c’est pour mieux lui donner les moyens d’exercer son rôle fondamental. Pas seulement comme gardien du temple mais aussi comme édificateur de ses colonnes et de l’ouverture de ses portes à la Société. 

L’actionnaire est ainsi placé au coeur d’une nouvelle approche téléologique de l’entreprise. En introduisant dans le code civil la notion de raison d’être et sa possible inscription statutaire, le législateur français confie à l’actionnaire la responsabilité suprême de définir la finalité de l’entreprise et d’en surveiller la mise en oeuvre conforme et durable. Il en fait l’inspirateur créatif de son sens profond, le promoteur d’une gouvernance respectueuse de ses valeurs et missions, l’animateur attentif de ses parties prenantes et l’arbitre ultime de son modèle d’affaires. 

L’actionnaire devient celui qui donne du sens mais il comprend aussi qu’il a le pouvoir de sanctionner, de dire non, et donc d’influer sur les valeurs de l’entreprise. La directive SRD précise bien que la politique de rémunération des administrateurs (« say on pay ») devra « contribuer aux intérêts et à la pérennité à long terme de l’entreprise ». Le membres des conseils d’administration et de surveillance sont appelés à être les garants exigeants du contrat entre sa société et la Société faute d’ailleurs de courrir le risque de ne pas être renouvelés. 

L’actionnaire passif ne rend finalement pas service à l’entreprise. Les fonds dits activistes, au-delà des caricatures, ont fait figure de précurseurs dans la demande de prise en compte par les directions générales de leurs souhaits d’actionnaires, certains pour de simples raisons de profits à court terme, d’autres avec une vision de création de valeur par rapport à des concurrents comparables. 

Ni passif, ni nécessairement activiste, l’actionnaire d’aujourd’hui est encouragé à être actif dans la co-construction de l’entreprise comme communauté de destin. Certains y verront une nécessité morale et le triomphe du Bien commun. Mais la logique économique est toujours là, tirée par l’attente des consommateurs et la sanction des marchés, impatients de faire émerger un nouvel actif immatériel, créateur de valeur(s) pour tous… 

À la prochaine…

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Nouveau billet sur Contact : la fonderie Horne en question

Bonjour à toutes et à tous, je viens de publier mon dernier billet de Contact intitulé : « Fonderie Horne et arsenic : une insoutenable légèreté » (partie 1 et partie 2). J’y aborde la question de la RSE.

Extrait :

L’actualité en matière de responsabilité sociale (RSE) vient de s’enrichir d’une nouvelle diffusée récemment par Radio-Canada : le niveau de pollution par contaminants d’une entreprise de Rouyn-Noranda et toléré par le ministre de l’Environnement. « Québec permet à la Fonderie Horne d’émettre 67 fois plus d’arsenic dans l’air que la norme provinciale » (Radio-Canada, 13 mai 2019), voilà une information qui n’est passée inaperçue ! Amené à me prononcer dans le cadre de l’émission de télévision RDI Économie animée par M. Gérald Fillion (ici), je partage avec vous quelques réflexions sur cette actualité (en plus de faire le point avec du recul), réflexions qui sont celles d’un professeur de droit travaillant dans le domaine de la RSE… et, surtout, celle d’un citoyen et d’un père qui se veut critique sur une situation qui lui apparaît insoutenable.

Plusieurs solutions sont envisageables pour répondre au niveau de pollution occasionné par les activités de la fonderie Horne. Le coût social de la pollution (qui, à terme, va reposer sur la province et ses contribuables) et les inquiétudes multiples de la situation appellent une réponse et un signal fort envoyé à la communauté et aux entreprises. J’ai entendu que fermer l’usine serait une option. Elle ne me semble pas crédible. Elle vient opposer frontalement la logique environnementale à la logique économique, alors qu’il convient de les faire travailler ensemble. La fermeture aurait des conséquences dévastatrices sur le plan économique, il ne faut pas s’en cacher. De même, des mesures punitives ne me semblent guère crédibles, le ministère étant le principal responsable du niveau de pollution atteint (et non l’entreprise qui ne fait qu’utiliser une tolérance – en étant d’ailleurs en-dessous du seuil maximum –). Comme évoqué par certains dans les journaux, la mise en place d’une zone tampon serait une avenue (et le respect de mesures sanitaires de base), même si cette option est contraignante pour les citoyens concernés, demeure à court terme et ne règle pas le problème de fond : le niveau de rejet des contaminants dans l’air. Aussi, il apparaît impératif de rehausser la norme demandée à l’entrepise Horne, tout en mettant en place des incitatifs pour la soutenir dans la recherche d’une solution environnementale.

Ne pas oublier la responsabilité de l’État

Que penser d’un éventuel recours judiciaire exercé non contre l’entreprise (qui reste dans la tolérance octroyée et ne franchit pas la ligne de l’illégalité) mais contre l’État ? Si la fonderie Horne suit bien le protocole (qui serait même en avance sur l’échéancier fixé avec le ministère de l’Environnement) suivant ce qu’avance le ministre Benoît Charette, la question est entière de savoir si les chiffres négociées et visés dans le protocle étaient adéquats. Que penser de la décision prise en 2011 par le ministère de l’Environnement ? Ne caractérise-t-elle pas une faute, une irrationnalité, une déraisonnabilité ou une insouciance grave commise par l’État ? Ces mots ne sont pas pris au hasard, ils ont des conséquences juridiques.

Contrairement à une croyance répandue, l’État québécois ne bénéficie pas d’une irresponsabilité. La maxime « the King can do no wrong » a vécu. La Cour suprême a clairement rappelé cette idée en 2011 : « Il importe que les organismes publics soient responsables en général de leur négligence compte tenu du grand rôle qu’ils jouent dans tous les aspects de la vie en société. Soustraire les gouvernements à toute responsabilité pour leurs actes entraînerait des conséquences inacceptables ». L’État québécois a tout d’abord une responsabilité extracontractuelle directe. Avec l’adoption en 1994 du Code civil du Québec (et l’article 1376), a été ajouté une nouvelle dimension à l’assujettissement de l’État au droit commun de la responsabilité civile. Le droit québécois assimile purement et simplement le gouvernement à une personne physique majeure et capable pour tout recours dirigé contre lui. Mais, l’État québécois peut également répondre de la faute de son préposé en vertu des articles 1463 et s. du Code civil du Québec. Avec cet article, le législateur cherche à écarter la possibilité pour l’État de se défendre en arguant que son préposé aurait agi en dehors de l’exercice de ses fonctions et que, pour ce motif, l’État n’aurait pas à répondre de sa faute.

Toutefois, la chose est subtile. En effet, le niveau de responsabilité de l’État québécois dépend de la nature de la décision prise. Il convient de distinguer entre les décisions relevant du « politique » et celles relevant de « l’opérationnel ». La nature de la faute exigée de l’État change. Si l’acte politique échappe la plupart du temps à la sanction des tribunaux et conduit à une immunité (sauf mauvaise foi, irrationalité ou insouciance grave), l’acte de gestion peut donner lieu à une action en responsabilité si l’acte en question a été accompli fautivement (une faute simple) et que cette faute a causé un dommage. Pour savoir à quelle catégorie appartient l’acte, il est « (…) illusoire de vouloir établir un critère absolu qui donnerait rapidement et infailliblement une réponse à l’égard de toute décision parmi la gamme infinie de celles que peuvent prendre les acteurs gouvernementaux ». L’appréciation se fait de manière contextuelle en tenant compte des caractéristiques des pouvoirs que la loi confère, ainsi que des devoirs qu’elle impose à l’officier public chargé de l’appliquer.

Quelle que soit la nature de l’acte en cause (qui m’apparaît toutefois relever davantage de l’opérationnel quoique…), on constate que l’on est proche d’une mise en cause possible de la responsabilité de l’État québécois dans ce dossier. Au regard des conséquences graves de l’arsenic sur la santé et du niveau de contaminants admis (et aussi de la légèreté à aborder ce problème de pollution), même les hypothèses exceptionnelles de faute mettant au rancart l’immunité – dans le cas des décisions politiques – semblent vérifiées. Que l’État se méfie, l’actualité démontre que la société civile dans toute sa diversité de courants, d’organisations et de mouvement d’opinion n’hésite plus à mettre les États et les villes devant les tribunaux en matière de changement climatique. La justice climatique prend corps !

La Loi sur la qualité de l’environnement et son chapitre III sur le droit à la qualité de l’environnement et à la sauvegarde des espèces vivantes méritent également d’être évoqués. Les mots utilisés dans la loi sont forts de sens : « Toute personne a droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent ». Les articles 19.1 et s. permettent l’exercice d’un recours en injonction devant la Cour supérieur pour empêcher l’acte. Cependant, il a été observé que ces articles sont difficiles à invoquer en pratique. De plus, le ministère de l’Environnement a autorisé la fonderie Horne à déroger à la loi.

À la prochaine…

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Classe-actions multiple : Bombardier maintient sa position et est soutenue

Alors que la pertinence d’un capital-actions à classe multiple fait débat, cette tribune de Le Devoir rappelle que la situation québécoise est loin d’être apaisée : François Desjardins, « Appui de la Caisse de dépôt pour le vote multiple chez Bombardier », Le Devoir, 10 mai 2019

Extrait :

Lors du vote sur les propositions soumises aux actionnaires de Bombardier la semaine dernière, la Caisse de dépôt et placement du Québec a donné son appui au maintien des actions à droit de vote multiple détenues par la famille Bombardier-Beaudoin.

Selon la page de son site Internet qui recense les votes exprimés à diverses assemblées d’actionnaires, il est indiqué que « considérant le contexte d’industrie particulier de l’entreprise, la Caisse appuie le maintien de la structure à droit de vote multiple ».

Grâce à cette structure, que l’on retrouve aussi chez des entreprises comme Couche-Tard et Québecor, la famille en question détient un peu plus de 12 % des actions totales en circulation, mais près de 51 % des droits de vote.

À la prochaine…

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Opioïdes : quelle RSE pour les pharmaceutiques ?

M. Gérard Fillion livre une belle réflexion sur l’irresponsabilité des grandes entreprises pharmaceutiques dans un article paru hier : « Opioïdes : l’avidité des pharmaceutiques » (Radio-Canada, 29 août 2019).

Extrait :

(…) Nous savons aujourd’hui que plusieurs pharmaceutiques ont fait croire à des milliers de médecins que les bénéfices des opioïdes étaient supérieurs à leurs effets néfastes. Elles ont sous-estimé les risques, notamment ceux associés à une dépendance marquée à ces médicaments. Des documents déposés en cour aux États-Unis montrent clairement que des entreprises savaient qu’il y avait des risques majeurs de dépendance.

Non seulement elles connaissaient les risques, mais elles ont fait fi des dangers pour encourager les médecins à prescrire toujours plus d’opioïdes. Le jugement rendu en Oklahoma en début de semaine est troublant.

(…) Au nom du profit, une crise épouvantable a été créée. C’est certainement la part la plus sombre de notre système économique.

À la prochaine…

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Nos étudiants publient. Ambyr Ladani lit Stephen Bainbridge : Capital-actions à classe multiple, pas un accident de l’histoire !

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Ambyr Ladani. À cette occasion, Ambyr fait une lecture critique de l’article de Stephen M. Bainbridge intitulé « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective » (ProfessorBainbridge.com, 6 septembre 2017) Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

L’avènement de la structure de capital de classe double ne date pas d’aujourd’hui et n’est en rien une anomalie historique : tel est le propos de Stephen M. Bainbridge (professeur émérite de droit à la faculté de droit de l’UCLA et spécialiste de la gouvernance d’entreprise) dans son article « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective ». Selon lui, l’hystérie provoquée par les évènements récents aux États-Unis tels que l’introduction en bourse des actions sans droit de vote de Snap inc. en 2017 n’a pas lieu d’être. A travers une perspective historique, l’auteur démontre que le système « une action – un vote » n’a pas toujours été la norme.

Tout commence au milieu des années 1800

Avant le milieu des années 1800, la plupart des chartes d’entreprises recommandaient un système limitant les droits de vote des grands actionnaires ou imposant un nombre maximal de voix auquel tout actionnaire avait droit. Mais, ce système était sérieusement contesté par la facilité avec laquelle les grands actionnaires arrivaient à contourner les règles de votes en transférant une partie de leurs actions à des tierces personnes qui votaient à leur place.

Une tendance qui s’inverse

Après 1819, la tendance à restreindre les droits de vote s’est progressivement inversée instaurant la norme « une action = un vote »[1] qui sera finalement adoptée en 1852 avec la première loi de l’incorporation générale du Maryland. Cette norme sera appliquée jusqu’en 1900 par la majorité des sociétés américaines comme règle par défaut avec la liberté de la modifier. L’auteur attire notre attention sur le fait qu’à l’époque, les actions privilégiées (ainsi que celles ordinaires) conféraient généralement des droits de vote égaux contrairement à ce qui se fait de nos jours. Selon lui, l’instauration de la norme « une action = un vote » s’explique par plusieurs facteurs : l’influence des grands actionnaires (directement intéressés) au sein des sociétés souvent à l’origine des réformes, le désir d’encourager les investissements de capitaux à grandes échelles, mais aussi et surtout la disparition de préjugés à l’égard des entreprises. Cette nouvelle norme n’était pas sans inconvénients, notamment pour les détenteurs d’actions privilégiées dont les droits de vote s’étaient vus substantiellement limités.

Une tendance inversée qui s’inverse

Par la suite, une nouvelle tendance s’était installée au début du XXe siècle avec l’adoption progressive des structures de gouvernance à deux classes avec l’émergence des actions ordinaires sans droit de vote. L’auteur en veut pour preuve que le nombre croissant de sociétés qui, après 1918, ont émis deux catégories d’actions ordinaires : l’une avec le droit de vote complet sur une base d’un vote par action (généralement destinée aux membres) et l’autre sans aucun droit de vote compensé avec des droits de dividendes plus élevés (généralement destinés au public). Ce type de configuration permettait une importante entrée de fonds sans toutefois soustraire le contrôle de la société à ses fondateurs. Malgré l’intérêt grandissant et surprenant des investisseurs à acquérir des actions sans droits de vote, cette configuration inégale des droits de vote a été fortement contestée dans les années 20 (notamment par le professeur d’économie politique William Z. Ripley). Le New York Stock Exchange (NYSE) s’est alors engagé à abolir cette pratique. Cependant, le projet ne se concrétisera qu’en 1940 avec l’annonce officielle d’une règle uniforme interdisant l’inscription des actions sans droit de vote. Mais, cette interdiction (ainsi que l’opposition menée par Ripley) n’a pas empêché certains géants tels que Ford et Hershey de conserver leur structure de capital à deux classes jusqu’à nos jours. Entre 1988 et 2007, 7 % des entreprises cotées sont restées des entreprises à deux classes affirme Stephen M. Bainbridge.

Et au Canada et au Québec ?

Dès 1945, la famille Molson, à l’origine de la plus vieille brasserie du Canada, a eu recours aux actions subalternes pour faciliter le financement de la société Molson, et ce, tout en conservant son contrôle et son pouvoir décisionnel[2]. Au Canada et au Québec, la structure de capital de classe multiple est aussi très controversée. Les critiques essuyées entre autres par Bombardier et Couche-tard pour la double catégorisation de leurs actions et surtout leurs modèles d’actions multi-votantes en sont la preuve. Toutefois, ces deux entreprises ne sont pas des cas isolés. De plus en plus de fondateurs optent pour un capital-actions à classe multiple, afin de garder le contrôle de leur entreprise. Quelques décisions de justice ont d’ailleurs été rendue en faveur de fondateurs d’entreprise à structure de capital double, telles que dans l’affaire Magna international[3]. Dès la fin du XIXe siècle, les dispositions législatives canadiennes et québécoises sur les sociétés par actions créées par lettres patentes ont exprimé une présomption d’égalité entre les actions du capital-actions. D’abord admise par les décisions des tribunaux britanniques, cette présomption a été acceptée par les tribunaux canadiens. La légalité d’accorder un traitement différent aux actionnaires par le biais de l’émission d’actions privilégiées a été admise au fédéral en 1934 et en 1964 au Québec. Les lois en matière de droit des sociétés (à l’échelle tant canadienne que québécoise) sont dans le même sens. Elles prévoient expressément la possibilité d’avoir des actions privilégiées ou subalternes[4] et de mettre fin à l’égalité entre actionnaires en créant des catégories d’actions auxquelles sont rattachés des droits, des privilèges et des restrictions énoncés dans les statuts[5]. Aussi, ce sont les statuts qui définissent le type d’actions en fonction des droits, des privilèges ou des restrictions attachés aux actions (les catégories). L’article 48 al. 1 LSAQ donne une grande latitude en énonçant ce principe au travers d’une formule souple : « sauf disposition contraire des statuts ». De plus, les alinéas 1 et 2 de l’article 48 LSAQ prévoient des présomptions qui ont pour but d’assurer la conformité des statuts à la LSAQ[6]. En 2013, 77 entreprises canadiennes avec une structure de capital de classe double dont Rogers communication et Teck ressources étaient inscrites à la bourse de Toronto[7].

Une mode assumée !

Malgré les divers débats menés au sujet de la démocratie actionnariale au sein des sociétés, les fondateurs d’entreprises aux États-Unis et au Canada n’hésitent plus à opter pour une structure de capital à double classe.

Ambyr Ladani

Ancienne étudiante du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] J. S. Davis, Essays in the Earlier History of American Corporations, 1912, à la p. 324 tel que cité dans S. M. Bainbridge, « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective ».

[2] S. Ben-Ishai et P. Puri, « Dual Class Shares in Canada: An Historical Analysis », (2006) 29 Dalhousie L.J. 117, aux p. 122 et suiv.

[3] « Magna : la Cour supérieure de l’Ontario rejette l’appel des actionnaires », Lesaffaires.com, 31 août 2010.

[4] Articles 5 5o et 44 LSAQ; et 6, al. 1 c) (i) et 24 (4) a) LCSA.

[5] Article 44 al. 2 LSAQ.

[6] R. Crête et S. Rousseau, Droit des sociétés par actions, Montréal, Les éditions Thémis, 2018, aux p. 242 et s., par. 527 et s.

[7] E. Desrosiers, « Gouvernance : Pas si bête, les actions à votes multiples », ledevoir.com, 16 octobre 2013.

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Nos étudiants publient. Amir Ouchar et Guy N’Toya Mputu commentent Michel Albouy : Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ?

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par MM. Amir Ouchar et Guy N’Toya Mputu. À cette occasion, Amir et Guy font une lecture critique de l’article de Michel Albouy intitulé « Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ? » (The Conversation, 30 janvier 2018). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

« Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ? »[1] est l’article de Michel Albouy rédigé dans une période particulière de l’histoire de l’entreprise française. M. Albouy livre une critique de la réforme du statut de l’entreprise française proposée par le gouvernement Macron au début de l’année en cours. En effet, l’objectif de cette réforme est d’adapter le cadre normatif de l’entreprise française aux enjeux actuels[2] et « [d’]évoluer le droit pour permettre aux entreprises qui le souhaitent de formaliser voire amplifier leur contribution à l’intérêt général »[3]. Ainsi, l’objet social de l’entreprise ne se résume plus aux seuls intérêts des actionnaires et à leurs profits. Celui-ci va bien au-delà en prenant en compte les questionnements liés à la responsabilité sociétale des entreprises, aux intérêts des salariés et autres parties prenantes (clients, fournisseurs, pouvoir du public, ONG…). En bref, l’objet social serait orienté vers la prise en compte d’un certain intérêt général[4].

Le rapport Pierre Sudreau de 1975 proposait en son temps « […] d’instituer une représentation du personnel au niveau des groupes et holding »[5]. Ceci en vue de réduire le pouvoir des actionnaires dans l’entreprise en faveur des salariés et des autres parties prenantes. Pour lui, cette réduction du pouvoir des actionnaires se ferait par l’intégration au CA d’un représentant des salariés.

Toutefois attention ! Pour Michel Albouy, il y a « anguille sous roche », puisque la démarche réformatrice du gouvernement Macron ne répond pas aux réalités sous-jacentes à l’entreprise française.

La critique sur la proposition de réforme : entre gouvernance partenariale et gouvernance actionnariale

La gouvernance partenariale est un mode de gouvernance de l’entreprise dans lequel l’on fait participer les salariés à la gestion de cette dernière. Elle tire ses origines « […] de la théorie des parties prenantes [définie comme] un individu ou un groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels (de l’entreprise) »[6]. La maximisation des profits des actionnaires n’est plus alors le seul centre d’intérêt de l’entreprise. Cet intérêt va bien au-delà en intégrant des intérêts de celles et ceux qui, telle une cheville ouvrière, la font vivre au quotidien[7]. Le salarié n’est plus cet employé « traditionnel » qui subit les diktats des décisions des dirigeants de l’entreprise. Dorénavant, le salarié fait partie du CA ou, du moins, s’y fait représenter.

Cependant, Michel Albouy n’est pas de cet avis et trouve dangereux qu’un tel mode de gouvernance soit la raison qui justifie la réforme du statut de l’entreprise française. « [N]on seulement les managers devraient répondre à des attentes contraires mais surtout les parties ne seraient plus incitées à contrôler la gestion de l’entreprise du mieux possible »[8].

La gouvernance éclairée : la « 2.0 »

Modèle actionnarial ou partenarial ? Une solution a été proposé par les anglais. Celle-ci est contenue dans un rapport sur la réforme de l’entreprise britannique intitulé Corporate Governance Reform: The Government Response to the Green Paper Consultation[9]. Ce rapport renferme l’idée (selon les mots de Michel Albouy) de laisser l’entreprise entre les mains des actionnaires[10]… lesquels continuent à choisir les dirigeants et espérer plus qu’un retour sur leurs investissements. La responsabilité d’agir de bonne foi au nom et pour le compte des actionnaires incombe alors au CA qui doit tenir compte des intérêts des autres parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs…) lors de la prise des décisions stratégiques qui touchent le cœur même de l’entreprise. En cas de non-respect de leurs obligations, les administrateurs se verront exposer à des recours exercés par les actionnaires[11].

Cette solution éviterait au CA des entreprises françaises une sorte de « tour Babel »[12] et un abysse cacophonique dans lequel le maître mot serait un cycle de discussions interminables au service d’intérêts égoïstes. Ce postulat justifie-t-il pour autant la réforme du statut de l’entreprise proposée en France ? Par ailleurs, comment se départir de cette image de l’entreprise perçue, à la fois, comme un « contrat » passé entre les actionnaires et comme une institution poursuivant un « intérêt général »[13] au bénéfice de toutes les parties prenantes.

Avouons-le, le mode de gestion partenariale à la française n’a encore pas été expérimenté, qui sait si elle ne présage pas un avenir reluisant à l’entreprise française !

MM. Amir Ouchar et Guy N’Toya Mputu

Anciens étudiants du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] Michel ALBOUY, « Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ? », The Conversation, 30 janvier 2018.

[2] Elise BARTHET, « Le gouvernement lance le chantier de l’entreprise », Le monde, 6 janvier 2018.

[3] Elise BARTHET, « Le gouvernement lance le chantier de l’entreprise », Le monde, 6 janvier 2018.

[4] Elise BARTHET, « Le gouvernement lance le chantier de l’entreprise », Le monde, 6 janvier 2018.

[5] Michel ALBOUY, « Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ? », The Conversation, 30 janvier 2018.

[6] Eric PERSAIS, « RSE et gouvernance partenariale », Gestion 2000, 2013, Vol. 30, p. 69-86.

[7] Eric PERSAIS, « RSE et gouvernance partenariale », Gestion 2000, 2013, Vol. 30, p. 69-86.

[8] Michel ALBOUY, « Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ? », The Conversation, 30 janvier 2018.

[9] Ivan TCHOTOURIAN, « Réforme de la gouvernance en Angleterre : une inspiration ? », 11 septembre 2017, Les blogues Contact.

[10] Isabelle CORBISIER, La société : contrat ou institution ? – Droits étasunien, français, belge, néerlandais, allemand et luxembourgeois, Bruxelles, Larcier, 2011, à la p. 59.

[11] Rachel C. TATE,Section 172 CA 2006: the ticket to stakeholder value or simply tokenism?

[12] Michel ALBOUY, « Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ? », The Conversation, 30 janvier 2018.

[13] Isabelle CORBISIER, La société : contrat ou institution ? – Droits étasunien, français, belge, néerlandais, allemand et luxembourgeois, Bruxelles, Larcier, 2011, à la p. 9.

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CA : faut-il tout lui dire ?

Sur le site de Lesaffaires.com, Mmes Sophie-Emmanuelle Chebin et Joanne Desjardins ont publié le 6 mai 2019 un billet particulièrement intéressant autour d’une question simple : « Doit-on tout dire à son conseil d’administration? ».

Extrait :

Doit-on tout dire à son conseil d’administration ? Cette question habite plusieurs PDG lorsqu’ils préparent les rencontres avec le CA. «Dire», et exposer ses faiblesses ou des éléments plus préoccupants de l’entreprise ou «ne pas dire», et risquer que ça nous rattrape. Notre position est claire: nous favorisons la transparence.

Notre expérience démontre que le fait de partager peu d’information avec ses administrateurs, ou de la contrôler, a pour conséquence un conseil d’administration peu engagé et inactif. Au contraire, un partage d’information proactif et fluide favorise le développement de la valeur ajoutée d’un conseil d’administration. Lorsque l’équipe de direction et le conseil agissent dans l’intérêt supérieur de l’entreprise et placent la pérennité de l’entreprise au sommet de leurs priorités, il n’y a pas de raison pour que la direction ou le CA se cachent mutuellement de l’information pertinente et essentielle.

À la prochaine…