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Président du CA : pour quoi faire ?
Ivan Tchotourian 4 mars 2020 Ivan Tchotourian
Mon dernier billet sur de Contact est consacré au président du CA : « Président du CA: rôle et légitimité » (7 février 2020). Je profite de l’actualité entourant la présidente du CA d’Exo pour commenter son attitude et réfléchir à la légitimité entourant le président du CA.
Résumé
Alors que le transport des voyageurs de la ligne de train Montréal/Deux-Montagnes va être bouleversé par la fermeture du tunnel sous le mont Royal (certains des 15 000 usagers de la ligne mettront deux fois plus de temps, voire davantage, pour se rendre au centre-ville de Montréal), la présidente du CA a invité ces voyageurs à réfléchir à ce qu’ils pouvaient faire eux-mêmes pour affronter les inconvénients qui devraient s’échelonner sur quelques années:
«Moi, comme architecte, généralement, quand il y a des contraintes, c’est source de créativité, c’est source d’invention. Alors j’ai l’impression qu’on va devoir un peu tous se mettre les mains à la pâte», a-t-elle dit, avant d’inviter les usagers à réfléchir à la question pendant la période des fêtes.
«On peut demander à nos employeurs d’un peu modifier l’horaire de travail. On peut demander à nos employeurs, peut-être, d’avoir une place pour avoir les enfants au travail quand on ne peut pas les mettre à la garderie», a-t-elle avancé.
«On peut peut-être embaucher quelqu’un qui n’a pas de travail et demander de faire des repas à l’avance. […] On peut penser à des étudiants, des étudiantes qui pourraient prolonger les heures de garderie si faire se peut». [Extrait de l’article de Radio-Canada]
Du point de vue du spécialiste de gouvernance d’entreprise que je suis, que penser de tels propos surtout venant d’une personne qui préside un CA? Faut-il partager le sentiment de révolte des usagers du train? Ce billet est l’occasion de revenir sur ce qu’est et ce que fait un président de CA… tout en s’interrogeant sur les conséquences de l’attitude adoptée par Mme Bérubé dans cette réunion publique.
Je vous laisse découvrir la suite…
À la prochaine…
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Publication au Bulletin Joly Sociétés !
Ivan Tchotourian 28 novembre 2019 Ivan Tchotourian
« Une loi PACTE au Canada ? : le « meilleur intérêt de la société » bientôt précisé par le législateur » : telle est ma dernière publication dans le Bulletin Joly Bourse, nov. 2019, n° 120, p. 52
Résumé :
La France a adopté, le 22 mai 2019, la loi PACTE et souligne par ce biais le rôle sociétal des entreprises. Si la France a été audacieuse, elle n’est pas isolée. À ce titre, le Canada a récemment déposé un projet de loi modifiant le contenu du devoir de loyauté défini dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Au travers de cette proposition déposée le 8 avril 2019 devant la Chambre des communes, le législateur canadien offre une définition originale de l’intérêt de la société.
À la prochaine…
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Comparons Benefit Corporation et B Corp
Ivan Tchotourian 13 novembre 2019 Ivan Tchotourian
« Benefit Corporation : une normativité de concurrence au service de la RSE », c’est sous ce titre que Margaux Morteo et moi-même avons publié un article dans la revue en ligne Éthique publique : Ivan Tchotourian et Margaux Morteo, « Benefit Corporation : une normativité de concurrence au service de la RSE », Éthique publique [En ligne], vol. 21, n° 1 | 2019, mis en ligne le 24 septembre 2019, consulté le 13 novembre 2019 .
Nous y développons la thèse d’une normativité de concurrence.
Plan :
1. Introduction
2. Certification B Corp.
2.1. Intérêts de la certification
2.2. Procédure de certification : les trois étapes
3. Réglementation étatsunienne :
présentation de la Public Benefit Corporation
3.1.
Définition de bénéfices publics
dans
les statuts
3.2. Assouplissement des devoirs fiduciaires
3.3.
Instauration d’une super-majorité
3.4. Obligation de reporting renforcée
4. Nouvelle forme
d’interaction normative
4.1. Normativité de concurrence
4.2. Avantages et inconvénients des
normes concurrentes
5. Conclusion
Résumé :
Les entreprises à mission sociétale (dont la fameuse Benefit Corporation américaine) constituent une innovation majeure du droit des sociétés et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Poussée par la finance d’impact, la Benefit Corporation a la particularité de permettre à des sociétés par actions de poursuivre des fins lucratives et sociales. Cette étude s’intéresse à l’instrument normatif à la base de l’émergence de ces entreprises. Elle analyse l’interaction entre les normes pour démontrer qu’il y a hybridation autour d’une normativité originale de « concurrence ». La certification B Corp. constitue la première base normative de ces entreprises. Toutefois, le législateur américain de l’État du Delaware (mais également d’autres États américains) est venu contribuer à cette normativité en adoptant une législation consacrée à la Benefit Corporation. Cette étude met en lumière qu’en matière de Benefit Corporation, autorégulation et réglementation se concurrencent, en rupture avec l’opposition, la substitution, la supériorité ou la complémentarité entre normes traditionnellement soulignées dans la littérature.
À la prochaine…
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Intérêt social et loi PACTE : numéro spécial chez Dalloz
Ivan Tchotourian 4 octobre 2019 Ivan Tchotourian
Les célèbres éditions Dalloz viennent de publier l’ouvrage Grand Angle consacré à la loi PACTE : « L’intérêt social dans la loi PACTE » (4 septembre 2019. Devinez qui a l’honneur de voir un de ses articles repris ?
Cet ouvrage est dédié à l’objet social des entreprises, une des mesures emblématiques de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) et sûrement la plus discutée au sein du Parlement. Cette mesure consiste à repenser la place de l’entreprise dans la société en redéfinissant leur raison d’être. La loi propose ainsi de modifier le code civil et le code de commerce afin de « renforcer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie et l’activité des entreprises ». Le texte de loi s’inspire pour cela des propositions du rapport « Entreprise, objet d’intérêt collectif », remis le 9 mars 2018, par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénart aux ministres de la transition écologique et solidaire, de la justice, de l’économie et des finances, et du travail. L’ouvrage propose d’analyser ainsi les enjeux de ce changement non seulement en droit des sociétés, mais également au regard du droit social.
L’approche retenue est pluridisciplinaire et transversale.
À la prochaine…
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Nouveau billet sur Contact : la fonderie Horne en question
Ivan Tchotourian 1 septembre 2019 Ivan Tchotourian
Bonjour à toutes et à tous, je viens de publier mon dernier billet de Contact intitulé : « Fonderie Horne et arsenic : une insoutenable légèreté » (partie 1 et partie 2). J’y aborde la question de la RSE.
Extrait :
L’actualité en matière de responsabilité sociale (RSE) vient de s’enrichir d’une nouvelle diffusée récemment par Radio-Canada : le niveau de pollution par contaminants d’une entreprise de Rouyn-Noranda et toléré par le ministre de l’Environnement. « Québec permet à la Fonderie Horne d’émettre 67 fois plus d’arsenic dans l’air que la norme provinciale » (Radio-Canada, 13 mai 2019), voilà une information qui n’est passée inaperçue ! Amené à me prononcer dans le cadre de l’émission de télévision RDI Économie animée par M. Gérald Fillion (ici), je partage avec vous quelques réflexions sur cette actualité (en plus de faire le point avec du recul), réflexions qui sont celles d’un professeur de droit travaillant dans le domaine de la RSE… et, surtout, celle d’un citoyen et d’un père qui se veut critique sur une situation qui lui apparaît insoutenable.
Plusieurs solutions sont envisageables pour répondre au niveau de pollution occasionné par les activités de la fonderie Horne. Le coût social de la pollution (qui, à terme, va reposer sur la province et ses contribuables) et les inquiétudes multiples de la situation appellent une réponse et un signal fort envoyé à la communauté et aux entreprises. J’ai entendu que fermer l’usine serait une option. Elle ne me semble pas crédible. Elle vient opposer frontalement la logique environnementale à la logique économique, alors qu’il convient de les faire travailler ensemble. La fermeture aurait des conséquences dévastatrices sur le plan économique, il ne faut pas s’en cacher. De même, des mesures punitives ne me semblent guère crédibles, le ministère étant le principal responsable du niveau de pollution atteint (et non l’entreprise qui ne fait qu’utiliser une tolérance – en étant d’ailleurs en-dessous du seuil maximum –). Comme évoqué par certains dans les journaux, la mise en place d’une zone tampon serait une avenue (et le respect de mesures sanitaires de base), même si cette option est contraignante pour les citoyens concernés, demeure à court terme et ne règle pas le problème de fond : le niveau de rejet des contaminants dans l’air. Aussi, il apparaît impératif de rehausser la norme demandée à l’entrepise Horne, tout en mettant en place des incitatifs pour la soutenir dans la recherche d’une solution environnementale.
Ne pas oublier la responsabilité de l’État
Que penser d’un éventuel recours judiciaire exercé non contre l’entreprise (qui reste dans la tolérance octroyée et ne franchit pas la ligne de l’illégalité) mais contre l’État ? Si la fonderie Horne suit bien le protocole (qui serait même en avance sur l’échéancier fixé avec le ministère de l’Environnement) suivant ce qu’avance le ministre Benoît Charette, la question est entière de savoir si les chiffres négociées et visés dans le protocle étaient adéquats. Que penser de la décision prise en 2011 par le ministère de l’Environnement ? Ne caractérise-t-elle pas une faute, une irrationnalité, une déraisonnabilité ou une insouciance grave commise par l’État ? Ces mots ne sont pas pris au hasard, ils ont des conséquences juridiques.
Contrairement à une croyance répandue, l’État québécois ne bénéficie pas d’une irresponsabilité. La maxime « the King can do no wrong » a vécu. La Cour suprême a clairement rappelé cette idée en 2011 : « Il importe que les organismes publics soient responsables en général de leur négligence compte tenu du grand rôle qu’ils jouent dans tous les aspects de la vie en société. Soustraire les gouvernements à toute responsabilité pour leurs actes entraînerait des conséquences inacceptables ». L’État québécois a tout d’abord une responsabilité extracontractuelle directe. Avec l’adoption en 1994 du Code civil du Québec (et l’article 1376), a été ajouté une nouvelle dimension à l’assujettissement de l’État au droit commun de la responsabilité civile. Le droit québécois assimile purement et simplement le gouvernement à une personne physique majeure et capable pour tout recours dirigé contre lui. Mais, l’État québécois peut également répondre de la faute de son préposé en vertu des articles 1463 et s. du Code civil du Québec. Avec cet article, le législateur cherche à écarter la possibilité pour l’État de se défendre en arguant que son préposé aurait agi en dehors de l’exercice de ses fonctions et que, pour ce motif, l’État n’aurait pas à répondre de sa faute.
Toutefois, la chose est subtile. En effet, le niveau de responsabilité de l’État québécois dépend de la nature de la décision prise. Il convient de distinguer entre les décisions relevant du « politique » et celles relevant de « l’opérationnel ». La nature de la faute exigée de l’État change. Si l’acte politique échappe la plupart du temps à la sanction des tribunaux et conduit à une immunité (sauf mauvaise foi, irrationalité ou insouciance grave), l’acte de gestion peut donner lieu à une action en responsabilité si l’acte en question a été accompli fautivement (une faute simple) et que cette faute a causé un dommage. Pour savoir à quelle catégorie appartient l’acte, il est « (…) illusoire de vouloir établir un critère absolu qui donnerait rapidement et infailliblement une réponse à l’égard de toute décision parmi la gamme infinie de celles que peuvent prendre les acteurs gouvernementaux ». L’appréciation se fait de manière contextuelle en tenant compte des caractéristiques des pouvoirs que la loi confère, ainsi que des devoirs qu’elle impose à l’officier public chargé de l’appliquer.
Quelle que soit la nature de l’acte en cause (qui m’apparaît toutefois relever davantage de l’opérationnel quoique…), on constate que l’on est proche d’une mise en cause possible de la responsabilité de l’État québécois dans ce dossier. Au regard des conséquences graves de l’arsenic sur la santé et du niveau de contaminants admis (et aussi de la légèreté à aborder ce problème de pollution), même les hypothèses exceptionnelles de faute mettant au rancart l’immunité – dans le cas des décisions politiques – semblent vérifiées. Que l’État se méfie, l’actualité démontre que la société civile dans toute sa diversité de courants, d’organisations et de mouvement d’opinion n’hésite plus à mettre les États et les villes devant les tribunaux en matière de changement climatique. La justice climatique prend corps !
La Loi sur la qualité de l’environnement et son chapitre III sur le droit à la qualité de l’environnement et à la sauvegarde des espèces vivantes méritent également d’être évoqués. Les mots utilisés dans la loi sont forts de sens : « Toute personne a droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent ». Les articles 19.1 et s. permettent l’exercice d’un recours en injonction devant la Cour supérieur pour empêcher l’acte. Cependant, il a été observé que ces articles sont difficiles à invoquer en pratique. De plus, le ministère de l’Environnement a autorisé la fonderie Horne à déroger à la loi.
À la prochaine…
Gouvernance Publications Structures juridiques travaux des étudiants
Nos étudiants publient. Ambyr Ladani lit Stephen Bainbridge : Capital-actions à classe multiple, pas un accident de l’histoire !
Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Ambyr Ladani. À cette occasion, Ambyr fait une lecture critique de l’article de Stephen M. Bainbridge intitulé « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective » (ProfessorBainbridge.com, 6 septembre 2017) Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.
Ivan Tchotourian
L’avènement de la
structure de capital de classe double ne date pas d’aujourd’hui et n’est en
rien une anomalie historique : tel est le propos de
Stephen M. Bainbridge (professeur émérite de droit à la faculté de
droit de l’UCLA et spécialiste de la gouvernance d’entreprise) dans son article
« Understanding Dual Class Stock Part I: An
Historical Perspective ». Selon lui, l’hystérie provoquée par les évènements
récents aux États-Unis tels que l’introduction en bourse des actions sans droit
de vote de Snap inc. en 2017 n’a pas
lieu d’être. A travers une perspective historique, l’auteur démontre que le
système « une action – un vote » n’a pas toujours été la norme.
Tout commence au milieu des années 1800
Avant le milieu des années 1800, la
plupart des chartes d’entreprises recommandaient un système limitant les droits
de vote des grands actionnaires ou imposant un nombre maximal de voix auquel
tout actionnaire avait droit. Mais, ce système était sérieusement contesté par
la facilité avec laquelle les grands actionnaires arrivaient à contourner les
règles de votes en transférant une partie de leurs actions à des tierces
personnes qui votaient à leur place.
Une
tendance qui s’inverse
Après 1819, la tendance à restreindre les
droits de vote s’est progressivement inversée instaurant la norme « une
action = un vote »[1] qui sera finalement adoptée en 1852 avec la
première loi de l’incorporation générale du Maryland. Cette norme sera
appliquée jusqu’en 1900 par la majorité des sociétés américaines comme règle
par défaut avec la liberté de la modifier. L’auteur attire notre attention sur
le fait qu’à l’époque, les actions privilégiées (ainsi que celles ordinaires)
conféraient généralement des droits de vote égaux contrairement à ce qui se
fait de nos jours. Selon lui, l’instauration de la norme « une action = un
vote » s’explique par plusieurs facteurs : l’influence des grands
actionnaires (directement intéressés) au sein des sociétés souvent à l’origine
des réformes, le désir d’encourager les investissements de capitaux à grandes
échelles, mais aussi et surtout la disparition de préjugés à l’égard des
entreprises. Cette nouvelle norme n’était pas sans inconvénients, notamment
pour les détenteurs d’actions privilégiées dont les droits de vote s’étaient
vus substantiellement limités.
Une
tendance inversée qui s’inverse
Par la suite, une nouvelle tendance s’était
installée au début du XXe siècle avec l’adoption progressive
des structures de gouvernance à deux classes avec l’émergence des actions
ordinaires sans droit de vote. L’auteur en veut pour preuve que le nombre
croissant de sociétés qui, après 1918, ont émis deux catégories d’actions
ordinaires : l’une avec le droit de vote complet sur une base d’un vote
par action (généralement destinée aux membres) et l’autre sans aucun droit de
vote compensé avec des droits de dividendes plus élevés (généralement destinés
au public). Ce type de configuration permettait une importante entrée de fonds
sans toutefois soustraire le contrôle de la société à ses fondateurs. Malgré l’intérêt
grandissant et surprenant des investisseurs à acquérir des actions sans droits
de vote, cette configuration inégale des droits de vote a été fortement
contestée dans les années 20 (notamment par le professeur d’économie
politique William Z. Ripley). Le New
York Stock Exchange (NYSE) s’est alors engagé à abolir cette pratique.
Cependant, le projet ne se concrétisera qu’en 1940 avec l’annonce officielle
d’une règle uniforme interdisant l’inscription des actions sans droit de vote.
Mais, cette interdiction (ainsi que l’opposition menée par Ripley) n’a pas
empêché certains géants tels que Ford
et Hershey de conserver leur
structure de capital à deux classes jusqu’à nos jours. Entre 1988 et 2007,
7 % des entreprises cotées sont restées des entreprises à deux classes
affirme Stephen M. Bainbridge.
Et au
Canada et au Québec ?
Dès 1945, la famille Molson, à l’origine de la
plus vieille brasserie du Canada, a eu recours aux actions subalternes pour
faciliter le financement de la société Molson, et ce, tout en conservant son
contrôle et son pouvoir décisionnel[2]. Au Canada et au Québec, la structure de
capital de classe multiple est aussi très controversée. Les critiques essuyées
entre autres par Bombardier et Couche-tard pour la double
catégorisation de leurs actions et surtout leurs modèles d’actions
multi-votantes en sont la preuve. Toutefois, ces deux entreprises ne sont pas
des cas isolés. De plus en plus de fondateurs optent pour un capital-actions à
classe multiple, afin de garder le contrôle de leur entreprise. Quelques
décisions de justice ont d’ailleurs été rendue en faveur de fondateurs
d’entreprise à structure de capital double, telles que dans l’affaire Magna international[3]. Dès la fin du XIXe siècle, les
dispositions législatives canadiennes et québécoises sur les sociétés par
actions créées par lettres patentes ont exprimé une présomption d’égalité entre
les actions du capital-actions. D’abord admise par les décisions des tribunaux
britanniques, cette présomption a été acceptée par les tribunaux canadiens. La
légalité d’accorder un traitement différent aux actionnaires par le biais de
l’émission d’actions privilégiées a été admise au fédéral en 1934 et en 1964 au
Québec. Les lois en matière de droit des
sociétés (à l’échelle tant canadienne que québécoise) sont dans le même sens.
Elles prévoient expressément la possibilité d’avoir des actions privilégiées ou
subalternes[4] et de mettre fin à
l’égalité entre actionnaires en créant des catégories d’actions auxquelles sont
rattachés des droits, des privilèges et des restrictions énoncés dans les
statuts[5]. Aussi, ce sont les
statuts qui définissent le type d’actions en fonction des droits, des
privilèges ou des restrictions attachés aux actions (les catégories). L’article 48
al. 1 LSAQ donne une grande latitude en énonçant ce principe au travers
d’une formule souple : « sauf disposition contraire des
statuts ». De plus, les alinéas 1 et 2 de l’article 48 LSAQ prévoient
des présomptions qui ont pour but d’assurer la conformité des statuts à la LSAQ[6]. En 2013, 77 entreprises canadiennes avec une
structure de capital de classe double dont Rogers
communication et Teck ressources
étaient inscrites à la bourse de Toronto[7].
Une
mode assumée !
Malgré les divers
débats menés au sujet de la démocratie actionnariale au sein des sociétés, les
fondateurs d’entreprises aux États-Unis et au Canada n’hésitent plus à opter
pour une structure de capital à double classe.
Ambyr Ladani
Ancienne étudiante du cours de Gouvernance de
l’entreprise – DRT-7022
[1] J. S. Davis,
Essays in the Earlier History of American
Corporations, 1912, à la p. 324 tel que cité dans S. M. Bainbridge, « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective ».
[2] S. Ben-Ishai et
P. Puri, « Dual Class
Shares in Canada: An Historical Analysis », (2006) 29 Dalhousie L.J. 117,
aux p. 122 et suiv.
[3] « Magna : la Cour
supérieure de l’Ontario rejette l’appel des actionnaires », Lesaffaires.com, 31 août 2010.
[4] Articles 5 5o et 44 LSAQ; et
6, al. 1 c) (i) et 24 (4) a) LCSA.
[5] Article 44 al. 2 LSAQ.
[6] R. Crête
et S. Rousseau, Droit des sociétés par actions,
Montréal, Les éditions Thémis, 2018, aux p. 242 et s., par. 527 et s.
[7] E. Desrosiers,
« Gouvernance : Pas si bête, les actions à votes multiples », ledevoir.com, 16 octobre 2013.
Gouvernance mission et composition du conseil d'administration parties prenantes place des salariés Publications travaux des étudiants
Nos étudiants publient. Amir Ouchar et Guy N’Toya Mputu commentent Michel Albouy : Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ?
Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par MM. Amir Ouchar et Guy N’Toya Mputu. À cette occasion, Amir et Guy font une lecture critique de l’article de Michel Albouy intitulé « Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ? » (The Conversation, 30 janvier 2018). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.
Ivan Tchotourian
« Faut-il vraiment changer le statut de
l’entreprise ? »[1] est l’article de Michel Albouy
rédigé dans une période particulière de l’histoire de l’entreprise
française. M. Albouy livre une critique de la réforme du statut de
l’entreprise française proposée par le gouvernement Macron au début de l’année
en cours. En effet, l’objectif de cette réforme est d’adapter le cadre normatif
de l’entreprise française aux enjeux actuels[2] et « [d’]évoluer le droit pour permettre
aux entreprises qui le souhaitent de formaliser voire amplifier leur
contribution à l’intérêt général »[3]. Ainsi, l’objet social de l’entreprise ne se
résume plus aux seuls intérêts des actionnaires et à leurs profits. Celui-ci va
bien au-delà en prenant en compte les questionnements liés à la responsabilité
sociétale des entreprises, aux intérêts des
salariés et autres parties prenantes (clients, fournisseurs, pouvoir du public,
ONG…). En bref, l’objet social serait orienté vers la prise en compte d’un
certain intérêt général[4].
Le rapport Pierre Sudreau de 1975
proposait en son temps « […] d’instituer une représentation du personnel au
niveau des groupes et holding »[5]. Ceci en vue de réduire le pouvoir des
actionnaires dans l’entreprise en faveur des salariés et des autres parties
prenantes. Pour lui, cette réduction du pouvoir des actionnaires se ferait par
l’intégration au CA d’un représentant des salariés.
Toutefois attention ! Pour Michel Albouy, il y a « anguille sous
roche », puisque la démarche réformatrice du gouvernement Macron ne répond
pas aux réalités sous-jacentes à l’entreprise française.
La
critique sur la proposition de réforme : entre gouvernance partenariale et
gouvernance actionnariale
La gouvernance partenariale est un mode de
gouvernance de l’entreprise dans lequel l’on fait participer les salariés à la
gestion de cette dernière. Elle tire ses origines « […] de la théorie des
parties prenantes [définie comme] un individu ou un
groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des
objectifs organisationnels (de l’entreprise) »[6]. La maximisation des profits des
actionnaires n’est plus alors le seul centre d’intérêt de l’entreprise. Cet
intérêt va bien au-delà en intégrant des intérêts de celles et ceux qui, telle
une cheville ouvrière, la font vivre au quotidien[7]. Le salarié n’est plus cet
employé « traditionnel » qui subit les diktats des décisions des dirigeants de l’entreprise. Dorénavant,
le salarié fait partie du CA ou, du moins, s’y fait représenter.
Cependant, Michel Albouy
n’est pas de cet avis et trouve dangereux qu’un tel mode de
gouvernance soit la raison qui justifie la réforme du statut de l’entreprise
française. « [N]on seulement les managers devraient répondre à des attentes
contraires mais surtout les parties ne seraient plus incitées à contrôler la
gestion de l’entreprise du mieux possible »[8].
La gouvernance
éclairée : la « 2.0 »
Modèle actionnarial ou partenarial ? Une
solution a été proposé par les anglais. Celle-ci est contenue dans un rapport
sur la réforme de l’entreprise britannique intitulé Corporate Governance Reform:
The Government Response to the Green Paper Consultation[9]. Ce rapport renferme l’idée (selon les mots de
Michel Albouy) de laisser l’entreprise
entre les mains des actionnaires[10]… lesquels continuent à choisir les dirigeants
et espérer plus qu’un retour sur leurs investissements. La responsabilité d’agir de bonne foi au nom et pour le compte
des actionnaires incombe alors au CA qui doit tenir compte des intérêts des
autres parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs…) lors de la prise
des décisions stratégiques qui touchent le cœur même de l’entreprise. En cas de
non-respect de leurs obligations, les administrateurs se verront exposer à des recours
exercés par les actionnaires[11].
Cette solution éviterait au CA des
entreprises françaises une sorte de « tour Babel »[12] et un abysse cacophonique dans
lequel le maître mot serait un cycle de discussions interminables au service d’intérêts
égoïstes. Ce postulat
justifie-t-il pour autant la réforme du statut de l’entreprise proposée en
France ? Par ailleurs, comment se départir de cette image de l’entreprise
perçue, à la fois, comme un « contrat » passé entre les actionnaires
et comme une institution poursuivant un « intérêt général »[13] au bénéfice de toutes les parties prenantes.
Avouons-le, le mode de gestion partenariale à
la française n’a encore pas été expérimenté, qui sait si elle ne présage pas un
avenir reluisant à l’entreprise française !
MM. Amir Ouchar et Guy N’Toya Mputu
Anciens étudiants du cours de Gouvernance de
l’entreprise – DRT-7022
[1] Michel ALBOUY, « Faut-il
vraiment changer le statut de l’entreprise ? », The Conversation, 30 janvier 2018.
[2] Elise BARTHET, « Le
gouvernement lance le chantier de l’entreprise », Le monde, 6 janvier 2018.
[3] Elise BARTHET, « Le
gouvernement lance le chantier de l’entreprise », Le monde, 6 janvier 2018.
[4] Elise BARTHET, « Le
gouvernement lance le chantier de l’entreprise », Le monde, 6 janvier 2018.
[5]
Michel ALBOUY,
« Faut-il
vraiment changer le statut de l’entreprise ? », The Conversation, 30 janvier 2018.
[6] Eric PERSAIS, « RSE et
gouvernance partenariale », Gestion 2000,
2013, Vol. 30, p. 69-86.
[7] Eric PERSAIS, « RSE et
gouvernance partenariale », Gestion 2000,
2013, Vol. 30, p. 69-86.
[8] Michel ALBOUY, « Faut-il
vraiment changer le statut de l’entreprise ? », The Conversation, 30 janvier 2018.
[9] Ivan TCHOTOURIAN, « Réforme
de la gouvernance en Angleterre : une inspiration ? »,
11 septembre 2017, Les blogues Contact.
[10] Isabelle CORBISIER, La société : contrat ou
institution ? – Droits étasunien, français, belge, néerlandais, allemand
et luxembourgeois, Bruxelles, Larcier, 2011, à la p. 59.
[11] Rachel C. TATE,Section 172
CA 2006: the ticket to stakeholder value or simply tokenism?
[12] Michel ALBOUY, « Faut-il
vraiment changer le statut de l’entreprise ? », The Conversation, 30 janvier 2018.
[13] Isabelle CORBISIER, La
société : contrat ou institution ? – Droits étasunien, français,
belge, néerlandais, allemand et luxembourgeois, Bruxelles, Larcier, 2011, à
la p. 9.