Les célèbres éditions Dalloz viennent de publier l’ouvrage Grand Angle consacré à la loi PACTE : « L’intérêt social dans la loi PACTE » (4 septembre 2019. Devinez qui a l’honneur de voir un de ses articles repris ?
Cet ouvrage est dédié à l’objet social des entreprises, une des mesures emblématiques de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) et sûrement la plus discutée au sein du Parlement. Cette mesure consiste à repenser la place de l’entreprise dans la société en redéfinissant leur raison d’être. La loi propose ainsi de modifier le code civil et le code de commerce afin de « renforcer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie et l’activité des entreprises ». Le texte de loi s’inspire pour cela des propositions du rapport « Entreprise, objet d’intérêt collectif », remis le 9 mars 2018, par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénart aux ministres de la transition écologique et solidaire, de la justice, de l’économie et des finances, et du travail. L’ouvrage propose d’analyser ainsi les enjeux de ce changement non seulement en droit des sociétés, mais également au regard du droit social. L’approche retenue est pluridisciplinaire et transversale.
Bonjour à toutes et à tous, je viens de publier mon dernier billet de Contact intitulé : « Fonderie Horne et arsenic : une insoutenable légèreté » (partie 1 et partie 2). J’y aborde la question de la RSE.
Extrait :
L’actualité en matière de responsabilité sociale (RSE) vient de s’enrichir d’une nouvelle diffusée récemment par Radio-Canada : le niveau de pollution par contaminants d’une entreprise de Rouyn-Noranda et toléré par le ministre de l’Environnement. « Québec permet à la Fonderie Horne d’émettre 67 fois plus d’arsenic dans l’air que la norme provinciale » (Radio-Canada, 13 mai 2019), voilà une information qui n’est passée inaperçue ! Amené à me prononcer dans le cadre de l’émission de télévision RDI Économie animée par M. Gérald Fillion (ici), je partage avec vous quelques réflexions sur cette actualité (en plus de faire le point avec du recul), réflexions qui sont celles d’un professeur de droit travaillant dans le domaine de la RSE… et, surtout, celle d’un citoyen et d’un père qui se veut critique sur une situation qui lui apparaît insoutenable.
Plusieurs solutions sont envisageables pour répondre au niveau de pollution occasionné par les activités de la fonderie Horne. Le coût social de la pollution (qui, à terme, va reposer sur la province et ses contribuables) et les inquiétudes multiples de la situation appellent une réponse et un signal fort envoyé à la communauté et aux entreprises. J’ai entendu que fermer l’usine serait une option. Elle ne me semble pas crédible. Elle vient opposer frontalement la logique environnementale à la logique économique, alors qu’il convient de les faire travailler ensemble. La fermeture aurait des conséquences dévastatrices sur le plan économique, il ne faut pas s’en cacher. De même, des mesures punitives ne me semblent guère crédibles, le ministère étant le principal responsable du niveau de pollution atteint (et non l’entreprise qui ne fait qu’utiliser une tolérance – en étant d’ailleurs en-dessous du seuil maximum –). Comme évoqué par certains dans les journaux, la mise en place d’une zone tampon serait une avenue (et le respect de mesures sanitaires de base), même si cette option est contraignante pour les citoyens concernés, demeure à court terme et ne règle pas le problème de fond : le niveau de rejet des contaminants dans l’air. Aussi, il apparaît impératif de rehausser la norme demandée à l’entrepise Horne, tout en mettant en place des incitatifs pour la soutenir dans la recherche d’une solution environnementale.
Ne pas oublier la responsabilité de l’État
Que penser d’un éventuel recours judiciaire exercé non contre l’entreprise (qui reste dans la tolérance octroyée et ne franchit pas la ligne de l’illégalité) mais contre l’État ? Si la fonderie Horne suit bien le protocole (qui serait même en avance sur l’échéancier fixé avec le ministère de l’Environnement) suivant ce qu’avance le ministre Benoît Charette, la question est entière de savoir si les chiffres négociées et visés dans le protocle étaient adéquats. Que penser de la décision prise en 2011 par le ministère de l’Environnement ? Ne caractérise-t-elle pas une faute, une irrationnalité, une déraisonnabilité ou une insouciance grave commise par l’État ? Ces mots ne sont pas pris au hasard, ils ont des conséquences juridiques.
Contrairement à une croyance répandue, l’État québécois ne bénéficie pas d’une irresponsabilité. La maxime « the King can do no wrong » a vécu. La Cour suprême a clairement rappelé cette idée en 2011 : « Il importe que les organismes publics soient responsables en général de leur négligence compte tenu du grand rôle qu’ils jouent dans tous les aspects de la vie en société. Soustraire les gouvernements à toute responsabilité pour leurs actes entraînerait des conséquences inacceptables ». L’État québécois a tout d’abord une responsabilité extracontractuelle directe. Avec l’adoption en 1994 du Code civil du Québec (et l’article 1376), a été ajouté une nouvelle dimension à l’assujettissement de l’État au droit commun de la responsabilité civile. Le droit québécois assimile purement et simplement le gouvernement à une personne physique majeure et capable pour tout recours dirigé contre lui. Mais, l’État québécois peut également répondre de la faute de son préposé en vertu des articles 1463 et s. du Code civil du Québec. Avec cet article, le législateur cherche à écarter la possibilité pour l’État de se défendre en arguant que son préposé aurait agi en dehors de l’exercice de ses fonctions et que, pour ce motif, l’État n’aurait pas à répondre de sa faute.
Toutefois, la chose est subtile. En effet, le niveau de responsabilité de l’État québécois dépend de la nature de la décision prise. Il convient de distinguer entre les décisions relevant du « politique » et celles relevant de « l’opérationnel ». La nature de la faute exigée de l’État change. Si l’acte politique échappe la plupart du temps à la sanction des tribunaux et conduit à une immunité (sauf mauvaise foi, irrationalité ou insouciance grave), l’acte de gestion peut donner lieu à une action en responsabilité si l’acte en question a été accompli fautivement (une faute simple) et que cette faute a causé un dommage. Pour savoir à quelle catégorie appartient l’acte, il est « (…) illusoire de vouloir établir un critère absolu qui donnerait rapidement et infailliblement une réponse à l’égard de toute décision parmi la gamme infinie de celles que peuvent prendre les acteurs gouvernementaux ». L’appréciation se fait de manière contextuelle en tenant compte des caractéristiques des pouvoirs que la loi confère, ainsi que des devoirs qu’elle impose à l’officier public chargé de l’appliquer.
Quelle que soit la nature de l’acte en cause (qui m’apparaît toutefois relever davantage de l’opérationnel quoique…), on constate que l’on est proche d’une mise en cause possible de la responsabilité de l’État québécois dans ce dossier. Au regard des conséquences graves de l’arsenic sur la santé et du niveau de contaminants admis (et aussi de la légèreté à aborder ce problème de pollution), même les hypothèses exceptionnelles de faute mettant au rancart l’immunité – dans le cas des décisions politiques – semblent vérifiées. Que l’État se méfie, l’actualité démontre que la société civile dans toute sa diversité de courants, d’organisations et de mouvement d’opinion n’hésite plus à mettre les États et les villes devant les tribunaux en matière de changement climatique. La justice climatique prend corps !
La Loi sur la qualité de l’environnement et son chapitre III sur le droit à la qualité de l’environnement et à la sauvegarde des espèces vivantes méritent également d’être évoqués. Les mots utilisés dans la loi sont forts de sens : « Toute personne a droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent ». Les articles 19.1 et s. permettent l’exercice d’un recours en injonction devant la Cour supérieur pour empêcher l’acte. Cependant, il a été observé que ces articles sont difficiles à invoquer en pratique. De plus, le ministère de l’Environnement a autorisé la fonderie Horne à déroger à la loi.
Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par M. Jérémy Gabin. À cette occasion, Jérémy fait une lecture critique de l’article de Renneboog, Geiler et Zhao intitulé « Beauty and Appearance in Corporate Director Elections » (European Corporate Governance Institute (ECGI) – Finance Working Paper Series, No. 537/2017). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.).
Beauté et apparences dans les élections au CA (par Renneboog, Geiler et Zhao)
Si le sujet peut prêter à sourire, l’étude « Beauty and Appearance in
Corporate Director Elections » réalisée par Philipp Geiler, Luc Renneboog et Yang Zhao
(European Corporate Governance Institute
(ECGI) – Finance Working Paper Series, No. 537/2017), apporte de
nombreuses pistes de réflexion, révélant autant l’influence de composantes
superficielles telles que la beauté dans les élections des administrateurs, que
les traits des différents profils d’actionnaires. Le postulat de cette
recherche est simple :
« Notre hypothèse
de base est que la beauté faciale ne jouerait pas de rôle [dans les élections]
parce que les actionnaires qui [(ré-)élisent] les administrateurs peuvent
s’appuyer sur des informations concernant leur éducation et leur expérience,
ainsi que sur la performance passée de la société, tout ceci étant présenté
dans le rapport annuel disponible avant les (ré-)élections ».
Cadre
Cette étude empirique, présentée comme la
première en son genre, se base sur un échantillon de 621 élections et
réélections survenues au Royaume-Uni entre 1996 et 2007. Pour chaque administrateur, la photographie
fournie dans le rapport annuel a été collectée et soumise à un échantillon
d’utilisateurs certifiés du Turc-mécanique d’Amazon[1].
Pour chacune de ces photographies, les répondants ont dû évaluer ce que
représentait la personne à leurs yeux, selon 5 critères définis par les
analystes : beauté, compétence, capital confiance, sympathie inspirée, et
intelligence. Chacun de ces critères, évalués sur une échelle de 1 à 5, propose
un profil général de l’individu. Ce résultat est alors mis en relation avec le
« dissent vote » de chaque candidat, c’est-à-dire, la somme des votes
exprimés contre l’élection et les abstentions. Leur analyse porte sur plusieurs
points dans le but d’analyser l’influence de la beauté dans différentes
circonstances :
Beauté
(attractivité) ou compétences ?;
Élection
d’un homme ou d’une femme;
Élection
d’un membre exécutif ou d’un membre non exécutif;
Élection
ou réélection du membre;
Composition
de l’actionnariat.
Résultats
« Nous trouvons que les administrateurs avec
une meilleure apparence (mieux notés), s’en sortent mieux dans les élections
des administrateurs, [ainsi] une augmentation de note d’apparence d’un point
est associée à une réduction du vote négatif d’environ 6,5% ». Alors, aussi
étonnant que cela puisse paraître, la beauté générale influe sur les élections
des administrateurs.
Toutefois, il faut noter que la beauté
physique, c’est-à-dire l’attractivité pure, n’a aucune influence sur le vote
des actionnaires. Ceux-ci se basent essentiellement sur les traits de
personnalité qui se dégagent des photographies et notamment le capital. Mais ce
qui est d’autant plus intéressant c’est la manière dont l’influence de la
beauté varie selon les caractéristiques de l’élection et de l’actionnariat.
Typologie
des actionnaires
L’un des paramètres révélateurs est celui de la
composition de l’actionnariat. Autrement dit, l’influence de l’apparence dans
des sociétés présentant plus ou moins d’investisseurs institutionnels. Les
chercheurs remarquent ici que l’apparence est plus déterminante dans les
(ré-)élections des sociétés ayant peu d’investisseurs institutionnels. Ainsi
l’on pourrait avancer que les « petits porteur » sont moins enclin à effectuer
des recherches sur les compétences et les diplômes des administrateurs et se
base davantage sur les traits de caractère dégagés par la photographie contenue
dans la convocation. Contrairement aux investisseurs institutionnels qui
disposent de moyens et de temps pour analyser ces données — car les enjeux ne
sont pas les mêmes.
Personnalité
des candidats
La beauté n’influe pas en pratique sur l’élection
des femmes au conseil d’administration. Une des raisons évoquées à cet égard
est que la place des femmes à ce niveau de la direction est un enjeu en
lui-même, mais trop peu de candidatures parviennent. Dans certains pays, comme
la France, la composition des conseils de sociétés dont les titres sont admis
aux négociations sur un marché est soumise au respect de quotas/ratios[2].
En cas de non-respect des niveaux imposés (40 % en l’occurrence), cela peut
même entrainer une suspension du versement de la rémunération.
Paramètres
de l’élection
Simultanément, les résultats montrent que
l’élection des « executive directors »
est plus influencée par l’apparence que celle des administrateurs n’ayant pas
de responsabilité (« non-executive
directors »). Cette disparité provient probablement du souhait des
actionnaires que leur entreprise soit bien représentée dans les relations
publiques, avec notamment des administrateurs charismatiques. Par ailleurs, on
observe que l’influence de la beauté diffère selon qu’il s’agisse d’une élection
ou d’une réélection d’un membre.
L’apparence importe plus dans les cas de réélection, les chercheurs
avancent ici que lors des premières élections les actionnaires sont plus
favorables à suivre l’avis du comité de nomination. Mais cela pourrait aussi
s’expliquer qu’il est plus opportun d’analyser dans sa globalité un candidat
lors de sa première élection, que lors de sa réélection qui sera davantage
influencée par les résultats passés de l’entreprise.
Parallèle
politique
Un parallèle intéressant est celui que l’on
peut faire avec le monde politique, où le rôle de la beauté dans les élections
est bien plus documenté. Une étude finlandaise de 2010[3],
utilisant le même modèle d’analyse, démontre que pour une augmentation d’un
point du ratio de beauté les votes pour les parlementaires finlandais peuvent
augmenter de 20 %, et de 17 % pour les élections municipales.
Jérémy Gabin
Ancien étudiant du cours de Gouvernance de
l’entreprise – DRT-7022
[1] Amazon Mechanical Turc :
plate-forme de crowdsourcing faisant
appel à un large panel d’individus pour répondre à certaines questions, ou
réaliser des micro-tâches. Dans le cadre de cette enquête seuls les
utilisateurs « certifiés » par la plate-forme étaient habilités à
répondre : gage de qualité et l’un des nombreux « robustness-test »
mis en place.
[2] Loi n° 2011-103 du
27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et
des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à
l’égalité professionnelle, transposée aux articles L. 225-17 et s. du Code de commerce.
[3] N. Berggren, H. Jordahl et M. Poutvaara (chercheur ayant fourni les
questionnaires de cette étude), « The Looks of a Winner: Beauty and Electoral
Success », Journal of Public Economics,
2010, vol. 94, no 1-2, p. 8.
Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Ambyr Ladani. À cette occasion, Ambyr fait une lecture critique de l’article de Stephen M. Bainbridge intitulé « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective » (ProfessorBainbridge.com, 6 septembre 2017)Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.
Ivan Tchotourian
L’avènement de la
structure de capital de classe double ne date pas d’aujourd’hui et n’est en
rien une anomalie historique : tel est le propos de
Stephen M. Bainbridge (professeur émérite de droit à la faculté de
droit de l’UCLA et spécialiste de la gouvernance d’entreprise) dans son article
« Understanding Dual Class Stock Part I: An
Historical Perspective ». Selon lui, l’hystérie provoquée par les évènements
récents aux États-Unis tels que l’introduction en bourse des actions sans droit
de vote de Snap inc. en 2017 n’a pas
lieu d’être. A travers une perspective historique, l’auteur démontre que le
système « une action – un vote » n’a pas toujours été la norme.
Tout commence au milieu des années 1800
Avant le milieu des années 1800, la
plupart des chartes d’entreprises recommandaient un système limitant les droits
de vote des grands actionnaires ou imposant un nombre maximal de voix auquel
tout actionnaire avait droit. Mais, ce système était sérieusement contesté par
la facilité avec laquelle les grands actionnaires arrivaient à contourner les
règles de votes en transférant une partie de leurs actions à des tierces
personnes qui votaient à leur place.
Une
tendance qui s’inverse
Après 1819, la tendance à restreindre les
droits de vote s’est progressivement inversée instaurant la norme « une
action = un vote »[1] qui sera finalement adoptée en 1852 avec la
première loi de l’incorporation générale du Maryland. Cette norme sera
appliquée jusqu’en 1900 par la majorité des sociétés américaines comme règle
par défaut avec la liberté de la modifier. L’auteur attire notre attention sur
le fait qu’à l’époque, les actions privilégiées (ainsi que celles ordinaires)
conféraient généralement des droits de vote égaux contrairement à ce qui se
fait de nos jours. Selon lui, l’instauration de la norme « une action = un
vote » s’explique par plusieurs facteurs : l’influence des grands
actionnaires (directement intéressés) au sein des sociétés souvent à l’origine
des réformes, le désir d’encourager les investissements de capitaux à grandes
échelles, mais aussi et surtout la disparition de préjugés à l’égard des
entreprises. Cette nouvelle norme n’était pas sans inconvénients, notamment
pour les détenteurs d’actions privilégiées dont les droits de vote s’étaient
vus substantiellement limités.
Une
tendance inversée qui s’inverse
Par la suite, une nouvelle tendance s’était
installée au début du XXe siècle avec l’adoption progressive
des structures de gouvernance à deux classes avec l’émergence des actions
ordinaires sans droit de vote. L’auteur en veut pour preuve que le nombre
croissant de sociétés qui, après 1918, ont émis deux catégories d’actions
ordinaires : l’une avec le droit de vote complet sur une base d’un vote
par action (généralement destinée aux membres) et l’autre sans aucun droit de
vote compensé avec des droits de dividendes plus élevés (généralement destinés
au public). Ce type de configuration permettait une importante entrée de fonds
sans toutefois soustraire le contrôle de la société à ses fondateurs. Malgré l’intérêt
grandissant et surprenant des investisseurs à acquérir des actions sans droits
de vote, cette configuration inégale des droits de vote a été fortement
contestée dans les années 20 (notamment par le professeur d’économie
politique William Z. Ripley). Le New
York Stock Exchange (NYSE) s’est alors engagé à abolir cette pratique.
Cependant, le projet ne se concrétisera qu’en 1940 avec l’annonce officielle
d’une règle uniforme interdisant l’inscription des actions sans droit de vote.
Mais, cette interdiction (ainsi que l’opposition menée par Ripley) n’a pas
empêché certains géants tels que Ford
et Hershey de conserver leur
structure de capital à deux classes jusqu’à nos jours. Entre 1988 et 2007,
7 % des entreprises cotées sont restées des entreprises à deux classes
affirme Stephen M. Bainbridge.
Et au
Canada et au Québec ?
Dès 1945, la famille Molson, à l’origine de la
plus vieille brasserie du Canada, a eu recours aux actions subalternes pour
faciliter le financement de la société Molson, et ce, tout en conservant son
contrôle et son pouvoir décisionnel[2]. Au Canada et au Québec, la structure de
capital de classe multiple est aussi très controversée. Les critiques essuyées
entre autres par Bombardier et Couche-tard pour la double
catégorisation de leurs actions et surtout leurs modèles d’actions
multi-votantes en sont la preuve. Toutefois, ces deux entreprises ne sont pas
des cas isolés. De plus en plus de fondateurs optent pour un capital-actions à
classe multiple, afin de garder le contrôle de leur entreprise. Quelques
décisions de justice ont d’ailleurs été rendue en faveur de fondateurs
d’entreprise à structure de capital double, telles que dans l’affaire Magna international[3]. Dès la fin du XIXe siècle, les
dispositions législatives canadiennes et québécoises sur les sociétés par
actions créées par lettres patentes ont exprimé une présomption d’égalité entre
les actions du capital-actions. D’abord admise par les décisions des tribunaux
britanniques, cette présomption a été acceptée par les tribunaux canadiens. La
légalité d’accorder un traitement différent aux actionnaires par le biais de
l’émission d’actions privilégiées a été admise au fédéral en 1934 et en 1964 au
Québec. Les lois en matière de droit des
sociétés (à l’échelle tant canadienne que québécoise) sont dans le même sens.
Elles prévoient expressément la possibilité d’avoir des actions privilégiées ou
subalternes[4] et de mettre fin à
l’égalité entre actionnaires en créant des catégories d’actions auxquelles sont
rattachés des droits, des privilèges et des restrictions énoncés dans les
statuts[5]. Aussi, ce sont les
statuts qui définissent le type d’actions en fonction des droits, des
privilèges ou des restrictions attachés aux actions (les catégories). L’article 48
al. 1 LSAQ donne une grande latitude en énonçant ce principe au travers
d’une formule souple : « sauf disposition contraire des
statuts ». De plus, les alinéas 1 et 2 de l’article 48 LSAQ prévoient
des présomptions qui ont pour but d’assurer la conformité des statuts à la LSAQ[6]. En 2013, 77 entreprises canadiennes avec une
structure de capital de classe double dont Rogers
communication et Teck ressources
étaient inscrites à la bourse de Toronto[7].
Une
mode assumée !
Malgré les divers
débats menés au sujet de la démocratie actionnariale au sein des sociétés, les
fondateurs d’entreprises aux États-Unis et au Canada n’hésitent plus à opter
pour une structure de capital à double classe.
Ambyr Ladani
Ancienne étudiante du cours de Gouvernance de
l’entreprise – DRT-7022
Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par MM. Amir Ouchar et Guy N’Toya Mputu. À cette occasion, Amir et Guy font une lecture critique de l’article de Michel Albouy intitulé « Faut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ? » (The Conversation, 30 janvier 2018). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.
Ivan Tchotourian
« Faut-il vraiment changer le statut de
l’entreprise ? »[1] est l’article de Michel Albouy
rédigé dans une période particulière de l’histoire de l’entreprise
française. M. Albouy livre une critique de la réforme du statut de
l’entreprise française proposée par le gouvernement Macron au début de l’année
en cours. En effet, l’objectif de cette réforme est d’adapter le cadre normatif
de l’entreprise française aux enjeux actuels[2] et « [d’]évoluer le droit pour permettre
aux entreprises qui le souhaitent de formaliser voire amplifier leur
contribution à l’intérêt général »[3]. Ainsi, l’objet social de l’entreprise ne se
résume plus aux seuls intérêts des actionnaires et à leurs profits. Celui-ci va
bien au-delà en prenant en compte les questionnements liés à la responsabilité
sociétale des entreprises, aux intérêts des
salariés et autres parties prenantes (clients, fournisseurs, pouvoir du public,
ONG…). En bref, l’objet social serait orienté vers la prise en compte d’un
certain intérêt général[4].
Le rapport Pierre Sudreau de 1975
proposait en son temps « […] d’instituer une représentation du personnel au
niveau des groupes et holding »[5]. Ceci en vue de réduire le pouvoir des
actionnaires dans l’entreprise en faveur des salariés et des autres parties
prenantes. Pour lui, cette réduction du pouvoir des actionnaires se ferait par
l’intégration au CA d’un représentant des salariés.
Toutefois attention ! Pour Michel Albouy, il y a « anguille sous
roche », puisque la démarche réformatrice du gouvernement Macron ne répond
pas aux réalités sous-jacentes à l’entreprise française.
La
critique sur la proposition de réforme : entre gouvernance partenariale et
gouvernance actionnariale
La gouvernance partenariale est un mode de
gouvernance de l’entreprise dans lequel l’on fait participer les salariés à la
gestion de cette dernière. Elle tire ses origines « […] de la théorie des
parties prenantes [définie comme] un individu ou un
groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des
objectifs organisationnels (de l’entreprise) »[6]. La maximisation des profits des
actionnaires n’est plus alors le seul centre d’intérêt de l’entreprise. Cet
intérêt va bien au-delà en intégrant des intérêts de celles et ceux qui, telle
une cheville ouvrière, la font vivre au quotidien[7]. Le salarié n’est plus cet
employé « traditionnel » qui subit les diktats des décisions des dirigeants de l’entreprise. Dorénavant,
le salarié fait partie du CA ou, du moins, s’y fait représenter.
Cependant, Michel Albouy
n’est pas de cet avis et trouve dangereux qu’un tel mode de
gouvernance soit la raison qui justifie la réforme du statut de l’entreprise
française. « [N]on seulement les managers devraient répondre à des attentes
contraires mais surtout les parties ne seraient plus incitées à contrôler la
gestion de l’entreprise du mieux possible »[8].
La gouvernance
éclairée : la « 2.0 »
Modèle actionnarial ou partenarial ? Une
solution a été proposé par les anglais. Celle-ci est contenue dans un rapport
sur la réforme de l’entreprise britannique intitulé Corporate Governance Reform:
The Government Response to the Green Paper Consultation[9]. Ce rapport renferme l’idée (selon les mots de
Michel Albouy) de laisser l’entreprise
entre les mains des actionnaires[10]… lesquels continuent à choisir les dirigeants
et espérer plus qu’un retour sur leurs investissements. La responsabilité d’agir de bonne foi au nom et pour le compte
des actionnaires incombe alors au CA qui doit tenir compte des intérêts des
autres parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs…) lors de la prise
des décisions stratégiques qui touchent le cœur même de l’entreprise. En cas de
non-respect de leurs obligations, les administrateurs se verront exposer à des recours
exercés par les actionnaires[11].
Cette solution éviterait au CA des
entreprises françaises une sorte de « tour Babel »[12] et un abysse cacophonique dans
lequel le maître mot serait un cycle de discussions interminables au service d’intérêts
égoïstes. Ce postulat
justifie-t-il pour autant la réforme du statut de l’entreprise proposée en
France ? Par ailleurs, comment se départir de cette image de l’entreprise
perçue, à la fois, comme un « contrat » passé entre les actionnaires
et comme une institution poursuivant un « intérêt général »[13] au bénéfice de toutes les parties prenantes.
Avouons-le, le mode de gestion partenariale à
la française n’a encore pas été expérimenté, qui sait si elle ne présage pas un
avenir reluisant à l’entreprise française !
MM. Amir Ouchar et Guy N’Toya Mputu
Anciens étudiants du cours de Gouvernance de
l’entreprise – DRT-7022
[10] Isabelle CORBISIER, La société : contrat ou
institution ? – Droits étasunien, français, belge, néerlandais, allemand
et luxembourgeois, Bruxelles, Larcier, 2011, à la p. 59.
[13] Isabelle CORBISIER, La
société : contrat ou institution ? – Droits étasunien, français,
belge, néerlandais, allemand et luxembourgeois, Bruxelles, Larcier, 2011, à
la p. 9.
Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Mélissa Guillo et M. Gaëtan Yjjou. À cette occasion, nos étudiants discutent de l’article de Mme Lisa Rodriguez dans la revue banque.fr sur la stratégie de l’État actionnaire et l’impact des golden shares. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.
Ivan Tchotourian
En décembre
2017, Mme Lisa Rodriguez (étudiante à l’ESCP Europe) publie
dans la revue banque.fr un article qui analyse de manière économique la
stratégie de l’État actionnaire et l’impact des golden shares sur le portefeuille d’actions de l’État tout en
donnant une certaine interprétation aux données chiffrées. Cet article est
d’autant plus d’actualité que le 10 décembre 2018, l’Assemblée
nationale française a adopté la loi dite « Pacte » qui étend
l’application des golden share aux
cessions privées et l’adapte à la jurisprudence européenne.[1]
La
naissance de l’État actionnaire français
La notion d’État actionnaire est
assez récente et date des années 2000… et montre un changement de paradigme de
l’État. Historiquement, il était question d’État tuteur possédant des
entreprises publiques et fournissant peu de rapports sur leur gestion[2]. Progressivement, l’État s’est
modernisé pour s’adapter à la mondialisation, à la pression de la Cour de
justice Européenne et à l’essor de la concurrence. L’État actionnaire est
aujourd’hui « né » et il dispose d’un mécanisme de gouvernance
spécifique pour asseoir ses prérogatives : l’action golden share.
Qu’est-ce qu’une action golden shares ?
« Une action Golden shares
signifie littéralement “participation en or”. Le mécanisme consiste à attribuer
à l’Etat des prérogatives exorbitantes telles que s’opposer à la prise de
contrôle d’investisseurs étrangers, à certaines décisions stratégiques, à la
nomination de membre du conseil d’administration ou encore la possibilité
d’avoir un droit de véto »[3]. Ainsi, l’État – tout en demeurant
un actionnaire minoritaire dans une entreprise – peut bloquer la volonté des
actionnaires majoritaires.
Cet outil demeure strictement
encadré par les autorités de l’Union européenne, limité à certains secteurs
stratégiques, dont la création est justifiée par l’intérêt général et
proportionné à l’objectif recherché[4]. Longtemps négligé, ce mécanisme
revient dans l’actualité notamment avec l’augmentation croissante des
participations de l’État dans les entreprises cotées et la baisse de rentabilité
des portefeuilles de l’État. Dans son article, Mme Rodriguez se pose
une question simple : quel est l’impact des golden shares sur la gestion de portefeuille de l’État
actionnaire ?
Une réponse au déclin de la rentabilité
des portefeuilles de l’État
Il est nécessaire pour un
investisseur d’avoir un portefeuille d’action rentable. Or, l’État français (avec
son portefeuille valorisé à 90 milliards d’euros) ne déroge pas à cette règle.
« La rentabilité économique et financière du portefeuille d’action diminue
autant que l’endettement augmente ». Ce constat édifiant reflète la
mauvaise gouvernance par l’État de son portefeuille. Rentabilité et endettement
prennent en compte l’aptitude d’une entreprise à générer des bénéfices. Or, en
2015 (et pour la première fois !), ils se sont révélés négatifs… d’autant
plus que l’endettement de l’État a augmenté de 64 % entre 2006 et 2016. La
capacité de l’État français à rembourser ses dettes s’est vue fortement affectée.
Ces chiffres confortent la nécessité pour l’État de changer sa stratégie.
Dans son article, Mme
Rodriguez explore deux hypothèses :
Hypothèse 1 :
mise en place des goldens share dans
les entreprises déjà privés comme par exemple l’entreprise Airbus.
Hypothèse 2 :
privatisation des entreprises.
Dans les deux cas le prix des
cessions d’actions est réinvesti.
Dans l’hypothèse de l’utilisation
d’une action golden share, on
constate une amélioration partielle de la performance financière. En terme de
profitabilité, les golden shares ont un
effet bénéfique, mais leur utilisation entraine une certaine dégradation du
rendement et de la rentabilité. Les goldens
share n’ont pas d’impact sur la performance boursière. Les résultats de Mme
Rodriguez démontre une amélioration manifeste de la performance stratégique. En
revanche, l’État reçoit moins de dividendes avec la constitution de golden share. Effectivement ils
diminuent avec la cession de part dans des entreprises qui fournissent beaucoup
de dividendes dans le secteur de la défense.
Au-delà des golden share
L’article de Mme
Rodriguez peut être critiqué par le fait que l’État dispose de plus de 1700
participations, un nombre qui devrait augmenter à l’avenir. Il est donc
difficile pour l’État de maîtriser l’information et de contrôler les entreprises.
De plus, l’État doit faire attention à ne pas se comporter en spéculateur pour
conserver une bonne réputation.
Mélissa Guillo
et Gaëtan Yjjou
Anciens étudiants du cours de Gouvernance de
l’entreprise – DRT-7022
Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Audrey Houle. À cette occasion, Audrey fait une lecture critique de l’article de Justin Fox intitulé « Why U.S. Corporate Boards Don’t Include Workers » (Bloomberg, 21 août 2018). Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.
Ivan Tchotourian
Quelle est la place des salariés sur les CA américains ?
En voilà une belle question de gouvernance d’entreprise ! La question a refait
surface en août dernier alors que la sénatrice américaine Elizabeth Warren
proposait que les entreprises ayant plus d’un milliard de chiffre d’affaires
permettent aux employés d’élire 40 % des membres du CA[1]. Le but est de s’éloigner du courant de pensée
de la maximisation des avoirs des actionnaires à court terme au détriment des salariés
et des objectifs à long terme pour un partage plus élargi des bénéfices[2].
Une
question brûlante partout
Le sujet faisait d’ailleurs déjà écho de
l’autre côté de l’Atlantique. Theresa May a fait de la représentation des salariés
sur les CA anglais une de ses promesses électorales en 2016 alors que le
président français Emmanuel Macron envisage actuellement renforcer la
présence des salariés dans les conseils d’administration suite à l’échec de la
réforme du marché du travail[3]. De son côté, l’Allemagne prévoit une place
aux employés sur les CA avec son système dualiste de surveillance adopté dans
le Code allemand du Gouvernement d’entreprise en 1976[4]. Les salariés allemands siègent donc sur le
conseil de surveillance et ont le pouvoir d’élire une partie des membres du CA[5].
Et
aux États-Unis ?
Cette pratique n’a pas toujours été étrangère
aux entreprises américaines. Au début des années 1900, les États-Unis
avaient des entités qui ressemblaient beaucoup au comité d’entreprise allemand
comme des « plans de représentation des employés » ou des « syndicats
d’entreprise »[6]. En 1898, la Filene Corporation Association a été une des organisations
d’employés pionnière du secteur industriel donnant une voix aux travailleurs
leur permettant de gérer leur régime d’assurance santé. L’entreprise Colorado Fuel and Iron Company emboita
le pas en 1915 en mettant au point un système de représentation des employés
élus suite au « massacre de ludlow » qui fut l’un des conflits entre
les salariés et le patronat les plus sanglants de l’histoire des États-Unis[7].
Une
raison avant tout politique
Une des raisons qui peut expliquer la dérive de
la gouvernance d’entreprises vers le modèle capitaliste que l’on connaît
aujourd’hui se trouve dans l’histoire économique et politique américaine. La Grande
Dépression des années 30 transformant les profits des entreprises en pertes
a remis en question les pratiques de gouvernance d’entreprise priorisant la
santé économique des entreprises[8]. Afin d’assurer une certaine protection aux salariés
durant cette période difficile, le gouvernement de Franklin D. Roosevelt
adopta la National Industrial Recovery
Act en 1933 qui a été en vain déclaré inconstitutionnelle par la Cour
Suprême quelques années plus tard[9]. Ce n’est qu’en 1937 que la National Labour Relation Act (aujourd’hui
connue sous le nom de la National Labour
Relation Board) a remplacé l’ancien régime de protection des salariés[10].
Une
protection ailleurs
Le droit du travail américain protège les salariés
et bon nombre d’entreprises offrent de nos jours des conditions de travail
exemplaires, mais c’est en constatant les perversions de la gouvernance
d’entreprise comme ce fut le cas dans l’affaire Enron au début des années 2000 que l’idée d’une représentation des salariés
au sein des CA émerge. Aujourd’hui, la rareté des syndicats américains (à peine
6.5 % en 2017) rend l’absence de représentation des salariés encore plus critiquable[11].
Performance… et alors !
La littérature évoque
que la représentation des salariés au sein des CA peut favoriser la relation
entre les deux parties[12].
Toutefois, il n’existe en théorie aucune corrélation entre la performance
financière d’une entreprise et la présence de salariés sur le CA[13].
Le modèle de l’Allemagne étant souvent étudié (et valorisé !) n’est pas
sans faille. Le récent scandale de Volkswagen
démontre que la présence des salariés ne garantit pas nécessairement de bonnes
pratiques. Il y a une évidence derrière tout cela : il n’existe aucun
modèle parfait de gouvernance d’entreprise. Toutefois, s’éloigner du modèle
doctrinal prôné par Milton Friedman[14]
(place prépondérante des propriétaires-actionnaires et concentration sur la
responsabilité des entreprises de générer des profits) vers des objectifs plus
collectifs incluant les différentes parties prenantes favorise le dialogue
social et pourrait permettre d’éviter certains scandales. Au Québec, la récente
faillite de l’entreprise Sears
emportant avec elle les fonds de pensions des salariés alors que, quelques
années plus tôt, les actionnaires recevaient des dividendes importants nous
rappelle que les québécois bénéficieraient également d’une amélioration du
modèle de gouvernance d’entreprise incluant la participation des salariés[15].
Audrey Houle
Ancienne étudiante du cours de Gouvernance de
l’entreprise – DRT-7022