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Société à mission et Loi PACTE

Contexte juridique. L’article 169 de la loi PACTE, publiée au journal officiel le 22 mai 2019[1] modifie l’article 1835 du Code Civil en prévoyant que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » Dans cette section légale intitulée « repenser la place des entreprises dans la société », le législateur a également pris soin de modifier l’article L.225-35 du Code de commerce relatif au conseil d’administration des sociétés anonymes pour indiquer que ce dernier devra prendre en considération, « s’il y a lieu, la raison d’être de la société définie en application de l’article 1835 du code civil. » La modification des articles du Code Civil et du Code de commerce fait suite à la réflexion menée au cours d’une mission gouvernementale « Entreprise et intérêt général », confiée à Nicole Notat et Jean-Dominique Senard. Ces derniers ont été chargés le 5 janvier 2018 de réfléchir à « une nouvelle vision de l’entreprise, en interrogeant pour cela son rôle et ses missions » et à formuler « un diagnostic et des propositions sur la manière dont les statuts des sociétés et leur environnement, notamment juridique, pourraient être adaptés et ainsi, permettre de renforcer le rôle de l’entreprise vis-à-vis de ses partie-prenantes[2] ».

A n’en point douter ces dispositifs légaux relève du domaine de la responsabilité sociétale des entreprises dite RSE, que la commission européenne avait défini comme la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société[3]. Pour Isabelle Cadet[4] « la notion de responsabilité sociétale (RS) est un rapprochement entre le concept initial RSE traduction de Corporate Social Responsibility, dans les années 50 aux Etats-Unis, responsabilité d’ordre éthique et philanthropique, où l’individu est au cœur des préoccupations, avec la théorie des parties prenantes, (responsabilité collective) dans les années 80, obligeant à prendre en considération l’impact des activités de l’entreprise sur un certain nombre d’acteurs, dont les attentes peuvent apparaître légitimes, et enfin, par extension, celles non exprimées des générations futures, issues du concept de développement durable (bien commun), thème cher à l’Europe depuis le début du XXIème siècle (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010) ».

Droit comparé. En permettant aux entreprises constituées sous forme sociétaire d’inclure dans leurs statuts une raison d’être, le législateur entend doter les entrepreneurs de la possibilité de constituer une entreprise à mission. De nombreux modèles à travers le monde ont récemment été recensés dans cette volonté d’attribuer aux entreprises un autre objectif que la seule recherche du profit. L’on pourrait citer outre atlantique la Benefit Corporation, introduite en avril 2010 au Maryland[5], la Public Benefit Corporation créée en 2015 au Delaware[6] ou de la Flexible Purpose Corporation[7]. Sur le continent européen, largement inspirées du modèle américain, on recense notamment les Società Benefit italiennes[8], les Community Interest Companies britanniques[9] ou encore les Sociétés à finalité sociale belges[10].

Définition société à mission. Une société à mission pourrait se définir simplement selon les travaux d’Emmanuel Rasset[11] comme une structure juridique de type commercial avec une finalité de nature sociale qui, au travers du contrat de société, conclue un engagement des associés, un choix collectif qui dépasse de simples obligations pesant sur les dirigeants de la personne morale. Si de multiples vocables existent semble-t-il pour définir le même concept (« société à objet élargi », « société à objet social étendu », « société à bénéfice étendu », « société à finalité sociale » ou encore « société d’intérêt sociétal »), l’usage du terme société à mission sera privilégié car semble-t-il assez général pour englober les subtiles différences des autres concepts.

Cadre juridique adopté. L’exposé des motifs de la loi PACTE reprenant in extenso les termes du rapport Notat-Sénard[12] définit la raison d’être comme « l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social ». La possibilité d’inclure dans les statuts une raison d’être n’est pas nouvelle, ce que n’a d’ailleurs pas manqué de faire remarquer le Conseil d’Etat[13]. Là où une véritable évolution est à noter c’est dans la création par l’article 176 de la loi PACTE de trois nouvelles dispositions au sein du Code de commerce qui viendront encadrer le contrôle de ce nouveau statut de société à mission. En effet, les articles L.210-10 à L.210-12 du Code de commerce prévoient qu’une société pourra faire publiquement état de sa qualité de société à mission si ses statuts prévoient une raison d’être, si ces derniers précisent un ou des objectifs environnementaux et/ou sociaux à atteindre et si un comité de suivi composé d’au moins un salarié de l’entreprise présente un document de suivi à joindre au rapport de gestion annuel. Les modalités du contrôle de suivi des objectifs seront assurées par un tiers indépendant dont la mission sera précisée par décret. En somme, les sociétés commerciales sont concernées par ce dispositif nouveau au même titre que les coopératives agricoles[14] ainsi que les sociétés d’assurance mutuelles[15].

Prospection. Il apparaît que la raison d’être sociétaire est un de ces concepts qui ont plus de valeur que de sens. Malgré les mises en garde du Conseil d’Etat, la loi PACTE a finalement modifié le Code Napoléon pour y inclure le concept de société à mission sans que l’on puisse être certain des conséquences de l’adoption d’un tel statut. S’il est certain que contrairement à la modification de l’article 1833 relatif à la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, l’article 1835 du Code civil n’accorde qu’un droit optionnel aux sociétés. Il n’en demeure pas moins que si ces dernières font le choix de devenir des sociétés à mission, la violation des statuts dans la gestion de la structure amènera inéluctablement de nouveaux cas de responsabilité des dirigeants. En outre, si de nombreux cas vertueux de sociétés à mission ont été recensés[16], il demeure un risque non négligeable de greenwashing et d’usage marketing d’un tel concept. En effet, l’une des plus grandes Public Benefit Corporation est la filiale d’une société française, DanoneWave, qui a adopté ce statut à la suite de son rachat par Danone et se donne pour mission de nourrir « les citoyens, les communautés et le monde » grâce à des produits alimentaires sains alors même que la société française était entendue par une commission d’enquête parlementaire sur les risques mis en lumière par une étude de NutriNet-Santé de corrélations qui existent « entre une conservation d’aliments ultra-transformés et le risque de développer un cancer ou d’autres maladies[17] » Enfin, au surplus de ce risque de greenwashing, la Chambre française de l’économie sociale et solidaire[18] met en garde contre le risque de confusion entre les régimes juridiques de l’ESS et le nouveau statut des sociétés à mission à tel point qu’un auteur a pu évoquer la possible « cannibalisation » des structures ESS[19].

Être ou ne pas être ? Tel sera sans doute la question que se poseront les sociétés à l’avenir. Peut-être qu’un cadre européen de référence avec des avantages fiscaux et un contrôle accru de la mise en œuvre de leur mission servira enfin à obliger les entreprises à mettre de côté la recherche effrénée du profit en questionnant leur raison d’avoir.


[1] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, Journal Officiel n°0119, 23 mai 2019.

[2] DUMOURIER Arnaud, Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard chargés d’une mission « Entreprise et intérêt général » – LE MONDE DU DROIT : le magazine des professions juridiques », [en ligne], 5 janvier 2018 (Consulté le 20 août 2019), www.lemondedudroit.fr.

[3] Commission européenne, Communication de la commission au parlement européenne, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie pour l’UE pour la période 2011-2014 [ en ligne ], Bruxelles, 25 octobre 2011, www.eur-lex.europa.eu.

[4] CADET Isabelle, Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), responsabilité éthiques et utopies, Les fondements normatifs de la RSE, Etude de la place du droit dans les organisations [en ligne], thesis, Paris, CNAM, 2014, [consulté le 3 septembre 2019]. http://www.theses.fr/2014CNAM0947, p.134.

[5] QUIRET Matthieu, « B Corp », le label qui séduit le capitalisme américain, Les Echos [en ligne], publié le 4 avril 2012, (Consulté le 20 août 2019), www.lesechos.fr.

[6] MARKEL Jack, ancien gouverneur du Delaware, « A New Kind of Corporation to Harness the Power of Private Enterprise for Public Benefit », HuffPost [en ligne], publié le 22 juillet 2013, (consulté le 22 août 2019), www.huffpost.com

[7] LEVILLAIN Kevin, La flexible purpose corporation : un petit pas pour le juriste, un grand pas pour l’entreprise ? [en ligne], 2012, pp. 7-16 p., [consulté le 3 septembre 2019]. https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-00796500.

[8] « Società Benefit » [en ligne], Lexique Novethic, (Consulté le 20 août 2019), www.novethic.fr.

[9] « What is a CIC? » [en ligne], CIC AssociationCIC, publié 11 octobre 2015, (Consulté le 20 août 2019), www.cicassociation.org.uk.

[10] Articles 661 à 664 du Code des sociétés belge.

[11] MASSET Emmanuel, « Vers la société à mission ? », Rev. sociétés, 11, novembre 2018, p. 635‑639.

[12] NOTAT Nicole, SENARD Jean-Dominique, « L’entreprise objet d’intérêt collectif » [Rapport en ligne], publié le 9 mars 2018 [consulté le 20 juin 2019], www.economie.gouv.fr.

[13] CE, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises [en ligne], publié le 14 juin 2018,  www.legifrance.gouv.fr. Le Conseil d’État observe, en premier lieu, que rien n’interdit aujourd’hui à une société d’inscrire dans ses statuts, dans le respect des règles d’ordre public, une « raison d’être » c’est à dire un dessein, une ambition, ou tout autre considération générale tenant à l’affirmation de ses valeurs ou de ses préoccupations de long terme. Il relève par ailleurs qu’au terme du projet de loi l’inscription d’« une raison d’être » dans les statuts constitue une simple faculté. Le Conseil d’État considère que cette disposition n’est toutefois pas dépourvue de portée normative dans la mesure où, pour les entreprises qui auront fait ce choix, l’inscription dans les statuts obligera à s’y conformer.

[14] Loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération – Article 7, Journal Officiel, n°0214, 11 septembre 1947, p.9088.

[15] Art. L.322-26-4-1 du Code des assurances.

[16] LEVILLAIN Kevin, Les entreprises à mission : Formes, modèle et implications d’un engagement collectif [en ligne], thesis, Paris, ENMP, 2015, [consulté le 20 août 2019]. http://www.theses.fr/2015ENMP0010,  p.103 : « Nutriset est une PME française basée dans la région de Rouen, fondée en 1986 par Michel Lescanne. Dès sa création, le fondateur lui attribue, selon ses termes, un « mandat », celui de « nourrir les enfants », et en particulier ceux qui, dans le monde, sont en situation de malnutrition. ».

[17] Assemblée nationale, Commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance [en ligne], 17 juillet 2018, (consulté le 20 août 2019),  www.assemblee-nationale.fr.

[18] ESS France,  Position d’ESS France sur la mission « Entreprises et intérêt général » confiée à Madame NOTAT et Monsieur SENARD [en ligne], publié le 5 mars 2018, (consulté le 21 août 2019).

[19] MASSET Emmanuel, « Vers la société à mission ? », Rev. sociétés, 11, novembre 2018, p. 635‑639.

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L’intérêt social dans la loi PACTE, vers un nouveau rapport de force entre associés et sociétés ?

Abstract. La réécriture de l’article 1833 du Code Civil par la promulgation de la loi PACTE ancre pour la première fois dans le marbre législatif la notion d’intérêt social jusqu’alors jurisprudentielle. L’intérêt social est maintenant conçu comme l’intérêt de la structure sociétaire propre et celui-ci amènera à une gestion des sociétés en adéquation avec les enjeux environnementaux et sociaux de leur activité. Si l’étude d’impact du projet de loi faisait état de conséquences juridiques nulles pour cette modification, il est légitime de concevoir qu’une violation de l’article 1833 du Code civil dans son alinéa second pourra être considérée par les prétoires comme la violation d’une norme de conduite légale, justifiant une action en responsabilité pour faute au visa de l’article 1240 du même Code. En quelque sorte, la liberté entrepreneuriale des associés de structures sociétaires pourra peut-être s’estomper devant la nécessaire prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux qui participent du mieux-être commun et d’une certaine manière, de l’intérêt général.

Parcours législatif. Les mesures composant le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises ont été adoptées en lecture définitive par l’Assemblée Nationale le 11 avril 2019 à la suite d’une procédure accélérée lancée par le Gouvernement le 25 septembre 2018. La loi PACTE a ensuite été validée par le Conseil Constitutionnel dans une décision du 16 mai 2019[1]. Le Conseil des Sages n’a censuré que 15 articles sur les 271 qui lui étaient soumis. C’est l’article 169 de ladite loi[2] qui retiendra notre attention au sein de cette étude puisque dans la section 2 intitulée repenser la place des entreprises dans la société, la loi modifie notamment les articles 1833 et 1835 du Code Civil, restés inchangés depuis 1978[3]. Le nouvel article 1833 du Code Civil sera rédigé en ces termes :

« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

Disposition d’ordre public. D’emblée, se pose la question de l’impérativité de cette nouvelle norme. Est-elle une disposition d’ordre public ou constitue-t-elle une règle supplétive de volonté qui pourrait être écartée par une stipulation contraire au sein des statuts d’une société ? L’article 1844-10 du Code civil indiquait déjà en son deuxième alinéa que toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du Titre IX serait réputée non écrite lorsque ladite violation ne serait pas sanctionnée par la nullité. Or, le premier alinéa de cet article sanctionne par la nullité de la société elle-même la violation de l’article 1833. Cependant, afin de ne pas permettre la nullité d’une société sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 1833 nouveau du Code Civil, l’article 1844-10 nouveau prévoit qu’exception sera faite des dispositions violant le dernier alinéa de l’article 1833[4]. Dès lors, les délibérations et actes pris par la société en contrariété avec le nouvel article 1833 alinéa 2 ne feront pas encourir la nullité de la société. En revanche, de tels actes pourront éventuellement faire l’objet d’une action en responsabilité pour faute contre les dirigeants ou associés d’une société.  

Intérêt social et libre entreprise. La liberté entrepreneuriale, garantie par la Constitution depuis la fameuse décision relative à la loi de nationalisation de 1982[5], devient semble-t-il limitée par un impératif que la loi PACTE considère comme lui étant supérieur, à savoir l’intérêt social de la société, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Bien que les députés et sénateurs ayant saisi le Conseil Constitutionnel n’aient pas juger bon de l’interpeler sur cette question, le nouvel article 1833 du Code Civil, amène à repenser le rôle des associés et de la personne morale elle-même. Alors que ce qui permettait à la société d’avoir une existence juridique, indépendamment des formalités d’immatriculation justifiant la création de la personne morale, n’était finalement que l’intérêt commun des associés selon la loi, voilà qu’aujourd’hui le Code Civil impose à ces associés de voir leur intérêt commun s’estomper devant celui de la société même. La loi impose en effet à la société de concevoir son intérêt social en adéquation avec les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. La structure sociétaire devient alors en droit français une personne morale dont l’existence et la survie ne sont pas seulement conditionnées à la liberté d’entreprendre des associés mais aussi à la condition que cette volonté des associés de collaborer ensemble dans le cadre d’un marché, respecte les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. Cependant, les conséquences juridiques de cette loi nouvelle ne font pas l’unanimité. En effet, l’on sait que l’intérêt social était déjà une notion sur laquelle s’appuyaient nombre de décisions pour venir annuler un acte contraire aux intérêts de la société personne morale. L’étude d’impact de la loi indique même que les conséquences juridiques du second alinéa de l’article 1833 seront nulles dans la mesure où il sera demandé aux organes de direction de seulement prendre en considération les enjeux environnementaux et sociaux de l’activité sociétaire sans que cette disposition ne revête un caractère contraignant. Est-ce à dire que la formule usitée par le législateur n’aura qu’une forme incantatoire ? Seuls les prétoires le diront lorsque ceux-ci seront saisis de futurs litiges fondés sur une violation présumée de cette nouvelle disposition.

Problématique. Si l’on postule que la réécriture de l’article 1833 du Code civil ancre dans le marbre de la loi une vision nouvelle de la notion d’intérêt social, se pose alors inéluctablement la question de savoir, à la lumière du second alinéa de cet article, de la société ou des associés, qui oblige qui ? Pour répondre à cette problématique, il sera nécessaire de comprendre que jadis l’intérêt social protégeait les intérêts des associés et des créanciers (I) alors qu’il semble vouloir aujourd’hui protéger par l’entremise du nouvel alinéa de l’article 1833, la société humaine dans son ensemble (II).


I. L’intérêt social protégeant les intérêts des associés et des créanciers

Définition intérêt social. Une définition de l’intérêt social peut être tirée du rapport Viennot :  « l’intérêt social peut ainsi se définir comme l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de celles de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt commun, qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise.[6] » Pour certains, l’intérêt social représente la communauté d’intérêt des associés, pour d’autres, l’intérêt social se situe à mi-chemin entre l’intérêt des associés et de l’entreprise. La réécriture de l’article 1833 du Code Civil innove en ce sens qu’elle semble apporter une raison d’être commune à toutes les sociétés, celle de participer du mieux-être commun en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux dans tous les actes qui les engagent. C’est en effet ce qu’indiquait en substance le rapport Notat-Sénard[7] remis le 9 mars 2018 : chaque entreprise a donc une raison d’être non réductible au profit. C’est d’ailleurs souvent lorsqu’elle la perd que les soucis financiers surviennent. A ce titre, la loi PACTE a également modifié l’article L.225-35 du Code de Commerce qui imposera aux conseils d’administration de déterminer les orientations de l’activité sociétaire en conformité avec son intérêt social le tout en considérant ses enjeux sociaux et environnementaux. La notion d’intérêt social peut être mieux appréhendée à la lumière d’une définition de l’entreprise. En effet, l’exercice des activités économiques crée une entité économique et sociale que l’on nomme entreprise. L’intérêt social représente alors en somme l’intérêt de la société personne morale propre dans le développement du projet entrepreneurial qu’elle initie. L’entreprise se définirait alors, selon l’Union européenne[8], comme toute entité, indépendamment de sa forme juridique, exerçant une activité économique. Dès lors, le nouvel article 1833 impose que le développement de cette entreprise par une structure sociétaire se réalise en conformité avec l’intérêt social de la société elle-même et indique en outre que les organes de direction de la société devront agir en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité développée. Autrement dit, toute société devra réaliser son objet social par la réalisation d’une activité économique que l’on nomme entreprise, en respectant l’intérêt social de la structure propre et en veillant à ce que l’activité développée respecte les enjeux sociaux et environnementaux de notre temps.

Actes contraires à l’intérêt social. Il est évident que la liberté d’entreprendre des associés a par le passé déjà été limitée par la loi en considération d’intérêts multiples. En effet, un associé ne peut pas confondre son patrimoine propre et celui de la société en demandant à son dirigeant de lui verser des dividendes fictifs sous peine de voir ce dernier condamné pénalement pour abus de bien sociaux au visa de l’article L.241-3 du Code de Commerce. Certains[9] estiment d’ailleurs que la création de ce délit en 1935[10] est en réalité la première apparition en creux de la notion d’intérêt social. Celle-ci, bien que non présente dans la loi ainsi formulée par le passé, a déjà servi de fondement aux prétoires pour faire condamner un dirigeant qui prélevait abusivement des biens de l’entreprise[11]. La décision des juges du quai de l’Horloge était assez explicite puisqu’elle indiquait que la loi (protégeait) le patrimoine de la société et les intérêts des tiers au même titre que les intérêts des associés. La sanction pénale du dirigeant qui réaliserait un acte contraire à l’intérêt social se comprend de tout acte portant atteinte au patrimoine social[12] mais aussi de tout acte qui ferait courir un risque anormal au patrimoine social[13].

Prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Dès lors, bien que l’article 1833 du Code Civil ne soit évidemment pas une disposition pénale, il ajoute aux interdictions de porter atteinte au patrimoine social celle de porter atteinte à l’intérêt social compris comme devant participer aux enjeux sociaux et environnementaux, en somme de l’intérêt général. En effet, la définition restrictive de l’intérêt social comprise comme équipollente à celle de la communauté d’intérêts des associés ou actionnaires est rendue désuète par l’entremise du nouvel alinéa de l’article 1833. Celui-ci fait porter une dimension environnementale et sociale à l’intérêt social que même une définition extensive prenant en compte l’intérêt de l’entreprise n’aurait pas osé aborder. Cette nouvelle rédaction de l’article 1833 du Code Civil n’est pas sans rappeler le sixième considérant de la charte de l’environnement qui dispose que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation. En effet, le Conseil Constitutionnel avait déjà interprété cette disposition le 8 avril 2011 en considérant que chacun était tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité[14]. Un auteur[15] s’était d’ailleurs récemment demandé quelle était la raison d’inscrire dans le marbre de la loi une incitation déjà entérinée par le Conseil des sages alors même que l’étude d’impact du gouvernement présentée au parlement prévoyait un impact juridique nul autour du nouvel alinéa de l’article 1833. Au-delà de la formule incantatoire ci-présentée, peut-être se dessine-t-il, à la lumière de la réécriture de ce texte, une nouvelle vision de l’intérêt social.

D’une vision économique. A notre connaissance, l’intégralité des décisions qui ont eu recours à l’intérêt social pour juger un acte illicite ont toujours été prises à ce jour en prenant appui sur une vision économique de l’intérêt social. En effet, lorsque les juges du droit indiquent que pour être valable, la sûreté apportée par une société, doit être conforme à son intérêt social[16], on comprend qu’une telle sûreté, lorsqu’elle constitue le seul actif de la société et que l’opération ne lui apporte aucune rémunération, constitue un risque anormal porté au patrimoine social, obérant alors la survie économique de ladite entité. De même dans une affaire célèbre[17] mettant en cause le groupe ELF au sein de circonvolutions politico-financières, bien que le mandat exclusif délivré par le président de la société nationale à une compagnie de courtage d’assurances ait permis au groupe de réaliser des économies substantielles, c’est encore sur le critère de l’intérêt économique que s’est matérialisé l’intérêt social du groupe ELF selon les juges du droit. Les rétrocommissions occultes versées dans le cadre de ce dossier constituaient un manque à gagner pour la société ELF, ce qui a pu justifier la qualification d’abus de bien social en jugeant une telle opération contraire à l’intérêt social de ladite société. Ainsi, comme l’écrivait Alain Courret, la finalité de la société à la lecture de l’article 1833 ancien du Code Civil était l’intérêt des pécuniaire associés exclusivement[18]. La prise en compte de l’intérêt social dans le nouvel article 1833 du Code Civil n’est pas non plus sans rappeler l’amendement 1555[19] du projet de Loi Macron sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques[20] qui prévoyait que Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés et que celle-ci doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental. Une telle évolution législative laisse à penser que la nouvelle formulation de l’article 1833 demeure une avancée symbolique dans la volonté générale de réformer le capitalisme et ses affres tel que l’imaginait déjà, en 2012, David Hurstel[21] en évoquant l’idée d’organiser la société commerciale à partir du projet d’entreprise plutôt qu’à partir du profit et souhaitant une modification de l’article 1833 du Code Civil pour y inclure l’idée de poursuivre un projet d’entreprise qui respecte l’intérêt général, financé au moyen du profit. Le risque évident dégagé par cette doctrine analysée par une interprétation stricte du nouvel article 1833 est évidemment de voir des organes de direction privilégier une action fondée sur des critères environnementaux et sociaux flous en contradiction avec la communauté d’intérêts des actionnaires sans que ceux-ci ne puissent agir. Si dans les sociétés commerciales cotées le Code AFEP MEDEF prévoyait déjà que les conseils d’administration devaient se conformer à l’intérêt social de l’entreprise en son article 5-1, pourra-t-on envisager une telle application de l’article 1833 du Code Civil aux sociétés civiles immobilières, aux sociétés civiles de gestion patrimoniale ou encore aux holdings non animatrices qui par essence ne disposent pas d’un véritable projet entrepreneurial ? Les associés de telles sociétés demeureront-ils encore maître de leurs projets ou auront-il à subir le poids de l’alinéa second de l’article 1833 nouveau dans leurs prises de décision ?


II.  L’intérêt social obligeant les associés pour protéger la Société humaine

A une vision sociétale. En somme, si le départ entre intérêt personnel des associés ou actionnaires et intérêt social de la société était marqué par l’intérêt économique de la structure sociétaire elle-même, aujourd’hui, l’intérêt social adopte une dimension sociétale et véritablement sociale par l’entremise du nouvel article 1833 du Code Civil. Comme énoncé précédemment, le critère économique n’étant plus le seul à prendre en compte, on peut considérer que les structures sociétaires, impulsées par la dynamique RSE de notre temps[22], se doivent dans leur activité, de se conformer à des principes se rapprochant de l’intérêt général. L’étude d’impact de la loi PACTE a indiqué qu’un dirigeant de société ne pouvait se fonder sur des enjeux sociaux et environnementaux pour prendre une décision contraire à l’intérêt social. On imagine bien par exemple qu’un changement de tous les véhicules d’une société pour des véhicules électriques qui obérerait la survie de l’entreprise pourrait être constitutif d’une faute de gestion parce qu’une telle décision, si elle amenait à la cessation de paiement, serait certes en accord avec les enjeux environnementaux de notre temps mais contraire à l’intérêt social de l’entreprise compris comme sa propre survivance. Une définition de l’acte anormal de gestion conçue comme celui par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt a d’ailleurs récemment été rappelée par le Conseil d’Etat[23]. L’étude d’impact indique alors que les enjeux environnementaux et sociaux doivent seulement être pris en considération par le chef d’entreprise sans plus de définition du véritable impact d’une telle norme sur les dirigeants. Au-delà de l’effet d’annonce de ce nouvel article 1833 du Code Civil, il semble que la part d’interprétation souveraine des juges du fonds sera extrêmement importante. En effet, l’étude d’impact n’envisage pas les cas où une décision du chef d’entreprise ou des associés serait en adéquation avec l’intérêt social et en contrariété avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. En effet, si une entreprise française décide d’exporter la manufacture de ses produits pour les vendre sur le territoire hexagonal, une telle décision peut être rentable sur le plan économique et même conditionner la survie de l’entreprise. Elle semble donc en adéquation avec son intérêt social. Pour autant, un tel dumping social amène inéluctablement une empreinte carbone supplémentaire de par la nécessité du transport de marchandises ce qui rend l’opération contraire aux enjeux environnementaux de notre temps. Les juges pourront-ils aller jusqu’à considérer qu’une telle décision en adéquation avec l’intérêt social de l’entreprise et qui ne prendrait pas en compte les enjeux environnementaux et sociaux de son activité est constitutive d’une faute tirée de la violation de l’article 1833 du Code Civil ? Cela semble peu probable mais la réflexion autour des actions possibles sur la base de ce nouvel article et en imaginant une interprétation stricte de la loi par les prétoires semble infinie. Une telle position serait certes drastique, voire interventionniste mais elle permettrait semble-t-il d’endiguer les comportements court-termistes de maximisation du profit en obligeant les entreprises à contribuer à la recherche d’une croissance raisonnée et génératrice de bien-être et de progrès[24]. En effet, il semble que se dégage en creux de l’analyse du libellé de l’article 1833 du Code Civil une volonté de faire participer les sociétés personne morale de l’intérêt général bien que cette notion n’ait pas de véritable consistance juridique déterminée.

Le droit solidaire des sociétés ? Si la création d’une société et sa gestion obéissaient  au concept d’autonomie de la volonté en permettant à des associés de collaborer ensemble en vue de la réalisation d’économies ou de bénéfices par l’entremise d’une structure sociétaire personnifiée moralement grâce à une prérogative déléguée par la loi sous forme d’un droit fondamental qu’est la liberté contractuelle, évidemment limitée dans sa substance par des impératifs catégoriques pour certains kantiens que l’on nomme ordre public, il semble qu’aujourd’hui, la vie sociétaire soit également impactée par le mouvement de solidarisme contractuel qui amène à prendre en considération d’autres éléments que le simple échange des consentements. Si, comme l’écrivait Duguit[25] et Bourgeois[26], l’homme est par nature un être social, débiteur de l’association humaine, il a envers ces membres d’une société préconstituée une dette de solidarité. En somme, cette créance de solidarité que la société humaine contracterait à l’encontre de ses membres se matérialise dans ce nouvel article 1833 du Code Civil comme l’obligation pour ceux-ci, lorsqu’ils s’associent sous forme sociétaire, de se conformer à un intérêt social prenant en considération les enjeux environnementaux et sociaux actuels. Autrement dit, les personnes morales, elles aussi, deviendraient en quelque sorte, débitrices d’une dette sociale et environnementale à l’endroit de cette société humaine préconstituée, obligeant alors à considérer que l’autonomie de la volonté de ses associés ou actionnaires devraient s’estomper devant le mouvement de solidarisme contractuel que l’on peut lire dans cette réécriture de l’article 1833 du Code Civil. Ce droit solidaire des sociétés amènerait à assigner aux structures sociétaires la satisfaction de l’intérêt général commun[27] en séparant nettement l’intérêt des associés de celui de la société personne-morale[28].

Possibles actions. Cet équilibrage forcé des relations économiques et sociales par l’effet de la loi, se traduira peut-être par la possibilité offerte aux associés d’une structure d’intenter une action en responsabilité contre des dirigeants ou associés majoritaires qui contreviendraient à l’intérêt social pris en considération de critères sociaux et environnementaux. Concrètement, peut-être que ce nouvel article 1833 du Code Civil permettra à des associés d’engager la responsabilité d’un dirigeant qui viendrait accorder un cautionnement, un bail, un marché à une société dont la déclaration de performance extra-financière insérée dans le rapport de gestion touchant les sociétés cotées depuis la loi sur la transition énergétique[29], ferait état d’un bilan carbone extrêmement néfaste pour l’environnement au visa de l’article L.225-102-1 du Code de commerce. Aussi, peut-être que cette nouvelle vision de l’intérêt social permettra d’empêcher certaines opérations de spéculation financières telles que des LBO qui conduisent parfois certaines entreprises à la liquidation judiciaire. En somme, peut-être que la réécriture de l’article 1833 du Code Civil amènera à terme, à une moralisation de la finance en empêchant les associés d’une structure de phagocyter une entreprise. Là encore, une telle interprétation stricte de la loi semble en contradiction avec l’étude d’impact qui indiquait que selon le gouvernement, le nouvel article 1833 aurait un impact juridique nul dans la mesure où, selon lui, le texte ne faisait que reprendre une notion déjà utilisé en jurisprudence, ce qui rendrait la codification à droit constant. Or, comme nous avons tenté de le démontrer, la notion jurisprudentielle d’intérêt social ayant été longuement discutée et ne faisant pas l’objet d’un consensus scientifique n’a, à notre connaissance, jamais intégré de dimension environnementale. Ainsi, face aux lacunes de définition et d’interprétation que soulève l’analyse de cette réécriture, il peut être imaginé que la violation de l’article 1833 par un dirigeant, une communauté d’associés ou un conseil d’administration, pourra être constitutive d’une faute qui permettrait d’engager la responsabilité des parties prenantes et partant peut-être de dissuader ceux-ci d’adopter certains actes et délibérations.


Conclusion

En conclusion, la réécriture de l’article 1833 du Code Civil fait entrer dans la loi la notion d’intérêt social de l’entreprise avec une définition extrêmement extensive voire interventionniste qui vise à faire peser sur les associés et dirigeants des sociétés une obligation de gestion de l’entreprise en adéquation avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre temps. En effet, la violation de l’alinéa second de l’article susvisé laisse peser un risque d’engagement de responsabilité pour faute à l’égard des associés et dirigeants. L’autonomie de la volonté qui permettait aux associés de conduire la marche de leur entreprise en accord avec leur communauté d’intérêts semble laisser place à une forme de solidarisme contractuel qui impose aux dits associés de se conformer aux exigences tirées de l’intérêt social redéfini par la loi pour que la structure sociétaire participe du mieux-être commun. La personnification de la société n’est pas celle du groupement des associés[30] et le groupement des associés ne transcende pas l’intérêt social de la personne fictive créée par les seconds. Ainsi, pour répondre concrètement à la problématique initiale, si l’on a considéré que des associés ou de la société, les premiers étaient les maîtres de la seconde, la consécration de l’intérêt social propre des structures sociétaires amène à considérer que celles-ci soient d’une part reconnues par les associés comme disposant d’un intérêt propre et la dépendance financière des associés sur la société corrélée à l’exigence de conformité avec le nouvel intérêt social promu par l’alinéa 2 de l’article 1833 du Code civil permet de concevoir que l’esclave sociétaire devient en quelque sorte le nouveau maître des associés d’autre part. En effet, Aristote définissait l’esclave comme un « outil animé » : l’esclave étant alors une matière dont seul le maître est la forme[31]. Si l’esclave et le maître diffèrent par ce qu’Hegel appelait « chose », l’esclave travaillant la chose pour que le maître en jouisse, la métaphore de la Phénoménologie de l’esprit[32] appliquée à la relation associés-société permet de concevoir l’idée que l’ancien maître, l’associé, faisant travailler pour son profit ou son économie la société, l’esclave, devient à son tour l’esclave de l’esclave, la société devenant le véritable maître de l’économie ou du profit réalisé par l’associé car disposant d’un intérêt social qui oblige le premier. Si les personnes morales n’ont jamais déjeuner avec les associés qui l’ont constituée pour reprendre le trait d’esprit de Duguit ce à quoi lui répondait Soyer en indiquant qu’il les avait déjà vu payer l’addition, peut-être que si les personnes morales pouvaient s’exprimer à ce jour, elles reprendraient les mots de Dostoïevski : « Mais sache que les hommes sont convaincus maintenant, plus que jamais, qu’ils sont complètement libres. Et cependant ils nous ont apporté eux-mêmes leur liberté et l’ont humblement déposée à nos pieds[33]. »


[1] Cons. Const., 16 mai 2019, n° 2019-781

[2] LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, Journal Officiel n°0119 du 23 mai 2019

[3] Loi 78-9 1978-01-04 modifiant le titre IX du livre III du code civil, Journal officiel, 15 janvier 1978

[4] LIEHNARD, Alain, « Loi PACTE : consécration de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux », Dalloz Actualité [en ligne], avril 2019 [consulté le 20 mai 2019]

[5] Cons. Const. , 16 janvier 1982, n°81-132

[6] VIENNOT Marc, « Rapport Viennot sur le conseil d’administration des sociétés cotées », RIDC, 1996, pp. 647-655

[7] NOTAT Nicole, SENARD Jean-Dominique, « L’entreprise objet d’intérêt collectif » [Rapport en ligne], publié le 9 mars 2018 [consulté le 20 juin 2019], www.economie.gouv.fr

[8] Commission européenne, Recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) [notifiée sous le numéro C(2003) 1422], Journal officiel n° L 124 du 20/05/2003 p. 0036 – 0041, article premier, titre I, [en ligne], eur-lex.europa.eu

[9] SEGRESTIN Blanche « Intérêt social et objet social, ou comment renouveler une convention d’entreprise », in P. Batifoulier et al. (éds.), Dictionnaire des conventions. Autour des travaux d’Olivier Favereau, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, pp. 174‑178, disponible sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01288342 (Consulté le 12 juin 2019).

[10] Décret-loi du 8 août 1935 portant application aux gérants et administrateurs de sociétés de la législation de la faillite et de la banqueroute et instituant l’interdiction et la déchéance du droit de gérer et d’administrer une société, Journal officiel du 9 août 1935 page 8682

[11 Cass. crim, 8 mars 1967, n° 65-93.757, Publié au bulletin

[12] Cass. crim., 20 mai 2015, n° 13-87.388

[13] Cass. crim, 10 Avril 2002 – n° 01-84.192

[14] Cons. const, 8 avril 2011, n° 2011-116, QPC

[15] SCHMIDT Dominique, « La loi Pacte et l’intérêt social », D. 2019. 4 avril 2019, p.633

[16] Com. 8 nov. 2011, n° 10-24.438, D. 2012. 415, obs. A. Lienhard

[17] Crim. 31 janv. 2007, n°02-85.089 05-82.671, publié au bulletin

[18] COURET Alain, « Faut-il réécrire les articles 1832 et 1833 du code civil ? », D. 2017, 2 février 2017, p.222 

[19] Cet amendement a été rejeté lors de la séance du 13 févr. 2015 sur avis conforme du ministre de l’économie.

[20] LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, 2015-990, 6 août 2015, journal officiel n°0181 du 7 août 2015 page 13537

[21] GIRAUD Gaël, RENOUARD Céline, « Vingt propositions pour réformer le capitalisme », Paris, Flammarion, 23 mars 2009, p.376

[22] On pourrait notamment citer l’article 174 in limine de la loi PACTE : Au plus tard un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en place d’une structure de revue et d’évaluation des labels de responsabilité sociale des entreprises permettant de valoriser des produits, des comportements ou des stratégies. Cette structure associe, notamment, des experts et des membres du Parlement et propose des pistes de rationalisation et d’harmonisation des conditions de validité, de fiabilité et d’accessibilité de ces labels pour les petites sociétés.

[23] CE. plén. 21 décembre 2018, n° 402006

[24] SCHMIDT Dominique, La société et l’entreprise, D. 2017, p.2380

[25] DUGUIT Léon, « Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon », Félix Alcan, 1920, p. 18.

[26]BOURGEOIS Léon, « Solidarité », Paris, Armand Colin, 1896, p. 116.

[27] SCHMIDT Dominique, « La société et l’entreprise », D. 2017. p 2380

[28] PAILLUSSEAU Jean, « Entreprise et société. Quels rapports ? Quelle réforme ? »,  D. 2018, p.1395

[29] LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, 2015-992, Journal offciel n°0189 du 18 août 2015 page 14263

[30] V. PAILLUSSEAU Jean, « Le droit moderne de la personnalité morale », RTD civ. 1993, p.705 ; « Comment les activités économiques révolutionnent le droit et les théories juridiques », D. 2017, p. 1004

[31] BADIOU Alain, « Maîtres et esclaves chez Hegel », Sud/Nord, octobre 2017, n° 1, pp. 35‑47. Aristote parle plus précisément d’ « objet animé (κτῆμά τι ἔμψυχον), un instrument destiné à l’action (ὄργανον πρακτικόν), qui commande aux autres instruments, un bien appartenant en propriété exclusive à son maître. » Aristote, « La Politique » avec le texte intégral du livre III, chapitres I à XI, Rosny, France, Bréal, 2016.

[32] HEGEL, Phénoménologie de l’esprit, Paris, France, Librairie philosophique J. Vrin, 2018.

[33] DOSTOIEVSKI, Les frères Karamazov, 1879

Gouvernance Publications Structures juridiques travaux des étudiants

Nos étudiants publient. Ambyr Ladani lit Stephen Bainbridge : Capital-actions à classe multiple, pas un accident de l’histoire !

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une fiche de lecture réalisée par Mme Ambyr Ladani. À cette occasion, Ambyr fait une lecture critique de l’article de Stephen M. Bainbridge intitulé « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective » (ProfessorBainbridge.com, 6 septembre 2017) Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

L’avènement de la structure de capital de classe double ne date pas d’aujourd’hui et n’est en rien une anomalie historique : tel est le propos de Stephen M. Bainbridge (professeur émérite de droit à la faculté de droit de l’UCLA et spécialiste de la gouvernance d’entreprise) dans son article « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective ». Selon lui, l’hystérie provoquée par les évènements récents aux États-Unis tels que l’introduction en bourse des actions sans droit de vote de Snap inc. en 2017 n’a pas lieu d’être. A travers une perspective historique, l’auteur démontre que le système « une action – un vote » n’a pas toujours été la norme.

Tout commence au milieu des années 1800

Avant le milieu des années 1800, la plupart des chartes d’entreprises recommandaient un système limitant les droits de vote des grands actionnaires ou imposant un nombre maximal de voix auquel tout actionnaire avait droit. Mais, ce système était sérieusement contesté par la facilité avec laquelle les grands actionnaires arrivaient à contourner les règles de votes en transférant une partie de leurs actions à des tierces personnes qui votaient à leur place.

Une tendance qui s’inverse

Après 1819, la tendance à restreindre les droits de vote s’est progressivement inversée instaurant la norme « une action = un vote »[1] qui sera finalement adoptée en 1852 avec la première loi de l’incorporation générale du Maryland. Cette norme sera appliquée jusqu’en 1900 par la majorité des sociétés américaines comme règle par défaut avec la liberté de la modifier. L’auteur attire notre attention sur le fait qu’à l’époque, les actions privilégiées (ainsi que celles ordinaires) conféraient généralement des droits de vote égaux contrairement à ce qui se fait de nos jours. Selon lui, l’instauration de la norme « une action = un vote » s’explique par plusieurs facteurs : l’influence des grands actionnaires (directement intéressés) au sein des sociétés souvent à l’origine des réformes, le désir d’encourager les investissements de capitaux à grandes échelles, mais aussi et surtout la disparition de préjugés à l’égard des entreprises. Cette nouvelle norme n’était pas sans inconvénients, notamment pour les détenteurs d’actions privilégiées dont les droits de vote s’étaient vus substantiellement limités.

Une tendance inversée qui s’inverse

Par la suite, une nouvelle tendance s’était installée au début du XXe siècle avec l’adoption progressive des structures de gouvernance à deux classes avec l’émergence des actions ordinaires sans droit de vote. L’auteur en veut pour preuve que le nombre croissant de sociétés qui, après 1918, ont émis deux catégories d’actions ordinaires : l’une avec le droit de vote complet sur une base d’un vote par action (généralement destinée aux membres) et l’autre sans aucun droit de vote compensé avec des droits de dividendes plus élevés (généralement destinés au public). Ce type de configuration permettait une importante entrée de fonds sans toutefois soustraire le contrôle de la société à ses fondateurs. Malgré l’intérêt grandissant et surprenant des investisseurs à acquérir des actions sans droits de vote, cette configuration inégale des droits de vote a été fortement contestée dans les années 20 (notamment par le professeur d’économie politique William Z. Ripley). Le New York Stock Exchange (NYSE) s’est alors engagé à abolir cette pratique. Cependant, le projet ne se concrétisera qu’en 1940 avec l’annonce officielle d’une règle uniforme interdisant l’inscription des actions sans droit de vote. Mais, cette interdiction (ainsi que l’opposition menée par Ripley) n’a pas empêché certains géants tels que Ford et Hershey de conserver leur structure de capital à deux classes jusqu’à nos jours. Entre 1988 et 2007, 7 % des entreprises cotées sont restées des entreprises à deux classes affirme Stephen M. Bainbridge.

Et au Canada et au Québec ?

Dès 1945, la famille Molson, à l’origine de la plus vieille brasserie du Canada, a eu recours aux actions subalternes pour faciliter le financement de la société Molson, et ce, tout en conservant son contrôle et son pouvoir décisionnel[2]. Au Canada et au Québec, la structure de capital de classe multiple est aussi très controversée. Les critiques essuyées entre autres par Bombardier et Couche-tard pour la double catégorisation de leurs actions et surtout leurs modèles d’actions multi-votantes en sont la preuve. Toutefois, ces deux entreprises ne sont pas des cas isolés. De plus en plus de fondateurs optent pour un capital-actions à classe multiple, afin de garder le contrôle de leur entreprise. Quelques décisions de justice ont d’ailleurs été rendue en faveur de fondateurs d’entreprise à structure de capital double, telles que dans l’affaire Magna international[3]. Dès la fin du XIXe siècle, les dispositions législatives canadiennes et québécoises sur les sociétés par actions créées par lettres patentes ont exprimé une présomption d’égalité entre les actions du capital-actions. D’abord admise par les décisions des tribunaux britanniques, cette présomption a été acceptée par les tribunaux canadiens. La légalité d’accorder un traitement différent aux actionnaires par le biais de l’émission d’actions privilégiées a été admise au fédéral en 1934 et en 1964 au Québec. Les lois en matière de droit des sociétés (à l’échelle tant canadienne que québécoise) sont dans le même sens. Elles prévoient expressément la possibilité d’avoir des actions privilégiées ou subalternes[4] et de mettre fin à l’égalité entre actionnaires en créant des catégories d’actions auxquelles sont rattachés des droits, des privilèges et des restrictions énoncés dans les statuts[5]. Aussi, ce sont les statuts qui définissent le type d’actions en fonction des droits, des privilèges ou des restrictions attachés aux actions (les catégories). L’article 48 al. 1 LSAQ donne une grande latitude en énonçant ce principe au travers d’une formule souple : « sauf disposition contraire des statuts ». De plus, les alinéas 1 et 2 de l’article 48 LSAQ prévoient des présomptions qui ont pour but d’assurer la conformité des statuts à la LSAQ[6]. En 2013, 77 entreprises canadiennes avec une structure de capital de classe double dont Rogers communication et Teck ressources étaient inscrites à la bourse de Toronto[7].

Une mode assumée !

Malgré les divers débats menés au sujet de la démocratie actionnariale au sein des sociétés, les fondateurs d’entreprises aux États-Unis et au Canada n’hésitent plus à opter pour une structure de capital à double classe.

Ambyr Ladani

Ancienne étudiante du cours de Gouvernance de l’entreprise – DRT-7022


[1] J. S. Davis, Essays in the Earlier History of American Corporations, 1912, à la p. 324 tel que cité dans S. M. Bainbridge, « Understanding Dual Class Stock Part I: An Historical Perspective ».

[2] S. Ben-Ishai et P. Puri, « Dual Class Shares in Canada: An Historical Analysis », (2006) 29 Dalhousie L.J. 117, aux p. 122 et suiv.

[3] « Magna : la Cour supérieure de l’Ontario rejette l’appel des actionnaires », Lesaffaires.com, 31 août 2010.

[4] Articles 5 5o et 44 LSAQ; et 6, al. 1 c) (i) et 24 (4) a) LCSA.

[5] Article 44 al. 2 LSAQ.

[6] R. Crête et S. Rousseau, Droit des sociétés par actions, Montréal, Les éditions Thémis, 2018, aux p. 242 et s., par. 527 et s.

[7] E. Desrosiers, « Gouvernance : Pas si bête, les actions à votes multiples », ledevoir.com, 16 octobre 2013.

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European Parliament Recommends Creating EU-Wide Social Enterprise Legal Status

Belle synthèse et réflexion que partage Jospeh Liptrap sur la mise en place d’un modèle d’entreprise sociale à l’échelle européenne : « European Parliament Recommends Creating EU-Wide Social Entreprise Legal Status -A Misstep? ». Ce texte est disponible sur l’Oxford Business Law Blog.

Extrait :

Compared with previous vertical attempts to bore through Member States’ “armour of sovereignty” by introducing supranational organisational forms, the Parliament’s suggested solution represents a cautious departure in approach. Exacerbated by the implications of Brexit, this may stem from a climate of general hostility to new initiatives in areas where there have been calls for redistributing matters dealt with by the EU back to Member States. Similar to the Societas Unius Personae directive following the failure of the European private company project, the proposal would take the shape of a directive introducing partially harmonised rules. It would only concentrate on the “core” elements of social enterprises, leaving other aspects of regulation to the national law of each Member State. The legal status would be voluntarily conferrable on any private law entity. To be eligible, an interested firm would be required to include within its articles of association certain express provisions:

  1. it must have a social purpose;
  2. it must engage in a socially useful activity (e.g. work integration to combat labour market exclusion);
  3. it must be subject to at least a partial constraint on profit distribution and have specific rules on the allocation of profits, with some profits made reinvested to achieve its social purpose;
  4. its governance model must democratically involve stakeholders affected by its activities; and
  5. it must incur extra reporting obligations.

The “European Social Enterprise” (ESE) legal status would be valid and recognised in all Member States, also extending to a certification label for social enterprises’ products.

À la prochaine…


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Projet de loi PACTE : le Sénat ne souhaite pas « repenser la place de l’entreprise dans la société »

Depuis la fin de l’année 2017, le projet de loi PACTE sur la croissance et la transformation des entreprises anime grandement l’actualité française en matière de droit des sociétés. Alors que le chemin semblait tracé vers la consécration des enjeux sociétaux et environnementaux dans la gouvernance d’entreprise, le Sénat a décidé de supprimer l’article 61 relatif à ces considérations dans le projet adopté le 12 février 2019.

Retour sur les étapes antérieures du projet de loi PACTE

En octobre 2017, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) prenait naissance dans la stratégie du gouvernement français alors nouvellement élu. Dans cette optique de modernisation de l’économie, la présentation du rapport L’entreprise, objet d’intérêt collectif[1] proposait la réécriture des articles 1832, 1833 et 1835 du Code civil, qui constituent les fondements juridiques du droit des sociétés en France. Derrière cette idée, il s’agissait d’intégrer dans la gestion courante des affaires de l’entreprise la prise en compte de l’intérêt général d’une façon assez élargie pour y intégrer les parties prenantes, la société dans sa globalité et l’environnement.

En juillet 2018, le projet de loi prenait forme et était présenté à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une procédure législative accélérée[2]. Or, ce texte ne reprenait alors que la modification des articles 1833 et 1835 pour parvenir à « repenser la place de l’entreprise dans la société » [3]. Ainsi, il s’agissait de réécrire l’article 1833 en y incluant un nouvel alinéa disposant que « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité »[4]. Un changement majeur intervenait plus particulièrement dans l’article 1835. En effet, le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale entendait doter le droit des affaires français de son propre modèle d’entreprise hybride, alors nommée entreprise à mission sociétale[5]. En venant rompre avec l’idée traditionnelle que les entreprises ne poursuivent comme unique finalité que la maximisation des profits pour les actionnaires, M. Bruno Lemaire, ministre de l’économie et des finances, et M. Édouard Philippe, premier ministre, à travers cette proposition, souhaitaient permettre aux entreprises de se doter d’une « raison d’être », précisée dans les statuts de la société, et qui orienterait la gestion de l’entreprise conformément à son objet social[6]. L’avenir du droit des sociétés français tendait ainsi à se moderniser face aux enjeux sociaux et environnementaux majeurs du XXIe siècle. En octobre 2018, ce projet de loi été adopté par l’Assemblée nationale.

Le recul du Sénat

Alors que l’optimisme avait envahi les partisans de l’entreprise à mission sociétale, le Sénat a décidé de ne pas se ranger de leur côté en supprimant l’article 61 du projet voté le 12 février 2019. Dans les discussions ayant eu lieu autour de ces articles, plusieurs arguments ont été soulevés. D’une part, les sénateurs favorables à ces articles défendent l’idée que les enjeux sociaux et environnementaux doivent être intégrés à la gouvernance d’une entreprise qui évolue dans un contexte aujourd’hui soucieux d’un développement durable, responsable et pérenne[7]. De ce fait, le gouvernement s’est prononcé à ce sujet par le biais de sa secrétaire d’État, Mme Agnès Pannier-Runacher en soutenant que

  • le droit serait ainsi en accord avec la réalité dans laquelle il s’inscrit, qui est celle d’un monde entrepreneurial où les chefs d’entreprise ont la volonté de faire évoluer leur structure pour faire le bien dans la communauté ;
  • qu’il est actuellement impossible d’ignorer que les activités économiques ont un impact social et environnemental et que la prévention des risques au sein d’une entreprise passe par la prise en compte de la RSE, qui a su démontrer qu’elle agit positivement sur la performance de cette dernière[8].

À l’opposé, les sénateurs qui n’y sont pas favorables ont dénoncé « un risque juridique et contentieux important sur les sociétés de toute taille » par rapport à des actions en responsabilités qui pourraient être menées envers les dirigeants d’entreprises pour ne pas avoir pris suffisamment en compte les enjeux sociaux et environnementaux[9]. La problématique que la RSE puisse devenir un « alibi juridique » a également été soulevée, emportant avec elle le risque d’« annihiler l’élan réel » qu’elle connaît actuellement[10]. Enfin, la rédaction de l’article 61 du projet de loi PACTE a été vivement critiquée. La « prise en considération » des enjeux sociaux et environnementaux ainsi que le « pouvoir » de définir une « raison d’être » dans les statuts manquent pour certains de clarté, altérant ainsi le droit positif français et ouvrant la porte à des ambiguïtés et de l’insécurité juridique si des litiges venaient à être portés devant les juges[11].

Le débat s’est clôturé avec un vote favorable à l’amendement n° 653 qui visait à supprimer l’article 61 du projet de loi PACTE. À l’heure actuelle, il n’est donc plus question pour le Sénat de « repenser la place de l’entreprise dans la société ».

Et maintenant ?

Étant donné les modifications majeures qui ont été adoptées par le Sénat, le processus législatif accéléré qui régit ce projet de loi s’ouvre maintenant sur une commission mixte paritaire qui se réunira le 20 février 2019 pour tenter de trouver un consensus sur ce texte.

Affaire à suivre !


[1] Nicole NOTAT et Jean-Dominique SENARD, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, Rapport aux ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Économie et des Finances, du Travail, 9 mars 2018, en ligne : https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=FAA5CFBA-6EF5-4FDF-82D8-B46443BDB61B&filename=entreprise_objet_interet_collectif.pdf.

[2] Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi n° 1088 (19 juillet 2018 – renvoyé à une commission spéciale), 15e légis., en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl1088.pdf.

[3] C’est ainsi qu’est intitulée la section 2 du Chapitre III – Des entreprises plus justes, comprenant les articles 61 et suivants du projet de loi PACTE, voir : Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi n° 1088 (19 juillet 2018 – renvoyé à une commission spéciale), 15e légis.,  en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl1088.pdf.

[4] Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi n° 1088 (19 juillet 2018 – renvoyé à une commission spéciale), 15e légis., article 61, p. 190, en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl1088.pdf.

[5] Une entreprise à mission sociétale est une entreprise lucrative qui a pour activité une vente de biens et/de services, et qui limite la distribution des bénéfices réalisés pour les réinvestir dans la réalisation d’une mission extrafinancière.

[6] Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi n° 1088 (19 juillet 2018 – renvoyé à une commission spéciale), 15e légis., article 61, p. 191, en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl1088.pdf.

[7] Intervention de M. Fabien Gay, Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206018.html.

[8] Intervention de Mme Agnès Pannier-Runacher (secrétaire d’État), Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206019.html.

[9] Intervention de Mme Patricia Morhet-Richaud, Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206018.html.

[10] Intervention de Mme Sophie Primas, Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206019.html.

[11] Intervention de M. Dominique Legge et de M. Jean-Marc Gabouty, Compte rendu intégral des débats tenus en séance n° 57 du 6 février 2019, sous la présidence de M. David Assouline, en ligne : http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190206/s20190206019.html.

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Publication sur Contact : « Où va l’entreprise ? »

Bonjour à toutes et à tous, mon nouveau billet de blogue sur Contact est arrivé : « Où s’en va l’entreprise ? » me suis-je posé comme question… Inspiré d’une conférence donnée à l’Université Toulouse Capitole 1 à la mi-novembre, je synthétise dans ce billet plusieurs évolutions récentes déjà abouties ou en marche.

 

Morceaux choisis :

 

Si l’on part de cette idée qu’une entreprise plus juste est nécessaire, comment le droit est-il en train de la construire ? Mais commençons par le commencement et posons-nous la question suivante : le droit s’intéresse-t-il à cette entreprise nouvelle ? Incontestablement oui ! Alors que jusqu’à présent, le droit des affaires consacrait des réformes essentiellement techniques (apportant des précisions sur certains aspects de leur constitution, leur fonctionnement ou leur financement), les choses changent. Leur ADN et la perception fondamentale de leur fonction primaire sont placés sous le microscope du législateur qu’il soit nord-américain ou européen. Quelles sont les caractéristiques de cette nouvelle entreprise ? Selon moi, elle est organisée autour de 4 points :

  • De nouveaux objectifs.
  • De nouvelles structures.
  • De nouvelles normes de gouvernance.
  • De nouvelles façons de rendre compte.

Bien que ces innovations ne soient pas implantées au même rythme suivant les pays, elles sont néanmoins présentes dans les discours juridiques.

Au final, le Canada peut mieux faire. Trouver la formule d’une entreprise nouvelle est sans doute complexe et ses composants difficiles à identifier, il n’en demeure pas moins qu’il faut que les juristes de droit de l’entreprise se mobilisent. L’entreprise est peut-être une chose économique, mais elle n’est plus l’inconnue du droit qu’elle a longtemps été. Son impact sur l’économie, la finance, la politique, la démocratie, la fiscalité des pays est tel qu’il ne peut en aller autrement. Le futur est devant, reste à l’écrire…

Sinon, attention qu’une autre nouvelle entreprise ne s’impose pas : une entreprise court-termiste, dominée par une logique financière, axée sur la valeur boursière, soumise un activisme d’un genre nouveau et ignorant ses parties prenantes (voire même prédatrice de ces parties prenantes).

 

À la prochaine…

Ivan

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Un projet de loi américain ambitieux : S.3348 – Accountable Capitalism Act

Bonjour à toutes et à tous, la sénatrice Élisabeth Warren vient d’introduire un projet de loi très ambitieux (!) : le S.3348 – Accountable Capitalism Act.

 

Plusieurs points saillants ressortent de ce projet :

  • La création d’un Office of United States Corporations.
  • La possibilité de s’enregistrer auprès de cet organisme fédéral (alors que jusqu’à maintenant, rappelons-le, l’enregistrement se faisait auprès des États et notamment celui du Delaware).
  • Les salariés représenteraient 40 % du CA.
  • L’entreprise devrait poursuivre une mission sociétale.
  • La redéfintion des devoirs des administrateurs et hauts-dirigeants.

 


Extrait du projet de loi

 

SEC. 5. Responsibilities of United States corporations.

(a) Definitions.—In this section:

(1) GENERAL PUBLIC BENEFIT.—The term “general public benefit” means a material positive impact on society resulting from the business and operations of a United States corporation, when taken as a whole. (…)

(1) IN GENERAL.—The charter of a large entity that is filed with the Office shall state that the entity is a United States corporation.

 

(2) CORPORATE PURPOSES.—A United States corporation shall have the purpose of creating a general public benefit, which shall be—

(A) identified in the charter of the United States corporation; and

(B) in addition to the purpose of the United States corporation under the articles of incorporation in the State in which the United States corporation is incorporated, if applicable.

(c) Standard of conduct for directors and officers.—

 

(c) Standard of conduct for directors and officers.—

(1) CONSIDERATION OF INTERESTS.—In discharging the duties of their respective positions, and in considering the best interests of a United States corporation, the board of directors, committees of the board of directors, and individual directors of a United States corporation—

 

(A) shall manage or direct the business and affairs of the United States corporation in a manner that—

(i) seeks to create a general public benefit; and

(ii) balances the pecuniary interests of the shareholders of the United States corporation with the best interests of persons that are materially affected by the conduct of the United States corporation; and

 

(B) in carrying out subparagraph (A)—

(i) shall consider the effects of any action or inaction on—

(I) the shareholders of the United States corporation;

(II) the employees and workforce of—

(aa) the United States corporation;

(bb) the subsidiaries of the United States corporation; and

(cc) the suppliers of the United States corporation;

(III) the interests of customers and subsidiaries of the United States corporation as beneficiaries of the general public benefit purpose of the United States corporation;

(IV) community and societal factors, including those of each community in which offices or facilities of the United States corporation, subsidiaries of the United States corporation, or suppliers of the United States corporation are located;

(V) the local and global environment;

(VI) the short-term and long-term interests of the United States corporation, including—

(aa) benefits that may accrue to the United States corporation from the long-term plans of the United States corporation; and

(bb) the possibility that those interests may be best served by the continued independence of the United States corporation; and

(VII) the ability of the United States corporation to accomplish the general public benefit purpose of the United States corporation;

(ii) may consider—

(I) other pertinent factors; or

(II) the interests of any other group that are identified in the articles of incorporation in the State in which the United States corporation is incorporated, if applicable; and

(iii) shall not be required to give priority to a particular interest or factor described in clause (i) or (ii) over any other interest or factor.

(2) STANDARD OF CONDUCT FOR OFFICERS.—Each officer of a United States corporation shall balance and consider the interests and factors described in paragraph (1)(B)(i) in the manner described in paragraph (1)(B)(iii) if—

(A) the officer has discretion to act with respect to a matter; and

(B) it reasonably appears to the officer that the matter may have a material effect on the creation by the United States corporation of a general public benefit identified in the charter of the United States corporation.

 

(3) EXONERATION FROM PERSONAL LIABILITY.—Except as provided in the charter of a United States corporation, neither a director nor an officer of a United States corporation may be held personally liable for monetary damages for—

(A) any action or inaction in the course of performing the duties of a director under paragraph (1) or an officer under paragraph (2), as applicable, if the director or officer was not interested with respect to the action or inaction; or

(B) the failure of the United States corporation to pursue or create a general public benefit. (…)

 

(d) Right of action.—

(1) LIMITATION ON LIABILITY OF CORPORATION.—A United States corporation shall not be liable for monetary damages under this section for any failure of the United States corporation to pursue or create a general public benefit.


 

À la prochaine…

Ivan Tchotourian